E. POUR UNE RELANCE DE LA POLITIQUE DES SAGE
20. Intervention de M. Yves CORTES , président de la Commission locale de l'eau du SAGE de la Mayenne et de la Commission " Finances et programmation " du comité de bassin Loire-Bretagne
Les SAGE, outils de planification locale instaurés par la loi sur l'eau de 1992, concernent actuellement 15 % du territoire : 49 sont en cours d'élaboration tandis que 2, seulement, sont en phase de mise en oeuvre.
Cette procédure intéressante est en voie d'essoufflement. En effet, après un vif essor constaté au cours des premières années qui ont suivi leur création, on observe actuellement un ralentissement la mise en place de cette procédure.
Cet essoufflement de ces schémas d'aménagement résulte notamment des difficultés rencontrées au cours de leur élaboration. En effet, la longueur, la lourdeur et la complexité de la procédure, d'une part, un cadre technique, financier et juridique mal défini, d'autre part, tendent à décourager les acteurs locaux et à pénaliser les efforts entrepris par ceux qui souhaitent s'investir réellement dans une démarche pourtant saluée par tous pour son intérêt.
1. Une démarche complexe
En phase d'instruction, des délais moyens de trois ans sont actuellement requis pour déboucher sur les délimitations de périmètres et les constitutions de CLE. La phase d'élaboration, par ailleurs, exige des délais de trois à cinq ans selon le niveau de connaissance initial et l'importance des problèmes à résoudre. En somme, la procédure dure en moyenne six à sept ans et peut dépasser la décennie.
2. Un cadre technique, financier et juridique mal défini
En phase d'élaboration du SAGE, on peut constater un certain nombre de dysfonctionnements, liés principalement aux trois problématiques suivantes :
• La prise en charge effective des travaux des CLE qui ne disposent pas de moyens techniques, financiers et juridiques propres, d'où la nécessité d'une structure porteuse assumant la maîtrise d'ouvrage des études ainsi que les dépenses de fonctionnement de la commission.
• Le manque de souplesse de la procédure est également une source de difficulté considérable. Le quorum, par exemple, avec sa règle des 2/3, est souvent difficile à obtenir. Le SAGE dont j'ai l'honneur de présider la CLE concerne ainsi trois régions, cinq départements et 292 communes : il très difficile de rassembler autant d'acteurs dispersés au sein d'un territoire aussi vaste.
• Enfin, il faut noter le problème de confusion entre commissions locales de l'eau et communautés locales de l'eau. La CLE n'est pas un EPTB.
Concernant la phase de mise en oeuvre, où le seul retour d'expérience est celui de la Drôme, il est attendu une garantie de la mise en oeuvre des objectifs des SAGE sur les moyen et long termes, par un accroissement des moyens financiers et une contractualisation pluriannuelle des financements.
Trois ans après son colloque consacré aux " élus à la rencontre des SAGE ", le Cercle français de l'eau a engagé au cours de l'été 2000 une analyse critique de l'avancement actuel des SAGE afin de rechercher des voies d'amélioration. Cette réflexion s'est appuyée sur un questionnaire qui a été adressé à tous les présidents et animateurs de CLE, ainsi qu'aux acteurs principaux de sept SAGE sélectionnés pour leur représentativité et leur degré d'avancement. Les seize propositions ayant retenu l'intérêt des acteurs locaux concernent trois principaux points :
• Tout d'abord, ils souhaitent obtenir des aides préférentielles pour les phases d'élaboration et de mise en oeuvre. Ces aides proviendraient des agences de l'eau et de l'Etat à partir du FNSE.
• Par ailleurs, ils demandent une réduction des délais d'instruction, d'élaboration et d'approbation. Cette réduction permettrait notamment de réaliser un SAGE au cours d'un mandat électoral.
