21. Audition de M. Jean-Michel Delmas, membre du bureau de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et chargé du dossier Calamités agricoles (13 juin 2001)
M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Jean-Michel Delmas, membre du bureau de la FNSEA et chargé du dossier Calamités agricoles.
Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Jean-Michel Delmas
M. Jean-Michel Delmas - Je vais vous présenter la position de la FNSEA sur le problème des inondations.
Vous nous avez demandé dans quelle mesure les pratiques agricoles constituaient une aggravation des inondations constatées. Nous connaissons tous la réponse. En fait, les comportements mis en cause, même s'ils ont existé ici ou là par le passé, ne sont plus aujourd'hui que des caricatures. En effet, les agriculteurs ont arrêté d'arracher les haies, d'assécher les marais. Aujourd'hui, ils font tout ce qui est nécessaire pour suivre les bonnes pratiques, qui ont d'ailleurs été adoptées par l'ensemble du monde agricole comme étant la condition du respect de l'environnement.
Dans tous les cas, les comportements incriminés n'ont pas concerné toute l'agriculture française. En effet, le système de remembrement a fait son temps dans la révolution agricole. Aujourd'hui, on assiste à une remise en place des haies, ne serait-ce que parce que les agriculteurs ont compris l'intérêt qu'elles avaient pour les chasseurs. Les critiques qui peuvent être faites sur les risques aggravants de la pratique de l'agriculture dans le domaine des inondations ou de la gestion de l'eau naturelle me semblent donc décalées. Cela existe encore dans l'inconscient collectif mais plus dans les faits.
Malheureusement, comme d'habitude, on entend principalement des critiques, alors que les faits sont ignorés. Ainsi, personne ne met en avant ce que les agriculteurs ont réalisé dans les départements, avec l'aide de l'Etat. Pourtant, les réserves constituées grâce aux lacs collinaires permettent d'écrêter les crues des ruisseaux ou des rivières. Ces travaux de génie rural sont effectués selon une pratique tout à fait nouvelle. Si certains peuvent considérer, à tort, qu'il y a un certain frein à l'usage des pratiques des lacs collinaires -à flanc de coteaux- pour des raisons d'irrigation, nous pensons pour notre part qu'ils ont une fonction tout à fait nouvelle. En effet, les lacs collinaires permettent de maintenir l'étiage tout au long de la saison, ce qui permet de faire en sorte que la flore et la faune puissent vivre dans de bonnes conditions.
D'ailleurs, on peut regretter que de tels systèmes n'existent pas au niveau de la Garonne. Dans cette région, nous attendons la mise en place d'un grand bassin de rétention d'eau d'hiver pour réguler les eaux d'été qui sont très basses. Si ce bassin existait en amont de Toulouse, il régulerait tout l'étiage de la Garonne, ainsi que les risques d'inondations. De plus, il approvisionnerait les villes, qui s'alimentent en eau potable grâce à la rivière, ainsi que l'industrie et l'agriculture. Le problème de l'enjeu des pratiques doit donc être envisagé sous un jour très différent. A ce titre, l'aménagement des lacs est très positif car il permet de réguler et d'offrir de meilleures conditions à la faune, à la flore, à l'environnement et à l'agriculture.
Je pense qu'il vaut mieux avoir une position très positive et prospective à l'égard de l'environnement, au regard des crues, des marais et des lacs. En effet, aujourd'hui, nous savons que la ressource est rare. Avant de parler de pénurie, nous devons donc organiser la ressource, comme cela a déjà été fait pour un grand nombre de fleuves français. Dans ces conditions, nous pensons que l'on ne peut que regretter qu'il n'y ait pas de politique plus ouverte à des aménagements de ce type, englobant à la fois l'environnement et l'économie.
Vous connaissez aussi bien que nous le drame qu'ont connu les agriculteurs et les entreprises de votre département. Le bilan que nous avons pu faire au niveau national de la Commission des calamités est que les éleveurs ont été les plus gravement touchés, puisqu'ils ont perdu la totalité de leur chiffre d'affaires de l'année. En effet, les inondations ont conduit à la destruction totale des cultures servant à l'alimentation mais aussi des prairies et des pâtures. Il s'agit donc à la fois d'une perte de récolte et de fonds, qui ramène à zéro le chiffre d'affaires de l'année. Devant cette situation très exceptionnelle, nous avons demandé au ministère de l'Agriculture de prendre des mesures très particulières, dont nous craignons pourtant qu'elles soient insuffisantes.
