27. Audition du Professeur Henry Maillot, hydrogéologue agréé, directeur adjoint de l'Ecole universitaire d'ingénieurs de Lille et coordonnateur auprès du Préfet de la Somme (27 juin 2001)
M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Henry Maillot, directeur adjoint de l'Ecole universitaire d'ingénieurs de Lille et coordonnateur auprès du Préfet de la Somme.
Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Henry Maillot .
M. Henry Maillot - Je suis professeur d'université et détaché dans une école d'ingénieur, l'Ecole universitaire d'ingénieurs de Lille. Depuis maintenant trente ans, j'y anime et dirige le laboratoire Sites urbains et pollution des eaux. En outre, je suis responsable du Mastère spécialisé en Génie bio, accrédité par la Conférence des grandes écoles. Ce mastère accueille des ingénieurs généralistes de toute la France, pour une spécialisation dans le domaine de la gestion des eaux, en particulier sur les problématiques d'assainissement, de gestion de l'eau potable, etc. Voici l'essentiel de mes fonctions au niveau de l'Education nationale.
Le nombre de spécialistes dans ces domaines étant relativement limité, j'ai été amené à assumer d'autres fonctions. En 1996, les préfets du Nord-Pas-de-Calais et de la Somme m'ont demandé d'être coordonnateur départemental des hydrogéologues agréés dans la Somme. C'est un mandat de cinq ans, non renouvelable, qui arrive donc à échéance en août 2001. Par ailleurs, en ma qualité d'hydrogéologue agréé en matière d'hygiène publique, j'assume des fonctions d'agent coordonnateur dans le Nord et le Pas-de-Calais. Il s'agit de missions qui me sont confiées aux côtés des préfets, exclusivement dans le domaine de la qualité des eaux. Nous n'intervenons donc pas sur les problèmes de quantité d'eau, mais les problèmes de qualité de l'eau (eau potable, protection de captage, etc.) suffisent pour nous occuper pleinement.
Je suis également expert auprès de la Cour d'appel de Douai, notamment auprès des tribunaux administratifs, dans le domaine de la géologie, de l'hydrologie et des mines et carrières. J'émets des avis et conduis des expertises judiciaires dans ces domaines.
Je suis membre du conseil d'administration de l'Association des hygiénistes et techniciens municipaux dans le domaine de l'eau et de l'assainissement. Cette association fait référence dans la profession et je suis fier de participer aux opérations qu'elle conduit. Enfin, je fais partie des commissions de certains ministères (ministères de l'Equipement, de l'Agriculture, de la Santé, de l'Environnement...), notamment dans le cadre du débat sur la directive cadre sur l'eau. Je représente, dans ce cas, les hydrogéologues de France.
Je tiens à préciser que je ne suis quasiment pas intervenu dans les opérations concernant les inondations au niveau de la préfecture de la Somme. Encore une fois, je n'ai pas été consulté car je ne fait que donner une assistance dans le domaine de la qualité de l'eau, et non de la quantité. Tout à l'heure, je répondrai très librement à vos questions, mais ne soyez pas étonné si pour certaines d'entre elles, je vous livre plus un point de vue de citoyen que de spécialiste, puisque je n'ai pas assisté les autorités compétentes dans toutes ces opérations.
Je vais maintenant vous présenter mon point de vue sur le but et les enjeux de votre commission : causes, effets, coûts et, le cas échéant, les mesures qui permettraient d'améliorer la situation si celle-ci se reproduisait. J'insisterai davantage sur le premier et le dernier point, les autres points étant plus obscurs à mes yeux.
La cause unique des inondations de la Somme est liée à un problème de nappe. On peut distinguer, sur le territoire métropolitain, deux types de roches et de sous-sols. D'une part, on retrouve les zones où les terrains et le sous-sol sont, au moins à 80 %, perméables, fissurés, permettant ainsi de stocker les eaux. La Somme est exactement dans cette configuration. D'autre part, on retrouve des zones où 80 % des terrains constituant le sous-sol sont imperméables. Lorsqu'il y a une forte pluviométrie, il se produit un ruissellement important, qui va alimenter les cours d'eau et des fleuves. Dans la Somme, le sous-sol est presque exclusivement crayeux, pour la partie qui nous intéresse. C'est le seul cas de figure en France où un département est constitué, dans sa quasi-totalité, par une roche homogène et crayeuse. Cette roche est très perméable à l'eau. L'eau peut donc être stockée au-dessus d'un niveau imperméable. Le bassin Artois-Picardie, qui rassemble les trois départements de la Somme, du Pas-de-Calais et du Nord, est alimenté à 95 % par les eaux souterraines, essentiellement par la nappe de la craie. En Picardie et dans la Somme, c'est la totalité de l'adduction en eau sous pression qui est réalisée à partir des captages à la nappe de la craie.
