II. DES PROPOSITIONS DE RÉSOLUTION PLEINEMENT JUSTIFIÉES PAR LA SITUATION DES PRISONS
La
situation des établissements pénitentiaires français est
actuellement très inquiétante et nécessite un examen
approfondi, afin de dégager des solutions pour que la France se dote
d'un système pénitentiaire plus digne d'un Etat de droit.
La commission des Lois se préoccupe depuis plusieurs années de
l'évolution de l'administration pénitentiaire. En 1999, votre
rapporteur, en tant que rapporteur pour avis sur les crédits de
l'administration pénitentiaire, s'est rendu, en compagnie de Mme Dinah
Derycke et de MM. Robert Bret et Patrice Gélard dans quatre
établissements :
Fleury-Mérogis, Loos-les-Lille, Bapaume
et les Baumettes
. Les délégations ont pu constater la
vétusté de certains locaux et les difficultés
rencontrées par les personnels pour faire fonctionner ces
établissements.
Dans son dernier rapport sur le budget de l'administration
pénitentiaire
1(
*
)
, votre
commission avait fait part de son inquiétude à propos de
l'évolution de l'administration pénitentiaire en émettant
un avis défavorable à l'adoption des crédits malgré
la hausse de ceux-ci. Elle avait en particulier mis l'accent sur :
- la
surpopulation carcérale
: le nombre de personnes
détenues est passé de 36.934 en 1980 à 55.062 en 1996
avant de connaître une légère diminution pour atteindre
52.961 en 1999. Le taux d'occupation atteint 132% dans les maisons
d'arrêt, 44 d'entre elles ayant une densité comprise entre 150 et
200%. La durée de détention moyenne croît
régulièrement et est passée de 4,6 mois en 1980 à
8,3 mois en 1998 ;
- le
nombre élevé de suicides en
détention
;
- l'
insuffisance des contrôles exercés par les
autorités administratives et judiciaires dans les établissements
pénitentiaires
; à l'initiative du rapporteur de la
commission des lois, M. Henri de Richemont, le Sénat vient de
décider, lors de l'examen du projet de loi portant création d'une
commission nationale de déontologie de la sécurité, de
soumettre l'administration pénitentiaire au contrôle de cette
commission ;
- la
situation préoccupante en matière d'alternatives
à l'incarcération
, marquée notamment par le
déclin des mesures de libération conditionnelle et les retards
pris dans l'application de la loi relative au placement sous surveillance
électronique, adoptée en 1997 sur la base d'une proposition de
loi déposée par notre excellent collègue M. Guy-Pierre
Cabanel ;
- la
vétusté d'un grand nombre
d'établissements
pénitentiaires.
Dans son rapport sur les crédits du ministère de la justice pour
2000, notre excellent collègue M.Hubert Haenel a insisté sur la
vétusté du parc pénitentiaire français et a
estimé que " l
es moyens consacrés à l'entretien
des établissements sont insuffisants car ils n'ont pas permis de prendre
en compte la croissance de la population carcérale pendant les deux
dernières décennies, qui est passée de 26.000 en 1975
à 56.000 en 1997
"
2(
*
)
.
La publication récente du livre du médecin-chef de la maison
d'arrêt de la Santé, dont le témoignage est
évoqué dans les deux propositions de résolution soumises
au Sénat a fait suite à plusieurs autres affaires
découvertes tardivement en 1999. Elle a permis à un large public
de prendre conscience de la situation critique que connaissent certains
établissements en ce qui concerne les conditions de détention.
La mise en place d'une commission d'enquête est donc parfaitement
justifiée et bien comprise. Celle-ci pourrait dresser un constat clair
de la situation des établissements et formuler des propositions pour
l'avenir.
En ce qui concerne l'étendue de la mission qui pourrait être
confiée à la commission d'enquête, les deux propositions de
résolution soumises à votre commission diffèrent
légèrement.
La proposition de résolution présentée par MM. Jean
Arthuis, Josselin de Rohan, Henri de Raincourt et Guy-Pierre Cabanel
prévoit que la commission d'enquête serait "
chargée de
recueillir des informations sur la situation des établissements
pénitentiaires en France
".
La proposition de résolution présentée par M. Robert
Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés
prévoit que les travaux de la commission d'enquête porteraient
"
sur les conditions de détention des détenus dans les
maisons d'arrêt, ainsi que sur l'étendue et l'effectivité
des contrôles relevant des autorités judiciaires et
administratives
".
Il est incontestable que les maisons d'arrêt, qui accueillent les
prévenus et les condamnés à de courtes peines ou en fin de
peine, connaissent la situation la plus préoccupante, en raison
notamment de leur taux d'occupation et de la grande vétusté de
certaines d'entre elles. Dans son avis précité sur les
crédits de l'administration pénitentiaire pour 2000, votre
rapporteur notait il y a quelques semaines : "
Il est paradoxal
que les conditions de détention les moins favorables soient
réservées à des personnes présumées
innocentes
"
3(
*
)
.
Il est également exact que la question des contrôles
exercés par les autorités administratives et judiciaires dans les
établissements pénitentiaires est tout à fait essentielle.
Certains incidents révélés au public au cours des derniers
mois peuvent laisser à penser que ces contrôles ne sont pas
suffisants ou qu'ils ne sont pas exercés dans des conditions
satisfaisantes. C'est l'une des raisons qui ont conduit le Sénat
à inclure l'administration pénitentiaire dans le champ de
compétence de la nouvelle commission de déontologie
4(
*
)
.
Dans ces conditions, compte tenu du temps limité dont disposera la
commission d'enquête pour mener à bien ses travaux, il aurait pu
paraître préférable de circonscrire sa mission, comme le
proposait la proposition de résolution présentée par M.
Robert Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Toutefois, il serait sans doute imprudent d'exclure purement et simplement les
établissements pour peine du champ des investigations de la commission
d'enquête. Dans ces conditions, votre commission propose que la
commission d'enquête s'intéresse aux
conditions de
détention dans les établissements pénitentiaires, en
particulier, au regard de la présomption d'innocence, dans les maisons
d'arrêt
. La commission d'enquête devrait s'assurer de
l'étendue et de l'effectivité des contrôles exercés
par les autorités judiciaires et administratives.
En conséquence, votre commission des lois vous propose d'adopter la
proposition de résolution dont le texte est reproduit ci-après.