J'ajoute que les pertes ont aussi été très importantes pour l'hortillonnage, pratique particulière et très chère à votre département, dont le revenu annuel a disparu avec les inondations. Néanmoins, toutes les grandes cultures ont souffert de la remontée des nappes phréatiques. Nous allons donc faire une première observation pour les vallées qui ont été très fortement inondées, en totalité ou en partie. En fait, nous avons demandé au ministère de l'Agriculture de faire en sorte que la Commission des calamités, qui se tiendra en septembre, puisse dresser un bilan des récoltes, ces dernières ayant été affectées par l'excès d'eau mais aussi par la remontée des nappes.
Il est donc possible de distinguer deux effets. Le premier est immédiat ; il est plus ou moins grave selon les exploitations. Les conséquences du deuxième effet ne pourront être mesurées qu'après la levée des récoltes, ce que nous ferons à partir du mois de septembre.
Sensibilisé par la médiatisation opportune de l'événement, le ministre de l'Agriculture a agi vite. Dès le 15 mai, la Commission des calamités a été saisie de manière exceptionnelle, afin de prendre en compte la question de la Somme. En effet, il était nécessaire de porter secours à des gens qui étaient dans des situations préoccupantes depuis déjà longtemps, situation dont nous savions qu'elle allait se prolonger. Dans ces conditions, il faut rappeler que le fonds des calamités agricoles n'est pas une assurance mais un fonds de solidarité, géré de manière paritaire et alimenté par des fonds en provenance des organisations professionnelles et des pouvoirs publics. Or la parité prévue dans la loi de 1964 a été abandonnée depuis longtemps par l'Etat : ce sont uniquement les versements des organisations professionnelles qui alimentent le fonds des calamités. Pour autant, il est vrai que l'Etat a toujours accepté de faire des efforts exceptionnels face à des situations particulières (très grandes sécheresses ou très grands gels). A chaque fois, l'Etat est allé au-delà des besoins. De même, lorsque le fonds a été en très grande difficulté, l'Etat a fait ce qu'il fallait pour continuer à aider les agriculteurs. Toutefois, comme la loi a prévu que le fonds devait être paritaire, il serait normal que les montants versés par la profession au travers des taxes additionnelles sur les assurances, soient également versés par l'Etat. Nous pourrions ainsi mieux indemniser les agriculteurs. Actuellement, les moyens sont parfois insuffisants pour que cela soit le cas.
Lorsque nous avons étudié le dossier de la basse Somme, nous avons constaté qu'une vingtaine d'exploitations vivait une situation difficile et que quatre étaient dans une situation véritablement dramatique. Nous devions donc apporter un secours immédiat aux éleveurs, sachant que les troupeaux avaient été mis à l'abri depuis déjà un moment, que la totalité des pâtures seraient perdues et que les récoltes seraient inexistantes.
Nous avons proposé au ministère de l'Agriculture de déroger aux pratiques habituelles. En effet, les fonds étant insuffisants, même si la gestion paritaire est effectuée de façon très sage pour éviter la rupture des fonds en fin d'année, les taux d'indemnisation sont plutôt faibles. Cela entraîne des incompréhensions de la part des agriculteurs. Il s'agit d'une gestion de prudence en raison d'insuffisance financière. Nous avons donc demandé que la contribution de l'Etat, et principalement de la profession, se fasse sur des taux plus élevés d'indemnisation. Ces derniers sont normalement de 25 % pour les risques d'incendie à 35 % maximum en cas de double assurance.
Dans ce cas, nous nous sommes inspirés de ce qui est pratiqué en matière viticole et arboricole. Dans ces domaines, il existe un barème proportionnel à l'importance de la perte. C'est la première fois que nous avons dit à l'Etat que ceux qui avaient beaucoup perdu devaient être indemnisés plus fortement que ceux qui avaient perdu plus relativement. En effet, nous savons que certains seront touchés d'une manière insuffisante pour atteindre les seuils d'indemnisation. Finalement, nous sommes parvenus à faire passer les taux à des niveaux de 50 à 60 %. Je vous enverrai le détail des taux afin que vous puissiez les intégrer à votre rapport.
