II Les projets évolutionnaires en cours
Deux
tendances se font jour :
La course à la puissance
débouche sur des produits de
1300 MWe, voire plus, difficilement exportables dans des pays autres
qu'industrialisés car les réseaux électriques des pays en
voie de développement ne peuvent pas absorber de telles puissances.
Mais, l'augmentation de puissance améliore la
compétitivité des centrales nucléaires puisque
l'investissement représente les deux tiers du coût de
l'électricité produite.
Si cette évolution est un facteur de réduction des coûts,
la nécessité de disposer à l'exportation de
réacteurs de moyenne puissance conduit à une volonté de
simplification des systèmes et à la recherche de solutions
innovantes pour les 600 MWe
. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les
premiers accords qui ont donné naissance à NPI prévoyaient
une puissance de 600 MWe et ne concernaient que l'exportation, mais je
suis de plus en plus perplexe sur la compétitivité des
réacteurs de 600 MWe.
Le tableau ci-après illustre cette situation.
Quelques exemples de projets de réacteurs refroidis par eau
Réacteurs de forte puissance
ABWR mis au point par General Electric Co (GE), Etats-Unis d'Amérique,
avec Hitachi & Toshiba (Japon)
APWR mis au point par Westinghouse (W), Etats-Unis d'Amérique, avec
Mitsubishi (Japon)
BWR 90 mis au point par ABB Atom (Suède)
EPR mis au point par Nuclear Power International (NPI), coentreprise de
Framatome (France) et de Siemens (Allemagne)
System 80+ mis au point par ABB Combustion Engineering Nuclear Power
(Etats-Unis d'Amérique)
VVER-1000 (V-392) mis au point par Atomenergoproject et Gidropress (Russie)
Réacteurs de moyenne puissance
AP-600 REP doté de systèmes de sûreté passive
améliorés -- mis au point par
Westinghouse (Etats-Unis d'Amérique)
AC-600 REP doté de systèmes de sûreté passive
améliorés -- mis au point par
China National Nuclear Corporation
MS-600 REP doté d'un système de sûreté de type
" hybride " -- mis au point
par Mitsubishi (Japon)
SBWR REP doté de systèmes de sûreté passive
renforcés -- mis au point par
GE (Etats-Unis d'Amérique) (abandonné depuis mars 1991)
VVER-500/600 (V-407) REP doté de systèmes passifs
-- mis au point par
Atomenergoproject et Gidropress (Russie)
ISIS REP de type innovant, révolutionnaire -- mis au point
par Ansaldo
(Italie)
PIUS REP de type innovant, révolutionnaire -- mis au point
par ABB Atom
(Suède)
SPWR REP de type innovant, révolutionnaire -- mis au point
par JAERI et
IHI (Japon)
VPBER-600 REP de type innovant, révolutionnaire -- mis au
point par OKMB
(Russie)
Un bref panorama de la situation de l'industrie nucléaire mondiale
suffit pour illustrer cette situation confuse :
-- Aux Etats-Unis
, quatre modèles de réacteurs ont
fait l'objet de demandes de certificats sur la base de programmes lancés
au début des années 80.
Ce pays a une procédure de certification (cf. annexe) dont les pays
européens devraient s'inspirer et j'ai le sentiment que cela est
implicitement le cas pour le projet EPR.
Dès qu'un concept est certifié aux Etats-Unis, les tranches
standardisées peuvent être mises sur le marché, et toute
compagnie d'électricité peut commander une centrale avec
l'assurance que les questions générales de conception et de
sûreté ont été résolues. Le régime
d'autorisation prévoit que la compagnie d'électricité
demande une seule autorisation pour construire et exploiter une nouvelle
centrale, à condition que celle-ci soit construite selon les
spécifications préapprouvées (j'ai déposé
une proposition de loi allant dans ce sens (cf. infra.).
