TROISIÈME PARTIE
DES CRÉDITS SURDIMENSIONNÉS
:
ERREUR DE PRÉVISION OU MENSONGE BUDGÉTAIRE ?
Suite à l'examen de plusieurs projets de loi de finances et à un contrôle sur place au ministère de l'environnement, votre rapporteur spécial a été amené à constater que le remplacement des cinq taxes anciennement affectées à l'ADEME par des subventions budgétaires s'était opéré dans des conditions criticables.
La dotation budgétaire a été largement surévaluée, conduisant l'ADEME à consommer en 2000 moins d'un cinquième de ses crédits de paiement. Cette situation totalement anormale et faussant de façon grossière l'information du Parlement s'explique par une volonté d'affichage politique au détriment d'un véritable souci de transparence et de sincérité des prévisions budgétaires de l'Etat.
I. UN CALIBRAGE DES SUBVENTIONS SANS LIEN AVEC LES BESOINS RÉELS
Un contrôle sur place au ministère de l'environnement le 8 juin 2000 a permis de confirmer les intuitions de votre rapporteur spécial : les crédits demandés pour l'ADEME au titre du budget de l'environnement en 1999 et en 2000 ont été largement sur-dimensionnés.
A. LA NON-CONSOMMATION DE 80 % DES CRÉDITS DISPONIBLES EN 2000
Un document du contrôle financier du ministère de l'environnement daté du 4 avril 2000 et remis à votre rapporteur spécial le 8 juin 2000 indiquait s'agissant du premier trimestre de gestion 2000 31 ( * ) , un taux d'ordonnancement des crédits d'intervention de l'ADEME de 0 %, révélateur d'une déconnexion forte entre les crédits votés pour l'ADEME et les crédits nécessaires à ses activités.
Cette différence résulte du niveau trop élevé des crédits votés par le Parlement au budget de l'environnement pour l'ADEME, à la demande du gouvernement.
En effet, en 1999 et 2000, le gouvernement a choisi de maintenir la subvention du budget de l'environnement au niveau des recettes attendues des taxes parafiscales auparavant affectées à l'ADEME. Les crédits de paiement pour l'ADEME en 1999 et 2000 ont donc été fixés à hauteur des autorisations de programme selon une règle dérogatoire au droit commun budgétaire et qui en l'occurrence n'était pas justifiée. Toutefois, en gestion, seuls étaient délégués les crédits de paiement correspondant aux stricts besoins de l'établissement.
La règle " AP = CP " Une règle communément admise en matière budgétaire prévoit qu'une autorisation de programme (AP) est couverte en trois ans par les crédits de paiement (CP) à raison de 30 % la première année, 50 % la deuxième et 20 % la troisième. Dans certains cas, une couverture en deux ans (50/50) est envisageable. Or, la compensation budgétaire intervenue en 1999 et 2000 pour l'ADEME s'est accompagnée de l'édiction d'une règle dérogatoire du droit commun budgétaire, dite " AP = CP ", au motif que les taxes antérieurement affectées à l'ADEME fonctionnaient de fait sur une égalité à tout moment des AP et des CP : dès qu'on recevait le produit des taxes,on pouvait juridiquement le dépenser. |
Ce décalage entre ce que le gouvernement a demandé au Parlement de voter et les besoins réels de l'agence, explique le fort taux de report de crédits d'une année sur l'autre.
Récapitulatif des CP environnement du chapitre 67-30 pour 1999
(en millions de francs)
Chapitre 67-30 |
Projet 1999 |
Réalisation 1999 |
Ecart |
Energie (article 10) |
293 |
69,4 |
23,7 % |
Déchets ménagers et assimilés (article 20) |
811 |
336,8 |
41,5 % |
Dépollution des sols (article 30) |
107 |
35,6 |
33,3 % |
Ramassage des huiles (article 40) |
118,5 |
141,8 |
119,7 % |
Isolation acoustique au voisinage des aérodromes (article 50) |
84,5 |
45,6 |
54 % |
Pollution atmosphérique (article 60) |
159 |
80,2 |
50,4 % |
Surveillance de la qualité de l'air (article 70) |
109,6 |
41,6 |
38 % |
Total du chapitre |
1 682,6 |
751 |
44,6 % |
Consommation des crédits de paiement prévus au budget de l'environnement pour l'ADEME en 1999 et 2000
en millions de francs |
1999 |
2000 |
Crédits votés n |
1.683 |
1.718 |
Crédits reportés n-1 |
104 |
998 |
Crédits disponibles n |
1.787 |
2.716 |
Crédits délégués n |
789 |
510 32 ( * ) |
Taux de délégation n |
44 % |
19 % |
Crédits reportables n+1 |
998 |
2.206 |
- Ainsi, les crédits de paiement de 1999 n'ont été mandatés qu'à hauteur de 44 % : 1.787 millions de francs avaient été ouverts et 998 millions de francs n'ont pas été consommés et donc reportés sur la gestion 2000.
- En 2000, les crédits non consommés ont été encore plus importants : sur les 2,7 milliards de francs de crédits disponibles, seuls 510 millions de francs, soit moins de 20 % des crédits disponibles, ont été délégués à l'ADEME. 2.206 millions de francs ont donc été reportés sur 2001 à l'issue de l'exercice 2000 : c'est tout à fait considérable.
