IV. LES ORIENTATIONS DU GOUVERNEMENT EN FAVEUR DE L'OUTRE-MER
A. L'EMPLOI PUBLIC
1.
L'évolution de la structure des crédits du secrétariat
d'Etat
L'évolution de la structure des crédits du secrétariat
d'Etat à l'outre-mer fait apparaître la priorité dont
bénéficie l'emploi public dans le budget du secrétariat
d'Etat à l'outre-mer. L'augmentation des crédits consacrés
aux emplois-jeunes, 170 millions de francs, est supérieure à
celle de l'augmentation totale des crédits du secrétariat d'Etat,
qui s'élève à 101 millions de francs. Depuis 1998,
les crédits consacrés aux emplois-jeunes ont plus que
doublé, quand bien même seulement les deux tiers des
crédits parviennent à être consommés. En revanche,
la part des dépenses d'investissement régresse.
2. Le statu quo sur la question des sur-rémunérations dans la
fonction publique
Les agents publics bénéficient outre-mer de
rémunérations supérieures à celles versées
en métropole. En premier lieu, les traitements font l'objet d'une
majoration d'environ 40 % dans les départements d'outre-mer, et qui
peut atteindre plus de 80 % dans les territoires d'outre-mer ou en
Nouvelle-Calédonie. En deuxième lieu, les agents
bénéficient d'une indemnité d'éloignement d'environ
douze mois de traitement, étalée sur quatre ans, dans les
département d'outre-mer, et qui atteint dix-huit mois de traitement en
deux ans à Wallis-et-Futuna. En troisième lieu, les agents
publics bénéficient de congés bonifiés,
équivalents à trente-cinq jours supplémentaires en trois
ans. Enfin, à la Réunion, les pensions de retraites sont
majorées de 35 % pour tous les retraités de la fonction publique,
qu'ils aient servi outre-mer ou non.
Le coût de ces sur-rémunérations est évalué
à 8 milliards de francs, dont 53 % à la charge de l'Etat.
Lors de son récent voyage aux Antilles, le Premier ministre a exclu
toute réforme du régime des rémunérations dans la
fonction publique. Pourtant, dans son rapport remis au secrétaire d'Etat
à l'outre-mer, M. Bertrand Fragonard, conseiller-maître
à la Cour des comptes, considère que ces sommes pourraient
être mieux utilisées, notamment dans le cadre de politiques en
faveur de l'emploi.
Outre les économies susceptibles d'être réalisées,
ce rapport estime également que la réforme du régime des
sur-rémunérations permettrait de mettre un terme aux
inconvénient de ce système. Votre rapporteur reproduit ci-dessous
un extrait du rapport Fragonard :
" Un enjeu économique
Pour certains de nos interlocuteurs, l'importance des
sur-rémunérations dans la sphère publique pèse sur
les prix et exerce une influence à la hausse des
rémunérations dans le secteur privé, notamment dans
l'encadrement intermédiaire. Il est très vraisemblable qu'elles
dissuadent les employeurs publics -et l'Etat ne fait pas exception- de recruter
à hauteur des besoins, comme s'ils récupéraient
partiellement en effectifs le surcoût unitaire de leurs agents. Constater
que ces sur-rémunérations se diffusent dans l'économie des
DOM et font " tourner la machine " en entretenant la consommation ne
suffit pas à les rendre acceptables : une partie de ce pouvoir
d'achat est recyclé sur la métropole sous forme d'importations ou
d'épargne, et il va de soi qu'il n'est dans l'intention de personne
d'exercer une pression déflationniste en supprimant 8 milliards de
francs injectés dans les DOM. La vraie question est d'apprécier
l'intérêt respectif du système actuel et des
systèmes alternatifs à enveloppe constante.
Un enjeu politique
L'éclatement de la société des DOM entre un secteur
à garantie d'emploi et forte rémunération et un secteur
exposé à salaires inférieurs, et enfin, à la marge
de la société, une population en sous-emploi ou chômage
massif est profondément malsain. Il ne peut que renforcer le sentiment
d'exclusion des jeunes et susciter des réactions contre la
métropole.
Un enjeu pour les finances des collectivités locales
Au-delà du surcoût actuel, les budgets de ces collectivités
sont exposés à la pression de demandes de titularisation d'un
nombre élevé d'agents qui demandent que celle-ci se fasse
à la valeur majorée actuelle des titulaires.
Il est certes difficile de chiffrer l'impact total d'une mesure
généralisée de titularisation à ces niveaux.