Parallèlement, il fallait apporter un secours rapide à tous les sinistrés. Comme nous l'avions déjà fait à la suite à la tempête, nous avons donc demandé que des prêts sinistrés soient accordés à un taux de 1,5 % pour une durée de sept ans. Je ne sais pas si l'Etat a donné suite à cette demande mais nous avons pensé que l'apport immédiat de trésorerie était vital. Nous pensions également par ailleurs que les collectivités locales pourraient prendre en charge ce prêt, afin que le taux soit finalement nul pour les agriculteurs les plus sinistrés.
D'autre part, il faut reconnaître l'insuffisance des indemnisations accordées aux agriculteurs, notamment en matière d'inondations. En effet, dans le dossier d'un agriculteur qui est touché par une calamité, le fonds n'intervient que pour 27 % de perte par type de production et pour 14 % de perte dans l'exploitation tout entière en termes de chiffre d'affaires. Il faut donc atteindre ces deux paramètres pour obtenir une indemnisation. Or, ceux qui ont tout perdu atteindront évidemment les seuils, et les dépasseront d'ailleurs trop largement. En revanche, les agriculteurs qui ne sont atteints que partiellement, mais qui ont perdu la totalité d'une parcelle ou d'une récolte qui ne représente pas 14 % de l'exploitation, n'auront pas droit à une indemnisation. C'est pourquoi ces taux qui datent de 1964 diminuent largement l'indemnisation des agriculteurs lorsque des inondations se produisent. Encore une fois, cela ne concerne pas ceux qui sont touchés à 100 %. En revanche, très souvent, dans les dossiers que nous examinons, en Normandie, dans le Calvados ou dans le Cher, les règles d'indemnisation sont inadaptées. En effet, le fait que l'exploitation n'ait été touchée que pour une petite partie interdit de prendre en compte le dossier d'indemnisation.
Nous avons proposé des mesures exceptionnelles aux éleveurs afin que l'Etat demande aux offices de venir au secours des éleveurs dans deux domaines. La première aide concerne le transport de fourrage et de paille destinée à la reconstitution des stocks ; le seconde concerne la présentation des factures dans le cadre d'un dossier constitué avec la DDA, sous contrôle des offices et du ministère de l'Agriculture, pour l'achat d'alimentation complémentaire pour les élevages (aliments complets ou céréales), comme nous le faisions auparavant avec Unigrain, qui n'intervient plus aujourd'hui. A ce jour, je ne sais pas si une suite a été donnée à la demande que nous avons déposée en ce sens. Je sais simplement que le ministère de l'Agriculture n'y était pas hostile.
Pour leur part, les mesures concernant la grande culture font directement suite aux règles de la PAC adoptées en 1992. Dans ce domaine, nous avons joué sur une clause qui avait été autorisée par le ministre de l'Agriculture : tous les agriculteurs qui sentaient que leur culture avait été affectée, soit par l'humidité excessive, soit par la remontée des nappes, devaient pouvoir profiter du bénéfice du gel. Ils devaient pouvoir transformer leurs cultures en jachère et bénéficier ainsi de l'aide qui permettait de ne pas perdre les droits aux primes et de sauvegarder une partie des récoltes. En effet, une intervention par le biais du fonds des calamités sur la base des taux de 27 et 14 % ne pouvait pas permettre à tous les agriculteurs d'être indemnisés, soit parce qu'ils ne dépassaient pas les seuils, soit parce que le taux d'indemnisation était trop faible. Il valait donc mieux les faire bénéficier de cette mesure et conserver le droit au gel, ce qui leur permettait d'obtenir un minimum couvrant une partie des charges fixes de l'exploitation.
