II. LA PROPOSITION DE LOI ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET LA PROPOSITION DE M. JEAN-FRANÇOIS PICHERAL
A. LE CONTENU DES PROPOSITIONS DE LOI
La
proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale et la
proposition de loi de M. Jean-François Picheral, instituent, au
bénéfice des légionnaires blessés en
opération, qui en font la demande alors qu'ils sont encore
engagés, un
dispositif spécifique
d'acquisition de la
nationalité
par décision de l'autorité publique,
distinct de celui de la naturalisation.
Le texte ne vise pas le terme de légionnaire en tant que tel mais celui
d' "
étranger engagé dans les armées
françaises
". Dans la mesure où la Légion est
actuellement la seule unité où peuvent être engagés
des étrangers, il ne peut s'agir que des légionnaires.
Ce dispositif est réservé aux
légionnaires
blessés
en mission
au cours ou à l'occasion d'un
engagement opérationnel
. Cette formulation vise les
légionnaires ayant été blessés au combat ou lors
d'actions liées au combat mais également ceux blessés lors
de diverses opérations extérieures ou intérieures telles
des missions humanitaires ou le plan vigipirate. Elle exclut les
légionnaires dont la blessure, bien que reçue en service, n'a pas
de lien direct avec un engagement opérationnel.
Ce dispositif est réservé aux légionnaires encore
engagés au moment où ils effectuent la demande. Il ne
s'appliquera pas aux anciens légionnaires.
En revanche, la
blessure
pourra être intervenue avant l'entrée en vigueur
de la loi.
L'acquisition de la nationalité française serait
conférée de manière
quasi-automatique, par
décret
, sur
proposition du ministre de la défense
.
Le ministre chargé des naturalisations ne disposerait donc d'aucune
marge d'appréciation quant à l'opportunité de la demande.
Il en examinerait seulement la recevabilité.
Le ministre de la défense resterait juge de l'opportunité
d'effectuer une proposition. Il pourrait notamment tenir compte du degré
de gravité de la blessure, des conditions dans lesquelles elle aura
été reçue ainsi que de la manière de servir et du
passé de l'intéressé.
Les
enfants mineurs
résidant avec l'intéressé
pourraient bénéficier de l'acquisition de la nationalité
française par l'effet collectif.
Si le
légionnaire décédait
sans avoir pu effectuer
la demande d'acquisition de la nationalité, ces
enfants
pourraient l'effectuer à leur profit. La même procédure
leur serait applicable.
B. UN DISPOSITIF HAUTEMENT SYMBOLIQUE
Ces
propositions présentent un
caractère hautement symbolique
.
Tout en apportant une juste reconnaissance à l'action de la
Légion étrangère au service de notre pays, elles
instituent
un droit à la nationalité pour le
sang
versé
pour la France par les légionnaires.
Près de 38 000 légionnaires ont été
tués au combat depuis 1831, date de création de la Légion,
et plus de 40 000 ont été blessés depuis 1940. La
Légion s'est en effet trouvée en première ligne dans tous
les conflits ayant touché la France, y compris en Indochine et en
Algérie.
Sur le plan des principes, le texte permettra de présumer l'assimilation
du légionnaire blessé. Une réponse du garde des Sceaux,
à une question de M. Georges Sarre, publiée au Journal
officiel du 22 mars 1999, avait en effet profondément ému le
milieu des anciens légionnaires, et en particulier M. Pierre
Messmer, en ce qu'elle énonçait que le Gouvernement devait,
s'agissant de la naturalisation des légionnaires, garder une marge
d'appréciation pour "
vérifier le degré d'attache
avec la France de ces personnes
".
Aura ainsi été réalisé le voeu du caporal
Novakowski grièvement blessé à Sarajevo, qui lors d'une
visite aux Invalides du ministre de la défense, François
Léotard, avait souhaité que la reconnaissance de la Nation
à son égard ne s'exprime pas à travers une
décoration ou de l'argent mais à travers l'acquisition de la
nationalité française, nationalité qu'il a d'ailleurs
obtenue par la suite.
