V. UN CHAMP D'EXPERTISE ÉTENDU, MAIS DES TRAVAUX DE PORTÉE INÉGALE
A. UN CHAMP D'EXPERTISE ÉTENDU
Le champ d'expertise du GAO est particulièrement étendu. A titre d'illustration, le rapport annuel 1999 précise quelques uns des principaux domaines d'investigation du GAO au cours de cette année :
- les produits du domaine fédéral et les méthodes de privatisation des entreprises publiques. Par exemple, le GAO estime que ses conseils ont permis d'augmenter de 810 millions de dollars le prix de vente de l'entreprise publique d'enrichissement de l'uranium, et de 1,5 milliard de dollars le prix de vente de terrains pétrolifères en Californie ;
- l'amélioration de l'efficience du système de santé publique. Par exemple, le GAO estime que la mise en oeuvre de ses préconisations en matière de baisse des durées d'hospitalisation a permis de réduire les dépenses fédérales à hauteur de 566 millions de dollars en 1998 et en 1999 ;
- la réforme fiscale. Par exemple, le GAO indique que la mise en oeuvres de ses préconisations relatives aux conditions d'éligibilité au dispositif de crédit d'impôt sur les revenus du travail ( Earned Income Tax Credit ou E.I.T.C.) ont permis de réduire les dépenses fédérales à hauteur de 1,3 milliard de dollars sur la période 1996-2000 ;
- les dysfonctionnements des crèches ;
- la prévention du saturnisme ;
- la prévention des fraudes à la carte bancaire ;
- la prévention des fraudes et des abus en matière de protection sociale ;
- la qualité des dispositifs d'évaluation de la performance du système éducatif ;
- la coordination des dispositifs de lutte contre le terrorisme ;
- les surcoûts induits par certains contrats d'équipement militaire. Par exemple, le GAO indique que ses préconisations ont conduit à amender la législation pour permettre à l'Etat fédéral de réclamer 61 millions de dollars aux entreprises responsables de la production et de l'entretien des avions de transport C-17 ;
- la réorganisation de l'administration fiscale ;
- l'évaluation du coût de démantèlement et de décontamination des centrales nucléaires en fin de vie ;
- l'organisation de la sécurité alimentaire ;
- enfin, la sécurité aérienne.
B. DES TRAVAUX DE PORTÉE INÉGALE
Les rapports du GAO jouissent aux États-Unis, sinon dans le monde entier, d'une réputation académique prestigieuse.
Pour autant qu'il soit possible d'en juger à partir d'un échantillon restreint, ces rapports apparaissent également atteindre pleinement leur objectif de clarté.
Peut-être convient-il toutefois de ne pas idéaliser ces rapports.
Le parcours rapide de quelques uns d'entre eux suggère en effet que les principes méthodologiques rigoureux du GAO ne sont pas toujours strictement respectés. Par exemple, le rapport du GAO sur le coût économique de l'indépendance énergétique détaillé dans l'encadré infra repose pour partie sur des opinions d'experts extérieurs, sans que ces opinions soient réellement étayées et sans que la représentativité de ces experts ne soit établie.
De même, certains rapports contiennent des assertions aussi tranchées que peu argumentées, et parfois contestables. Par exemple, ce même rapport sur le coût économique de l'indépendance énergétique indique que le contre-choc pétrolier de 1986 n'a accéléré la croissance, ni aux États-Unis, ni dans les autres pays industrialisés, alors même que le repli des prix du pétrole est généralement retenu comme l'un des facteurs explicatifs de la période de croissance soutenue que la France a connue à la fin des années 1980.
Enfin, il est regrettable que le fonctionnement et les paramètres des modèles utilisés ne soient décrits que de manière succincte, et que les rapports du GAO ne proposent souvent ni des tests de sensibilité des résultats obtenus aux hypothèses fixées, ni des indications de marge d'erreur.
Au delà de ces observations techniques, il est possible de s'interroger sur la portée des rapports d'évaluation et d'expertise du GAO pour la décision publique.
• En premier lieu, on peut souligner que les modèles du GAO, dont les rapports n'explicitent pas toujours la nature précise (plutôt économétrique ou plutôt théorique) constituent souvent des maquettes très rustiques du fonctionnement de l'économie américaine.