Une carte géologique plus ciblée met en évidence l'homogénéité des assises du sous-sol de la Somme. Ce département est presque entièrement constitué d'un sous-sol crayeux, qui est parcouru par la Somme et ses affluents. Il importe de prendre en compte ces caractéristiques topographiques pour cerner la cause, unique, des inondations de la Somme. Force est de constater que durant la crise, les services, les administrations et les différents intervenants n'avaient pas véritablement perçu cette cause unique. Je crois, à ce propos, qu'une pédagogie répétitive est nécessaire.
M. le Président - A quoi correspondent les zones blanches dans les vallées ?
M. Henry Maillot - Elles représentent les alluvions. Il s'agit d'un tapissage de matière organique, de vase, généralement à la base des silex plus ou moins roulés. Le cours d'eau, dans cette zone, avait une structure torrentielle. On retrouve ce type de configuration dans les Alpes et dans les Pyrénées. Le rééquilibrage du niveau de la mer a contribué à affiner les alluvions, ce qui en a fait une substance plus vaseuse.
M. le Président - Cette partie ne correspond-elle pas aux zones inondées par les rivières non majeures de la Somme ? Je pense notamment à la vallée de la Hue et à la vallée de la Nièvre, qui ont été inondées, mais dont on a peu parlé.
M. Henry Maillot - Tout à fait. En 1994-1995, le préfet du Pas-de-Calais, dans un petit fleuve voisin, avait rencontré le même type de problème. La pluviométrie, à l'époque, avait alimenté essentiellement les petits fleuves du département du Pas-de-Calais. La même cause avait conduit aux mêmes effets, mais avec une moindre ampleur. Dans la Somme, le problème s'est posé au niveau du bassin versant dans sa totalité.
La nappe crayeuse est une réserve essentielle pour l'économie du bassin Artois-Picardie, en particulier pour la Somme. Cependant, elle peut être à l'origine de dommages considérables. Comment fonctionne-t-elle ? Une partie des eaux de pluie, que l'on appelle pluie efficace (pluies de fin d'automne, d'hiver et du début de printemps), s'infiltre dans les pores et les fissures de la roche (par effet de pression) et conduit une certaine quantité d'eau vers les zones vides. Ces pluies efficaces ne sont pas réparties de manière homogène sur le bassin Artois-Picardie. Dans la Somme, selon la période, les variations sont importantes : de 300 à 350 millimètres de pluie efficace au Nord d'Abbeville à 100 millimètres d'eau, voire un peu moins, pour les mêmes périodes hivernales sur le secteur de Roye. En d'autres termes, dans le département de la Somme, la pluie efficace moyenne est déjà à un niveau élevé par rapport à d'autres secteurs.
J'ai repris un schéma qui a été publié dans une revue agricole au moment de l'inondation de la Somme. Il illustre parfaitement le fonctionnement de la nappe.
M. le Président - Sur le précédent transparent, à quoi correspondent les 250 millimètres d'eau ? Est-ce le cumul des pluies efficaces ?
M. Henry Maillot - Ce nombre correspond à la moyenne annuelle, sur trente ou quarante ans, de pluies efficaces. Cela ne concerne pas l'événement que nous venons de vivre qui a été beaucoup plus important et beaucoup plus répétitif.
