b) Un compte aux écritures insatisfaisantes
Un
certain nombre d'opérations de dépenses retracées par le
compte ne devrait pas y figurer
parce qu'elles constituent des subventions
ou des financements destinés à couvrir des pertes ou charges
financières (voir rapport Cour des Comptes sur l'exécution de la
loi de finances pour 1997).
Leur inscription en charges revient à faire financer des dépenses
courantes à partir de ressources tirées de cessions
d'éléments du patrimoine de l'Etat. Les montants concernés
ont atteint 16,9 milliards de francs en 1997, soit près de
30 % des charges.
A l'inverse, certaines opérations ne sont pas retracées par le
compte alors qu'une conception exhaustive devrait prévaloir.
On
peut, en particulier, remarquer l'absence d'inscription des recettes
tirées de la privatisation du Crédit Lyonnais, dont les
justifications manquent en droit (32 milliards de francs de produit net).
De la même manière, les écritures portées au compte
en 1998 peuvent appeler des critiques.
Il est tout à fait anormal que ses opérations aient pu
atteindre le double des prévisions de la loi de finances
. Les
évaluations contenues par celle-ci manquaient manifestement de
sincérité. Cette situation est d'autant plus choquante que le
régime particulier des CAS marginalise l'intervention du Parlement
dès lors que le ministre des finances se voit confier la
prérogative d'ajuster les crédits en cas de plus-values de
recettes sans aucun contrôle parlementaire. Combinée avec la
latitude donnée une fois pour toute de transférer au secteur
privé les entreprises publiques placées sur la liste des
entreprises privatisables, cette situation aboutit à priver le Parlement
de tout pouvoir réel sur la gestion du secteur public et, plus
particulièrement, sur son périmètre.
Ce déficit démocratique est amplifié par des
inscriptions comptables qui ont suscité la critique de la Cour des
Comptes
. Côté recettes, celle-ci a ainsi pu juger que
" la partie recettes de ce compte n'est pas conforme à la
réalité "
, ajoutant que
" la
sous-évaluation des recettes du compte n° 902-24 est d'au
moins 25.000 millions "
et regrettant au surplus que
" des
contractions entre les recettes et les dépenses ont été
opérées en contradiction avec les textes ".
Les critiques de la Cour ont visé plus particulièrement le
traitement des opérations relatives au groupe GAN. L'ensemble de ces
opérations a engendré 34,4 milliards de recettes qui ont
été encaissées par la société centrale du
GAN (GAN SC) qui a dépensé 8,8 milliards de francs afin
d'acquitter la quote-part de la vente du CIC revenant aux filiales de GAN SC
qui détenaient 13 % des parts, de rembourser les prêts
(3,4 milliards) et de régler les frais de privatisation
(408 millions de francs).
Les produits versés à GAN SC sont venus de :
- la cession de la Compagnie financière du CIC et de l'Union
européenne au Crédit Mutuel pour 13,9 milliards ;
- la cession de GAN SA à Groupama pour 19,7 milliards ;
- et de la cession de GAN International pour 477 millions de francs.
La Cour considère que ces recettes auraient du être inscrites sur
le CAS. Elle appuie son jugement sur les considérations suivantes. A
partir du mois d'octobre 1998, l'Etat est devenu l'actionnaire unique de GAN
SC, devenu depuis le 6 octobre de la même année, la
Société de Gestion de Garanties et de Participations (SGGPP).
Cette entité ne saurait être considérée comme se
substituant entièrement à GAN SC puisque son objet est tout
différent. Appelée à gérer les appels en garantie
accordés aux cessionnaires lors des différentes cessions, elle
n'a pas d'activité bancaire ou d'assurances. Dès lors, le
cantonnement des recettes de la privatisation de l'ensemble du groupe GAN dans
la SGGP ne se justifierait pas. Lesdites recettes auraient dû remonter
sur le compte dès la disparition de GAN SC.
