N°
341
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 16 mai 2000
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de loi, MODIFIÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN DEUXIÈME LECTURE, relative à la protection des trésors nationaux et modifiant la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane,
Par M.
Serge LAGAUCHE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Adrien Gouteyron, président ; Jean Bernadaux, James Bordas, Jean-Paul Hugot, Pierre Laffitte, Ivan Renar, vice-présidents ; Alain Dufaut, Ambroise Dupont, André Maman, Mme Danièle Pourtaud, secrétaires ; MM. François Abadie, Jean Arthuis, André Bohl, Louis de Broissia, Mme Claire-Lise Campion, MM. Jean-Claude Carle, Gérard Collomb, Xavier Darcos, Fernand Demilly, André Diligent, Jacques Donnay, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Léonce Dupont, Daniel Eckenspieller, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Jean-Noël Guérini, Marcel Henry, Roger Hesling, Pierre Jeambrun, Roger Karoutchi, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Mme Hélène Luc, MM. Pierre Martin , Jean-Luc Miraux, Philippe Nachbar, Daniel Percheron, Jean-François Picheral, Guy Poirieux, Jack Ralite, Victor Reux, Philippe Richert, Michel Rufin, Claude Saunier, René-Pierre Signé, Jacques Valade, Albert Vecten, Marcel Vidal.
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les numéros
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Patrimoine. |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
L'Assemblée nationale a adopté, le 4 avril dernier, en
deuxième lecture, la proposition de loi relative à la protection
des trésors nationaux et modifiant la loi n° 92-1477 du 31
décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines
restrictions de circulation et à la complémentarité entre
les services de police, de gendarmerie et de douane, modifiée par le
Sénat le 21 mars dernier.
La navette a permis que s'établisse dans des délais satisfaisants
un dialogue fructueux entre les deux assemblées, dialogue inspiré
par le souci d'assurer une protection plus efficace du patrimoine national.
Votre rapporteur ne pourra que s'en féliciter.
A l'issue de son examen en deuxième lecture par l'Assemblée
nationale, seuls deux des neuf articles de la proposition de loi restent en
discussion :
- l'article 2 qui modifie les dispositions de l'article 7 de la loi du
31 décembre 1992 afin d'améliorer la procédure de
délivrance du certificat nécessaire pour exporter un bien
culturel ;
- et l'article 5 qui introduit dans la loi de 1992 un dispositif
destiné, à titre principal, à faciliter l'acquisition par
l'Etat des " trésors nationaux "
1(
*
)
.
On rappellera que la proposition de loi visait essentiellement à
remédier aux lacunes du dispositif de contrôle des exportations de
biens culturels prévu par la loi du 31 décembre 1992, que la
jurisprudence dite " Walter " avait privé, pour une grande
part, de son efficacité, en neutralisant la possibilité pour
l'Etat au terme de la durée de validité du refus de certificat de
classer un bien considéré comme un " trésor
national ".
En effet, en dehors du cas où une décision de classement est
prise -solution qui dorénavant est de fait écartée-
l'article 9 de la loi de 1992 dans sa rédaction actuelle ne permet pas
de renouveler le refus de certificat. La seule possibilité pour retenir
l'oeuvre sur le territoire national est l'acquisition par les
collectivités publiques, dans les limites des ressources
budgétaires disponibles, et à condition que le
propriétaire accepte de la vendre à l'Etat.
Or faute notamment d'une procédure permettant l'évaluation de
l'oeuvre, la logique de la loi de 1992 place l'Etat à la merci d'un
refus de son propriétaire de s'en dessaisir.
Afin de remédier à cet inconvénient, l'article 5 de la
proposition de loi introduit dans la loi de 1992 un article 9-1 nouveau
qui prévoit une procédure d'acquisition des " trésors
nationaux " : en l'absence d'accord entre l'Etat et le
propriétaire, le prix de l'oeuvre est fixé par des experts. Si le
propriétaire refuse l'offre que lui adresse l'Etat à ce prix, le
refus de certificat peut alors être renouvelé.