C. UN DISPOSITIF CONSACRANT LE RÔLE D'INTÉGRATION DE LA LÉGION
La
Légion s'attache à jouer un véritable rôle
d'intégration.
Composée à l'heure actuelle de 8159 hommes représentant
plus de 138 nationalités, elle comporte 40% de francophones, cette
proportion tendant à décroître, le recrutement étant
actuellement aux 2/3 non francophone.
Le code d'honneur du légionnaire indique "
chaque
légionnaire est ton frère d'arme, quelle que soit sa
nationalité, sa race, sa religion. Tu lui manifestes toujours la
solidarité étroite qui doit unir les membres d'une même
famille
".
Un effort particulier d'apprentissage du français est mené par la
Légion, conduisant la plupart des non francophones à
maîtriser 600 mots de français à l'issue de la
période d'instruction de quatre mois.
La procédure de recrutement est très rigoureuse, seuls 900
candidats sur 8 500 ayant été sélectionnés en
1998.
Un candidat peut être engagé entre 18 et 40 ans sans justifier de
son identité. En pratique le commandement de la Légion s'attache
à connaître l'identité exacte des candidats mais leur
permet d'emprunter une autre identité s'ils le souhaitent. De nombreuses
personnes en rupture avec leur milieu d'origine peuvent ainsi prendre un
nouveau départ dans l'existence.
La Légion refuse en tout état de cause d'engager les personnes
condamnées pour crime, celles appartenant à des mouvements
terroristes ou celles ayant participé à des trafics de drogue.
D. UN DISPOSITIF QUI AURA DES CONSÉQUENCES PRATIQUES LIMITÉES
Le
premier engagement des légionnaires est d'une durée de cinq ans.
Des demandes de naturalisation sont préinstruites par le commandement de
la Légion au bout de trois ans. Elles sont cependant subordonnées
à la "
rectification d'identité "
de
l'intéressé , celui-ci devant, le cas échéant,
reprendre préalablement son identité d'origine.
Dans les faits, le nouveau dispositif n'apportera pas de modifications
considérables.
Les légionnaires bénéficient déjà à
l'heure actuelle, pour obtenir leur naturalisation, de la dispense de stage
prévue à l'article 21-19 du code civil et de l'assimilation de
résidence en France en application de l'article 21-26 du même
code.
En pratique, la quasi totalité des
demandes de naturalisation
transmises en préfecture après préinstruction par le
commandement font en effet l'objet d'une décision favorable dans des
délais très inférieurs au délai moyen. Depuis 1995,
la proportion de dossiers acceptés a varié entre 96% et 98%. La
décision a été prise la plupart du temps dans un
délai inférieur à un an, au lieu de près de deux
ans dans le cas général. 183 demandes de naturalisation ont
été déposées en 1995, 156 en 1996, 276 en 1997 et
233 en 1998 conduisant respectivement à 177, 150, 265 et 229
décisions favorables.
Au regard de ces chiffres, le nombre de légionnaires qui
bénéficieraient du nouveau dispositif apparaît peu
élevé.
En 11 ans, la Légion a déploré
82 personnes
blessées
dont cinquante étrangers. Seulement
cinq
personnes par an
auraient donc été concernées par le
dispositif prévu. Il ne faut cependant pas oublier que ce nombre
pourrait être malheureusement plus élevé en cas de conflit.
Par ailleurs, rien ne garantit que la procédure actuelle assez souple de
naturalisation des légionnaires ne sera pas en pratique rendue plus
difficile dans l'avenir.
En accord avec le caractère symbolique du texte et constatant que le
dispositif proposé semble répondre aux attentes, tant des
légionnaires en activité que des anciens légionnaires,
votre commission vous proposera de l'adopter sans modification.