Revenons au fonctionnement de la nappe de craie. Sous une couverture limoneuse peu épaisse (entre 5 à 10 mètres), on retrouve un terrain calcaire micro-fissuré, fissuré ou dissout, qui peut, selon les plateaux, présenter un coefficient de vide de l'ordre de 1 %. Dans les fonds de vallée, ce coefficient peut osciller entre 5 et 10 %. Ainsi, le stockage d'eau, sous les fonds de vallée et dans la roche crayeuse, est plus important en volume que sur les plateaux. Quant au niveau du toit de la nappe, il va varier au cours du temps. Sous les plateaux, après les périodes d'automne, d'hiver et de début de printemps, le niveau de la nappe va remonter jusqu'à atteindre un maximum vers le mois de mai. Parallèlement, la charge hydraulique au niveau de l'aquifère, en fonction de la pente du niveau imperméable sous-jacent à la structure crayeuse va conduire à des écoulements souterrains qui permettront, à leur tour, d'alimenter l'eau des fleuves ou des rivières, via les alluvions. Dans certains cas, et cela s'est produit dans des secteurs qui avaient été jusque-là à l'abri de ce genre de phénomène, ces écoulements peuvent aller dans des sources de débordement à mi-pente, notamment si le niveau du toit de la nappe remonte de façon démesurée. C'est donc un écoulement souterrain lent qui est à l'origine d'une inertie du système, qui alimente bon an mal an les cours d'eau, ceci jouant le rôle de drain pour la nappe de craie.
Le fonctionnement que je viens de décrire se résume par ces trois mécanismes :
- des possibilités de stockage importantes au niveau de la roche ;
- un écoulement lent mais continu, qui conduit, après les fortes pluies d'hiver, à ce que la nappe se ressuie vers les fonds de vallée ;
- une inertie du système, de sorte que l'écoulement souterrain conduit aux plus hautes eaux de la vallée, deux ou trois mois après le début de fortes pluies.
Généralement, les plus hautes eaux de nappe se constituent vers le mois de mai. Cependant, en raison des effets retards, les cours d'eau peuvent être alimenté au-delà de cette période. Quand on se réfère aux forages de suivi, on s'aperçoit qu'on a vécu l'hiver dernier, et jusqu'au mois de mai dernier, une période tout à fait exceptionnelle. De mémoire d'archive, un tel phénomène ne s'était pas produit depuis au moins un siècle et sans doute davantage. Peut-être même qu'un tel phénomène ne s'était jamais produit.
En conclusion de cette première partie, je dirais que la cause des inondations de la Somme est unique et naturelle. Quoi que l'on fasse, il ne faut se faire aucune illusion : nous ne pourrons pas agir sur la cause, mais sur l'accompagnement des effets pour essayer, dans la mesure du possible, de les minimiser et de les rendre plus acceptables.
M. François Gerbaud - Ce phénomène est donc répétitif ?
M. Henry Maillot - C'est l'une de nos craintes majeures. Au cours des dernières années, nous avons vécu successivement des « saccades ». En 1988, suite à un hiver très pluvieux, les nappes sont remontées à un haut niveau. De 1989 à fin 1991, nous avons connu, au contraire, des hivers très secs. Aux sécheresses de surfaces sont venues s'ajouter des sécheresses de nappes, ce qui a posé des problèmes d'adduction d'eau dans un certain nombre de secteurs, et pas forcément ceux qui sont alimentés par la nappe de la craie. Il a fallu, en urgence, créer des ouvrages, voire mettre en place des tuyaux d'incendie pour alimenter les populations. J'y reviendrai ultérieurement car l'une de mes propositions portera sur la manière de traiter les problèmes de sécheresse hydrogéologique. Pour revenir à notre chronologie, entre 1993 et 1995, nous avons à nouveau connu une période d'excès d'eau, jusqu'à 1997. En 1997, la nappe s'est gorgée d'eau. Depuis 1997 et 1998, on a assisté à l'effet cumulatif de pluies hivernales dans certains secteurs, notamment celui d'Abbeville. Nous avons été témoins d'un phénomène naturel que l'on avait déjà rencontré, mais qui devient exceptionnel par l'effet cumulatif, notamment dans le secteur d'Abbeville. Notre crainte est que l'hiver prochain soit à nouveau pluvieux et que, à nouveau, l'effet cumulatif ne joue pleinement. Si ces deux conditions sont réunies, une nouvelle inondation est à craindre. Il est donc urgent de prendre un certain nombre de mesures. S'agissant du long terme, je formulerai des propositions visant à mieux informer les acteurs, ou encore à se doter d'outils de modélisation qui permettront de mieux gérer et de mieux prévenir le risque d'inondation.