Au-delà, le Sénat avait souhaité limiter l'incidence du
dispositif de contrôle des exportations de biens culturels sur le
fonctionnement du marché de l'art en assouplissant ses procédures
et en renforçant sa transparence.
Ainsi l'article premier allonge la durée de validité des
certificats et exonère les biens importés à titre
temporaire de la procédure de délivrance du certificat.
L'article 2 prévoit une composition élargie de la commission
chargée d'émettre un avis sur les décisions
ministérielles de refus de certificat ainsi que la publication de ses
avis ; de plus, il supprime la possibilité de classer les oeuvres
importées depuis moins de cinquante ans au titre de la loi du
31 décembre 1913 sur les monuments historiques. Enfin,
l'article 4 réduit le délai de validité du refus de
certificat à trente mois.
•
L'Assemblée nationale
a approuvé, en
première lecture, l'essentiel du dispositif adopté par le
Sénat.
En effet, si elle a supprimé les dispositions introduites par le
Sénat à l'initiative de votre commission des finances
2(
*
)
, elle a porté une
appréciation favorable sur la procédure d'acquisition
prévue par le Sénat comme sur les mesures de simplification des
procédures de contrôle des exportations d'oeuvres d'art.
Certaines modifications apportées par l'Assemblée nationale ont
pu préciser utilement le texte du Sénat, à l'image des
dispositions relatives à la prise en charge des frais d'expertise.
Par ailleurs, deux articles additionnels ont été introduits sur
proposition du gouvernement : l'un supprime le visa d'exportation pour les
films cinématographiques (article 6 bis) et le second procède
à une réforme des statuts du centre national d'art et de culture
Georges-Pompidou (article 6 ter).
• En deuxième lecture,
le Sénat
tout en adoptant
conformes trois des huit articles en navette a souhaité en revenir
à son texte de première lecture sur plusieurs points.
A l'article 2, le Sénat a rétabli la disposition qui
prévoit la publication des avis de la commission consultée
lorsque le ministre de la culture envisage de refuser un certificat,
disposition destinée à conférer une plus grande
autorité aux avis de cette instance, que l'Assemblée nationale
avait supprimée.
A l'article 5, le Sénat, sur proposition de votre commission des
affaires culturelles, a réintroduit deux éléments de
souplesse dans la procédure d'acquisition des trésors
nationaux qu'il avait prévu en première lecture. Il
s'agissait, en premier lieu, de la faculté pour le propriétaire
d'une oeuvre, qui a fait l'objet d'un renouvellement de certificat, de demander
une nouvelle expertise de son bien, disposition qui était
également guidée par un souci d'équité dans un
domaine où les prix fluctuent. Par ailleurs, a été
rétablie la disposition laissant à l'Etat, dans
l'hypothèse où un propriétaire refuse de se dessaisir de
son bien au prix d'expertise, la responsabilité de décider s'il y
a ou non lieu de renouveler le refus de certificat. Votre commission avait en
effet souhaité, dans ce cas, réserver à l'administration
la possibilité de modifier sa position dans le souci d'introduire dans
la procédure une marge d'appréciation, qui aurait pu notamment
être utilisée pour conduire d'éventuelles
négociations avec des collectionneurs.
En outre, le Sénat a repris la disposition, supprimée par
l'Assemblée nationale, précisant que le renouvellement du refus
de certificat n'ouvrait droit à aucune indemnité. En effet, dans
ces conditions, le silence de la loi sur ce point risquait d'être
interprété par le juge en sens contraire. Il y avait alors fort
à craindre que l'Etat ne se trouve dans la même situation que
celle qui prévaut en cas de classement au titre de la loi de 1913, ce
qui revenait à priver le dispositif proposé de toute
efficacité.
• En deuxième lecture, les modifications apportées par
l'Assemblée nationale
n'ont porté que sur l'article 5 et
par coordination sur l'article 2.