Par exemple, les projets définitifs de deux grandes centrales
évolutionnaires - le " System 80+ " de ABB-Combustion
Engineering et le REB avancé de General Electric - ont
été approuvés en 1994, et le certificat de la NRC leur a
été délivré en mai 1997. La NRC examine
actuellement le dossier du réacteur AP-600 de Westinghouse, dont
l'approbation devrait intervenir prochainement. Le REB simplifié de 600
MWe de General Electric a aussi été examiné jusqu'au
milieu de l'année 1996, mais la société a
abandonné les travaux sur ce modèle pour se tourner plutôt
vers une tranche de puissance plus élevée, ce qui conforte
l'opinion défendue par EDF de la nécessité
d'accroître la puissance des réacteurs pour être
compétitif. La compagnie d'électricité de Taiwan a
récemment retenu le modèle de REB avancé de General
Electric pour ses deux nouvelles centrales, qui devraient entrer en service en
2004 car Taiwan s'est doté depuis 1968 de six réacteurs, qui
représentent 29 % de la production d'électricité.
L'AP-600 est particulièrement intéressant à étudier
car il est dit " passif ". Cela signifie qu'il utilise des
mécanismes naturels, tels que les lois de la gravité, qui le
dispensent de la présence de diesel pour assurer les fonctions de
sauvegarde.
En outre, il présente des caractéristiques séduisantes
telles que l'intégration des pompes primaires dans le fond des
générateurs de vapeur, ce qui simplifie le fonctionnement du
circuit primaire. De plus, une défaillance du système
d'évacuation de la puissance résiduelle serait palliée par
une circulation d'air autour de l'enceinte et un ruissellement d'eau
prévu à cet effet, l'enceinte de confinement jouant un rôle
analogue à celui d'un radiateur. Toutefois, l'enceinte n'est pas
dotée d'une double paroi, ce qui relativise l'avantage
précédent car, en cas de fuite de l'enceinte, il existe un risque
sérieux de dommage à l'environnement.
La principale faiblesse de ce réacteur est économique car la
compétitivité d'une centrale nucléaire de 600 MWe est loin
d'être établie.
Les difficultés de l'industrie américaine proviennent du fait
que les Etats-Unis ne construisent plus de centrales, mais leur exemple montre
que des centrales peuvent être construites en l'absence d'une tête
de série dans le pays d'origine.
-- En Suède et en Finlande
. En Suède, ABB Atom, en
collaboration avec l'électricien finlandais Teollisuuden Voima Oy (TVO),
développe le BWR-90, qui est une version améliorée des
Réacteurs à eau bouillante (REB) déjà en service
dans les deux pays. Si la Suède a abandonné l'énergie
nucléaire, la construction d'un cinquième réacteur en
Finlande est régulièrement évoquée, piste qui peut
être intéressante pour le projet EPR (cf. infra).
-- En Fédération de Russie.
La
Fédération de Russie travaille sur le V-392, version
améliorée du VVER-1000, et une autre version est à
l'étude avec la collaboration de la société finlandaise
Imatran Voima Oy (IVO). Sont également à l'étude un
réacteur de taille moyenne, le VVER-640 (V-407), concept
évolutionnaire avec des systèmes de sauvegarde passifs, et le
VPBER-600, qui est un concept intégré plus innovant. La
construction de la première tranche du VVER-640 devait commencer en
1997, à Sosnovy Bor. La construction de deux VVER de 1000 MWe fait
l'objet de pourparlers avec la République populaire de Chine. Le
ministère de l'Energie atomique de Russie souhaite mettre en service une
série de nouveaux réacteurs pour faire passer la puissance
installée de 20 000 MWe à 35 000 MWe, en
2010. L'existence de ce programme ne doit pas faire oublier les
problèmes de sécurité existant sur les réacteurs
actuellement en service. Mais l'importance de son programme permet
peut-être d'envisager une collaboration avec la Russie sur le projet EPR.
Toutefois, les conditions qui pourraient être requises pour la
construction d'un EPR dans ce pays ne sont pas encore définies, en
particulier l'importance des adaptations aux pratiques et aux normes russes
ainsi que le niveau de la participation de son industrie et de son
ingénierie.