M. le Président - Je vous remercie pour cette présentation. Passons maintenant aux questions.
M. François Gerbaud - Je voudrais compléter mon propos de tout à l'heure. Vous venez de dire que la pluviométrie reste élevée, et si les effets cumulatifs jouent, une nouvelle inondation pourrait survenir. Comment peut-on lier la prévision météorologique aux prévisions du risque d'inondation ?
M. Henry Maillot - On peut suivre rigoureusement la météorologie. C'est ce que fait Météo France. On peut aussi suivre les effets sur des piézomètres. Un certain nombre de petits forages, de petits puits, qui sont de fait déjà réalisés en France, permettent de mesurer en continu les effets de la pluviométrie sur la remontée de la nappe. Vous connaissez tous, au moins par la presse, celui de Senlis-le-Sec, qui a été un des secteurs suivi notamment par le BRGM et l'Agence de l'eau. Dans ce cas, les mesures sont réalisées jusqu'à 17 mètres de profondeur. Le piézomètre est installé sur un plateau qui se trouve au nord d'Abbeville.
Les épisodes de 1994 et de 1995 montrent que l'on a connu une période de forte remontée de nappe, notamment vers les mois de mai et de juin, ce qui est tout à fait naturel. Ensuite, les hivers secs qui ont suivi ont, au contraire, contribué à diminuer le niveau de la nappe dans les secteurs concernés, de l'ordre d'une dizaine de mètres. A partir de 1998, les hivers à nouveau pluvieux ont contribué à faire remonter le niveau de la nappe au printemps. Dans le cas qui nous préoccupe, la nappe est remontée à des niveaux sans précédents, puisqu'elle est arrivée quasiment au niveau du sol. A l'heure actuelle, on est timidement en train de réamorcer la descente. C'est la raison pour laquelle je crains que l'hiver prochain, qui pourrait être pluvieux, ne conduise à nouveau à cet effet cumulatif.
Comment améliorer la situation ? Les outils existent, ou doivent être adaptés, mais à la marge. En revanche, et je parlerai en ma qualité de citoyen, le dispositif d'information en temps réel et la formation des services, restent encore insuffisants. Une grande partie des actions a été confiée à des services ayant l'habitude de conduire des travaux, mais pas du tout à des hydrauliciens. La cause principale de l'inondation n'a donc pas pu être cernée dès le départ. Il faut savoir que les effets ne sont visibles que lorsqu'il est déjà trop tard. Tout en étant conscient que l'on ne pourra pas combattre la cause, il faudrait accompagner les effets par des mesures efficaces, améliorer le dispositif d'information des services (à commencer par les DDE, les services préfectoraux, les autres unités administratives participant à la gestion des travaux...), des maires et de la population. Sans pour autant multiplier les intervenants, on pourrait également créer une structure, qui pourrait être placée sous tutelle de la DIREN et de l'Agence de l'eau, comme cela s'est fait dans le Nord. Parallèlement, l'on pourrait s'attacher à mieux utiliser les services existants. Enfin, l'on pourrait mettre en place un modèle mathématique, qui permettrait de faire des modélisations. Cet outil, qui n'est pas destiné à faire de la recherche scientifique, doit être simple car il est destiné à être un outil de travail. Les bureaux d'études -je penche pour ma part pour un groupement de bureaux d'études- devront être soigneusement sélectionnés. Très clairement, le moins-disant ne pourrait pas être retenu. Au plan organisationnel, un groupement de bureaux d'étude présente l'avantage de multiplier les canaux d'acquisitions de données hydrogéologiques, de les répercuter sur l'ensemble du bassin versant de la Somme. Grâce à des suivis hebdomadaires, l'on pourrait faire des prévisions, qui seraient transmises beaucoup plus rapidement aux acteurs. Il ne faut pas sous-estimer les délais de transmission d'informations. Pour l'anecdote, j'ai reçu les relevés du mois de décembre au mois de mars ! Les informations doivent parvenir aux services compétents chaque semaine.
M. le Président - A ma connaissance, dans le Nord, les relevés sont faits chaque semaine.
M. Henry Maillot - Il s'agit davantage de mieux utiliser les outils existants, et de mettre en place un outil de modélisation hydrodynamique et hydrologique.