A ce moment de mon exposé, je souhaite ouvrir une parenthèse. Cela fait très longtemps que nous demandons aux ministères de l'Agriculture et des Finances l'application de la clause particulière, prévue dans le texte de réforme des grandes cultures de la PAC, qui stipule qu'il doit être possible de conserver le bénéfice des aides de la PAC dans des cas exceptionnels. Jusqu'à présent, pour des raisons financières, le gouvernement s'est toujours opposé à la prise en compte de la condition exceptionnelle dans le cadre des grandes cultures. Dans le cas qui nous occupe, suite à l'intervention du ministère et des parlementaires, nous avons pu obtenir un accord momentané, ainsi qu'une certaine souplesse s'agissant des contrôles pour tous les départements qui ont été affectés.
Les calamités locales peuvent être de plusieurs types : inondations, orages, dégâts de gibiers... Pour ces derniers, il faut savoir que les dégâts provoqués par des lapins sur une partie d'un champ de colza ou de tournesols peuvent concerner la totalité de la parcelle et conduire à une aide égale à zéro sur 20 hectares. En effet, lorsque 20 % d'une parcelle sont considérés comme non cultivés, la totalité de l'îlot est considérée dans le même cas, ce qui fait perdre la totalité des aides. Cela semble insupportable puisque que l'agriculteur n'est pas directement responsable de ce cas de force majeure, qui est d'ailleurs prévu par les textes mais qui n'est jamais appliqué. Si l'état des cultures n'est pas convenable jusqu'au moment de la floraison, la totalité des aides peut disparaître. Je pense que nous pourrions obtenir que les ministères de l'Agriculture et des Finances se mettent d'accord sur l'application du cas de force majeure, sous le contrôle du DDA et du préfet, et reconnaissent par une déclaration la perte locale de la récolte, le tout permettant de maintenir les aides avant le stade de la floraison.
Aujourd'hui, un agriculteur qui est victime d'une calamité locale ne fait plus de déclaration. Il préfère prendre le risque de subir un contrôle. En fait, s'il n'est pas contrôlé, il touchera son aide ; s'il est contrôlé, il perd la totalité de l'aide. Nous entrons donc dans un système pervers. Pour notre part, nous préférerions évoluer dans un système transparent, qui autorise la déclaration. En effet, les DDA et les préfets sont au courant des orages ou des inondations qui surviennent. Il est donc facile de certifier la zone sur laquelle l'incident s'est produit.
Toutes les grandes cultures ont pu être sauvées par le recours à la jachère. Néanmoins, si les contrôleurs prennent strictement en compte les remontées de nappe qui sont intervenues sur les plateaux, il est certain que des îlots seront déclassés, ce qui serait injuste, insupportable pour les agriculteurs et totalement incompris. C'est d'autant plus absurde que si la calamité intervenait après la floraison du tournesol ou du colza, l'aide serait maintenue, alors que l'agriculteur n'y est pour rien.
A ce titre, nous avons demandé au ministère de l'Agriculture que tous les dossiers concernant les grandes cultures puissent être étudiés après les livraisons des cultures, pour connaître l'état précis des récoltes et pouvoir ainsi ouvrir un dossier calamité pour les pertes constatées dès le mois de septembre.
Un éleveur qui a perdu sa récolte est indemnisé sur la base du barème départemental. Ce barème est forfaitaire ; il correspond à une moyenne mathématique des cinq dernières années, hors de la meilleure et de la moins bonne. Au niveau économique, ce barème est toujours très faible par rapport à la réalité des quantités fourragères produites à l'hectare. Très souvent, surtout lorsque l'exploitation a subi une perte de 100 %, les éleveurs sont véritablement désappointés de constater l'insuffisance de l'indemnisation par rapport à la réalité économique de la perte.
Bien que nous ayons augmenté de manière exceptionnelle le taux d'indemnisation, qui pourra aller jusqu'à 60 % dans les cas les plus extrêmes, nous attendons beaucoup de votre part concernant le traitement du dossier des agriculteurs de la Somme. En effet, avec le ministère de l'Agriculture, nous avons prévu d'étudier la réalité de ce que toucheront les agriculteurs. En fait, même si nous avons augmenté les taux, ce qui constitue un geste de solidarité, nous craignons que le résultat soit très insuffisant par rapport à la perte réelle subie. Nous devrons donc revoir le sujet. En effet, de nouvelles aides seront certainement nécessaires si les premières sont insuffisantes pour certains. Nous nous méfions beaucoup de l'écart qui existe à cause du taux des barèmes. Pour les grandes cultures, le barème est de 5.000 francs par hectare ; il est de 2.000 francs par hectare pour l'élevage (prairie annuelle ou prairie permanente). Si l'on applique le taux de 60 %, les indemnités ne correspondront pas à grand-chose.