• Enfin, ils proposent de promouvoir des actions d'animation, de sensibilisation et de communication avec les acteurs locaux dans le souci pédagogique de réinscrire la rivière et les milieux aquatiques au coeur de la vie sociale et économique.
Bien entendu, l'existence préalable d'une procédure de concertation et de contractualisation ainsi que d'une structure porteuse représentative ou encore d'un EPTB constitue un atout non négligeable au lancement de l'opération.
En outre, un guide pratique pourrait être rédigé à l'attention des élus, précisant le comportement, la place et le rôle des acteurs de la CLE, d'une part, puis les aspects juridiques, réglementaires, financiers, qui sont les outils d'application du SAGE, d'autre part.
L'ensemble de ces propositions est destiné à améliorer le contexte d'élaboration et de mise en oeuvre des SAGE. Les mesures envisagées permettraient d'assouplir et d'accélérer le déroulement d'une procédure jugée longue, complexe et rigide, bien qu'intéressante, par de nombreux acteurs de l'eau. L'élaboration d'une nouvelle loi sur l'eau constitue une opportunité pour intégrer ces dispositions.
En conclusion, je propose aux présidents et animateurs de CLE de se rassembler au sein d'une association nationale structurée en six zones correspondant au six bassins des agences de l'eau et qui pourrait s'intituler l'Assemblée des commissions locales de l'eau de France (ACLEF), afin de confronter les points de vue, y échanger les expériences respectives et y réaliser des économies d'échelle avec, par exemple, la création d'un logo commun. Cette association constituerait également un interlocuteur privilégié de la direction de l'eau du ministère de l'environnement, en ces temps d'élaboration d'une nouvelle loi.
M. Jacques OUDIN - Je souhaiterais revenir sur les problèmes de l'intégration fiscale et de la dotation globale de fonctionnement des nouvelles communautés. Il serait bon que l'ensemble des parlementaires reconnaisse aux communautés de communes les mêmes avantages qu'aux communautés d'agglomérations et urbaines au moment de l'intégration fiscale. Un groupe de travail a été constitué avec quelques-uns des parlementaires appartenant au Comité des finances locales et le ministère de l'Intérieur. Nous espérons pouvoir présenter prochainement des propositions d'amélioration à ce sujet.
M. Pierre HERISSON - Un traitement équitable de l'ensemble des communautés me paraît être un véritable élément de progrès. Par ailleurs, je souhaiterais relancer le débat sur la question de la TGAP en rappelant que lors des débats parlementaires initiaux, il avait été affirmé que jamais elle n'aurait d'autre objectif que le rassemblement des taxes sur la pollution. La réalité fut bien différente. Nous devrons désormais exiger que la recette et la dépense soient affectées.
M. Hugues GEIGER , conseiller régional d'Alsace, président de l'APRONA - Je constate que les SAGE sont extrêmement lourds et délicats à mettre en oeuvre. Du reste, nous ne disposons en Alsace que de très peu de moyens pour mener cette procédure. Suite à ce constat, la nécessité de dégager des moyens budgétaires supplémentaires m'apparaît de plus en plus forte. Seuls ces moyens permettront à la loi française d'être en cohérence avec la directive européenne.
Il me semble que la loi sur l'eau pourrait constituer le commencement d'une réelle décentralisation. A ce titre, nous pourrions engager une réforme constitutionnelle appliquée à l'eau. L'environnement pourrait être un excellent moyen d'initier une démarche décentralisée cohérente avec les dispositions européennes. En effet, le principe de subsidiarité joue à plein dans le domaine environnemental.
M. Gérard SAUMADE - Certes, les problèmes de gestion environnementale sont complexes. Toutefois, on ne les résoudra pas en créant sans cesse de nouveaux organismes et de nouvelles institutions. De toute évidence, le département est aujourd'hui le niveau territorial privilégié de la solidarité. Pourtant, d'aucuns annoncent la mort du département, anéanti par les communautés d'agglomérations ou encore par les Pays. Seule la conception républicaine des problèmes politiques, c'est-à-dire l'application du principe de péréquation, peut nous fournir des éléments de réponse. En effet, la République doit rester le bien de tous sur l'ensemble du territoire.