M. Michel Souplet - Selon vous, la DIREN pourrait jouer un rôle de vigie...
M. Henry Maillot - Il ne s'agit que d'une proposition. D'autres structures peuvent jouer ce rôle.
M. le Président - Le système que vous venez d'évoquer serait-il automatisé ? Si tel est le cas, il sera possible d'avoir en permanence des lectures quotidiennes et centralisées à Amiens...
M. Henry Maillot - Ces lectures peuvent être au moins hebdomadaires. En revanche, le modèle n'existe pas encore.
M. le Président - Certes, on nous a indiqué que tous les samedis matin, dans la région d'Amiens, le cantonnier, en dehors de ses heures de travail, parce qu'il est payé pour cette activité, va relever le niveau de la nappe. Puis, tous les trois ou quatre semaines, il envoie ces relevés à Amiens.
M. Henry Maillot - On peut envisager d'améliorer ce dispositif en mettant en place des enregistreurs automatiques. Actuellement, tous les forages sont équipés d'enregistreurs automatiques qui renvoient les données en temps réel. En revanche, il reste à créer le modèle. A ce propos, le cahier des charges doit viser à en faire un outil de décision, et non pas un outil scientifique de recherche. Par ailleurs, d'expérience, je ne saurais que vous exhorter à être extrêmement vigilants dans le choix des bureaux d'études. Il vaut mieux, à mon sens, investir des moyens importants et choisir des professionnels. Le préfet du Pas-de-Calais m'a demandé de l'assister pour l'aménagement de la région de Douvres. Dans les délais requis, on a pu diminuer la pollution des sols, mais aussi recueillir des indications fiables. Nous n'avions pas choisi le moins-disant, et n'avions pas donné suite à certaines propositions.
Au cours de ces dernières années, nous avons subi les conséquences de la politique du moins-disant, au détriment de la qualité des études. Sur des opérations de cette importance, il faut placer des professionnels, parmi les meilleurs dans ce domaine. Il ne faut pas faire confiance à une structure, mais tenter de faire collaborer plusieurs bureaux, afin qu'ils soient critiques les uns vis-à-vis des autres. Il faut mettre en place un outil hydrologique et hydrogéologique (des outils de cette nature existent déjà) fiable, utile, simple, permettant de faire des prévisions hebdomadaires. C'est la plus importante proposition que j'ai à vous faire.
M. le Président - Vous venez de dire que des outils de cette nature existent aujourd'hui, et sont opérationnels. Faut-il copier un modèle ou concevoir notre propre modèle expérimental ?
M. Henry Maillot - Il importe d'adapter son modèle aux particularités géographiques, géologiques, hydrauliques et hydrogéologiques de son territoire. En revanche, les clés de la thématique existent déjà. Sur le marché, au moins trois à quatre bureaux d'études sont tout à fait compétents en la matière. S'agissant du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, nous avons eu besoin, sous la tutelle du préfet de région, de mettre en place un modèle. Nous sommes arrivés à des résultats tout à fait intéressants.
A mon sens, il convient d'être critique en ce qui concerne la conception du modèle car il ne s'agit en aucun cas de concevoir un outil de recherche scientifique. Cela doit se refléter dans le cahier des charges.
M. Michel Souplet - Selon vos dires, la cause de l'inondation de la Somme est unique et naturelle. Elle peut se reproduire l'hiver prochain, et cela est sans doute peu probable au-delà.
M. Henry Maillot - Tout à fait. Le risque s'amenuise au fur et à mesure que les hivers pluvieux s'éloignent de nous.
M. Michel Souplet - La situation peut néanmoins se reproduire dans quinze ans. Admettons qu'aux mois de novembre et décembre prochains, l'on s'aperçoive que le niveau de la nappe est en train de remonter. On est donc en position de prévenir le risque avec un mois d'avance. Durant ce mois, on aurait donc intérêt à dégager le plus d'eau possible dans la Somme.
