31. Audition de MM. Bernard Menasseyre, président de la 7ème Chambre de la Cour des Comptes, et Marc Le Roux, rapporteur des affaires d'inondation à la Cour des Comptes (28 juin 2001)
M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons MM. Bernard Menasseyre, président de la 7ème chambre de la Cour des Comptes, et Marc Le Roux, rapporteur des affaires d'inondation à la Cour.
Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Bernard Menasseyre et Marc Le Roux
M. Bernard Menasseyre - Je tiens à préciser que j'ai bien pris connaissance des questions que vous m'avez transmises, et je vais limiter mon propos liminaire à l'exposé de la nature des contrôles que la Cour a pu faire, et dont vous avez pu constater qu'ils avaient abouti à une insertion à notre rapport public général de 1999.
M. le Président - Avec quelques préconisations et critiques, que nous avons relevées.
M. Bernard Menasseyre - Faire des critiques et, autant qu'il lui est possible, des recommandations, relève du rôle de la Cour des comptes.
Cette partie limitée du rapport public, vous l'avez constaté, ne comporte qu'un nombre restreint de pages (une vingtaine, non comprises les observations que les Ministres ont pu faire en réponse aux observations de la Cour). L'exercice est contraint dans son énoncé, et dense. De nombreuses observations qui y figurent mériteraient d'être développées et suivies d'explications plus complètes. Néanmoins, le mérite de ce type d'intervention est de pouvoir faire une synthèse - il s'agissait de notre objectif. J'ai bien relevé, Monsieur le Président, que la Commission d'enquête que le Sénat a constitué, avait insisté sur un certain nombre de points, qui correspondent pour partie au sujet que nous avons traité. J'ai bien relevé que vous aviez noté la complexité de l'organisation administrative en matière de lutte contre les inondations, et qu'il était nécessaire que vous puissiez faire des recommandations qui impliqueraient les collectivités territoriales. J'ai noté également que vous aviez souhaité qu'il y eut une analyse et une évaluation des dispositifs existants en matière de prévention des risques d'inondation et, en particulier, de leur mise en oeuvre dans le bassin de la Somme. Enfin, vous souhaitez que les responsabilités en matière d'entretien des rivières, de maîtrise de l'urbanisation, d'aménagement de l'espace, ou d'évolution des pratiques agricoles, soient aussi traitées par votre commission. C'est en connaissance de cause que je vous livre ces quelques éléments d'information.
Je vais presque directement aux conclusions de la Cour, quitte à revenir sur la manière dont nous avons travaillé. Je serai très bref. Nous avons, en conclusion de notre insertion, relevé que, incontestablement, depuis 1994, des efforts financiers avaient été accomplis. Ceci s'exprime par exemple dans l'élaboration et la mise en oeuvre d'un plan décennal de lutte contre les inondations qui représente quelques dix milliards de francs. Nous avons bien pris en considération cette aide financière, ce qui n'a pas apaisé les critiques que nous avons formulées. En effet, il nous semble que les aspects financiers sont loin, bien qu'ils soient utiles, de régler le problème dans sa complexité et dans sa nature.
Nous sommes arrivés à trois constats essentiels. D'une part, le risque d'inondation est mal connu. D'autre part le cadre juridique dans lequel il est traité est obsolète. Enfin, l'organisation administrative, au sens large, de l'Etat, est défaillante.
J'insisterai sur trois points : Pourquoi la Cour a-t-elle traité ce sujet ? Comment l'a-t-elle traité ? Quelles sont la portée et la limite de ce contrôle ?
Pourquoi la Cour a-t-elle traité ce sujet ? La Cour n'est pas une société académique d'hydrographes ou de géographes. La Cour est chargée du contrôle de la régularité des opérations, et comme l'a écrit, d'ailleurs, Napoléon en 1807, du contrôle du bon usage des deniers publics. La 7ème Chambre, à laquelle j'appartiens, et que je préside, peut, dans la limite de ses compétences, toucher d'assez près les différents aspects relatifs à la prévention des inondations - puisque nous avons compétence pour contrôler les crédits du ministère chargé de l'environnement et de ses établissements publics, ceux du ministère chargé de l'équipement, de son administration centrale et de ses services déconcentrés, et pour examiner tout ce qui concerne le ministère chargé de l'agriculture.
