b) Poser la question du « délai de grâce » dans les négociations internationales
Les chercheurs ont toujours été désireux de pouvoir disposer, en Europe, d'un délai dit « de grâce » ou « d'immunité » pendant lequel une divulgation éventuelle de leur invention ne porterait pas atteinte à sa nouveauté , condition de sa brevetabilité. Les chercheurs sont traditionnellement sensibles à cette question pour deux raisons :
- étant peu familiers des règles de la propriété industrielle, ils peuvent « s'antérioriser » par inadvertance , en effectuant des essais sur un lieu ouvert au public, par exemple ;
- la culture des chercheurs publics privilégie la publication d'articles dans des revues scientifiques renommées, à tel point que l'évaluation des chercheurs au sein de la communauté scientifique internationale se fait principalement sur le nombre de citations de ces chercheurs dans ces publications. La divulgation orale, lors de colloques prestigieux, est une autre voie de reconnaissance par les pairs. Ces deux modes de communication privilégiés des chercheurs ruinent toute possibilité ultérieure d'obtention d'un brevet.
L'attrait d'un « délai de grâce » pour les chercheurs a redoublé depuis l'arrivée d'Internet, qui a développé des pratiques de communication et d'échange généralisé. En poussant à l'extrême 78 ( * ) , on pourrait se trouver dans la situation où un chercheur français, divulguant sur Internet les résultats d'une invention sans s'être préalablement protégé par un dépôt de brevet, se verrait « prendre » son invention par un chercheur canadien qui, profitant du temps laissé par le décalage horaire, déposerait le jour même au Canada une demande de brevet sur le même sujet.
Dans l'ensemble, les grands industriels ne sont pas favorables au délai de grâce, source, pour eux, d'incertitude juridique. Les petits déposants et les PME y seraient favorables, ainsi que les chercheurs.
La Commission des Affaires économiques estime que l'instauration d'un délai de grâce ne serait de toutes façons efficace que si les chercheurs ont « intégré » la démarche brevet. Dans le cas inverse, 6 à 12 mois supplémentaires ne suffiront pas à changer leur situation vis-à-vis du dépôt de brevet.
Elle propose donc :
- que la France soutienne les réflexions en cours, au niveau, d'une part, des Etats parties à l'OEB et, d'autre part, des Etats parties au PCT, sur l'instauration d'un éventuel délai de grâce de type « immunitaire » 79 ( * ) , strictement défini, et destiné à rattraper une divulgation de l'invention par erreur par son auteur. Elle juge souhaitable une harmonisation européenne et internationale en la matière ;
- que parallèlement, la communauté des chercheurs soit davantage sensibilisée à la problématique de la propriété industrielle.
Qu'on ne s'y trompe pas : la tâche ne sera pas aisée.
* 78 Exemple tiré d'un rapport rédigé sous l'égide du professeur Alain GALLOCHAT.
* 79 Permettant à l'inventeur de ne pas s'antérioriser lui-même par la divulgation de son invention antérieurement au dépôt d'une demande de brevet.