M. François Gerbaud - Les volumes concernés ne sont pas comparables.
M. Henry Maillot - Si je compare le système à une baignoire, la Somme représente la bonde de la baignoire, qui permet d'évacuer le trop-plein des eaux, par rapport au volume d'eau de la baignoire. Parmi les questions que vous m'avez envoyées, certaines concernaient l'ensablement de la baie de Somme, les problèmes de pompe, etc. Il est vrai qu'il faut montrer aux habitants que l'on agit. Mais il faut prendre en compte le temps de transfert et l'inertie du système. Oui, il faut éviter que le canal ne déborde dans les bas-fonds, il faut reconstruire les berges et améliorer l'écoulement... Un meilleur entretien est un bon moyen d'accompagnement, de même qu'une meilleure canalisation du cours d'eau, avec un exutoire qui permette de mieux évacuer l'eau. Si ces mesures sont indispensables, ne serait-ce qu'au plan psychologique, il ne faut cependant pas nourrir trop d'illusions.
Les autres propositions que je veux formuler portent sur l'actualisation des plans de prévention aux risques d'inondation dans les secteurs où l'inondation paraît importante. Des réflexions pourraient être initiées sur l'aménagement, voire la constructibilité de certaines zones (campings, maisons, etc.). Par ailleurs, l'atlas des zones inondables doit être révisé, en tenant compte de l'épisode que l'on vient de vivre. Enfin, il faut pouvoir gérer la crise. Si la nappe remonte, dans certains secteurs, l'on risque de voir apparaître, sous des maisons et des routes, des sources qui soit n'ont jamais existé, soit n'étaient pas remplies depuis très longtemps. Il s'agit de sources à flanc de coteaux. Cela s'est déjà vu.
M. le Président - Avez-vous des exemples où la nappe est située sous la mer ? L'on pourrait pomper l'eau pour qu'elle nous revienne...
M. Henry Maillot - A ma connaissance, dans la Somme, les nappes sont davantage à l'intérieur des terres qu'en frange de la zone littorale. M. François Blain, de l'Agence de l'eau, m'a été d'une aide précieuse, notamment pour rassembler les données que je vous présente aujourd'hui. Sur cette photo, on voit une source qui, sous une chaussée, est soumise à une poussée d'archimède. De mémoire, jamais ce problème ne s'était posé.
M. François Gerbaud - Si le niveau de la mer remonte, notamment en raison de l'effet de serre, et si la pluviométrie est à nouveau exceptionnelle, comment pourrons-nous nous prémunir contre le risque d'inondation, même si nous l'avions prévu ? Doit-on s'attendre à l'apocalypse ? Doit-on faire comme Noé et construire une arche ?
M. Henry Maillot - Je suis géologue de formation. Les géologues ne raisonnent pas à l'échelle de la vie humaine, mais à l'échelle de millions, voire de centaines de millions d'années. En revanche, les hydrologues raisonnent à l'échelle de la vie humaine. A mon sens, nous ne disposons pas du recul suffisant pour voir derrière les inondations de la Somme la manifestation de transformations climatiques à l'échelle de la planète. Nous avons connu des glaciations. A l'évidence, les glaciers des Alpes tendent à fondre, ce qui contribue à faire remonter le niveau de la mer. Ce phénomène va-t-il persister ? Aujourd'hui, peu de gens osent se prononcer, sur la base d'arguments scientifiques. La carte qui est projetée sur l'écran vient de sortir...
M. le Président - Que représentent les traits en pointillé ?
M. Henry Maillot - Ce sont les limites de bassins versants souterrains. A partir de ces zones, vers la Bresle ou vers l'Authie, l'écoulement de la nappe s'effectue dans l'autre sens. A partir des traits en pointillé, l'écoulement s'effectue vers le drain que constituent le cours d'eau et ses affluents.
M. le Président - Si j'ai bien compris, c'est la ligne de partage des eaux entre la Somme et la Bresle.
M. Henry Maillot - Il s'agit en réalité de la ligne de partage souterraine des eaux. Quant aux couleurs, plus elles virent vers le rouge, plus l'épaisseur de la partie non saturée au-dessus du toit de la nappe est importante. En revanche, plus elles sont bleues, notamment dans les fonds de vallée, plus cette épaisseur est faible, voire nulle.
Ce schéma illustre parfaitement l'homogénéité de la craie dans le secteur qui nous concerne. En outre, il met en évidence les problèmes de pente hydrogéologique, et surtout les phénomènes de drainage des cours d'eau vis-à-vis de cette nappe. On peut enfin y observer le chevelu des nappes.