L'Etat s'est mobilisé pour faire du mieux possible, le plus rapidement possible. Néanmoins, alors que la Commission des calamités s'est réunie le 15 mai, nous attendons toujours la signature de l'arrêté ministériel qui permettra aux agriculteurs de remplir leurs dossiers de demande d'indemnisation. Or si le ministère de l'Agriculture a signé l'arrêté dans la journée, ce qui avait déjà été fait pour les tempêtes et pour les inondations dramatiques du Sud de la France au cours des années passées, et si le ministère de l'Economie et des Finances est toujours relativement rapide, un retard important est toujours constaté au niveau du secrétariat d'Etat au Budget, ce que nous ne comprenons pas. Pourtant, un représentant de la direction du Budget siège à la Commission des calamités, où la décision est prise collectivement. La signature n'est donc qu'une pure formalité administrative. Or le secrétariat d'Etat au Budget exerce une prérogative d'examen, qui relève sans doute de l'habitude mais qui retarde considérablement la mise en place des aides. Ainsi, après la signature du 17 mai par le ministère de l'Agriculture et du 25 mai par le ministère des Finances, nous avons dû attendre le 1 er juin pour que le secrétariat d'Etat au Budget signe l'arrêté. Or il s'agit là d'un délai extrêmement réduit. Il est vraiment dommage de perdre deux ou trois semaines pour une signature. Je signale ce cas parce qu'il se répète régulièrement.
Nous avons avancé dans le dossier de l'assurance récolte et de la mise en oeuvre du rapport Babusiaux avec la loi d'orientation. Cependant le Gouvernement a pris un retard. En effet, le système de l'assurance récolte prendrait avantageusement le relais dans le type de situations que nous évoquons aujourd'hui. Je pense donc qu'il serait opportun que la Commission que vous présidez puisse aussi contribuer à une accélération dans la mise en oeuvre du rapport Babusiaux. Cela permettrait d'avoir une approche plus pragmatique de la mise en place de l'assurance récolte. Dans ce domaine, les professionnels ont besoin d'une expérimentation sur le terrain, durant plusieurs années, avant de trouver un régime de croisière. En effet, le rapport Babusiaux prévoit à la fois le maintien du fonds des calamités et la mise en place du système d'assurance récolte, ce dernier devant s'exercer avec une aide du premier. Cette assurance obligatoire permettra probablement de prendre en compte plus rapidement les besoins, le tout de façon complémentaire avec le fonds. Ce dernier ne prendra en charge que les risques qui ne seront pas couverts par l'assurance. Il sera donc important de savoir si cette dernière couvrira l'inondation. Dans tous les cas, comme le fonds n'aura plus à verser la part des indemnisations qui reviendra à l'assurance, nous aurons une capacité d'intervention plus massive et plus rapide.
Le dernier point est plus prospectif ; il concerne les pistes de réforme. A propos des inondations, on entend souvent dire que les exploitations doivent servir de bassins d'expansion naturelle et que la culture doit subir ce que les gens des villes en amont n'ont pas à subir. Or, dans les vallées, les agriculteurs subissent déjà l'application du plan sur les hauts risques, ce qui n'est pas neutre. Plutôt que d'imposer des contraintes supplémentaires pour prévenir les risques, nous pensons qu'il serait préférable de faire preuve d'imagination. Aujourd'hui, il existe des projets pour imperméabiliser artificiellement certaines zones (nouveaux parkings notamment). On constate donc le recours à la contrainte d'un côté, et l'utilisation de vases d'expansion d'un autre côté, tout en prévoyant des aides inadaptées et insuffisantes.