-- En République de Corée.
En République de
Corée, un projet de REP avancé de
4 000 mégawatts thermiques (Mwth), le " réacteur
coréen de la nouvelle génération ", a
été initié en 1992. L'étude est
réalisée par la Société d'énergie
électrique de Corée (KEPCO) avec l'appui de l'industrie
nucléaire du pays. L'objectif est de terminer l'étude
détaillée d'ici à l'an 2000 ; douze réacteurs
en fonctionnement assurent 36 % de la production
d'électricité et de nouvelles tranches sont en construction.
-- En Chine.
En Chine, l'Institut de l'énergie
nucléaire (Chengdu) est en train de mettre au point le réacteur
avancé AC-600 qui intègre des systèmes de
sûreté passifs pour évacuer la chaleur. Pour le moment, la
Chine importe l'essentiel de ses centrales nucléaires, en particulier de
Framatome, mais les transferts de technologie en cours permettront à la
Chine d'obtenir dans quelques années son autonomie technologique. Il est
évident, aujourd'hui, que la Chine sera l'un des grands pays producteurs
d'électricité d'origine nucléaire du XXIè
siècle.
-- Au Japon.
Un grand REP évolutionnaire de 1350 MWe est
développé par les compagnies d'électricité et les
industriels. La construction d'une tranche de deux réacteurs est
prévue sur le site de Tsuruga. En outre, l'étude d'un REB
avancé a commencé en 1991 et comprend le développement
d'un réacteur de référence de 1500 MWe. D'autres
programmes de développement en cours concernent un REB et un REP
japonais simplifiés ; les vendeurs et les compagnies
d'électricité participent à ces projets. L'Institut de
recherche sur l'énergie atomique du Japon (JAERI) étudie des
modèles de réacteurs avancés refroidis par eau, en
s'intéressant plus particulièrement aux systèmes de
sauvegarde passifs. Il s'agit du réacteur à sûreté
passive du JAERI et du REP à systèmes intégrés. Il
faut noter que l'énergie nucléaire représente 33 % de
l'électricité nationale et qu'il est prévu de construire
20 réacteurs d'ici à 2010 ; la part de l'énergie
d'origine nucléaire devrait représenter 40 % du total d'ici
à 20 ans.
-- Au Canada.
Le programme courant d'étude et de
développement des réacteurs à eau lourde, au Canada, vise
à renforcer de manière " évolutionnaire " la
performance et la sûreté des 21 tranches nucléaires en
service. Deux nouveaux réacteurs CANDU-6 de 715 MWe, comprenant des
améliorations par rapport aux versions précédentes, sont
en construction à Qinshan (Chine). Des études techniques en amont
se poursuivent sur le CANDU-9 de 935 MWe, qui est une adaptation des tranches
en service à Darlington (Canada). D'après l'enquête sur la
conformité réglementaire du CANDU-9, que la Commission canadienne
de sûreté nucléaire a terminée en janvier 1997, le
réacteur répond aux prescriptions nationales d'autorisation.
D'autres études sont en cours et portent sur des versions
avancées de ces réacteurs en vue d'intégrer d'autres
caractéristiques évolutionnaires et d'augmenter la puissance du
gros modèle jusqu'à 1300 MWe. Il faut noter que les centrales de
type CANDU à eau lourde pressurisée permettent le rechargement
pendant le fonctionnement, mais je suis très réservé sur
l'exportation de cette technologie qui me paraît particulièrement
proliférante.
-- En Inde.
L'Inde est en train de développer un
réacteur à eau lourde de 500 MWe qui intègre
l'expérience des centrales de 200 MWe de conception indienne qui
sont en service dans le pays. Mais les problèmes de prolifération
d'armes nucléaires risquent d'obérer les coopérations
internationales avec ce pays ; son attitude lors des récents essais
nucléaires ne peut que conduire les autres pays à boycotter toute
coopération dans ce domaine.