p) M. Alain GALLOCHAT, Conseiller a la direction de la technologie au ministère de la recherche - Mercredi 9 mai 2001
M. Francis Grignon - La recherche publique vous semble-t-elle suffisamment sensibilisée au dépôt de brevet et au transfert de technologie ? Disposez-vous de données chiffrées en la matière ?
M. Alain Gallochat - La question de la sensibilité des chercheurs à la propriété industrielle se décompose à mon sens en plusieurs sous-questions :
- une faible connaissance de la problématique de la propriété industrielle au sein de la recherche publique. La sensibilité est très inégale suivant qu'il s'agisse d'organismes déjà dotés de leur cellule de valorisation -comme le CNRS ou l'INSERM- ou d'organismes de recherche et d'universités moins mobilisés sur cette question. Même si la propriété industrielle est aujourd'hui reconnue par l'entreprise, notamment les grands groupes industriels, comme un élément important de sa politique, il est encore rare que « l'outil propriété industrielle » soit réellement intégré dans la stratégie, contrairement aux entreprises américaines où il est fréquent de voir un responsable brevet au poste de vice-président ;
- les organismes de recherche n'ont pas vocation à exploiter directement les résultats de leurs recherches, ce qui complique encore les choses car il faut qu'ils trouvent un partenaire industriel.
Un rapport que j'ai rédigé à la demande de Pascal Colombani, directeur de la technologie, en 1998, préconisait de sensibiliser les chercheurs à la propriété industrielle et de mettre en place des structures de valorisation locales ou régionales. La loi sur l'innovation et la recherche a contribué à cette sensibilisation, de même que le système d'un intéressement financier des chercheurs au dépôt des brevets, mis en place en 1996 et élargi en 2001. Mais il faut aller plus loin et même perfectionner les outils actuels. Par exemple, pour la rémunération des chercheurs, le décret d'octobre 1996, présenté comme une innovation importante, a parfois mis un terme à des pratiques d'intéressement plus libérales des différents organismes. Malgré l'assouplissement de ce régime, par deux décrets de février 2001, des incertitudes subsistent, notamment quant au mode de calcul de ces rémunérations.
M. Francis Grignon - Quel est le statut fiscal de cette rémunération additionnelle ?
M. Alain Gallochat - Il s'agit d'un complément de salaire qui est donc soumis aux différents prélèvements : impôt sur le revenu, contribution sociale généralisée, contribution de remboursement de la dette sociale...
M. Francis Grignon - La propriété industrielle a-t-elle été intégrée dans l'évaluation des chercheurs ?
M. Alain Gallochat - Il s'agit d'un autre facteur limitant. Les chercheurs sont encore évalués sur la base de leurs publications dans des revues scientifiques internationales à comité de lecture du type de « Science » ou « Nature ». En outre, la notion de brevet est souvent incomprise. Certains chercheurs estiment qu'ils ne sont pas dans le secteur public pour gagner de l'argent. D'autres cernent mal l'intérêt de la propriété industrielle. Enfin, le brevet peut représenter une contrainte pour un chercheur, en ce qu'il oriente sa recherche et atteint sa liberté, ou en ce qu'il requiert des précautions supplémentaires en termes de divulgation de ses travaux. Il arrive également que dans le cadre d'un litige ou d'une procédure d'opposition à un brevet, le chercheur doive se replonger dans des travaux menés dix ans auparavant, pour le besoin de la procédure. Toutes ces contraintes sont subies, sans contreparties toujours bien identifiées.
Il arrive également que le dépôt de brevet intéresse plus l'organisme de recherche que le chercheur lui-même car il est, pour l'organisme, une source potentielle de revenus au travers des licences. La politique de valorisation concerne non seulement la protection par la propriété industrielle mais aussi les transferts de technologie et l'octroi de licences.
M. Francis Grignon - Il me semble que la question de l'interface entre la recherche et le partenaire industriel est essentielle.
M. Alain Gallochat - C'est exact. Il est possible d'avoir recours soit à des conseils extérieurs, soit à des cellules de valorisation internes aux organismes de recherche et aux universités. Mais ceci suppose qu'il y ait un volume d'innovation suffisant pour justifier de l'existence d'un tel service. L'alternative est une structure intermédiaire, sous forme de réseau, intervenant auprès de plusieurs organismes et universités. Il est certes nécessaire de sensibiliser les chercheurs à la propriété industrielle, mais le recours à une interface reste indispensable.
M. Francis Grignon - Que pensez-vous de la question du délai de grâce ?
M. Alain Gallochat -J'ai rédigé pour M. Claude Allègre un rapport sur ce sujet qui préconisait l'instauration d'une forme de délai de grâce dans certaines conditions -très éloignées du système américain où la procédure d'interférence est particulièrement coûteuse-. Les industriels s'opposent à ce système mais je pense qu'il est inévitable car avec l'arrivée d'internet la divulgation des résultats de la recherche est instantanée et le problème devient insoluble pour le chercheur qui est pris entre la nécessité du secret, pour préserver son droit au brevet, et l'impératif de la publication, pour être reconnu par ses pairs.
M. Francis Grignon - Disposez-vous des chiffres des dépôts de brevets par les organismes publics de recherche et les universités ?
M. Alain Gallochat - Une enquête est en cours pour identifier, parmi les inventeurs, ceux qui relèvent de la recherche publique. La gestion contractuelle par licences, notamment, rend en effet difficile une appréciation chiffrée sans le préalable d'un retraitement.
M. Francis Grignon - La création des incubateurs a-t-elle permis d'accroître la sensibilité aux brevets ?
M. Alain Gallochat - Il est encore trop tôt pour le dire. Les « jeunes pousses » ou « start-up » sont sensibilisées à cet enjeu car c'est pour elles une méthode de valorisation.
M. Francis Grignon - Le coût des brevets est-il à votre avis un frein au dépôt des brevets ?
M. Alain Gallochat - Dans le cadre de la recherche publique, cette question peut parfaitement être traitée contractuellement et prise en charge par l'industriel partenaire, tant pour le coût du dépôt que pour celui des contentieux -même si dans ce dernier cas de figure le licencié n'a pas forcément le même intérêt que le titulaire du brevet-.