L'estimation d'un milliard de francs est cependant régulièrement
avancée. Ce montant représente, à titre de comparaison,
environ 40 % des dépenses d'investissement des communes des DOM,
hors remboursement d'emprunts, pour 1997. "
B. LA MODERNISATION DU DROIT APPLICABLE OUTRE-MER
Le
gouvernement a engagé un vaste mouvement de modernisation du droit
applicable outre-mer. Ce mouvement ne concerne que marginalement les
départements d'outre-mer et la collectivité territoriale de
Saint-Pierre-et-Miquelon, qui sont soumis au principe de l'assimilation
législative. En revanche, dans les territoires d'outre-mer, en
Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, les lois adoptées en
métropole ne s'appliquent que si une disposition le prévoit
expressément.
Or, il n'est pas rare que les lois ne comportent aucune disposition
d'applicabilité. En conséquence, ces parties du territoire
national continuent à être régies par des dispositions
obsolètes en métropole.
La loi d'habilitation du 6 mars 1998 a autorisé le gouvernement à
légiférer par ordonnances dans dix-sept domaines. Elle a abouti
à la prise de douze ordonnances, dont quatre relèvent de la
compétence de votre commission des finances
2(
*
)
. Les projets de loi de ratification
de ces ordonnances ont été examinés par notre
assemblée le 24 novembre 1999.
Le 25 octobre 1999, une nouvelle loi d'habilitation a été
promulguée et autorise le gouvernement à légiférer
par ordonnances dans douze domaines.
Le dynamisme du gouvernement en cette matière doit être
salué. Malgré tout,
si la procédure des ordonnances a
l'avantage de la rapidité et de l'efficacité, elle n'est pas
entièrement satisfaisante. En effet, d'une part, il n'est pas
assuré que le gouvernement continuera à systématiquement
inscrire les projets de loi de ratification à l'ordre du jour des
assemblées. D'autre part, la norme doit rester celle de lois
votées par le Parlement, et non ratifiées par lui.
En outre, à l'occasion de la ratification de l'ordonnance n° 98-775
du 2 septembre 1998 relative à l'actualisation du droit des
activités financières outre-mer, votre rapporteur a
constaté que la volonté du gouvernement de réduire
l'écart entre les règles en vigueur en métropole et le
droit applicable outre-mer n'était pas totale . En effet, cette
ordonnance étendait à l'outre-mer des textes dans leur
rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la
loi d'habilitation du 6 mars 1998. A l'initiative de votre commission des
finances, le Sénat a modifié le projet de loi de ratification de
manière à étendre ces textes dans leur rédaction
actuelle, c'est-à-dire modifiée par la loi du 2 juillet 1998
portant diverses dispositions d'ordre économique et financier et par la
loi du 25 juin 1999 relative à l'épargne et à la
sécurité financière.
Le gouvernement a approuvé cette initiative. Il n'a cependant pas
souhaité aller plus loin et profiter du " support "
constitué par le projet de loi de ratification pour étendre
à l'outre-mer la totalité des dispositions de la loi relative
à l'épargne et la sécurité financière. Or,
comme l'extension de ces dispositions ne figure pas dans le champ de
l'habilitation de la loi du 25 octobre 1999, il est vraisemblable qu'elles
ne pourront pas être étendues avant longtemps, à moins que
le gouvernement ou l'Assemblée nationale ne profitent de la navette pour
les y inscrire.
Afin d'éviter de trop souvent dessaisir le Parlement de ses
prérogatives législatives et d'éviter que l'écart
entre les règles applicables dans les différentes parties du
territoire national ne continue de s'accroître, votre rapporteur insiste
sur
la nécessité de systématiquement prévoir les
conditions d'application outre-mer des différents textes soumis au vote
du Parlement.
C. QUEL AVENIR POUR LA LOI PONS ?
Le
ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a rendu
public en septembre 1999 son rapport sur l'application de la loi dite
" Pons " en 1998.
Ce rapport était particulièrement attendu puisqu'il porte sur la
première année de mise en oeuvre des modifications importantes
apportées au régime de défiscalisation des investissements
outre-mer par la loi de finances pour 1998.
