EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le jeudi 21 octobre 1999 sous la
présidence de
M. Alain Lambert, président, la commission a procédé
à l'examen du rapport sur les crédits de l'éducation
nationale, de la recherche et de la technologie :
I. - Enseignement scolaire, sur le rapport de M. Jacques-Richard
Delong, rapporteur spécial.
M. Jacques-Richard Delong, rapporteur spécial, a déclaré
que les moyens inscrits au projet de budget de l'enseignement scolaire pour
2000 étaient en hausse de 3,46 %, dépassant pour la
première fois la barre symbolique des 300 milliards.
Or, a-t-il poursuivi, les prévisions relatives aux effectifs d'enfants
scolarisés dans l'enseignement primaire et dans l'enseignement
secondaire dans les années à venir n'ont pas varié :
après avoir décru de 58.900 élèves à la
rentrée 1999, les effectifs scolarisés devraient de nouveau se
contracter de 59.600 élèves à la rentrée 2000. Il a
indiqué qu'était escomptée par ailleurs, dans les dix
prochaines années, une diminution des effectifs de 220.000
élèves dans les écoles et de près de 400.000
élèves dans le second degré.
Dans ce contexte, il s'est interrogé sur les 10 milliards de francs
d'augmentation des crédits consacrés à l'éducation
nationale, jugeant que le maintien des crédits au niveau de
l'année dernière aurait pu suffire à améliorer les
conditions de l'enseignement.
Il a jugé cette réflexion d'autant plus urgente à mener
qu'avec 82 % de crédits affectés aux dépenses de
personnel, le budget de l'enseignement scolaire est un des budgets les plus
rigides de l'Etat. Puis, il a présenté les principales
orientations de la politique du Gouvernement.
Il a indiqué que le projet de budget de l'enseignement scolaire pour
2000 reposait sur trois priorités.
Il a d'abord cité l'augmentation des moyens de l'éducation
nationale, qui intervient dans un contexte de diminution continue des effectifs
scolarisés. Il a par ailleurs évoqué la mise en oeuvre du
plan de lutte contre la violence, du plan de relance de la santé
scolaire ainsi que la réforme du système des bourses et la
refonte de la carte des zones d'éducation prioritaire (ZEP). Puis, il a
exposé la troisième priorité du Gouvernement qui consiste
en la modernisation du système éducatif, avec notamment la
généralisation de l'enseignement des langues vivantes dans le CM2
et la poursuite de son extension dans le CM1 et dans le second degré,
ainsi que l'entrée en vigueur de la réforme des collèges
dès l'année scolaire 1999/2000.
Puis, il a souhaité formuler quatre observations.
Il a d'abord considéré que le budget de l'enseignement scolaire
ne pouvait échapper, au même titre que les autres budgets,
à un effort de maîtrise des dépenses publiques.
Il a estimé que le projet de budget pour 2000 confortait l'argument
discutable selon lequel la priorité accordée à
l'éducation nationale devait nécessairement se traduire par une
augmentation des crédits. Il a rappelé que l'essentiel des
dotations budgétaires était consacré aux dépenses
de personnel.
Indiquant que le projet de budget prévoyait de nouvelles
créations d'emplois, il a affirmé qu'il était impossible
d'affirmer que l'effort consenti en faveur de l'éducation nationale
depuis plusieurs années n'avait été que relatif, aucun
autre département ministériel n'ayant connu une évolution
aussi favorable. Il a estimé ce constat corroboré par deux
éléments, citant d'une part, les études comparatives
internationales, qui indiquent que les pays les mieux classés pour les
performances scolaires de leurs élèves ne sont pas ceux qui
dépensent le plus, et, d'autre part, les manifestations actuelles des
lycéens, observant qu'elles tendaient à prouver que c'est bien la
gestion qui est en cause, et non les moyens, puisque ceux-ci augmentent sans
que diminue le mécontentement des lycéens. Ce constat, a-t-il
rappelé, a été confirmé par les travaux de la
commission d'enquête créée par la Haute Assemblée et
portant sur la situation et la gestion des personnels de l'éducation
nationale. Il a souligné que celle-ci avait évoqué la
dérive budgétaire du budget de l'éducation nationale et
constaté que la décroissance démographique n'avait pas
d'incidences budgétaires. Il a cité comme exemple la
création annoncée de 5.000 postes d'aides-éducateurs
supplémentaires qui viendront s'ajouter aux 60.000 déjà
existants dans l'éducation nationale. Il a jugé que cette mesure
risquait de contribuer à accroître la rigidité du budget et
à engager les finances de l'Etat sur une période beaucoup plus
longue que prévue, étant donné les incertitudes qui
pèsent sur l'avenir des jeunes ainsi recrutés à l'issue de
leur contrat de cinq ans. Il a considéré qu'il fallait encore
voir dans cette décision le recours, irréfléchi en termes
financiers, à la logique quantitative, puisqu'au total, le coût
des 65.000 aides-éducateurs, pour le seul budget de l'enseignement
scolaire, s'élèverait en 2000 à 1.078 millions de francs.
