D. UN STATUT À COMPARER AVEC CELUI DES AUTRES RÉGIONS ULTRAPÉRIPHÉRIQUES EUROPÉENNES
Dans le
cadre de ses réflexions sur une éventuelle évolution
statutaire des départements d'outre-mer, votre rapporteur a jugé
intéressant de comparer leur statut avec celui des Açores, de
Madère et des Canaries, qui bénéficient, au regard du
droit communautaire, du même régime juridique particulier aux
régions ultrapériphériques.
Les éléments de comparaison qui suivent sont tirés de
l'étude de législation comparée relative au statut des
îles européennes récemment élaborée par le
service des Affaires européennes du Sénat
8(
*
)
.
1. Le statut des Açores et de Madère
Les
archipels portugais des Açores et de
Madère
9(
*
)
bénéficient de statuts particuliers d'autonomie fondés sur
l'article 6 de la Constitution portugaise, aux termes duquel :
"
Les archipels des Açores et de Madère constituent des
régions autonomes
dotées de statuts politiques et
administratifs, et d'organes de gouvernement qui leur sont propres.
"
Les lois organiques du 1
er
juin 1976 et du
5 août 1980 ont approuvé respectivement les statuts des
régions autonomes de Madère et des Açores. La seconde a
été modifiée en 1987 puis en 1998, tandis qu'une loi de
1991 a approuvé un nouveau statut pour Madère. Celui-ci a ensuite
été modifié en 1999.
Dans les "
matières intéressant spécifiquement
les régions
", les régions autonomes disposent de trois
catégories de
compétences législatives
:
- la compétence exclusive : l'assemblée
régionale ne peut légiférer de façon autonome que
dans la mesure où elle ne contredit pas les lois nationales et où
ni le Parlement national, ni le Gouvernement national ne disposent de
compétences exclusives ;
- la compétence dérivée : le Parlement
national peut autoriser les régions autonomes à déroger
aux lois nationales dans la mesure où ni lui, ni le Gouvernement
national ne disposent de la compétence exclusive ;
- et la compétence d'adaptation : les régions
autonomes peuvent préciser, en fonction de leur intérêt
spécifique, les lois qui posent les principes fondamentaux dans les
matières qui ne sont pas réservées à la
compétence du Parlement national, et dans les domaines de la
sécurité sociale et du service national de santé, de la
protection de la nature et du patrimoine culturel, des loyers urbains et des
baux ruraux, de la politique agricole, de la fonction publique et du statut des
entreprises publiques.
Or, les "
matières intéressant spécifiquement
les régions
", dans lesquelles les régions autonomes
peuvent donc éventuellement avoir une compétence
législative, sont très variées puisqu'elles
concernent :
- dans le domaine culturel : le sport, l'enseignement, la gestion
et la valorisation du patrimoine culturel, les spectacles, les musées,
bibliothèques et archives ;
- dans le domaine social : le travail, l'emploi et la formation
professionnelle, la politique démographique ;
- dans le domaine administratif : l'organisation de
l'administration régionale, le contrôle des collectivités
locales, la direction et le contrôle des services et entreprises publics
qui exercent leur activité dans la région, les statistiques
régionales ;
- dans le domaine économique : le tourisme et
l'hôtellerie, les ressources hydrauliques, minérales et
l'énergie produite localement, l'artisanat, le développement
économique, industriel et commercial, l'agriculture et l'élevage,
les investissements étrangers et les transferts de technologie ;
- en matière d'aménagement et de transports : les
infrastructures et les transports de toute nature, la bande
côtière, l'aménagement du territoire, l'urbanisme et le
logement ;
- ainsi que toute question concernant exclusivement la région.
En ce qui concerne les
relations internationales
, les régions
autonomes peuvent participer à la négociation des traités
et accords internationaux qui les concernent directement (par exemple, les
accords relatifs au droit maritime, à la pêche, à
l'utilisation de la zone économique exclusive ou à la navigation
aérienne) ; en outre, depuis 1989, elles peuvent participer
à des organisations de coopération inter-régionale.
Les statuts de Madère et des Açores affirment le principe
d'
autonomie financière
des deux archipels, par ailleurs garanti
par la Constitution. Chacune des deux régions approuve son budget et
dispose des recettes principales suivantes : impôts et taxes
perçus sur son territoire (y compris droits de douane), emprunts, aides
de l'Etat conformément au principe de solidarité nationale, et
aides européennes.