L'article 18 de la loi de finances pour 1998 a en effet introduit les
aménagements suivants :
- pour les personnes physiques, la déduction du montant de
l'investissement du bénéfice industriel et commercial (BIC) est
transformée en une déduction du revenu global
(" tunnelisation ") tandis que les sociétés continuent
à bénéficier d'une déduction de leurs
résultats imposables. Les principaux bénéficiaires de la
mesure (les personnes physiques), dont les investissements ont
représenté 16 milliards de francs sur les 18,2
agréés entre 1992 et 1996, en sont désormais
privés ;
- la base déductible est réduite du montant des subventions
publiques attribuées au projet ;
- l'imputation sur le revenu global des déficits résultant de
leur exploitation par des personnes physiques n'exerçant pas à
titre professionnel est supprimée. Corrélativement,
l'agrément prévu pour permettre l'imputation des déficits
supérieurs à trois millions de francs est également
supprimé ;
- la création ou le maintien de l'emploi dans le département ou
le territoire où l'investissement est réalisé devient un
critère complémentaire pour l'octroi de l'agrément ;
- la limite à partir de laquelle tout projet doit être soumis
à autorisation préalable, dans les secteurs non soumis à
l'agrément, est abaissée de 30 à 10 millions de
francs ;
- la procédure d'agrément est étendue au secteur de la
pêche.
Le Sénat avait critiqué la décision de
" tunneliser " les investissements réalisés par des
personnes physiques, notamment en raison des conséquences sur le niveau
de l'investissement et de l'emploi outre-mer. Cette décision
apparaissait d'ailleurs contradictoire avec celle de prendre en compte la
création ou le maintien de l'emploi dans les critères de
l'agrément.
Le tableau ci-dessous tend à montrer que les craintes exprimées
par le Sénat étaient fondées :
Bilan du dispositif " loi Pons " en 1996, 1997 et 1998
|
1996 |
1997 |
1998 |
98/97 en % |
Montant des projets agréés (en millions de francs) |
5.590 |
9.159 |
3.044 |
- 66,7 |
Nombre d'emplois créés |
1.848 |
2.848 |
1.382 |
- 51,4 |
Dépense fiscale (en millions de francs) |
2.450 |
4.018 |
1.380 |
- 65,6 |
Source : ministère de l'économie et des finances
Les
mesures de 1998 ont conduit à réduire très sensiblement le
montant des investissements réalisés outre-mer dans le cadre de
la loi Pons. Logiquement, le gain pour l'Etat (la baisse de la dépense
fiscale) est de même ordre que la chute des investissement.
En revanche, il peut paraître surprenant, voire rassurant, de constater
que l'ampleur de la baisse du nombre d'emplois créés approche
celle du montant des investissements. Les investissements
réalisés dans le cadre de la loi Pons ne sont donc pas des
investissements de pure aubaine, ils permettent bel et bien des
créations d'emplois. En revanche, il est vrai que le coût pour
l'Etat de chaque emploi créé diminue entre 1997 et 1998, passant
de 1,4 milliard de francs à 900 millions de francs
3(
*
)
.
Dans son rapport paru en septembre 1999, le ministère de
l'économie, des finances et de l'industrie considère que
"
les agréments délivrés en 1998
(...)
donnent une vue partielle des investissements réalisés qui ont
bénéficiés de la loi Pons
". En effet, en
supprimant la possibilité de " détunnéliser "
les investissement réalisés par des personnes physiques, la loi
de finances pour 1998 a supprimé également l'agrément qui
autorisait les détunnélisations. Par conséquent, les
projets réalisés par les personnes physiques ne donnent plus lieu
à agrément et ne font plus l'objet d'un suivi précis.
Toutefois, la baisse importante du montant des investissements entre 1997 et
1998 permet de penser que les personnes physiques se sont
détournées de la loi Pons et que la grande majorité des
investissements réalisés sont soumis à agrément.
Le gouvernement n'a pas clairement annoncé ses intentions s'agissant de
l'avenir de la loi Pons. Cependant, votre rapporteur constate qu'un groupe de
travail interministériel a rendu un rapport contenant des pistes pour
remplacer, à terme, le dispositif de défiscalisation. Dans la
lettre de transmission de ce rapport au président de l'Assemblée
nationale, le Premier ministre a indiqué que le gouvernement
"
n'envisage pas de proposer une remise en cause du dispositif sans
concertation préalable avec les élus de l'outre-mer et, si des
modifications devaient être soumises au Parlement, ce serait à
effort budgétaire constant, sans rupture de continuité et en
recherchant plus d'efficacité dans l'allocation des fonds
publics
".
D. LES CONSÉQUENCES DU RECENSEMENT SUR LES DOTATIONS DE L'ETAT AUX COMMUNES
Outre-mer comme en métropole, le recensement
général de 1999 aura des conséquences sur le montant des
attributions des communes au titre de la dotation globale de fonctionnement
(DGF).
Les conséquences de la prise en compte des résultats du
recensement seront moins négatives pour les communes d'outre-mer que
pour les communes de métropole.