Par ailleurs, il s'est inquiété des tergiversations de la
politique gouvernementale concernant les heures supplémentaires. Puis,
il a rappelé l'importance de l'équipement informatique et des
infrastructures de communication des établissements, qui s'inscrivent
dans le cadre d'un plan triennal de développement de l'information et de
la communication dans l'enseignement. Il a observé que la mise à
niveau des parcs de matériel était un impératif. Il a
déclaré que le ministère avait réalisé une
application nationale en ligne qui permettra, à partir d'octobre 1999,
d'actualiser deux fois par an tous les chiffres concernant l'état des
parcs informatiques, des réseaux internes et des connexions à
Internet des écoles, collèges et lycées.
Par ailleurs, il a observé que la connexion à Internet devait
être développée. Il a déclaré que
d'après les informations fournies par le Gouvernement, plus de la
moitié des écoles accéderait à l'Internet à
la rentrée 2000. Il a indiqué que dans les lycées et
collèges la réalisation des connexions à Internet
était plus avancée et progressait plus
régulièrement. Il s'est félicité de constater que
les modalités de financement avaient été
clarifiées, évoquant le fonds de soutien aux collectivités
locales doté de 500 millions de francs, qui est opérationnel
depuis le début du mois de novembre 1998 et qui est ouvert jusqu'au 31
décembre 2000 pour des prêts dont la durée est
limitée à douze ans. Il a regretté que le fonds ne soit
doté que de 500 millions de francs alors que le financement de l'achat
du matériel, du raccordement des écoles à Internet et
surtout, du budget de fonctionnement est évalué à 15
milliards de francs, les collectivités locales devant fournir
l'essentiel de l'effort financier.
Enfin, il a regretté que la réforme des lycées ne soit pas
réalisée à moyens constants. Il a annoncé que cette
réforme s'appliquait à partir de la rentrée 1999 en classe
de seconde et que les textes réglementaires concernant l'organisation et
les horaires des classes de seconde, première et terminale avaient
été fixés par deux arrêtés du 18 mars 1999,
prévoyant une application de la réforme dans ces trois classes
respectivement à compter des rentrées 1999, 2000 et 2001
Puis il a évoqué les grands principes de la réforme en
classe de seconde. Il s'est insurgé contre le choix ouvert de la
série au baccalauréat, considérant que le rôle de
l'éducation nationale n'est pas de consulter le bon vouloir de ses
élèves. Il a évoqué la réduction des
horaires d'enseignement, la moyenne horaire se situant autour de 27 heures par
semaine, la mise en place d'un dispositif d'accompagnement, qu'il a
approuvée, et l'introduction de nouveaux enseignements, notamment un
enseignement d'éducation civique, juridique et social. Il a
considéré que cette réforme aurait pu être
effectuée par redéploiement de crédits, déplorant
que trois mesures nouvelles affectent le projet de budget 2000, pour un montant
total de 105,36 millions de francs. Il a déclaré que ces
augmentations nettes de crédits étaient en totale contradiction
avec les orientations préconisées dans le cadre des travaux de la
commission d'enquête sur la situation et les modalités de la
gestion de personnels de l'éducation nationale, et a donc proposé
à la commission de repousser les crédits de l'enseignement
scolaire.
Un débat s'est alors engagé, auxquels ont participé MM.
Maurice Blin, Jean-Pierre Demerliat et Jacques Pelletier.
M. Maurice Blin a estimé souhaitable de demander au ministre de
l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie si la baisse
des effectifs conjuguée à une augmentation du budget se
traduisait par une amélioration qualitative de l'enseignement. Il a
considéré qu'il serait logique de constater une
amélioration progressive des résultats, évoquant
l'importance de la perfectibilité et de l'efficacité de
l'enseignement. Rappelant qu'il avait longtemps enseigné, il a
affirmé que les enfants d'aujourd'hui étaient plus difficiles
à gérer qu'autrefois, lorsque les familles assumaient
convenablement leur tâche éducative. Il a estimé que
l'éducation nationale ne pouvait se substituer aux familles. Enfin, il a
soulevé la question de la responsabilité des proviseurs, se
demandant si celle-ci avait été accrue, et, le cas
échéant, si les proviseurs avaient eu les moyens d'exercer
effectivement ces nouvelles responsabilités. Il a enfin rappelé
le projet d'installer un ordinateur dans chaque classe, et regretté que
cet objectif ne soit pas encore atteint.
En réponse à M. Maurice Blin, le rapporteur spécial a
jugé souhaitable de développer la responsabilité des
gestionnaires, recommandant que dans la chaîne hiérarchique,
l'autorité soit attribuée proportionnellement aux
responsabilités.
Il a évoqué l'attitude des parents d'élèves,
observant que tous n'étaient pas indifférents aux questions
relatives au travail et à la discipline. Il a fait état de la
difficulté de maintenir celle-ci alors que les élèves sont
scolarisés de plus en plus longtemps, en moyenne jusqu'à 19 ans,
alors qu'autrefois on s'arrêtait au certificat d'études vers 12
ans.
