x) M. Pierre FRYBOURG, membre du bureau de la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et Mlle Aude MOBILLION, juriste a la CGPME - Mardi 29 mai 2001
M. Pierre Frybourg - La CGPME a pris une position très claire en faveur de la signature par la France de l'Accord de Londres modifiant le régime linguistique du brevet européen. au motif d'en rendre enfin l'accès plus facile aux PME/PMI (en ramenant à 3 langues -dont le Français- l'obligation de traduction de la partie « revendications », au moins dans un premier temps, ce qui réduira sensiblement le coût du brevet).
Une lettre a été adressée le 10 mai dernier à l'ensemble des parlementaires à ce sujet, avec une note jointe que vous avez sous les yeux. Le président de la CGPME a également écrit au Président de la République pour lui faire part, arguments à l'appui, de son vis souhait de voir la France ratifier dans le délai imparti (le 30 juin 2001 au plus tard) le texte de l'accord, en dépit de l'opposition de certains groupes de pression catégoriels.
M. Francis Grignon - Pouvez-vous m'indiquer, sur un plan plus général, les problèmes rencontrés par les PME pour déposer des brevets : insuffisante sensibilisation, problème d'organisation, coût du dépôt et des litiges, formation des ingénieurs, insuffisance du dispositif public d'accompagnement...
M. Pierre Frybourg - Les statistiques montrent un déficit du dépôt de brevets par les PME en France par rapport aux situations américaine et japonaise. Les causes de cet écart sont multiples :
- il s'agit d'abord du coût du brevet européen dont les traductions représentent entre 30 et 50 % du total, suivant les estimations, mais aussi des taxes de procédure et de maintien en vigueur, qui sont très élevées, et plus difficilement supportables par les PME. Le coût de l'innovation est en soi plus lourd pour une PME, dont le ratio frais de recherche et développement/chiffre d'affaires dépasse bien souvent les 3 % en vigueur dans la grande industrie. Le coût des conseils extérieurs est également élevé ;
- les procédures sont longues à aboutir, l'horizon de délivrance d'un brevet étant de quatre à cinq ans après le dépôt de la demande, ce qui ne correspond pas aux impératifs de gestion d'une PME, contrairement à ceux d'une grande entreprise qui peut, elle, mieux se positionner dans une perspective de moyen ou de long terme ;
- une insuffisance de culture des PME, en propriété industrielle, d'où un déficit des dépôts en raison de leur frilosité devant l'opacité et la complexité des procédures ; s'y ajoutent les réticences des grandes entreprises qui redoutent la concurrence des PME souvent plus dynamiques et innovantes qu'elles-mêmes, situation à laquelle les pouvoirs publics ne remédient qu'imparfaitement. Ainsi, le crédit d'impôt-recherche est quasi-inopérant pour les PME innovantes qui réalisent peu -ou pas- de résultat imposable.
En raison de l'intérêt national évident qui s'attache à ce que les inventions françaises soient brevetées au maximum vu les retombées positives à en attendre pour notre économie, j'ai tendance à penser que, la protection devrait non seulement être gratuite, mais même encouragée par des mesures financières adéquates.
M. Francis Grignon - Pensez-vous à un système à l'américaine où les taxes de dépôt sont réduites pour les PME ?
M. Pierre Frybourg - Je pense à une exonération, qui devrait être réservée aux PME indépendantes répondant aux critères contenus dans la recommandation de la Commission européenne et dans le décret du 7 mars 2001 réformant le code des marchés publics.
Dans le cadre de la réforme à entreprendre de l'Office européen des brevets, des mandataires d'organisations professionnelles devraient siéger à son Conseil d'administration, lequel ne comprend actuellement que les délégués des Offices nationaux, qui ont tendance à renchérir les coûts du brevet européen afin de préserver leurs propres « parts de marchés ».
M. Francis Grignon - Disposez-vous de chiffres sur la proportion de PME innovantes et sur les emplois crées par l'innovation ?
M. Pierre Frybourg - Une telle étude n'existe pas à ma connaissance, mais le rapport Lombard sur l'innovation de 1998 contient quelques éléments statistiques significatifs.
Et, s'agissant d'innovation et de sa promotion en vue des emplois induits, je crois utile d'évoquer le modèle d'utilité. En effet, il constitue une sorte de « pré-brevet » avec 3 avantages : coût dérisoire, rapidité de délivrance et amorce de protection. Une initiative avait été prise en 1995 par la Commission européenne en vue de relancer ce dispositif, et de l'harmoniser ; la CGPME avait participé à cette concertation et regrette qu'elle n'ait été suivie d'aucun résultat concret, car le « certificat d'utilité » est un outil important vers une incitation à la brevetabilité.
M. Francis Grignon - J'en prends note. Avant de clore cet entretien avez-vous d'autres sujets qui vous paraissent important et que vous souhaiteriez aborder ?
M. Pierre Frybourg - Oui, brièvement :
- un progrès également souhaité par les PME : l'instauration d'un « délai de grâce », mieux désigné par « période d'immunité » qui, curieusement, n'est guère absent qu'en Europe, ce qui est pénalisant pour les plus petites entreprises, qui se trouvent ainsi exposées au risque de rejet de leur brevet si, par exemple, elles exposent dans un salon professionnel ou divulguent leurs inventions par d'autres moyens tels que publications ;
- autre point : la création d'une assurance-litige par la FFSA avec la Direction des Assurances du MINEFI, indispensable aux PME qui s'écartent souvent du brevet dans la crainte d'actions en contrefaçon onéreuses et pouvant s'avérer inefficaces ;
- dernier point : une amélioration du système judiciaire actuel, tant national qu'européen, en vue d'une jurisprudence adaptée et harmonisée, en décidant :
- pour le premier ressort, de réserver à un très petit nombre de tribunaux le traitement des procédures (ou un tribunal communautaire spécialisé avec antennes géographiques) ;
- pour l'appel, d'instaurer une cour d'appel européenne unique, de préférence à Bruxelles.