L'Assemblée nationale a pris en considération les arguments du
Sénat en ce qui concerne la nécessité de prévoir
explicitement que le renouvellement de refus de certificat n'ouvre pas droit
à indemnisation et s'est ralliée sur ce point à sa
rédaction. Elle a modifié par coordination l'article 2 afin de
préciser également que le refus de certificat, dont les
conditions de délivrance sont prévues par l'article 7 de la loi
de 1992, n'ouvre droit pour les propriétaires à aucune
indemnité.
En revanche, elle a maintenu sa rédaction de première lecture en
ce qui concerne :
- l'étendue des compétences de l'autorité administrative
en cas de refus d'un propriétaire de se dessaisir d'une oeuvre au profit
de l'Etat au prix fixé par les experts ;
- et les conditions dans lesquelles peut être relancée une
procédure d'acquisition après le renouvellement du refus de
certificat.
* L'Assemblée nationale a, en effet, estimé qu'en cas de refus de
vendre à l'Etat, l'automaticité du renouvellement du refus de
certificat s'imposait, le ministre ne pouvant avoir qu'une
compétence liée dans la mesure où celui-ci restait tenu
par la décision reconnaissant au bien le caractère de
trésor national.
Or, telle n'est pas la logique de la loi de 1992 pas plus que celle de la
proposition de loi la modifiant : après un refus de certificat, qui
est au demeurant l'acte qui confère à une oeuvre la
qualité de trésor national, l'Etat peut soit faire une
proposition d'achat qui, si elle est refusée par le propriétaire,
permet au ministre de renouveler le refus, soit, notamment parce qu'il ne
dispose pas des moyens nécessaires à cette acquisition, laisser
le bien sortir, à l'issue d'un délai désormais
réduit à 30 mois, c'est-à-dire, délivrer le
certificat, ce qui a pour effet de lui retirer son caractère de
trésor national.
La rédaction de l'Assemblée nationale a pour seul mérite
d'éviter que l'administration ne soit tentée d'accorder un
certificat à une oeuvre qu'elle aurait eu les moyens d'acquérir,
risque que votre rapporteur croit en réalité très faible.
* En ce qui concerne les conditions dans lesquelles la procédure
d'acquisition peut être relancée après un renouvellement de
refus de certificat, votre commission avait estimé nécessaire que
l'Etat mais aussi le propriétaire -ou plus vraisemblablement ses
héritiers- puissent prendre l'initiative de demander une nouvelle
expertise de l'oeuvre.
La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, quoique
peu claire, doit permettre de répondre à cette
préoccupation. La ministre de la culture ayant précisé
lors des débats que la discussion pouvait être réouverte
"
à l'initiative de chacune des parties
".
• A l'issue de la deuxième lecture par l'Assemblée
nationale, la proposition de loi répond aux objectifs qui avaient
justifié son dépôt sur le bureau du Sénat en
remédiant aux lacunes de la loi du 31 décembre 1992 et en
limitant l'incidence du contrôle des exportations de biens culturels sur
le fonctionnement du marché de l'art.
La navette entre les deux assemblées a permis de préciser ses
dispositions et d'en garantir l'efficacité.
Cependant, votre rapporteur soulignera que la portée de ce texte sera
proportionnelle au montant des crédits d'acquisition inscrits au budget
du ministère de la culture. Or ce montant devra être d'autant plus
élevé que, dans la logique de la loi de 1992, l'Etat doit
acquérir les oeuvres dont il interdit l'exportation aux prix du
marché, ce qui ne le met pas à l'abri d'éventuels
mouvements spéculatifs.
L'opportunité des améliorations apportées par la
proposition de loi au dispositif de 1992 dépendra également de la
capacité des responsables des collections publiques à
atténuer le climat de méfiance qui prévaut entre l'Etat et
les propriétaires. Ce rapprochement est nécessaire pour que la
procédure d'acquisition prévue à l'article 9-1,
inspirée des mécanismes en vigueur en Grande-Bretagne, puisse
produire des effets comparables.
*
* *
Sous réserve de ces observations, votre commission des affaires culturelles vous demande d'adopter la présente proposition de loi sans modification.