Sur cette base, trois considérations ont guidé la Cour pour choisir de traiter ce sujet, hormis l'importance du risque d'inondation pour les biens et les personnes, qui est fondamentale. Nous avons constaté que le problème que nous avions à traiter était d'une incidence potentielle considérable sur les finances publiques, sur les finances de l'Etat, qui est l'assureur en dernière analyse des dommages que les inondations peuvent susciter, mais aussi sur les finances des collectivités territoriales, pour lesquelles nous n'avons pas compétence. Le deuxième élément était que nous souhaitions porter un diagnostic sur l'usage du crédit et l'organisation administrative, en termes d'effectifs, d'articulation des services, pour pouvoir apprécier, à travers une situation de cette nature, comment l'Etat et ses service pouvaient agir pour parvenir au meilleur résultat possible. La troisième considération, qui est à mon sens tout aussi essentielle, est que nous avons été frappés, au cours de l'enquête, par l'absence de suite réservée à des grandes enquêtes qui ont eu lieu sur ce sujet. Quand nous avons commencé à explorer cette question, en 1996, nous avons observé qu'il y avait eu des travaux de très grande importance et de portée très significative (une enquête du Conseil Economique et Social de 1957, une enquête de M. Haroun Tazieff de 1983, une enquête de l'Assemblée nationale de 1994, une autre de 1997), qui n'avaient pas été suivis d'effets. D'où cette idée que bien souvent, en matière de risque naturel, et en particulier d'inondation, l'oubli de ce qui est arrivé ou de ce qui a été prescrit, est un élément dont il faut tenir compte. En effet, en ce domaine, il ne semble pas que l'expérience instruise suffisamment. Voilà les raisons pour lesquelles la Cour s'est penchée sur le sujet.
Quelles méthodes d'élaboration la Cour a-t-elle mises en oeuvre ? Il faut savoir que la Cour procède de façon contradictoire et collégiale. Ce point est important pour la suite des observations et l'usage que l'on pourrait en faire. Nous avons en effet travaillé par rapports successifs, qui ont conduit à l'élaboration d'un document que nous avons appelé « Relevé de constatations provisoires », que nous avons adressé, comme il convient, aux différents services des ministères que j'ai cités, en y ajoutant, d'ailleurs, les ministères de l'Intérieur et des Finances. Nous avons complété les réponses écrites qui nous ont été données par des auditions, où les représentants des différents services sont venus devant nous. Cette procédure étant achevée, il a été possible au Premier Président d'adresser un référé aux ministres - ceci a eu lieu fin 1998 -, avec copie au Premier ministre. C'est après ces réponses que nous nous sommes décidés collégialement à prévoir une insertion au rapport public. Je crois que nous devons souligner que ce travail, qui a donné lieu à une publication, ne peut être séparé des réponses que l'administration lui a apporté. Or, il est souhaitable, et même indispensable, que l'on puisse lire d'un même oeil les observations de la Cour et les réponses qu'elles ont suscitées. En effet, il y a là autant de traces des accords sur les points qui nous ont rapproché, que des désaccords qui y figurent - et les désaccords sont souvent source d'interrogations pour le lecteur. Nous n'avons pas, bien évidemment, eu la possibilité de discuter ultérieurement, mais j'appelle votre attention sur la nécessité de relier les observations et les remarques qui nous été faites. Il s'agit, non pas d'un travail pouvant être identifié comme celui d'un rapporteur ou d'une Chambre, mais d'un travail engageant la Cour, c'est-à-dire celui d'une institution collégiale qui s'est prononcée au plus haut niveau par le rassemblement de tous les conseillers, et présidée par le Premier Président.
Quelles sont la portée et la limite de ce contrôle ? Bien évidemment, la publication de la Cour a une visée exhaustive, et ceci en dépit du faible nombre de pages qu'elle comporte ; elle est nécessairement synthétique, sur des sujets complexes, en particulier pour ce qui concerne l'analyse juridique des responsabilités qui peuvent être mises en cause, qui demanderaient des développements beaucoup plus importants que ceux que nous avons pu leur donner. Par ailleurs, cette publication avait pour objet d'informer les pouvoirs publics, mais aussi l'opinion publique. Nous avons constaté, sans y attacher une importance considérable, parce que malheureusement nous savons quel est le sort que l'actualité réserve à quelques publications, que cette insertion au rapport public avait été abondamment citée. Pour tempérer cet acte de satisfaction, j'observe qu'après la publication, il n'y a pas eu beaucoup de mesures précises qui ont été prises, autant qu'on puisse en juger. Les membres de cette juridiction sont animés par une forme de scepticisme actif - nous pensons que nous sommes fort utiles, mais à long terme. Sur ce sujet, seuls les sinistres donnent en quelque sorte un écho particulier aux observations de la Cour. Car, juste avant la publication de la Cour, mais après que celle-ci eut été finalisée, nous avons connu dans l'Aude des inondations très graves, meurtrières, et qui malheureusement ont constitué une manière d'introduction à la lecture, par les destinataires du rapport public, de ce que nous y avons écrit. Et ce qui s'est passé depuis est l'illustration malheureuse de ce que nous avons énoncé, que nous avons tenté de mettre en application.