Pour notre part, nous préférerions que soit effectuée une véritable pédagogie de l'environnement. Il faudrait mieux expliquer ce que l'on souhaite et mettre en place une approche positive, d'encouragement et de concours mutuel. L'environnement doit faire partie de la formation des élèves. Au contraire, il ne faut pas l'inventer par la contrainte ; cela serait le pire service que nous pourrions lui rendre. A ce titre, nous pensons que la mise en pratique d'une fiscalité allégeant les contraintes de l'environnement serait positive. Il pourrait même être possible d'envisager une fiscalité négative, sous la forme d'avoirs fiscaux, en fonction des efforts effectués par les agriculteurs, les déductions pouvant alors concerner les impôts nationaux ou locaux. Il y aurait ainsi une reconnaissance de la société à l'égard du déversement des inondations dans les cultures. Les avoirs fiscaux constitueraient des outils adaptés et seraient très appréciés par les agriculteurs.
M. Pierre Martin, Rapporteur - Vous avez été très technique, ce qui reflète la complexité de la situation. Je pense connaître l'un des quatre éleveurs qui sont dans une situation très dramatique. Cet éleveur avait demandé des aides pour la mise aux normes de ses bâtiments, aides qu'il a obtenues. Comment cela va-t-il se passer ? L'hiver va arriver et cet éleveur aura besoin de locaux pour abriter ses animaux. Va-t-on le laisser construire les nouveaux bâtiments là où les anciens sont déjà implantés, en zone inondable, ou les bêtes vont-elles devoir rester dehors ? Il me semble que les piliers ont déjà été coulés.
M. le Président - Il faudra poser la question au DDA. Ce serait trop bête qu'il construise au même endroit.
M. Hilaire Flandre - S'il laisse son bétail dans l'eau, il risque d'avoir la SPA sur le dos.
M. le Président - Les gens de la Somme connaissent-ils bien les dérogations obtenues par la Commission nationale ? Qui est le correspondant de la Commission dans la Somme ?
M. Jean-Michel Delmas - Il s'agit de Jean-Michel Serre, qui est le Président de la Fédération. Aujourd'hui, nous devons attendre de connaître le résultat de l'application des solutions au cas par cas. En effet, nous pourrions avoir des surprises, désagréables ou pas. De même, pour l'hortillonnage, nous avons fixé un taux maximum. En effet, il faut reconstituer les dossiers sur les pertes de fonds.
M. le Président - L'hortillonnage est un cas très particulier.
M. Michel Souplet - Vous avez évoqué le problème des grandes cultures qui jouent sur le gel. Il est vrai qu'il est possible de jouer sur le gel cette année.
M. Jean-Michel Delmas - C'est exceptionnel.
M. Michel Souplet - En effet. Le problème est que les agriculteurs dont les exploitations ont été noyées ont commencé à pouvoir rentrer dans les terres à partir du 15 mai. Ils ont donc planté les semis mais depuis, il n'est pas tombé une goutte d'eau. Normalement, ils auraient déjà dû faire le choix entre la jachère et la culture ; ils en sont aujourd'hui incapables.
M. Jean-Michel Delmas - Nous en avons parlé avec les responsables des contrôles. En fait, au moment du dépôt du dossier PAC -pour lequel nous avons obtenu un délai supplémentaire-, il aurait fallu déclarer un maximum de jachères en surface. Puis, au fur et à mesure que l'éleveur semait, il aurait dû écrire au DDA pour lui signaler sa progression.
M. Michel Souplet - Ils ont semé mais rien ne pousse. Ils ne savent donc plus quoi faire : déclarer la zone en jachère ou pas. S'ils le font et que les semis poussent un peu, ils seront en infraction en cas de contrôle. S'ils ne le font pas et que rien ne pousse, ils n'auront plus rien.
M. Jean-Michel Delmas - Il a été convenu qu'un blé noyé pouvait être classé en jachère. Si la levée est insuffisante, jusqu'au 15 juin, il est encore temps de déclasser la parcelle pour la faire passer en jachère ; le DDA en tiendra compte. En fait, la gestion locale avec le DDA passe par une application du principe de la jachère dans l'intérêt de l'agriculteur. Après une certaine date, les 5 % de contrôles tiendront compte de la situation. En l'absence de contrôle, les aides seront obtenues ; si les éleveurs peuvent encore retourner la terre pour la cultiver, ils peuvent essayer. La gestion au jour le jour de ces questions doit être effectuée en relation avec le DDA. J'ajoute que si le cas de force majeure était appliqué, comme cela est prévu par les textes communautaires, ces problèmes ne se poseraient plus. Tout serait beaucoup plus clair. Au lieu de cela, les services du ministère de l'Agriculture tremblent face à ce principe, ce qui nous paraît absurde. En effet, l'agriculture est faite de cas de force majeure.