En effet, le problème posé par la prise en compte des nouveaux
habitants est qu'elle conduit à majorer le montant de la dotation
forfaitaire. La DGF étant une enveloppe fermée, cette
augmentation réduit d'autant le montant de la dotation
d'aménagement, qui comprend la " quote-part "
réservée aux communes d'outre-mer, la dotation
d'intercommunalité et, pour le solde, le dotation de solidarité
urbaine (DSU) et la dotation de solidarité rurale (DSR).
En métropole, la diminution de la dotation d'aménagement pose un
problème car elle conduit à réduire le montant de la DSU
et de la DSR. Afin d'éviter ce cas de figure, le gouvernement a
déposé un projet de loi, qui sera examiné par le
Sénat le 10 décembre 1999, et qui a pour but d'étaler dans
le temps la prise en compte des nouveaux habitants, donc l'augmentation de la
dotation forfaitaire, afin de limiter la baisse de la DSR et de la DSU. Des
abondements budgétaires ont été inscrits dans le
présent projet de loi de finances afin de permettre à ces
dotations de progresser.
Le problème ne se pose pas dans les mêmes termes pour les communes
d'outre-mer car elles ne perçoivent ni la DSU, ni la DSR. A la place,
elles bénéficient d'une " quote-part " de la dotation
d'aménagement, qui est versée aussi bien aux départements
d'outre-mer, aux collectivités territoriales de Mayotte et
Saint-Pierre-et-Miquelon qu'à la Nouvelle-Calédonie et aux
territoires d'outre-mer.
Pour les départements d'outre-mer, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon,
cette quote-part est déterminée par l'article L. 2563-4 du code
général des collectivités territoriales. Pour la
Nouvelle-Calédonie et les territoires d'outre-mer,
l'éligibilité à cette quote-part résulte des
dispositions de l'article 25 de la loi n° 93-1436 relative à la
DGF. La quote-part "
est calculée par application au montant de
la dotation d'aménagement du rapport existant, d'après le dernier
recensement général, entre la population de chaque territoire ou
de chaque collectivité territoriale, majorée de 10 p. 100, et
l'ensemble de la population nationale
. "
La population des quatre départements d'outre-mer a augmenté de
206.400 personnes depuis 1990, soit 1,5 % par an, la Guyane restant le
département le plus dynamique démographiquement, suivi de la
Réunion, de la Guadeloupe et de la Martinique.
Ce rythme est quatre fois supérieur à celui de la
métropole. Par conséquent, le montant de la quote-part va
s'accroître avec la prise en compte des résultats du recensement
général de 1999. Ainsi, alors qu'il a fallu majorer la DSU de 500
millions de francs pour qu'elle progresse en 2000 de 16 %, et majorer la
DSR " bourgs-centres " pour qu'elle augmente de 26 %, la
quote-part des communes d'outre-mer progresse pour sa part
" spontanément " de 22 %, et s'établit à
154,5 millions de francs.
S'agissant de la dotation forfaitaire, les communes d'outre-mer seront soumises
au même régime que les communes de métropole. Pour les
communes dont la population progresse, la prise en compte des nouveaux
habitants sera lissée sur trois ans, si le texte issu de
l'Assemblée nationale reste en l'état, ou sur deux ans, comme le
propose votre commission des finances. Pour les communes dont la population
baisse, le montant de la dotation forfaitaire sera gelé pendant trois
ans ou, le cas échéant, pendant deux ans. Au terme du gel, il
reprendra sa progression " normale ".
La prise en compte des résultats du recensement général de
1999 devrait permettre de corriger les déséquilibres de la
répartition de la quote-part outre-mer entre les communes des
départements d'outre-mer et celles des territoires d'outre-mer et de la
Nouvelle-Calédonie, au détriment des communes des territoires
d'outre-mer. En effet, comme le relèvent Claude Lise et Michel Tamaya
dans leur rapport remis au premier ministre, "
la prise en compte,
légitime, des résultats du recensement de la population
effectuée dans les territoires d'outre-mer en 1996 a abouti à
augmenter le montant de la DGF des communes de ces territoires de 45 millions
de francs au détriment des communes des départements
d'outre-mer
". Ils ajoutent que "
les effets du recensement de
1999 risquent d'être exactement inverses
".
Les mêmes effets se produisent entre les communes de métropole,
mais sont moins perceptibles en raison du plus grand nombre de
bénéficiaires de la DGF. Pour compenser cet effet pervers, MM.
Lise et Tamaya préconisent pour l'outre-mer "
un
mécanisme de sauvegarde garantissant à chaque commune une
progression minimale de sa dotation, quelle que soit celle des autres
collectivités
".