En ce qui concerne la Somme, il faut se référer à l'annexe de l'insertion au rapport public : vous pourrez observer que dans le cas de la Somme, le plan de prévention des risques ne présente aucune prévision, ni aucune exécution. Le plus simple est que M. Marc Le Roux puisse brièvement vous donner les réflexions qu'il a pu faire sur la situation spécifique de la Somme, mais néanmoins éclairante du point du vue d'une réflexion générale.
M. Marc Le Roux - Les inondations très graves de la Somme sont un exemple dramatique, mais ne sont hélas qu'un exemple parmi d'autres de ce qui peut se reproduire ailleurs.
Je souhaiterais à la fois souligner les éléments qui sont tout à fait communs aux inondations de plaine et à ce que la Somme a subi, et les éléments qui pourraient être considérés comme plus spécifiques, sans pour autant annihiler ou modifier fortement la présentation générale du problème.
Les grandes inondations de la Somme ont été la conjonction de deux phénomènes naturels : une pluviométrie exceptionnelle dans les quelques semaines qui ont précédé la montée des eaux, mais aussi - ce qui est très important puisqu'on le retrouve dans l'histoire des grandes inondations - une situation de saturation profonde des sols, dont la nappe phréatique affleurait depuis déjà plusieurs mois. Les années précédentes, il était pourtant craint une situation de grande sécheresse. Les évolutions naturelles peuvent donc être très fortes et inversées. A titre de comparaison, cette conjonction, et notamment l'effet de saturation des sols, se retrouve dans la grande inondation de la Seine de 1910, dans celle du Mississippi de 1993, et en partie dans celle de l'Oder, en Pologne, en 1997.
Il est clair que l'action de l'homme, lorsqu'il imperméabilise les sols, a une incidence négative ; mais celle-ci apparaît de second ordre dans le cadre d'une grande inondation de plaine, puisque les sols étaient eux-mêmes devenus imperméables du fait de leur saturation.
La Somme est très représentative des grandes inondations de plaine. Ses particularités tiennent d'une part à la faiblesse de l'écoulement naturel du fleuve, qui est un fleuve côtier. La proximité de la mer (et notamment l'influence des marées hautes) a entravé l'écoulement des eaux ; il s'agit là d'un facteur explicatif de la longue durée de l'inondation de la Somme. Une seconde caractéristique très particulière de la Somme est l'absence de culture d'inondation, qui semble pouvoir se déduire du défaut de plan de risque d'inondation dans la Somme. Nous avons établi en quelque sorte un palmarès de l'élaboration des plans de risques d'inondation, dont les premiers remontent à 1935 (il s'agit des PSS, plans de surfaces submersibles), suivis des périmètres de risque (art. R 103 du Code de l'urbanisme), puis des plans d'exposition aux risques de 1982, le Parlement s'étant à plusieurs reprises penché sur la question pour mettre en oeuvre de nouveaux instruments. Dans le cas de la Somme, non seulement les plans n'ont pas été élaborés, mais n'ont pas même été prescrits.
Les PSS répondaient à un double objectif essentiel : assurer l'écoulement des eaux et aménager des aires d'expansion aux crues. Il se trouve qu'aucune des régions de l'Ouest, de la Vendée à la Picardie, n'a donné lieu à prescription de ce type de plan. On peut considérer que les services de l'Etat, mais aussi les collectivités locales, n'ont pas été conscients du risque d'inondation de la Somme. La précédente grande inondation remontait à 1939, période trouble, au regard de laquelle l'on peut comprendre que la mémoire se soit un peu estompée.
Un érudit du 19ème siècle, Monsieur Champion, avait fait un inventaire de l'ensemble des inondations en France depuis le 6ème jusqu'au milieu du 19ème siècle. Son ouvrage vient d'être réédité.
Se pose notamment la question du choix de l'aléa de référence, c'est-à-dire du niveau de la crue qui va être pris comme référence, s'il s'agit de trouver un dispositif de protection du patrimoine existant. Les constructions en zone inondable, certes, n'ont pas été maîtrisées pendant de nombreuses années, notamment en raison de l'oubli de la menace.
