N° 274

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 18 avril 2001

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) à la suite d'une mission de contrôle effectuée à l' Académie de France à Rome,

Par M. Yann GAILLARD,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.

Culture.

AVANT-PROPOS

1666 : Colbert crée l'Académie de France à Rome, alors capitale des arts ; 1804 le Premier consul la réinstalle, après sa dispersion et le pillage du Palais Mancini où elle résidait, à la « Villa Médicis » sur les hauteurs du Pincio ; 1968 : André Malraux tranche le lien entre l'Académie et l'Institut de France, supprime les prix de Rome, et confie au directeur d'alors, Balthus, des pensionnaires représentant les disciplines les plus variées, sur qui ne pèseront plus désormais, comme dans la morale de Jean-Marie Guyau, ni obligation ni sanction.

Telles sont les trois grandes dates qui ont jalonné l'histoire de cette étrange institution, la seule du genre qui dépende exclusivement du ministère de la Culture.

Rappeler ces faits, c'est éclairer les contradictions dans lesquelles elle baigne, et qu'elle arrive de plus en plus mal à résoudre.

Voici une « Académie » qui n'a plus de tradition à transmettre, qui groupe des lauréats sans aucun centre d'intérêt commun, et qui, même dans ses domaines d'excellence historique, musique et arts plastiques, ne saurait plus offrir ni références ni critères d'évaluation.

Qui invite, aux frais de la République, des artistes -au sens le plus large du terme- dans une capitale qui n'est plus, et depuis longtemps, un centre important de création (même à l'échelle de l'Italie). Où, par conséquent, seuls les historiens d'art et les restaurateurs de tableaux, qu'on a rajoutés à la liste, ont quelque profit intellectuel à tirer de leur séjour.

Qui dépend d'un ministère technique sans compétence diplomatique, dans une capitale où notre pays entretient déjà trois ambassadeurs (auprès de la République italienne, du Saint Siège et de la FAO), leur superposant ainsi en la personne du directeur de la Villa, une sorte de quatrième ambassadeur, celui de l'esprit - sans coordination avec le conseiller culturel de l'ambassade de France auprès du Quirinal, qui n'a d'ailleurs plus, à Rome, de centre culturel sous son autorité.

Ce directeur, chargé d'âmes, l'est aussi d'une « mission Malraux » - superposée à sa traditionnelle « mission Colbert », - qui est d'offrir à la société romaine les contreparties qu'elle attend de notre pays, compte tenu de sa présence immobilière sur le sol romain. Présence multiple, pesante, en effet : la Villa Médicis elle-même, dont le domaine s'étend en théorie jusqu'aux escaliers de la place d'Espagne, les églises françaises gérées par les « Pieux établissements », dont celle, stratégique, de la Trinité des Monts, le Palais Farnese, enfin, notre ambassade, dont, il est vrai, notre pays n'est que locataire - jusqu'en 2025.

Pendant ce temps, le monde a changé : la dernière contradiction, et non la moindre, n'est pas celle qui existe entre la Villa, en sa solitude auguste, et pullulant autour d'elle, toutes les institutions chargées de proposer des stages et des résidences aux créateurs. Le modèle Médicis, qui avait peut-être un sens, à l'époque des prix de Rome - en dépit des aléas propres à tout concours, Debussy reçu, Ravel recalé - en a-t-il encore aujourd'hui ? Qui connaît les pensionnaires de la Villa ? Se connaissent-ils encore eux-mêmes ? Qu'il soit désormais proposé par le ministère des affaires étrangères des stages appelés « villa Médicis hors les murs », est assez révélateur et de l'évolution intervenue et de l'état de confusion intellectuelle où se trouve plongée notre politique d'aide à la création.

Enfin, il est clair que l'art tend à sortir de plus en plus du modèle franco-français, qu'il n'est plus possible d'entretenir sur le sol d'un pays ami, ou plutôt d'une « République soeur », engagée dans la même aventure européenne que la France, une institution qui ne s'ouvre pas à une présence italienne - ce qui suppose l'esquisse d'une troisième mission, qu'on pourrait appeler « mission Chirac », pour reprendre les suggestions faites par le président de la République lors de son dernier voyage à Berlin, le 27 juin 2000.

Les enjeux financiers directs sont minces. Le budget de fonctionnement de la villa Médicis n'est que de 33 millions de francs - encore qu'on puisse s'interroger sur la « rentabilité » de certaines dépenses. A cela s'ajoute le coût de la remise en état du monument -près de 60 millions de francs depuis 1991- qui, même en terre étrangère (l'est-elle vraiment ?), fait partie du patrimoine national, géré à ce titre comme les monuments publics français -avec, bien sûr, les nécessaires consultations de l'administration italienne-... Un important programme de 40 millions de francs sur quatre ans est engagé, qui obligera à réduire considérablement le nombre des pensionnaires pendant quelque mois (cf. en annexe la lettre du délégué aux arts plastiques). Le moment est donc particulièrement bien choisi pour une réflexion collective, voire une remise à plat, auxquelles la Commission des finances du Sénat entend participer modestement par le présent rapport.

Bien que réduit à un lieu et à un établissement, le sujet pourrait se prêter à des développements historiques ou esthétiques infiniment ramifiés.

Pour échapper à cette tentation, votre rapporteur spécial se contentera, au-delà de la gestion courante, du fonctionnement pratique et des modes de contrôles de la dépense, d'analyser, d'abord, quelques points problématiques relatifs aux rapports entre les disciplines, à la situation des pensionnaires - à leur statut juridique comme à l'équilibre actuel entre droits et obligations - à leur mode de recrutement et, en particulier, au rôle de la délégation aux Arts plastiques, sans craindre d'évoquer une réforme radicale du concours actuel.

D'autres questions seront également abordées, toujours à travers leurs enjeux administratifs, concernant les liens de la Villa avec d'autres institutions ou procédures ayant le même objet, ainsi que sa capacité à organiser des expositions dans le sens d'une ouverture à la vie culturelle italienne susceptible d'aboutir à lui confier une sorte de « mission Chirac », sans s'interdire de réfléchir à cette occasion à ce que pourrait être le profil du directeur idéal.

La Villa Médicis est, au fond, une métonymie - figure de rhétorique où la partie désigne le tout, et le contenant le contenu. La Villa Médicis, contenant superbe, a-t-elle encore un contenu ?

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