2. Les projections macro-économiques de moyen terme
Au delà d'un horizon de deux ans, c'est à dire concrètement de l'année en cours et de l'année fiscale à venir, le CBO n'essaie pas de prévoir les fluctuations conjoncturelles de l'activité.
En d'autres termes, le CBO ne réalise pas des prévisions au delà de deux ans, mais une projection de certains agrégats économiques (le PIB, l'inflation, les taux d'intérêt) à partir des tendances de moyen et de long terme de la main d'oeuvre, de la productivité du travail et du taux d'épargne, et ce, sans recourir à un modèle macro-économétrique.
En pratique, les projections du CBO s'appuient sur une estimation du PIB potentiel et de la croissance potentielle à partir :
- d'une prévision du nombre d'heures travaillées , cette prévision dépendant des évolutions respectives de la population active et du taux de chômage à partir duquel l'inflation accélère (le CBO calcule explicitement ce taux, le « NAIRU », à partir de la structure démographique de la population active 38 ( * ) , de l'écart de la productivité par rapport à sa tendance, ainsi que des prix de l'énergie et de l'alimentation) ;
- d'une prévision du stock de capital , à partir des évolutions de taux d'investissement, du prix et du rythme de déclassement des investissements, ainsi que du taux d'épargne ;
- enfin, des tendances de long terme du progrès technique , supposé exogène (le CBO ne prenant pas en compte à ce jour l'idée que « la nouvelle économie » ait pu introduire une rupture de tendance en matière de progrès technique).
Le niveau du PIB potentiel ainsi obtenu est minoré par prudence, afin de tenir compte de l'écart observé en moyenne entre le PIB et son potentiel.
Au total, il s'agit là de projections fondées sur une vision néo-classique , qui appréhende l'économie comme s'écartant plus ou moins d'un sentier de croissance de long terme prédéterminé par l'évolution des facteurs socio-démographiques et par la tendance passée du progrès technique.
Le CBO s'appuie ensuite de manière similaire sur des analyses néo-classiques (sans recours à un modèle macro-économétrique d'ensemble) pour préciser l'évolution de certaines variables essentielles à la détermination des assiettes fiscales. Par exemple, le CBO relie l'évolution des revenus d'activité à celle de la productivité marginale du travail.
La qualité prédictive de ces projections est limitée .
Certes, le CBO indique que ses propres projections à cinq ans sont un peu plus justes que celles de l'administration.
Néanmoins, les projections de moyen long terme du CBO, comme celles de l'administration, apparaissent rétrospectivement avoir nettement surestimé la croissance dans la décennie 1980 (en raison de l'ampleur de la récession de 1982).
Inversement, ces projections de long terme ont fortement sous estimé la croissance au cours des années 1990. A titre d'exemple, le CBO estimait en 1996 la croissance potentielle sur la période 1996-2007 à environ 2,1 % l'an. Or la plupart des économistes du secteur privé estiment aujourd'hui la croissance potentielle de l'économie américaine entre 3 et 4 % l'an, sinon plus.
En conséquence, le CBO a tenu un discours qui s'est révélé rétrospectivement beaucoup trop pessimiste quant à l'évolution des déficits budgétaires.
Notons par ailleurs que ces projections sont statutairement réalisées à législation constante , mais qu'elles prennent en compte l'impact prévisible des changements récents de législation. Par exemple, les projections du CBO ont retenu dès janvier 1997 l'hypothèse selon laquelle les réformes de la protection sociale intervenues en 1997 (le bénéfice de certaines prestations d'aide sociale étant désormais limité à cinq années sur une vie entière) devait conduire à une augmentation du taux de participation sur le marché du travail (donc du PIB potentiel).
Il convient enfin d'indiquer que le CBO réalise parfois des projections alternatives. En particulier, entre 1995 et 1997 le CBO a incorporé à son rapport annuel des scénarios « normés » dans lesquels le budget était ramené à l'équilibre à partir de 2002, alors que les projections tendancielles du CBO prévoyaient des déficits continus.
La vertu pédagogique et la portée politique de ses travaux étaient claires. En effet, dans les équations néoclassiques du CBO, toute épargne publique supplémentaire (c'est à dire toute baisse du déficit public), et toute baisse de la dette publique, se traduisent mécaniquement par une baisse des taux d'intérêt, tant à court terme qu'à long terme, estimée en 1997 par le CBO à 0,7 point pour une baisse du déficit de 2 points de PIB. Cette baisse des taux d'intérêt stimule l'investissement privé, donc la croissance. La détente des taux d'intérêt réduit alors la charge de la dette publique, tandis que l'accélération de la croissance augmente les recettes publiques. Au total, dans les travaux du CBO, la réduction des déficits publics s'autoentretient et favorise la croissance (à hauteur de 0,1 point par an pendant 10 ans).
De manière similaire, le CBO a publié dès août 1998 des simulations selon lesquelles la réduction des excédents budgétaires freinerait significativement la croissance 39 ( * ) .
Notons que ces enchaînements reposent sur des hypothèses , comme une forte sensibilité des taux d'intérêt au niveau du déficit public et une forte sensibilité du taux d'épargne et du taux d'investissement aux taux d'intérêts, qu'il est difficile de valider empiriquement dans les pays européens considérés isolément.
En effet, dans un pays comme la France, les taux d'intérêt et le niveau de l'investissement productif dépendent largement de la situation économiques des autres pays de l'Union et de la politique monétaire de la Banque Centrale européenne : en tout état de cause la réduction des déficits publics dans un seul des pays de l'Union européenne exercerait donc un impact sur le taux d'intérêt, l'épargne et l'investissement dans ce pays bien inférieur à l'impact d'une mesure similaire aux États-Unis.
Au total, les mécanismes sur lesquels reposent les simulations du CBO ne sont pas guère reflétés dans les modèles macro-économétriques français, où une réduction du déficit public se traduit le plus souvent par une baisse du PIB à court et à moyen terme.
* 38 Le NAIRU (« Non Accelarating Inflation Rate of Unemployement »), c'est à dire le taux de chômage à partir duquel l'inflation n'accélère pas) serait notamment une fonction décroissante de l'âge et de la qualification de la population active.
* 39 Cf. par exemple « Fiscal Penalty from eliminating the total Budget Surplus », memorandum to staff directors of the Senate and House Budget Committes, 19 août 1998.