Nous pouvons aussi mentionner, comme l'a fait M. Haroun Tazieff, qu'il est impossible de neutraliser une grande zone (500 mètres) sur chaque rive d'un grand fleuve. La protection des grandes cités urbaines mérite donc une approche particulière. Si pour le futur il s'agit de juguler l'urbanisation de ces zones, il est nécessaire d'imaginer pour aujourd'hui des formes de prévention mais aussi de protection. Parmi les formes de prévention imaginées, l'une des questions de votre Commission traite notamment de l'annonce des crues. Cette dernière, en régime de crue de plaine, permet d'évacuer en temps utile les populations, et de remonter les meubles à un niveau suffisant.
Dans le cas de la Somme, dont le sol est friable, ont eu lieu des tassements différentiels, des affaissements de maisons, dont certaines ne sont plus habitables, à tout le moins vendables. Il semble que la quantité d'eau qui devait être évacuée était trois fois supérieure à la capacité d'écoulement du fleuve. Un défaut de curage éventuel du fleuve et du réseau afférent a été mis en cause. Mais un rapport du Gouvernement semble démontrer que le conseil général, qui avait la responsabilité, après transfert, de la gestion de l'entretien du fleuve, a parfaitement assumé son obligation. Au demeurant, face à l'ampleur des débits à écouler, un défaut de curage ne peut être considéré comme une cause décisive de l'ampleur de l'inondation. En outre, l'Etat a, au titre de la police des eaux, la responsabilité de veiller à ce que les responsables de l'entretien des cours d'eau pratiquent les actions adéquates.
En conclusion, la Somme nous paraît bien être un exemple assez représentatif de la situation des inondations de plaine.
M. le Président - Merci de cet exposé.
M. Jean-François Picheral - Nous abondons tout à fait dans votre sens, si ce n'est que nombre de personnes que nous avons entendues nous ont exposé des causes beaucoup plus nombreuses. Le curage, comme la prévention, par exemple, méritent d'être affinés. Notre travail en commun devra apporter une grande pierre dans cette grande mare...
M. Marc Le Roux - J'aimerais revenir, Monsieur le Président, sur l'analyse multicausale. L'une des grandes difficultés de votre Commission et de celle de l'Assemblée nationale, ainsi que des commissions précédentes, est l'identification d'un grand nombre de causes, sans qu'il soit possible de hiérarchiser précisément celles-ci.
M. Jean-François Picheral - Depuis 48 heures, nous avançons énormément sur la connaissance de l'évolution des nappes phréatiques, et nous pourrons dès demain mettre en oeuvre des procédés de prévention adaptés.
M. le Président - Il apparaît que la zone qui nous intéresse ne présente pas une culture du risque d'inondation. Dans les travaux que vous avez conduits, quelles sont vos réflexions actuelles quant à la diffusion de la connaissance du risque ?
M. Bernard Menasseyre - D'une manière générale, nous avons constaté sur ce point, d'une part l'existence, dans le temps, d'instruments juridiques d'information extrêmement variés, disparates, dont la qualité est pour le moins variable -nous sommes en présence de strates successives de documents qui, au fond, correspondent aux préoccupations successives du législateur- ; d'autre part le retard important qui a été pris dans la prescription de ces documents. La prescription, la connaissance du risque, relèvent indiscutablement de la responsabilité de l'Etat. Nous sommes cependant loin d'en être restés à un stade rudimentaire. Nous avons bien noté qu'après l'intervention de la Cour, des mesures avaient été prises, des crédits octroyés ; un effort a été accompli pour accélérer la mise au point des instruments nécessaires à l'information et à la connaissance du risque. Néanmoins, d'après les informations que nous avons pu rassembler, en dépit d'efforts très importants, récents et moins récents, nous n'aurons pas une couverture ou une connaissance du risque suffisante à l'échelle de la France avant presque deux décennies. J'observe à regret que bien souvent les catastrophes les plus importantes se sont produites dans les zones où il y aurait eu nécessité d'une bonne connaissance du risque. Nous avons par exemple constaté que dans l'Aude, les documents étaient insuffisants.
Nous avons aussi constaté que les grandes cités fluviales étaient souvent dans l'ignorance du risque qu'elles encouraient, ce qui est très inquiétant, en particulier pour tout ce qui touche l'Ile-de-France. Nous avons également relevé l'insuffisance des documents disponibles pour une large partie de l'Ouest et du Nord de la France. Nous sommes dans une situation où un redressement à cet égard a incontestablement lieu, lequel, cependant, ne permet pas, dans l'état actuel des choses, de garantir une connaissance suffisante du risque.
