3. Un manque d'expertise indépendante dans certains domaines
En effet, la France manque encore de contre-expertise indépendante, sinon d'expertise, dans des domaines essentiels, notamment :
- en matière fiscale , tout d'abord. Comme le soulignait en 1995 M. Michel Taly, chef du service de la législation fiscale (SLF), lors de son audition par la mission d'information commune de l'Assemblée nationale sur l'information du Parlement 24 ( * ) , « il n'existe pas, dans le domaine fiscal, l'équivalent de ce qui existe pour la macro-économie ».
Cette situation résulte notamment du monopole dont dispose le ministère de l'économie et des finances en matière de fichiers de données fiscales.
Ce monopole est préjudiciable à la qualité de l'expertise publique en matière fiscale. En effet, comme l'ajoutait M. Michel Taly lors de cette même audition, « quand on a des hésitations et des doutes, notamment sur les hypothèses, il vaudrait mieux que cela soit contradictoire. C'est une discussion que mes collègues de la direction de la prévision et de l'INSEE ont [en matière macro-économique] avec l'OFCE, par exemple, que nous nous n'avons pas ».
En outre, ce monopole conduit à un soupçon permanent à l'encontre des chiffrages de mesures fiscales réalisés par le ministère de l'économie et des finances ;
- en matière budgétaire . A titre d'exemple, l'OFCE n'est pas en mesure de détailler les projections du compte des administrations publiques qu'il effectue chaque année pour le compte de la délégation du Sénat pour la planification. Comme le soulignait M. Michel Didier, directeur de REXECODE, lors de son audition par la commission des finances du Sénat le 30 janvier 2001 25 ( * ) , cela résulte là encore de ce que « l'information sur les calculs budgétaires reste peu accessible aux institutions indépendantes » ;
- en matière d'évaluation des politiques publiques , notamment des politiques publiques locales, comme l'a souligné le Sénateur Pierre André dans son rapport d'information relatif aux troisièmes contrats de plan État-Régions 26 ( * ) (1994-1999). Les commissions et délégations parlementaires rencontrent ainsi parfois de réelles difficultés lorsqu'elles souhaitent confier des évaluations scientifiques à des organismes indépendants ;
- en matière d'analyse micro-économique appliquée , comme le relevait dès 1995 M. Edmond Malinvaud, ancien directeur général de l'INSEE, lors de son audition par la mission d'information commune de l'Assemblée nationale sur l'information du Parlement 27 ( * ) . Par exemple, la France ne dispose guère d'expertise indépendante en matière d'analyse économique des politiques de (dé)régulation dans certains secteurs comme les télécommunications ;
- en matière de prospective ;
- en matière de politiques et d'institutions européennes comparées, en particulier en matière budgétaire et fiscale. Pourtant, les processus de concurrence et d'harmonisation fiscale nous invitent à développer une connaissance approfondie de la fiscalité de nos partenaires européens ;
- enfin, en matière de politiques de l'éducation , malgré la création en l'an 2000 du Haut conseil pour l'évaluation de l'école. Par contraste, on peut en effet souligner que le débat relatif à l'éducation est nourri aux États-Unis par les enquêtes et les analyses de plusieurs dizaines d'institutions indépendantes.
Comme le suggérait déjà le rapport Lenoir-Prot, et comme le confirment les exemples développés supra ce manque de contre expertise indépendante des administrations freine le progrès scientifique, altère le dialogue social, brouille les enjeux politiques et conduit à des débats publics « sans fondements ».
* 24 Cf. « De l'information du Parlement au contrôle du Gouvernement », rapport de l'Assemblée nationale n°2063, 1995.
* 25 Cf. « Les lacunes de l'information statistique sur les administrations publiques », rapport du Sénat n°203, 2001.
* 26 Cf. « Les troisièmes contrats de plan État-Régions (1994-1999) : une ambition inachevée », rapport de la délégation du Sénat pour la planification, n°446, 1999-2000.
* 27 Cf. « De l'information du Parlement au contrôle du Gouvernement », rapport de l'Assemblée nationale n°2063, 1995.