Les deux archipels sont administrés chacun par une
assemblée
régionale
élue au suffrage universel qui exerce le pouvoir
législatif, vote le budget et contrôle le pouvoir exécutif,
exercé par un
gouvernement régional
responsable devant
l'assemblée régionale.
Il est à souligner que la Constitution portugaise interdit aux
régions autonomes d'établir des restrictions à la
circulation des personnes et des biens entre ces régions et le reste du
territoire national (sauf en ce qui concerne les biens en cas de mesures
dictées par des exigences sanitaires), ou de réserver l'exercice
d'une profession ou l'accès à la fonction publique à des
personnes nées ou domiciliées dans la région.
2. Le statut des îles Canaries
Les
îles Canaries
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*
)
constituent une "
communauté autonome
" reconnue
par l'article 143 de la Constitution espagnole, au même titre que
les autres régions espagnoles.
Cependant, compte tenu de leur forte identité, elles se sont
dotées, à la différence de certaines autres
régions, d'un statut particulièrement complet.
Sous réserve de respecter la législation nationale dans les
domaines de compétence exclusive de l'Etat
11(
*
)
, la communauté autonome des
îles Canaries peut exercer des
compétences législatives
et réglementaires
dans de très nombreuses matières,
à savoir :
- dans le domaine culturel : l'aide à la recherche
scientifique et technique et à l'enseignement, la culture et la
protection du patrimoine, le sport et les loisirs ;
- dans le domaine social : l'assistance sociale ;
- dans le domaine administratif : les institutions de la
communauté autonome et de ses organismes, les limites des communes ;
- dans le domaine économique : l'agriculture et
l'élevage, les ressources hydrauliques, l'artisanat, les foires et
marchés, le tourisme, les statistiques d'intérêt
régional, les casinos, jeux de hasard et paris, la publicité,
l'industrie et le commerce, les appellations d'origine ;
- dans le domaine de l'aménagement et des transports :
l'urbanisme et le logement, les transports d'intérêt
régional, l'aménagement du territoire, les travaux publics ;
- dans le domaine de l'environnement : les espaces naturels
protégés, la chasse et la pêche en eau douce.
En outre, la communauté autonome dispose d'une compétence
d'adaptation et d'exécution de la législation nationale dans un
certain nombre d'autres matières telles que :
- l'enseignement ;
- la presse, la radiodiffusion, la télévision et les autres
moyens de communication ;
- les forêts ;
- l'énergie et les mines ;
- la pêche maritime ;
- la protection de l'environnement ;
- la législation du travail et la sécurité
sociale ;
- l'hygiène et la santé.
Par ailleurs, en ce qui concerne les
relations internationales
, le
statut des Canaries prévoit, d'une part, la présence de
représentants de l'archipel dans les délégations
espagnoles participant à des négociations européennes
particulièrement importantes pour lui et, d'autre part, son information
sur toute négociation internationale le concernant.
Comme les autres communautés autonomes, l'archipel des Canaries jouit de
l'
autonomie financière
pour développer et exercer ses
compétences. Il peut lever ses propres impôts et taxes et
bénéficie par ailleurs d'une part des impôts nationaux
perçus sur son territoire, ainsi que de subventions de l'Etat.
La communauté autonome des Canaries est administrée par une
assemblée régionale
qui détient le pouvoir
législatif, vote le budget et contrôle un
exécutif
responsable devant elle, qui peut comprendre jusqu'à 11 membres.
Au terme de ce rapide panorama, on constate que
les régions
ultrapériphériques espagnoles et portugaises jouissent d'une
beaucoup plus large autonomie que les départements d'outre-mer
français
,
ce qui ne les empêche pas de
bénéficier de l'intégration européenne et des fonds
correspondants
.
Il en est d'ailleurs de même des
régions italiennes à
statut spécial
:
Sicile
,
Sardaigne
,
Trentin-Haut Adige
,
Frioul
-
Vénétie julienne
et
Val d'Aoste
, bien qu'elles ne constituent pas des régions
ultrapériphériques au sens du droit européen. En effet,
ces régions bénéficient, en application de
l'article 116 de la Constitution italienne, de "
conditions
particulières d'autonomie d'après des statuts spéciaux
adoptés par des lois constitutionnelles
". De même que
les Açores, Madère ou les Canaries, ces régions se sont vu
reconnaître par le législateur national des compétences
exclusives, pour lesquelles elles détiennent les pouvoirs
législatif et réglementaire ; elles sont néanmoins
intégrées à l'Union européenne et
bénéficient donc des fonds structurels comme des régions
de droit commun.