o) Mme Annie BASDEVANT, Directrice des affaires juridiques et de la propriété industrielle de l'ANVAR et Mme Béatrice DUBOIS, responsable de la propriété industrielle - Mercredi 9 mai 2001
Mme Annie Basdevant - Les aides de l'ANVAR en matière de propriété industrielle sont intégrées dans les programmes d'aide à l'innovation. Il n'y a pas d'aide spécifique consacrée à la propriété industrielle. L'ANVAR aide principalement les PME, la plupart de ses interventions portant sur les entreprises de moins de 50 salariés.
M. Francis Grignon - Que fait l'ANVAR pour sensibiliser les PME au dépôt de brevets ?
Mme Annie Basdevant - Nous intervenons à l'occasion de demande d'aide à l'innovation.
Mme Béatrice Dubois - L'ANVAR a 22 délégations régionales dans lesquelles des chargés d'affaires ont été formés à la stratégie propriété industrielle au sein d'une PME. La Propriété Industrielle est un de nos principaux soucis dans le cadre de développements innovants. Toutefois, le droit des brevets reste méconnu au sein des PME : certaines s'y engouffrent sans maîtriser les règles et vont au devant de déceptions ; d'autres prennent connaissance de l'existence de ce domaine alors qu'elles sont attaquées par un concurrent pour contrefaçon.
M. Francis Grignon - Disposez-vous de chiffres quant au nombre de dépôts de brevet par les PME aidées par l'ANVAR ?
Mme Annie Basdevant - Le budget de l'ANVAR s'élève au total à 1,4 milliard de francs. Sur ce budget, 1,08 milliard de francs permettent le soutien des projets en phase de faisabilité ou de développement, majoritairement sous forme d'avances remboursables dont environ 70 MF consacrés à la Propriété Industrielle.
Mme Béatrice Dubois - L'ANVAR peut prendre en charge les frais de dépôt et/ou d'extension, suivant l'étape à laquelle l'entreprise demanderesse se situe. Mais les programmes de l'ANVAR ont une durée plus courte que celle des procédures d'obtention d'un brevet (en moyenne 18 mois).
Mme Annie Basdevant - Nous intervenons dans le cadre d'un programme d'innovation au stade de la conception du produit, ou des études de faisabilité et nous finançons jusqu'à 50 % des frais de développement. Cependant, les règles communautaires en matière de droit à la concurrence limitent notre action.
M. Francis Grignon - Combien d'entreprises ont été aidées par l'ANVAR l'année dernière ?
Mme Annie Basdevant - 1.279 projets ont été soutenus en phase de faisabilité ou de développement, pour 1,08 milliard de francs.
Le détail des secteurs aidés figure dans le rapport annuel. En 2000 l'ANVAR a fait porter son effort sur le développement des innovations de service.
M. Francis Grignon - Quelles sont les principales difficultés des entreprises pour le dépôt de brevets ?
Mme Béatrice Dubois - D'abord les PME trouvent coûteux le dépôt de brevets. En ramenant ce coût à une base mensuelle, il est psychologiquement plus supportable. Ensuite, les PME peu sensibilisées à la propriété industrielle considèrent les procédures trop complexes. Ce n'est pas le cas des start-up qui lui portent au contraire une grande attention car le brevet est un actif immatériel qui valorise l'entreprise. Ceci est particulièrement vrai dans le secteur des biotechnologies qui demande des investissements très lourds.
Mme Annie Basdevant - Il nous arrive de suggérer aux entreprises qui déposent des dossiers de demande d'aide de rajouter un poste « propriété industrielle » car elles n'ont pas songé à le faire.
M. Francis Grignon - Que pensez-vous du rôle des Conseils en propriété industrielle ?
Mme Béatrice Dubois - Le recours à un conseil est indispensable.
Mme Annie Basdevant - L'ANVAR finance d'ailleurs les frais externes en matière de propriété industrielle, qui représentent le plus souvent les frais de conseils membres de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle.
M. Francis Grignon - Pourquoi l'ANVAR ne dispose-t-elle pas d'une aide spécifique en matière de propriété industrielle ?
Mme Béatrice Dubois - Le brevet n'est qu'un élément d'une stratégie industrielle globale de l'innovation. L'ANVAR s'attache à la stratégie globale de l'entreprise.
M. Francis Grignon - Comment les entreprises utilisent-elles le brevet : pour l'exportation, pour obtenir un monopole sur un marché ... ?
Mme Béatrice Dubois - Les stratégies sont multiples. Mais ce qui est sûr, c'est qu'elles sont de plus en plus internationales, même pour les petites entreprises. Ces dernières trouvent la procédure PCT intéressante car elle offre un délai plus long avant de désigner définitivement les pays où la protection sera demandée, ce qui leur laisse le temps de tester le produit ou de se constituer un réseau de distribution. Les universités l'utilisent aussi car elles y voient un répit pour trouver un partenaire industriel.