Cette simplicité n'est pas sans avantages , notamment pédagogiques, puisqu'elle permet au modélisateur de bien maîtriser et de bien expliquer les mécanismes et les résultats obtenus.
Cette simplicité présente toutefois des limites . A titre d'exemple, on peut signaler que le modèle macro-économique à l'aide duquel le GAO réalise des projections de long terme des finances publiques ne tient pas compte des effets de relance induits à court et à moyen terme par un surcroît de dépenses publiques ou par une baisse des prélèvements obligatoires ; ne tient pas compte de l'impact éventuel de long terme d'un surcroît d'investissements publics, et, plus généralement, n'incorpore pas de mécanismes de type « croissance endogène » ; enfin, ne tient guère compte des interdépendances internationales .
De même, les projections de long terme des finances publiques réalisées par le GAO retiennent comme hypothèse des taux d'intérêt fixes, alors même que l'épargne et l'investissement sont des variables clefs de ces projections et que les niveaux respectifs du déficit et de la dette publique doivent logiquement rétroagir sur le niveau des taux d'intérêt.
Compte tenu de ces limites, dont certaines sont d'ailleurs brièvement rappelées dans les rapports examinés, la portée illustrative des projections de long terme du GAO est relativement réduite.
• En second lieu, il convient de souligner que lorsqu'il est saisi par le Congrès, le GAO répond aux questions posées, mais ne répond parfois qu'aux questions posées, au contraire des rapports administratifs français qui s'attachent souvent à évoquer, sinon à peser, l'ensemble des aspects d'un problème.
Par exemple, les rapports du GAO relatifs aux perspectives de long terme des finances publiques présentent l'extinction de la dette publique comme un scénario vertueux d'un point de vue macro-économique, mais n'évoquent aucunement l'argument souvent avancé selon lequel le bon fonctionnement des marchés financiers requiert un stock minimum de titres publics.
Il en résulte que la pertinence et la portée des rapports du GAO dépendent de la faculté des parlementaires à poser les bonnes questions.
De l'importance de poser les questions justes
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Saisi par un Président de commission de la Chambre des Représentants, le GAO s'efforce dans ce rapport de 120 pages de répondre aux trois questions suivantes : - quel est le bilan coûts/avantages économiques résultant de l'importation de pétrole, plutôt que de la production nationale, compte tenu de la vulnérabilité de l'économie américaine aux chocs pétroliers ? - le programme annoncé en 1995 par le département de l'énergie (DOE), et visant à accroître l'efficience énergétique de l'économie américaine, à favoriser les énergies alternatives au pétrole et à soutenir la production domestique de pétrole réduira-t-il la vulnérabilité de l'économie américaine aux chocs pétroliers ? - enfin, quelles sont les principales options alternatives pour réduire la vulnérabilité de l'économie américaine aux chocs pétroliers. Pour répondre à ces questions le GAO a demandé au département de l'énergie de l'administration fédérale de réaliser des simulations de long terme (20 ans) à l'aide de son modèle macro-économique, et à partir des hypothèses retenues par le GAO. En outre, les auteurs du rapport indiquent s'être appuyés sur une revue de la littérature existante, ainsi que sur la consultation de 19 experts (six universitaires, cinq membres de Think tanks ou de groupes de pressions, huit experts du secteur privé, notamment du secteur pétrolier). Le rapport (soixante-dix pages, assorties de cinquante pages d'annexes), qui commence par un relevé de conclusions d'une page et par un résumé de quatre pages, est extrêmement clair et très pédagogique. Par exemple, le rapport précise ce que sont l'OCDE ou l'OPEP. Cependant, ni le corps du rapport, ni les annexes ne détaillent les caractéristiques du modèle utilisé, dont la nature (modèle macroéconométrique ou modèle d'équilibre général calculable) n'est pas précisée. De même, le rapport ne signale pas certaines limites des simulations réalisées, par exemple le fait que ces simulations ne tiennent pas compte de ce que la diffusion internationale des progrès réalisés aux États-Unis en matière d'efficience énergétique pourrait réduire la consommation mondiale de pétrole. Le rapport répond toutefois frontalement aux trois questions