M. Michel Souplet - De toute façon, dans un département où les rivières ont débordé, le nombre d'agriculteurs concernés par le problème que je viens d'évoquer est relativement faible. Les contrôleurs pourraient donc décider de ne pas en rajouter cette année.
M. Jean-Michel Delmas - Nous pouvons le souhaiter en effet.
M. Hilaire Flandre - Cela ne me choque pas que l'on n'indemnise pas si le taux de 14 % n'est pas atteint sur l'ensemble de l'exploitation. Lorsque l'on se revendique chef d'entreprise, il est normal de supporter une part de risque. Ce serait donc une erreur de vouloir compenser les pertes à 100 %, y compris par le système de l'assurance récolte que vous appelez de vos voeux et qui est expérimenté actuellement.
De plus, vous dites que vous souhaitez des incitations fiscales sur les contraintes d'environnement. Je pense qu'il faudrait examiner ce qu'étaient les terres qui pouvaient être soumises à l'expansion des crues il y a trente ans. En effet, les vallées de l'Aisne et de la Marne, terres de prairies il y a vingt ans, sont devenues aujourd'hui des terres à maïs. Il n'est donc pas normal de dire qu'il faut prévoir des indemnités si ces terres redeviennent simplement ce qu'elles étaient auparavant, c'est-à-dire des zones d'expansion des crues.
Par ailleurs, je crois que nous devons faire très attention. En effet, l'agriculture ne paye pratiquement plus d'impôts sur son activité : les taxes pour le foncier non bâti ont été supprimées pour les départements et pour les régions. Nous risquons donc d'enregistrer une demande pour la création d'une taxe professionnelle sur l'activité agricole. Je ne suis pas certain que cela constitue une avancée. Nous devons donc être très prudents.
Enfin, je pense que l'agriculture aura une meilleure image dans l'opinion publique lorsque tous les agriculteurs fonctionneront selon le principe du bénéfice réel, sur la base de la production d'une comptabilité. De nombreuses mesures qui visent à créer des solidarités supplémentaires, y compris dans le monde agricole, ne pourront passer que si la transparence est faite sur la réalité des revenus de l'agriculture.
M. Jean-Michel Delmas - Dans les textes, il existe une vieille pratique qui n'est plus usitée : lorsque l'on entretient le chemin communal, il est possible de déduire les journées de prestation effectuées du montant de l'impôt foncier. Toutefois, comme le barème date de 1830, le jeu n'en vaut plus la chandelle...
En nous inspirant de ce texte de bon sens, nous disons que l'approche par la fiscalité négative, le crédit d'impôt, ne doit pas être écartée de la réflexion sur l'environnement. Cette approche pourrait d'ailleurs être valable dans le cadre de Natura 2000. En effet, les aides ne sont pas très substantielles et les contraintes devraient l'emporter au global. Pour autant, il s'agit d'une protection de certaines zones de flore et de faune qui bénéficie à chacun. On pense donc que son acceptation, par rapport à une approche de point, mérite réflexion. En effet, ce serait une sorte de retour de la société civile vers celui qui participe à la protection de l'environnement.
M. Hilaire Flandre - Je ne suis pas loin de penser qu'il faudrait plutôt creuser du côté des aides communautaires à l'agriculture, plutôt que de prévoir des aides de 2.500 francs sur une part de jachère. En effet, il serait préférable de dire que pour tout hectare occupé une aide peut être obtenue. Cela supprimerait tous les problèmes de déclaration de récolte car tous les hectares seraient éligibles, de destruction de récolte et d'entretien des espaces naturels. Il est vrai qu'il s'agit d'un autre débat.
M. le Président - Monsieur. Jean-Michel Delmas, nous vous remercions pour votre participation.