B. APPRÉCIATIONS
1. Une programmation déraisonnable, symptôme d'un système inadapté
La trop
forte augmentation des crédits d'actions structurelles dans le projet de
budget pour 1999 était venue de deux facteurs :
L'engagement pris à Edimbourg d'inscrire la totalité des
crédits programmés, engagement au terme duquel nulle marge sous
les plafonds définis pour la rubrique 2 ne peut être
dégagée contrairement à la situation qui prévaut
pour les autres entreprises.
Pour les crédits de paiement, la nécessité
d'inscrire des moyens suffisants pour absorber les considérables
dépenses qui, engagées, restent à liquider.
Ces deux contraintes étaient l'expression même d'un
système peu satisfaisant débouchant sur des situations
dangereuses.
Le considérable ressaut (+ 16,6 %) des crédits
d'engagement pour "solder" la programmation décidée à
Edimbourg n'était que la conséquence des difficultés
rencontrées dans le passé pour respecter cette programmation.
Celle-ci avait donc, à l'évidence, été
surdimensionnée.
Quant à la situation des crédits de paiement, il faut rappeler
que, malgré un montant de 30,9 milliards d'euros et une croissance
de près de 9 % par rapport aux crédits du budget de 1998,
les crédits prévus pour 1999 représentaient moins de
70 % des "restes à liquider" tels qu'estimés pour la fin de
1999 au titre de la rubrique 2.
L'an dernier, l'on avait ainsi été conduit à exprimer
les plus grandes inquiétudes pour l'avenir puisque la "facture"
d'Edimbourg devait constituer une source autonome de progression des
crédits d'actions structurelles.
Ces inquiétudes se révèlent aujourd'hui entièrement
justifiées
. Les crédits de paiement inscrits pour 2000
-31 milliards d'euros-, ont pour vocation pour près de 63 %
d'entre eux (environ 19 milliards d'euros) non de couvrir les besoins
associés aux engagements 2000 mais de contribuer à solder les
restes à liquider considérables du précédent
programme. Ceux-ci atteignent 41,2 milliards d'euros, soit près de
48 % des engagements de la programmation d'Edimbourg.
Seuls 4 % des crédits de paiement ouverts en 2000 correspondraient
à des paiements d'engagements ouverts et exécutés en 2000,
soit 1,3 milliard d'euros.
Le solde couvrirait les besoins engendrés par l'avance de 3,5 % sur
les crédits alloués pour la future période de
programmation destinée à la mise en place des futurs programmes.
Il restera donc à apurer près de 23 milliards d'euros de
restes à liquider.
Dans ces conditions, la nouvelle programmation n'apparaît pas
réaliste.
Les
actions structurelles
Les perspectives financières de 2000 à 2006
(en Meuros 1999)
Engagements |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
Fonds structurels |
29.430 |
28.840 |
28.250 |
27.670 |
27.080 |
27.080 |
26.660 |
Fonds de cohésion |
2.615 |
2.615 |
2.615 |
2.615 |
2.515 |
2.515 |
2.510 |
Total |
32.045 |
31.455 |
30.865 |
30.285 |
29.595 |
29.595 |
29.170 |
Le niveau des crédits d'engagement qu'elle comporte est excessif et une nouvelle accumulation de restes à liquider est d'ores et déjà prévisibles qui débouche sur le triste constat d'un budget européen " vivant à crédit ".
2. Une efficacité douteuse
a) Une redistribution ambiguë
L'objectif principal des actions structurelles est
d'assurer la
cohésion entre les Etats membres.
La philosophie de la Commission
est, on doit l'observer, fort ambitieuse ; il ne s'agit pas seulement de
rendre les écarts acceptables en permettant à chacun d'assumer
ses différences, mais plutôt de réduire la dispersion des
performances économiques, et d'égaliser les niveaux de
développement.
Ambitieuse, la philosophie de la Commission n'en est pas moins ambiguë.