M. Francis Grignon - L'ANVAR aide-t-elle les universités à valoriser les résultats de leurs recherches ?
Mme Annie Basdevant - L'ANVAR a mis en place des aides au transfert. Il ne s'agit pas de financer la recherche mais d'aider à la préparation du transfert de technologie. Certains organismes de recherche comme le CNRS ont leur propre cellule de valorisation. C'est moins souvent le cas des universités, qui ne disposent pas de compétences en interne pour négocier les contrats de licences et les appliquer, même si la loi sur l'innovation et la recherche de 1999 a grandement amélioré la sensibilité à la problématique de la valorisation.
M. Francis Grignon - Développez-vous une politique d'aide au premier dépôt de brevet auprès des PME ?
Mme Annie Basdevant - Le réseau de diffusion technologique (RDT) a été mis en place à l'initiative des ministères de la recherche et de l'industrie pour sensibiliser les entreprises à l'innovation. L'ANVAR y participe, aux côtés d'autres partenaires. Dans ce cadre, la « prestation technologique réseau » finance notamment les premiers dépôts de brevets français par des PME. 20 % des sommes de cette action ont été consacrés l'an dernier au dépôt de premiers brevets, sur un total de 49 millions de francs. L'aide peut financer jusqu'à 75 % du total du coût du brevet.
M. Francis Grignon - Participez-vous aux audits de propriété industrielle auprès des PME ?
Mme Béatrice Dubois - L'INPI a mis en place ce type d'action.
M. Francis Grignon - Comment inciter davantage les PME à déposer des brevets ?
Mme Béatrice Dubois - L'idéal serait de favoriser la présence d'un spécialiste en propriété industrielle au sein des PME. Ils pourraient à la fois développer la veille technologique et mettre en place la stratégie de propriété industrielle. Ce spécialiste servirait d'interface entre les dirigeants de l'entreprise et les conseils extérieurs. Ecouté de la direction, il interviendrait dans les prises de décisions.
Mme Annie Basdevant - A mon sens, le frein est avant tout culturel. Le coût du brevet est un problème important mais n'est pas le frein fondamental. La question est avant tout une question de sensibilisation aux enjeux de la propriété industrielle. La formation dispensée par les écoles d'ingénieurs intègre progressivement cette question, mais la France reste en retard sur ses principaux partenaires.
M. Francis Grignon - Que pensez-vous de l'attitude des chercheurs publics face à la propriété industrielle ?
Mme Béatrice Dubois - Les chercheurs sont peu sensibilisés à la question des débouchés économiques de leurs découvertes. Il leur arrive donc de faire des faux pas en publiant leurs travaux, ce qui hypothèque leur chance de déposer un brevet. Ils ont également une pratique de diffusion de leurs recherches à leurs pairs sur internet qui contredit le critère de nouveauté absolue qui s'attache au dépôt d'un brevet en Europe.
Mme Annie Basdevant - De même, lorsqu'ils négocient un contrat de collaboration avec un industriel, ils sont peu attentifs à la rédaction des clauses et oublient parfois de stipuler qu'ils se réservent le droit de déposer un brevet ou de préciser les règles de propriété des résultats de la recherche considérée.
M. Francis Grignon - Pensez-vous qu'il faille s'acheminer vers l'instauration en France d'une certaine forme de délai de grâce ?
Mme Béatrice Dubois - Cela ne résoudrait à mon avis pas la question. Il faudrait de toute façon l'instaurer au niveau international.
Mme Annie Basdevant - On peut se demander si, dans la réalité, l'évaluation des chercheurs n'est pas toujours faite exclusivement sur les publications et non sur des critères plus ouverts comme le dépôt de brevet.
M. Francis Grignon - Faut-il à votre avis instituer un système de taxes moins chères pour le dépôt de brevet par les PME ?
Mme Annie Basdevant - Le dépôt de brevet français est déjà l'un des moins chers du monde. A mon avis, c'est plus l'efficacité de la protection juridictionnelle (coût, délai et montant des réparations) qui est insuffisante.
Mme Béatrice Dubois - L'insatisfaction des entreprises face au système judiciaire de réparation de contrefaçon de brevet est patente s'agissant des PME. Les PME ne peuvent se permettre d'aller jusqu'au bout d'une procédure de contrefaçon. Le brevet est un outil économique, les petites entreprises ont donc besoin que les litiges soient tranchés rapidement et donnent lieu à l'octroi de dommages et intérêts convenables.
Mme Annie Basdevant - Dans ce domaine, la France est mal placée en Europe.