Aurait-on une connaissance satisfaisante du risque, encore faudrait-il en tirer, pour ce qui concerne les documents d'urbanisme, les conséquences adéquates. Nous constatons en effet que la traduction de l'information en prescription est aussi un sujet d'inquiétude. Nous avons relevé, après la décentralisation, et au regard des compétences données aux collectivités territoriales en matières de plans d'occupation des sols et de permis de construire, une difficulté incontestable pour tirer de la connaissance du risque les conséquences qui s'imposent pour l'urbanisme et l'urbanisation. Nous avons ainsi été amenés à souligner qu'il y avait une responsabilité conjointe des élus locaux et de l'Etat -et en particulier des Directions départementales de l'Equipement et des préfets-, qui a un rôle à jouer pour porter le risque à la connaissance des élus locaux ; obtenir de ces derniers qu'en soient tirées les conséquences ; et dans l'hypothèse où cela ne suffit pas, mettre en jeu, par le contrôle de la légalité, les décisions que les collectivités territoriales pourraient prendre. Je constate qu'il s'agit là d'un jeu difficile, où la responsabilité de l'Etat est essentielle, mais également partagée.
M. le Président - Quant à l'indemnisation des sinistrés, quel est votre avis sur l'état actuel de la réglementation ?
M. Bernard Menasseyre - Notre position sur ce point était clairement exposée dans le rapport public. Nous avons affaire à un mécanisme qui, au fond, par le jeu de la déclaration de l'état de catastrophe naturelle d'une part, le rôle donné aux compagnies d'assurance d'autre part, est un système dans lequel a été organisée une forme de déresponsabilisation, et dans lequel les assureurs sont réduits à un rôle de guichetiers, très éloigné de leur fonction naturelle. Ce mécanisme apparaît ainsi plutôt comme une forme de fiscalité déguisée, avec un système de redistribution, alors que la loi (qui date de 1982) avait un volet préventif qui a été totalement abandonné. Nous nous sommes inquiétés de savoir, par exemple, s'il n'y avait pas un moyen, qui nous paraît indispensable, de faire supporter les conséquences à ceux qui, en connaissance de cause, prennent le risque d'installer leur bien (habitation ou entreprise) sur une zone à risque. Il s'agirait notamment de mettre en oeuvre un système de surprime, qui n'est pas, aujourd'hui, véritablement modulé et ne présente aucun caractère conduisant à une forme de dissuasion pour le risque en cause.
J'aimerais rapprocher l'observation de la Cour et la réponse du ministère de l'Economie et des Finances, qui, au nom de la solidarité nationale, refuse l'idée d'une modulation de la surprime.
M. Paul Raoult - Votre raisonnement, effectivement, semble juste. Mais lorsque, par exemple, par suite de pratiques culturales en amont ayant provoqué une érosion des sols, une inondation a lieu, il me semble abusif que les habitants de l'aval en assument les conséquences en termes financiers. Il est impossible d'échapper à une réflexion d'ensemble sur le bassin hydrographique tout entier, où s'impose la mise en oeuvre d'une solidarité de l'amont vers l'aval, ou de l'aval vers l'amont. La recrudescence des inondations témoigne bien, par ailleurs, de l'apparition de nouvelles causes.
Il s'agit notamment d'imposer à l'ensemble des communes, par le biais de la loi, l'obligation d'entrer dans un jeu d'action intercommunale dans le cadre d'un espace donné. Il s'agit d'une responsabilité de l'Etat. Nous sommes là à la croisée de la puissance régalienne et de l'action « normale » de ce que doit être la commune ou l'intercommunalité.
M. Bernard Menasseyre - Monsieur le Sénateur, vous offrez là un champ de réflexion important, qui déborde évidemment le cadre de l'assurance, et qui a retenu l'attention de la Cour. Nous avons en effet qualifié le dispositif juridique d'archaïque, d'obsolète. Nous avons jeté un oeil sur les textes qui définissent les responsabilités respectives de l'Etat, des collectivités locales et des riverains. Nous avons constaté que le texte de base est une loi de 1807 sur le dessèchement des marais, qui a pris naissance dans un cadre juridique, historique, sociologique, qui n'existe même plus, aujourd'hui, à l'état de vestige. Il est cependant toujours considéré que ni l'Etat, ni les collectivités locales ne sont responsables de la protection des eaux non domaniales, et que seuls les propriétaires riverains le sont. Cette loi a été l'objet de critiques et de rectifications dès le 19ème siècle. Nous sommes, dans un tel système, en présence d'une forme juridique d'irresponsabilité organisée et intangible. La Cour a affirmé la nécessité de revoir le dispositif juridique d'ensemble. Au demeurant, ce domaine relève du législateur.
M. le Président - Merci Messieurs.