posées. Le GAO conclut en premier lieu que le coût économique des chocs pétroliers ne dépend pas de la proportion de pétrole importé, mais seulement du niveau de la consommation. En conséquence, le GAO estime que le coût des chocs pétroliers ne dépend pas du degré d'indépendance des États-Unis en matière d'approvisionnement pétrolier. Par ailleurs, le GAO conclut que la vulnérabilité de l'économie américaine aux chocs pétroliers ne se réduira pas au cours des vingt prochaines années, ce qui suggère que le programme du département de l'énergie est à première vue inefficace. Enfin, le GAO conclut que les meilleurs outils pour réduire le coûts des chocs pétroliers sont la politique monétaire, d'une part, l'utilisation des stocks stratégiques pour lisser les variations de prix, d'autre part. Ces conclusions, assez décapantes, s'inscrivent à contre-courant de certaines idées reçues. Par exemple, le GAO insiste sur l'idée selon laquelle le coût macro-économique des chocs pétroliers ne dépendrait pas du niveau des importations, mais seulement du niveau de la consommation de pétrole. De même, le GAO affirme que les politiques visant à favoriser la production domestique de pétrole sont inefficaces pour réduire la vulnérabilité de l'économie américaine aux chocs pétroliers. Parce qu'il ne répond qu'aux trois questions initialement posées, le rapport laisse toutefois au lecteur français une impression curieuse. En effet, le GAO n'évoque guère ce qui pourrait pourtant être l'une des conclusions de son rapport : la nécessité d'économiser l'énergie. En particulier, le GAO écarte l'idée d'une taxation accrue des carburants comme politiquement difficile à mettre en oeuvre, et - mais il s'agit là sans doute d'un biais culturel - le GAO n'évoque jamais la possibilité de campagnes d'information et de sensibilisation aux économies d'énergie. De même, parce qu'elle répond de manière étroite aux trois questions initialement posées, l'approche retenue par le GAO a été particulièrement mal perçue par le Département d'Etat à l'énergie (dont les commentaires sont reproduits en annexe), qui estime que le rapport du GAO est « sérieusement biaisé » et « brouille le débat ». En effet, le Département d'Etat à l'énergie s'indigne, non sans raison, de ce que le rapport du GAO indique que la vulnérabilité de l'économie américaine aux chocs pétroliers ne baissera pas au cours des vingt prochaines années, ce qui suggère que les politiques proposées par Département d'Etat à l'énergie sont inefficaces. Pourtant, l'analyse montre que si les politiques préconisées étaient mises en oeuvre, la vulnérabilité de l'économie américaine aux chocs pétroliers se dégraderait moins que dans le scénario tendanciel : ces politiques sont donc relativement efficaces et nécessaires. Au total, le fait de ne répondre qu'aux seules questions posées contribue effectivement, en l'espèce, à brouiller le débat sur l'efficacité des politiques étudiées, dont le département à l'énergie souligne par ailleurs, non sans raison, qu'elles ne sont pas précisément décrites et étudiées. |
• Enfin, au contraire par exemple des rapports des groupes de travail du Commissariat général du Plan, qui recherchent un certain consensus entre les experts (universitaires, chercheurs) et les acteurs (représentants des administrations, des organisations socio-professionnelles, des entreprises concernées), les rapports prospectifs ou d'évaluation du GAO sont de purs rapports d'experts.
A ce titre, ces rapports ne peuvent être à eux seuls des rapports préparatoires à la décision publique. En d'autres termes, les travaux du GAO ne sont efficaces que lorsqu'ils rencontrent des esprits disponibles et ouverts à ses recommandations.
Ces dernières considérations expliquent notamment l'appréciation désabusée que portait Mme Eleanor Chemlinsky, Comptroller General adjointe et directrice de la division de l'évaluation et de la méthodologie du GAO, à l'occasion d'une journée d'étude organisée au Sénat 49 ( * ) le 7 avril 1994 : « après tout, théoriquement, logiquement, l'évaluation devrait être utile pour un grand nombre, voire pour la plupart des décisions publiques importantes. Mais pratiquement, cela ne correspond pas à ce que je constate depuis 1980. Cela n'est point l'expérience américaine ».
* 49 Cf. contrôle parlementaire et évaluation, contributions réunies par A. Delcamp et alii, in Les études de La documentation française, 1995, pages 189-191.