M. le Président - Cette carte est-elle fiable ?
M. Henry Maillot - Elle a été conçue par le bureau d'études Anthéa, à la demande du Conseil général, dans le cadre de l'identification de terreaux propices à la création de parcs hydrogéologiques. Pour pouvoir faire des réserves hydrogéologiques, l'étude d'aujourd'hui doit être achevée.
M. le Président - Par qui votre étude a-t-elle été financée ?
M. Henry Maillot - Cela vient d'être financé par l'Agence de l'eau. Pour une meilleure compréhension de la carte, les points rouges correspondent aux lieux de prélèvement d'eau. Plus les cercles sont importants, plus le volume d'eau moyen prélevé est important.
M. Paul Raoult - Dans le Santerre, les prélèvements sont importants, que ce soit pour l'irrigation, pour l'agroalimentaire ou pour d'autres fins.
M. Henry Maillot - Outre l'inondation, qui est due à un excès d'eau, il ne faut pas oublier de mentionner les problèmes de sécheresse hydrogéologiques. En fait, des hivers successivement secs peuvent provoquer l'affaissement du toit de la nappe, sachant que l'essorage de cette nappe est continu. Outre le secteur de Santerre, les secteurs se situant sur le dôme piézométrique sont concernés par ce phénomène. Imaginons que sur le secteur de Roye ou de Santerre, les hivers soient secs. La nappe ne se rechargerait donc pas. Il me semble, au regard de ces éléments, qu'il faut alerter les services compétents sur les risques d'inondation ou de sécheresse hydrogéologique, tant les conflits d'usage résultant de l'assèchement d'une nappe sont importants. Il me semble qu'il faut aussi faire des choix d'équipements et d'orientation. Il est utile de mettre à profit les enseignements de la crise que l'on vient de vivre, pour rebondir sur d'autres méthodes de prévision et de gestion du risque d'inondation ou de sécheresse hydrogéologique.
Je tiens à préciser que la carte que je viens de projeter n'est pas finalisée. Y figure, entre autres, l'ensemble des captages.
M. Paul Raoult - Sous les fonds de vallée, notamment la vallée de la Sensée, l'on a procédé à un maillage des captages, afin d'alimenter en eau les collectivités de taille importante.
M. le Président - Le maillage n'est pertinent que lorsqu'il concerne des utilisateurs de même nature.
M. Henry Maillot - Cela est vrai. Mais selon les procédés, on peut très bien concevoir un maillage des captages en vue d'une distribution publique et d'une distribution industrielle.
M. François Gerbaud - Si je résume le remarquable exposé de Monsieur Maillot, nous sommes devant une situation qui est exceptionnelle à trois égards : la nature du département de la Somme, la nature de son sous-sol et enfin, son exceptionnelle pluviométrie.
M. le Président - Parmi ces trois éléments, deux sont constants. Le renouvellement de la pluviométrie peut être exceptionnel.
M. François Gerbaud - Dans un contexte aussi particulier, la prévision présente donc un intérêt incontestable.
M. Henry Maillot - Le seul élément sur lequel on puisse réellement intervenir est l'accompagnement des effets. La prévision permet d'informer et de mettre en oeuvre des mesures d'accompagnement. Il est impossible d'intervenir sur la cause, à moins d'être capable de dériver les nuages et modifier la météorologie !
M. le Président - Les spécialistes de Météo France savent nous dire où se positionnera un anticyclone. En revanche, ils restent muets sur le renouvellement de la pluviométrie.
M. Henry Maillot - Il faut aussi savoir que les prévisions météorologiques ne portent que sur une courte période.
Je tiens à préciser que les sécheresses de sous-sol, de nappe, sont différentes des sécheresses de surface. En 1974, par exemple, on a connu une sécheresse de nappe, mais une pluviométrie de surface en été.