Il a regretté que les associations de parents d'élèves,
qui pourraient jouer un rôle important, ne responsabilisent pas
suffisamment leurs adhérents, soulignant qu'il leur incombait de
convaincre les parents de leur responsabilité quant à la morale
et à la conduite de leurs enfants.
M. Jean-Pierre Demerliat a estimé naturel que l'éducation
nationale constitue le premier budget de la Nation, le ministre de
l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie ne devant
pas être soumis à la rigueur budgétaire qui s'impose pour
les autres budgets de l'Etat.
Il a déclaré ne pas partager le point de vue du rapporteur
spécial sur le mal-être des jeunes, évoquant l'ambiance "
bon-enfant " qui règne dans les manifestations.
Il a jugé qu'il n'était pas certain que les conditions de travail
soient responsables de ces manifestations, préférant invoquer une
certaine peur de l'avenir et les difficultés d'insertion dans la
société. Il a fait remarquer que les progrès du
marché de l'emploi semblaient apaiser les élèves.
M. Jacques-Richard Delong, rapporteur spécial, a répondu à
M. Jean-Pierre Demerliat, en estimant que ses propos relevaient davantage du
constat. Il a considéré qu'ils partageaient le même souci
concernant le personnel enseignant, observant qu'il était capital de ne
pas s'en désolidariser.
M. Jacques Pelletier s'est interrogé sur l'offre d'enseignement en
milieu rural, et a souhaité connaître le nombre
d'élèves qui connaissaient de sérieuses difficultés
en classe de 6e.
M. Jacques-Richard Delong, rapporteur spécial, a exprimé son
intérêt pour l'enseignement scolaire en milieu rural et a
manifesté sa préoccupation au sujet des classes uniques. Il a
observé qu'il convenait de prendre en considération trois aspects
: l'aménagement du territoire, l'éducation nationale et la
politique locale.
Il a déclaré ne pas être partisan des classes uniques,
estimant que trois classes au minimum étaient nécessaires pour
assurer un bon niveau d'enseignement.
Il a évoqué les collèges ruraux dont les effectifs sont
souvent inférieurs à 200 élèves et parfois
même à 100 élèves, notamment dans certains
départements du Centre.
Il a préconisé un jumelage de ces collèges, le jugeant
préférable à un regroupement et il a déclaré
avoir fait part de son sentiment à ce sujet à
Mme Ségolène Royal, ministre délégué
chargé de l'enseignement scolaire, qui s'est montrée d'accord
avec lui.
Evoquant le taux de redoublement, il a indiqué qu'il avait
augmenté à partir de 1985, et qu'il baissait depuis 1992. Il a
précisé qu'il fallait cependant tenir compte des instructions
faites aux établissements par le ministre de l'éducation
nationale, de la recherche et de la technologie en vue de diminuer le nombre
des redoublements. Il a estimé qu'il s'agissait d'une erreur.
A l'issue de ce débat, et avant de consulter la commission sur la
proposition du rapporteur spécial, M. Alain Lambert, président, a
souhaité faire part des principes qui, à son avis, pouvaient
guider la commission dans son jugement sur les crédits.
Il a rappelé la nécessité, fréquemment
invoquée, de revaloriser le rôle du Parlement. Il a
déclaré que le vote du budget de l'Etat constituait un des temps
forts du contrôle du Parlement à l'égard du Gouvernement.
En particulier, il a considéré que le Sénat,
dépourvu du pouvoir de censure, devait faire du débat
budgétaire une occasion de porter un jugement sur l'ensemble de la
politique du Gouvernement. Pour cette raison, il a estimé que
l'appréciation des parlementaires ne pouvait se limiter à
l'analyse arithmétique des crédits proposés en loi de
finances. Rappelant qu'au cours des années passées, il avait
demandé à la commission d'adopter le projet de loi de finances
après un travail sur les dépenses, il a déclaré
qu'il était aujourd'hui nécessaire d'interpeller le Gouvernement
au sujet des prélèvements résultant à la fois du
projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la
sécurité sociale.
L'objectif est d'éclairer la Nation en fournissant un travail de mise en
perspective, a-t-il déclaré. Il a rappelé que
l'excès de prélèvements obligatoires n'était que la
contrepartie de dépenses mal maîtrisées. Il a
déploré que le Gouvernement ait peu entendu le Sénat au
cours des deux derniers exercices, et a considéré qu'il convenait
de renouveler le message.
Déplorant l'absence de prise en compte par le Gouvernement des
recommandations de la commission d'enquête sur la situation et la gestion
des personnels de l'éducation nationale, il a soutenu la proposition de
M. Jacques-Richard Delong, rapporteur spécial, de rejeter le budget de
l'enseignement scolaire.
Il a précisé que cette position constituerait un appel au
Gouvernement à mieux gérer l'enseignement scolaire selon les
recommandations de la Haute Assemblée.
A l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer
au Sénat de rejeter les crédits du ministère de
l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie : I.
Enseignement scolaire.