Les dates de versement de ces subventions sont aussi intéressantes : elles montrent, notamment en 2000, que l'Etat attend que l'ADEME ait des besoins avérés pour déléguer les crédits de paiement.
Calendrier des versement des subventions d'intervention du budget de l'environnement
millions de francs |
AP prévues |
AP reçues |
CP prévus |
CP reçus |
1er trimestre 1999 |
529 |
529 |
205 |
205 |
2ème trimestre 1999 |
315 |
311 |
178 |
178 |
3ème trimestre 1999 |
426 |
361 |
220 |
28 |
4ème trimestre 1999 |
418 |
509 |
1.079 |
340 |
Total 1999 |
1.688 |
1.711 |
1.683 |
751 |
1er trimestre 2000 |
nc |
555 |
nc |
0 |
2ème trimestre 2000 |
nc |
562 |
nc |
269 |
3ème trimestre 2000 |
nc |
0 |
nc |
0 |
4ème trimestre 2000 |
nc |
810 |
nc |
241 |
Total 2000 |
2.221 |
1.927 |
1.718 |
510 |
Votre rapporteur spécial estime anormal que les crédits de paiement prévus pour l'ADEME dans le budget de l'environnement en 1999 et 2000 aient été de la sorte surdimensionnés .
Dans sa réponse aux observations de la Cour des comptes 33 ( * ) , datée du 21 juin 1999, la ministre de l'environnement indique qu'il " paraît évidemment souhaitable que cette disposition (AP = CP) soit reconduite dans les années à venir afin que l'ADEME ne soit plus périodiquement confrontée à des crises de trésorerie ". Certes, une telle mesure éviterait toute crise de trésorerie mais est-il raisonnable de parler de crise lorsque, en 2000, plus de 80 % des crédits disponibles n'ont pas été nécessaires à l'ADEME ?
Certains interlocuteurs de votre rapporteur spécial ont invoqué des difficultés de prévision au moment de l'élaboration du projet de loi de finances (notamment pour 2001). Ces arguments semblent à votre rapporteur, au mieux peu convaincants, au pire extrêmement inquiétants : si le ministère de l'environnement est incapable d'assurer une marge d'erreur inférieure à 80 %, on peut douter de sa capacité à assurer une tutelle efficace sur ses établissements publics.
Comme l'indique le tableau ci-après, seul le ministère de l'environnement semble avoir conduit une telle politique de surdimensionnement des crédits a priori ayant débouché sur des taux de mandatement particulièrement faibles (43 % en 1999).
Mandatements des crédits de paiement 1999 par origine
(en millions de francs)
CP disponibles |
Mandats |
% |
Solde |
|
Industrie |
180 |
113 |
63 % |
67 |
Recherche |
109 |
106 |
97 % |
4 |
Environnement hors loi sur l'air |
751 |
326 |
43 % |
425 |
Environnement - loi sur l'air |
46 |
46 |
100 % |
0 |
Autres ressources |
96 |
90 |
94 % |
6 |
Total général |
1 181 |
679 |
58 % |
502 |
Si l'on considère globalement les crédits disponibles à l'ADEME, il apparaît que les reports globaux sont, en 1998 et 1999, de l'ordre d'un milliard de francs en autorisations de programme et de 3 milliards de francs en crédits de paiement, ce qui est considérable.
Consommation des autorisations de programme en 1999
(en millions de francs)
Ressources |
Emplois |
Reports 1999 |
|||
AP reçues |
Reports 1998 * |
Total AP |
Engagements |
||
Crédits budgétaires |
1 992 |
143 |
2 135 |
1 651 |
484 |
Taxes |
86 |
756 |
842 |
423 |
419 |
Autres |
114 |
72 |
186 |
85 |
100 |
TOTAL |
2 192 |
971 |
3 163 |
2 159 |
1 004 |
* et désengagements
On remarque dans le tableau ci-après des ratios particulièrement étonnants : les crédits reportés en 2000 représentent les deux tiers (65 %) des crédits disponibles en 1999 ; en effet, les crédits mandatés en 1999 représentent 35 % seulement du disponible (alors que ce taux était de 73 % en 1998). Finalement, les reports en 2000 représentent 272 % des dotations.
Consommation des crédits de paiement en 1999
(en millions de francs)
Ressources |
Emplois |
Autres mouvements |
Reports 1999 |
|||
CP reçues |
Reports 1998 |
Total CP |
Mandats |
|||
Crédits budgétaires |
1 040 |
167 |
1 206 |
- 590 |
15 |
632 |
Taxes |
86 |
2 988 |
3 073 |
- 892 |
- 28 |
2 154 |
Autres |
96 |
169 |
264 |
- 90 |
3 |
178 |
TOTAL |
1 221 |
3 323 |
4 544 |
- 1 571 |
- 9 |
2 965 |
* 31 Les crédits sont délégués trimestre par trimestre.
* 32 Sur ce total, 47 % descrédits ont été engagés entre le 15 novembre et le 31 décembre 2000.
* 33 Observations précitées.