M. François Gerbaud - Quelle était la situation en 1976 ?
M. Henry Maillot - En 1976, on a connu une sécheresse de surface, mais les nappes avaient déjà été rechargées par deux hivers successivement pluvieux, qui ramenaient leur niveau à des niveaux moyens. Globalement, en 1976, dans le Nord, dans le Pas-de-Calais et dans la Somme, nous n'avons pas été confrontés à des problèmes de sécheresse au niveau des adductions publiques. Nous avons connu des situations de sécheresse en 1990 (problème de sécheresse de nappe et de surface), en 1991 (sécheresse de surface de moindre ampleur, mais constitution d'une sécheresse hydrogéologique). En 1992, les nappes se sont rechargées. En 1993 et 1994, les hivers ayant été très pluvieux, le niveau des nappes a remonté, pour baisser en 1996 et 1997. En 1998, l'effet cumulatif dans la Somme a été à l'origine des inondations. L'on s'est posé la même question pour l'Authie et la Canche, ce qui avait conduit le préfet du Pas-de-Calais à mettre en place une cellule de crise en 1993 et 1994.
Mes propositions sont simples :
- donnons-nous les moyens de concevoir un modèle hydrodynamique et hydrogéologique prévisionnel ;
- confions la gestion de l'ensemble de cette opération à une structure centralisatrice, ou à un couple de structures ; je pencherais pour le couple DIREN-Agence de l'eau, ces structures présentant l'avantage d'être déjà sur place ;
- une fois l'outil mis en place, faisons des prévisions hebdomadaires ;
- mettons en place une information répétitive ;
- améliorons les dispositifs d'accompagnement (endiguement des canaux, apurement et canalisation des exutoires, etc.) ; à ce niveau, nous ne pourrons que jouer à la marge, compte tenu de l'importance du volume d'eau accumulé dans l'éponge que représente le sous-sol de craie.
M. le Président - Au plan administratif, pouvons-nous n'observer que le département de la Somme dans son territoire, ou alors observer un pan de chaque département voisin ?
M. Henry Maillot - Les limites du département de la Somme, les limites du bassin versant superficiel et du bassin versant souterrain, à quelques différences près, coïncident. C'est d'ailleurs là que se concentre la grande majorité du problème.
M. Hilaire Flandre - Pouvez-vous expliciter le lien entre l'infiltration et l'action sur la nappe ?
M. Henry Maillot - Cela dépend de la teneur en eau des sols. Je suis obligé, à ce niveau, de rentrer dans des détails techniques. Il faut que les terrains de surface aient un certain niveau d'imprégnation d'eau, de manière à ce que les pluies de surface exercent une pression par le bas, conduisant l'eau dans la partie non saturée du terrain. Cette année, dans le secteur de Senlis-le-Sec, ainsi que dans d'autres secteurs voisins, il n'y a plus eu de zones non saturées. C'est ainsi qu'en avril et en mai, l'on a commencé à observer des ruissellements, alors que pour l'essentiel du département, l'infiltration était très prépondérante. L'éponge de craie étant imbibée jusqu'en haut, le ruissellement ne pouvait plus s'effectuer.
M. Hilaire Flandre - Comme vous l'avez expliqué, il arrive que la nappe dépasse le niveau du sol. C'est ce qui s'est passé à Senlis-le-Sec, comme vous l'avez si bien montré sur une carte. Je pensais, pour ma part, que ce phénomène était généralisé à l'ensemble du département.
M. Henry Maillot - En fait, le ruissellement s'est toujours effectué à Senlis-le-Sec.
M. Hilaire Flandre - On savait donc que la nappe était saturée, puisqu'un schéma existe. Qui avait-on informé de ce phénomène ? Quelles décisions avaient été prises ?
M. Henry Maillot - Ces informations ont été communiquées, y compris à la presse, au moment où les relevés ont été faits. La nappe n'a commencé à redescendre que vers la fin du mois de mai. Les effets différés de l'inondation se poursuivent encore aujourd'hui. La nappe continue à s'essorer.
Il faut être prudent en ce qui concerne les canaux. Selon toute vraisemblance, il y a eu quelques délestages, qui restent insignifiants par rapport à la masse d'eau concentrée dans l'éponge de craie. A la télévision, j'ai entendu dire que si l'on prouvait qu'aucune goutte d'eau provenant du canal du Nord n'avait contribué aux inondations de la Somme, certaines personnes seraient amenées à faire des excuses. A l'évidence, quelques gouttes d'eau de ce canal ont contribué aux inondations de la Somme.
M. le Président - Monsieur Maillot, je vous remercie pour votre exposé.