y) Mme Anne MAGNANT, Déléguée générale a la langue française - Mercredi 6 juin 2001
M. Francis Grignon - Je souhaiterais connaître votre position sur les régimes linguistiques des brevets tant européen que communautaire.
Mme Anne Magnant - Les deux calendriers, s'agissant du brevet européen d'une part et communautaire d'autre part, sont enchevêtrés. En ce qui concerne le brevet communautaire le régime linguistique a commencé d'être évoqué lors du Conseil des ministres « marché intérieur » du 31 mai dernier. M. Georges Vianès remettra son rapport sur le régime linguistique du brevet européen le 19 juin. Compte tenu de l'opposition des pays du Sud de l'Europe à l'accord de Londres, il serait inopportun que la France prenne position à ce sujet le 30 juin, sous peine de se lier les mains dans la négociation sur le brevet communautaire.
M. Francis Grignon - La France doit-elle défendre le régime des trois langues officielles de l'OEB pour le brevet communautaire, afin d'éviter que l'anglais ne soit imposé ?
Mme Anne Magnant - Pas nécessairement. Les pays du Sud n'y sont pas favorables, il sera donc très difficile de trouver une majorité en faveur de ce régime. Il faut, évidemment éviter le tout anglais mais, à mon avis, on se dirige vers un système multilingue.
M. Francis Grignon - Aucune décision n'a été prise le 31 mai, lors de la réunion du Conseil.
Mme Anne Magnant - Non. La négociation ne fait que commencer mais le principe important du respect de la « non discrimination » a été énoncé. Le protocole de Londres n'est pas, à mon avis, bénéfique pour la France, à la fois pour des raisons de politique étrangère et de politique interne.
Sur le plan international , la France a certes évité le « tout anglais », mais elle a accepté une clause qui me semble dangereuse, selon laquelle un Etat qui n'a pas pour langue officielle une des trois langues officielles reconnues par l'Office, doit choisir dans laquelle de ces trois langues les brevets européens doivent être disponibles sur son territoire. Or, selon les statistiques actuelles, 70 % des brevets européens sont déposés en Anglais, 20 % en Allemand et 10 % seulement en Français. Les pays du Nord signataires de l'accord de Londres demanderont très certainement une traduction en anglais pour les brevets déposés en français. L'acceptation de cette clause est donc incohérente avec l'objectif affiché de promotion de notre langue.
Les entreprises françaises continueraient, peut-être, à avoir intérêt à faire un premier dépôt en français par la voie nationale, car elles disposent alors d'un délai de priorité d'un an utile pour faire leurs recherches, mais elles auraient ultérieurement à faire une traduction en anglais pour se protéger dans les pays signataires de l'accord. La France se veut le défenseur de la diversité culturelle et linguistique. Elle serait incohérente avec ses positions si elle acceptait les conditions linguistiques défavorables du protocole de Londres.
Sur le plan intérieur se pose un problème crucial : si la partie « descriptions » du brevet n'est pas traduite en français, alors 90 % des brevets applicables sur le territoire national seront écrits en langue étrangère, ce qui est inacceptable. Cela signifierait que le droit en France ne serait pas intégralement rédigé en français ! Il faut donc garder une traduction intégrale en Français, même si elle est coûteuse.
M. Francis Grignon - Que pensez-vous de la proposition d'élaborer et de traduire un résumé du brevet, en plus des revendications, afin de réduire le coût de la traduction ?
Mme Anne Magnant - Le problème est que descriptions et revendications forment un couple indissociable, selon le texte de la Convention de Munich, qui précise que la description sert à interpréter les revendications. Si la France était réellement déterminée à signer le protocole de Londres, il faudrait dans ce cas une traduction intégrale des descriptions en Français, qui pourrait être faite par l'INPI. Je le répète, permettre qu'un texte rédigé en langue étrangère crée des droits à l'égard des tiers, n'est pas admissible. Le brevet n'est pas un contrat qui ne s'impose qu'aux parties, il crée des droits à l'égard de tous.
M. Francis Grignon - Que pensez-vous de l'analyse du Conseil d'Etat en matière de constitutionnalité de cet accord ?
Mme Anne Magnant - Je ne me prononce naturellement pas sur cet avis mais j'observe que la lettre de saisine évoque une traduction par l'INPI.
M. Francis Grignon - Mais une traduction intégrale serait coûteuse.
Mme Anne Magnant - Une autre solution serait alors de modifier l'article 69 de la Convention de Munich.