CHAPITRE V :
LE GENERAL ACCOUNTING OFFICE (GAO)
I. L'HISTOIRE DU GAO : DE LA COMPTABILITÉ PUBLIQUE À L'ÉVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES
Pour appréhender le fonctionnement du General Accounting Office (GAO), soit « l'office général de comptabilité », un détour par l'histoire s'impose. En effet, comme celles de notre Cour des Comptes, à laquelle il s'apparente, les missions, l'organisation et les spécificités du GAO sont le fruit d'une longue histoire, étroitement liée aux évolutions de la vie politique et des finances publiques américaines 44 ( * ) .
A. LE GAO DES ORIGINES : UN COMPTABLE PUBLIC
Le GAO fut créé en réaction à la désorganisation des finances publiques américaines consécutive à la première guerre mondiale.
La participation des États-Unis à la première guerre mondiale s'était en effet traduite par une hausse considérable des dépenses et de la dette publique, à laquelle la procédure budgétaire en vigueur ne pouvait faire face.
On peut en effet rappeler que l'article premier de la Constitution des États-Unis avait confié l'ensemble du pouvoir budgétaire au Congrès, perçu comme plus proche du peuple : aux termes de la Constitution, seul le Congrès peut lever des impôts, emprunter et autoriser des dépenses, et l'exécutif ne peut dépenser que pour les finalités et dans les limites fixées par le Congrès.
Mais la Constitution des États-Unis ne contient aucune disposition précise relative à la procédure budgétaire. Jusqu'au début du 20 ème siècle, le principe précédent fut donc mis en oeuvres selon des procédures à la fois floues et empiriques. En particulier, jusqu'en 1921, les départements ministériels s'adressaient directement au Congrès pour faire connaître leurs besoins financiers, sans que ne soit dégagé une vue d'ensemble des équilibres budgétaires, et sans que le Congrès ne dispose par la suite d'informations fiables sur les dépenses effectivement engagées.
Ce cadre institutionnel n'était manifestement pas adapté au redressement des finances publiques.
Dans le cadre d'un ensemble de réformes visant à améliorer la « gouvernance publique » ( good government era ), le Congrès adopta donc en 1921 le Budget and Accounting Act déléguant au Président des États-Unis la responsabilité de préparer une proposition de budget annuel à partir de laquelle devait s'engager le débat parlementaire.
En contrepartie, ce même texte a transféré la responsabilité du contrôle comptable des dépenses publiques du Département du Trésor à une nouvelle agence rattachée au pouvoir législatif, le GAO.
De la sorte, la politique budgétaire gagnait en cohérence et en lisibilité, tandis que le Congrès connaissait et contrôlait plus étroitement les dépenses.
Il s'agissait toutefois d'un contrôle comptable et formel , comme le montre un bref parcours des tâches alors exercées par le GAO :
- en premier lieu, le GAO exerçait le rôle, aujourd'hui confié en France aux contrôleurs financiers, consistant à vérifier ex ante la régularité des opérations d'engagement de dépenses publiques, et traitait le contentieux relatif aux paiements publics ;
- en second lieu, le GAO auditait les comptes des caissiers publics et leur donnait quitus ;
- enfin, l'essentiel de l'activité du GAO consistait à vérifier ex post la conformité juridique de chacun des vouchers relatifs aux dépenses engagées par les ordonnateurs, et à en autoriser le paiement. Les services du GAO remplissaient ainsi la mission aujourd'hui confiée en France aux comptables du trésor public.
Officiellement, le GAO n'avait pas à apprécier l'opportunité des dépenses, mais seulement leur régularité . Cependant, les penchants conservateurs du premier Comptroller General , J. Raymond Mac Carl, en poste de 1921 à 1936, et qui estimait que le New Deal n'était « qu'un gâchis d'argent public », se traduisirent à partir de 1932 par des tensions entre le GAO et l'administration Roosevelt.
Lors d'un incident désormais célèbre, le secrétaire d'Etat au département de l'intérieur (l'équivalent de notre ministre de l'Intérieur) répondit ainsi de sa propre main au GAO qui demandait ce que le département de l'intérieur escomptait faire de l'appareil photo qu'il avait acheté : « prendre des photos, crétin » 45 ( * ) .
Le départ en retraite du Comptroller General Mac Carl en 1936 fut donc l'occasion de vifs débats relatifs au statut du GAO et un rapport rédigé par l'administration présidentielle préconisa de restreindre explicitement l'activité du GAO à des tâches d'audit comptable.
Ces débats n'étaient d'ailleurs pas nouveaux : presque aussitôt après avoir signé la loi de 1921, le Président Harding s'était ravisé et avait souhaité récupérer le GAO au sein de l'administration du Trésor. De même, ses successeurs Hoover (républicain) et Roosevelt (démocrate) avaient toujours souhaité retirer au GAO celles de ses attributions qui leur semblaient liées à l'exercice du pouvoir exécutif.
Le Congrès s'opposa toutefois à tous ces projets : le GAO survécut donc aux pressions présidentielles.
Le premier GAO devait toutefois disparaître, écrasé sous une montagne de papier.
En effet, les activités du GAO étaient entièrement centralisées dans un seul bâtiment à Washington où des milliers d'employés étudiaient scrupuleusement les justificatifs adressés depuis l'ensemble des États-Unis par les agences de l'exécutif.
La hausse des dépenses publiques liées au New Deal s'était ainsi traduite par un premier triplement des effectifs, qui atteignirent 5.000 employés en 1940, contre 1.700 en 1921.
Mais les dépenses militaires liées à l'entrée des États-Unis dans la seconde guerre mondiale entraînèrent une telle augmentation des documents à traiter que, malgré un nouveau triplement de ses effectifs (à hauteur de 14.000 employés en 1945), le GAO ne put faire face : le nombre de vouchers non traités atteint 35 millions en 1945.
* 44 Cf. notamment « The Evolution of the General Accounting Office : from Voucher Audits to Programms Evaluations » , Harry S. Havens, document GAO/OP-2-HP, janvier 1990.
* 45 « To take pictures, you damned fool ».