M. Bernard BARRAQUE , directeur au CNRS - La France est pour le moment en avance en ce qui concerne la directive cadre. En effet, cette dernière n'indique pas à quel niveau territorial les districts hydrographiques doivent être organisés. Je rappelle que la France est actuellement découpée en six groupes de bassins. Cependant, ce niveau de gestion n'est pas suffisant. Voilà pourquoi se développent des actions nouvelles de gestion intégrée au niveau des établissements publics de bassin ou encore au niveau local du SAGE.
Je souhaiterais revenir sur la notion de subsidiarité. Selon moi, il est clair que nous ne devrions pas plier les agences à la constitution française mais adapter ce texte pour que les agences deviennent constitutionnelles sans transformation préalable. Il suffisait de créer une nouvelle catégorie, parallèlement aux redevances pour service rendu et aux impositions de toute nature, afin de permettre aux redevances des agences de l'eau d'exister en tant que telles.
De plus j'ajouterai que le discours sur les instruments économiques me semble inadapté au domaine de l'eau. En effet, il est évident que les économistes influencent les instances européennes et le gouvernement français pour orienter la politique de l'eau vers une dimension plus économique.
Personnellement, j'estime que les marchés de l'eau ne donnent pas de résultat satisfaisant. Quant à l'écotaxe incitative, ce n'est pas un système efficace. En revanche, les agences ont permis un processus d'apprentissage collectif considérable et un abaissement significatif du prix de l'eau à long terme. Le financement des objectifs communautaires pose un véritable problème. Comment va-t-on parvenir à dégager les 500 milliards de francs nécessaires ? C'est le seul vrai débat. Je crois qu'il ne faut pas oublier que la France est déjà en procédure d'infraction pour non-application de la directive sur les eaux résiduaires urbaines. Désormais, nous devrons réfléchir à des moyens de financement durables et appropriés.
Mme Sophie TREMOLET - Il ne faut pas tout miser sur les instruments économiques. Toutefois, on ne peut pas ignorer le comportement du consommateur. Il est important de sortir de l'unique logique de l'investissement. Il n'est pas toujours nécessaire de mobiliser des budgets considérables. Il faut également minimiser les pertes. C'est uniquement en responsabilisant et en confrontant le consommateur au coût réel du service de l'eau que nous parviendrons à l'inciter à modifier son comportement.
M. Jacques OUDIN - Au sein du Cercle français de l'eau, nous travaillons selon trois orientations. Tout d'abord, nous encourageons la circulation d'information sur l'eau, trop souvent lacunaire. Ensuite, nous estimons qu'il est nécessaire de faire participer la population aux décisions sur l'eau. Enfin, nous sommes convaincus de la nécessité des investissements. Eux seuls permettront de répondre aux besoins actuels afin respecter les objectifs européens.
Mme Sylvie MAYER , conseiller régional Ile-de-France - De toute évidence, de nombreux investissements vont s'avérer nécessaires. Toutefois, il me semble que nous devrions les envisager autrement. En effet, nous raisonnons sur les investissements comme s'ils devaient être financés sur une seule génération. Peut-être devrions-nous chercher des instruments de financement à plus long terme. A ce titre, ne peut-on pas impliquer davantage les systèmes bancaires et d'assurance ?
M. Jacques OUDIN - Votre remarque est particulièrement intéressante, d'autant plus qu'il était initialement prévu qu'un intervenant de DEXIA-Crédit Local de France, partenaire du Cercle français de l'eau, vienne s'exprimer sur ce sujet. Il est vrai qu'une nouvelle ingénierie financière doit être lancée. Les équipements financés au nom de la politique de l'eau sont des équipements de long terme. Ils méritent un mode de financement approprié.