Les observations de la Cour paraissent totalement fondées à votre
rapporteur qui relève que le groupe GAN n'appartient plus au secteur
public et ne se survit pas dans la SGGP. L'esprit même de
l'article 71 de la loi de finances pour 1997 qui donne au compte
n° 902-24 la vocation de retracer l'ensemble des opérations de
cessions commandait d'y inscrire le produit des cessions du groupe GAN
dès lors qu'aucune entité ne pouvait sérieusement plus les
accueillir en tant que tête de groupe.
L'affectation du produit des différentes cessions à GAN SC
pouvait sans doute se justifier dans la période intérimaire
où cette société a persisté dans son être
bien qu'elle puisse sembler largement artificielle compte tenu de la nature de
opérations sous revue qui visaient, de fait, à sortir le GAN du
secteur public.
Le maintien, sans autre forme de procès, des recettes issues de ces
cessions dans la SGGP ne se justifie donc pas. Cette dernière structure
joue en fait le rôle d'une structure intermédiaire de
défaisance dont l'utilité est d'ailleurs en cause.
Si l'on avait souhaité instituer une telle structure, il eut
été préférable de procéder plus clairement
et d'adopter une formule semblable à celle choisie dans le cadre du plan
de sauvetage du Crédit Lyonnais par exemple. Il eut fallu inscrire le
produit des cessions en recettes du compte à charge pour lui d'abonder
la SGGP à mesure de ses besoins.
Il reste que le maintien de la SGGP conduit à accentuer
l'opacité qui entoure parfois le niveau des engagements de l'Etat
.
Et c'est aussi à juste titre que la Cour critique l'enregistrement des
dépenses effectuées dans le cadre de l'opération portant
sur le GAN.
A ce titre, la Cour fait d'abord observer que le niveau des garanties
supportées par l'Etat a excédé le montant autorisé
par l'article 40 de la loi de finances rectificative pour 1997 qui avait
été plafonné en principal à 10,9 milliards.
Elle indique que les garanties données en sus ont atteint près de
5 milliards de francs alors qu'aucune autorisation parlementaire n'est
intervenue en de sens. La Cour poursuit en déplorant que ces garanties
n'aient pas été inscrites dans les comptes de classe 8 de la
comptabilité générale de l'Etat et qu'elles ne figurent
pas dans le rapport annuel sur les opérations bénéficiant
de la garantie de l'Etat adressé au Parlement, situation qu'elle estime
anormale.
Ces observations ne sont que la suite logique du choix critiquable de confier
de plus en plus souvent à des structures
" para-étatiques " la gestion de deniers publics sans
contrôle parlementaire.
La multiplication des entités
contrôlées de fait par l'Etat mais juridiquement distinctes de lui
s'accompagne d'une série de débudgétisations qui, pour
être commodes pour l'exécutif, entraînent une dilution des
pouvoirs du Parlement contraire à l'esprit de nos institutions.
On peut se demander au passage si l'une des commodités de la solution
choisie ne consiste pas dans les facilités offertes par une gestion de
trésorerie dans le cadre de la SGGP plutôt que dans le cadre
normal de la gestion de trésorerie par l'Etat. C'est en tout cas la
question qu'amène à se poser le déséquilibre entre
les produits logés dans la SGGP et le niveau de ses engagements qui
s'élèvent respectivement à 25 et 16 milliards de
francs.
A ce propos, le secrétaire d'Etat au budget a en quelque sorte admis les
anomalies constatées par la Cour. Il a en effet annoncé que
l'excédent des ressources de la SGGP serait versé en recettes du
CAS pour une somme qu'il est possible d'estimer à 9 milliards de
francs
129(
*
)
. Compte tenu de la
nature des recettes du CAS qui sont précisément définies,
cette affectation n'est envisageable qu'à condition d'admettre que les
produits qui en sont l'objet ne constituent pas des recettes propres à
la SGGP.
Il serait dans ces conditions plus normal que le CAS retrace l'ensemble des
recettes et des charges de garanties liées au transfert du GAN au
secteur privé.