2. ... son échec provient essentiellement d'une pratique restrictive...
Les dispositions pluriannuelles prévues par l'ordonnance de 1959 et relatives aux dépenses d'investissement n'ont pas été utilisées de manière efficace, ni de manière conforme à l'esprit de l'ordonnance organique.
L'absence de limitation de la durée de validité des autorisations de programme a entraîné l'existence d'autorisations de programme dites " dormantes " , c'est à dire non utilisées depuis plusieurs années, mais toujours valides juridiquement. Cette situation a été fréquemment dénoncée dans les rapports de la Cour des comptes. Désormais, ces autorisations de programme " dormantes " semblent faire régulièrement l'objet d'annulations dès lors que quatre années sans engagement des crédits correspondants se sont écoulées.
Les autorisations de programme ont également été détournées de leur logique initiale en étant régulées par les crédits de paiement . Elles ne sont pas utilisées souvent comme un instrument de programmation et d'engagement des dépenses sur plusieurs années. Elles ne fournissent alors qu'une information relative aux crédits de paiement nécessaires, dans les années ultérieures, pour le financement des dépenses d'investissement.
Malgré cette utilisation limitée et insuffisante des autorisations de programme, votre commission considère qu'elles demeurent un bon outil de programmation et de suivi des opérations d'investissement. Elle suggère donc de ne modifier ce système qu'à la marge, appelant, pour le reste, à une meilleure pratique, afin que se mette en place une véritable dimension pluriannuelle des finances publiques.
3. ... et s'est prolongé par l'insuccès des autres tentatives pour développer la dimension pluriannuelle des finances publiques
a) Les lois de programme et les contrats de plan
L'ordonnance organique de 1959 ne permet pas d'engager des dépenses pluriannuelles hors les autorisations de programme. Cependant, les gouvernements successifs ont créé ou utilisé plusieurs instruments afin d'introduire une programmation budgétaire de moyen terme et d'introduire une dimension pluriannuelle dans l'attribution des crédits.
Les lois de programme, prévues par l'article 34 de la Constitution, " déterminent les objectifs de l'action économique et sociale de l'Etat ". Elles contiennent des prévisions d'autorisations de programme pour plusieurs années. Les lois de programmation constituent une variante de cet instrument, en étendant les prévisions pluriannuelles aux crédits de paiement.
Force est de constater que la programmation des dépenses prévue par ces lois s'est généralement réduite à un simple effet d'affichage . Depuis 1960, en France, et à l'instar de nombreux autres pays, des lois de programmation militaire déterminent pour plusieurs années (en général, cinq ans) les dépenses d'équipement militaire. Or, le bilan de l'exécution de ces lois de programmation militaire dresse le constat de la faible portée de leurs dispositions. En particulier, au cours de la décennie écoulée, l'objectif de réduction du déficit budgétaire a provoqué chaque année de nombreuses annulations de crédits d'équipement du ministère de la défense. Dans un rapport 9 ( * ) , la Cour des comptes constate que " le montant des crédits effectivement disponibles pour le paiement des dépenses en capital n'a qu'un lointain rapport avec celui des crédits ouverts en loi de finances initiale, et, plus encore, avec celui des crédits annoncés lors de la présentation au Parlement ".
Caricaturant à peine, on peut dire que la pluriannualité est devenue une sorte d'outil de communication permettant au gouvernement de rechercher de simples effets d'annonce.
Les contrats de plan Etat-région sont un autre instrument utilisé par l'Etat afin de prendre en compte la dimension pluriannuelle de ses engagements financiers dans le cadre de financements croisés avec les collectivités territoriales. Si ces contrats sont généralement peu affectés par la régulation budgétaire, l'Etat n'est cependant pas lié par le montant et l'échéancier des crédits qu'il inscrit dans ces contrats. Il peut modifier en cours d'exécution les modalités de sa participation financière. Ainsi, il a décidé notamment de prolonger d'une année les contrats de plan prévus initialement pour la période 1994-1999. Une telle décision révèle une conscience faible de l'Etat quant à la portée de ses engagements.
Il est hautement souhaitable de clarifier une situation qui, actuellement, est confuse. Il ne saurait être reproché au gouvernement de manquer à un engagement dès lors que le manquement résulterait du refus du Parlement de voter les crédits nécessaires. En revanche, le Parlement ne saurait être tenu pour responsable de ne pas voter ces crédits dès lors que le gouvernement, qui connaît précisément les engagements de l'Etat, ne les lui propose pas. Il serait utile qu'un " jaune " déposé suffisamment tôt récapitule chaque année les différents crédits nécessaires à la couverture des engagements de l'Etat et explique, le cas échéant, pourquoi de tels crédits ne sont pas inscrits dans le projet de loi de finances.
b) La loi d'orientation quinquennale relative à la maîtrise des finances publiques
Pour la mise en oeuvre d'une stratégie budgétaire de moyen terme dans la perspective du respect des critères de convergence de Maastricht, une loi d'orientation quinquennale relative à la maîtrise des finances publiques a été votée le 24 janvier 1994 10 ( * ) . Cette loi fixait un échéancier volontariste pour le redressement des finances publiques, et s'accompagnait d'un rapport sur les orientations budgétaires de la France à moyen terme.
Cette loi disposait que chaque projet de budget devait être présenté avec " un rapport présentant une projection quinquennale du budget de l'Etat pour l'année du projet de loi de finances et les années suivantes ". Une telle loi quinquennale était une initiative intéressante. Elle est restée inappliquée.
Ce qu'une loi ordinaire peut faire une autre loi ordinaire peut le défaire. C'est pourquoi la prise en compte de la pluriannualité n'a d'avenir que si elle figure dans la loi organique.
* 9 " La gestion budgétaire et la programmation au ministère de la défense ", juin 1997.
* 10 Loi n° 94-66 d'orientation quinquennale relative à la maîtrise des finances publiques.