Si la cohésion doit favoriser le rapprochement entre les Etats membres,
l'action de la Commission est fortement régionalisée, avec
près de 75 % des moyens réservés aux régions,
si bien qu'elle revient à promouvoir une vraie politique
européenne d'aménagement du territoire. Or, une telle politique
qui, finalement, n'a pas été consacrée par les
traités et se substitue aux responsabilités des Etats, en
contravention avec le principe de subsidiarité, peut apparaître
comme partiellement contradictoire avec l'objectif de cohésion.
Il
en va ainsi lorsqu'elle conduit à ménager l'octroi de
crédits importants à des régions, certes
défavorisées, mais appartenant à des Etats relativement
prospères. Or, c'est évidemment ce qui se produit puisque la
dispersion des PIB des régions européennes est beaucoup plus
importante que celle des PIB des Etats. C'est aussi cette ambiguïté
qui limite la dimension peu redistributive des fonds structurels.
A son tour, cette caractéristique ampute inévitablement les
marges disponibles pour assurer la cohésion entre Etats membres.
b) Une efficacité à nuancer
Cette
caractéristique s'accompagne en outre d'un
saupoudrage des
crédits, source de difficultés d'exécution, mais aussi
gage de pertes en ligne puisqu'il apparaît évident que l'abondance
de projets rime avec une décrue de l'intérêt global de
l'ensemble.
On doit sans doute considérer que ces difficultés sont moins
sensibles dans les pays en retard significatif de développement
où des projets structurants s'imposent et où l'effet de levier de
la dépense publique européenne peut être réel du
fait d'un manque de capitaux publics ou privés. Certaines analyses
macroéconomiques laissent d'ailleurs entendre,
pour les seuls pays de
la cohésion
, que l'intervention structurelle européenne a pu,
dans le passé, contribuer positivement à leur croissance pour
à peu près 0,5 point de PIB. On remarquera toutefois que
cette estimation est très inférieure aux montants
transférés dans ces pays, signe que d'autres agents
économiques "profitent" des allocations communautaires, et repose sur
des conventions qui en conditionnent les résultats.
Aucune étude d'ensemble n'ayant été conduite pour les pays
les plus développés, on ne peut que conjecturer sur
l'efficacité de l'intervention communautaire dans ceux-ci. Cet exercice
peu satisfaisant n'est, en tout cas, pas favorisé par les travaux des
comités de suivi censés évaluer les programmes, mais dont
les travaux relèvent pour l'essentiel de l'exercice de style.
Il existe cependant quelques indices utilisables pour porter une
appréciation globale sur la politique de cohésion de la
Communauté.
Le premier d'entre eux est que les écarts entre les PIB par habitant des
régions d'Europe ne se sont pas réduits dans la période
récente.
Cet indice n'est certes pas entièrement significatif
puisqu'on peut aussi bien estimer que la dispersion aurait été
encore plus grande sans les interventions européennes. Mais il
révèle que l'objectif de cohésion retenu par la Commission
n'a pas été atteint.
Un deuxième indice réside dans le parallélisme entre le
niveau de consommation des crédits, le niveau de développement et
le nombre des programmes.
Il conforte l'idée selon laquelle les
actions structurelles ont vocation à se développer dans les pays
les moins développés autour de projets bien
sélectionnés.
Enfin, un dernier indice tiré de la comparaison entre le niveau des
fonds communautaires en points de PIB et leur effet sur la croissance du PIB
tel qu'estimé par les études disponibles, paraît
démontrer des pertes de substance.
Celles-ci peuvent être dues
à des erreurs d'analyse, mais on doit sans doute aussi y voir la
manifestation que les agents économiques des pays
bénéficiaires ne sont pas les seuls à profiter du
financement européen. Il reste que l'évaporation ainsi
constatée, évaluée parfois autour de 35 % des
interventions, devrait faire l'objet d'un recensement exhaustif.