B. BAISSER LES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES

Leur niveau historiquement élevé et qui ne baisse pas, nonobstant les incantations gouvernementales, rend indispensable une action déterminée en ce domaine. Ce constat est par ailleurs celui qui apparaît dans l'étude précitée commandée par votre commission des finances sur la concurrence fiscale en Europe de laquelle il ressort que la situation de la France en ce domaine apparaît globalement mauvaise. La France est ainsi un des pays où la pression fiscale est la plus élevée en Europe.

La concurrence fiscale en Europe :
une contribution au débat de votre commission des finances

Le rapport (n° 483 ; 1998-1999) publié en juillet 1999 a pour objectif d'alimenter la réflexion et le débat sur les questions posées par la concurrence fiscale en Europe. Il rend compte des conclusions d'une étude commandée par votre commission des finances à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Il s'agissait d'identifier plus précisément les aspérités associées à un état paradoxal de la construction européenne. Celle-ci est en effet caractérisée par une intégration de plus en plus complète des marchés (biens, services, capitaux), par les progrès réalisés dans le domaine des libertés d'aller et de venir (libertés d'établissement, de circulation...), par une unification monétaire très largement accomplie mais aussi par une harmonisation fiscale si limitée que des phénomènes de concurrence fiscale ont tout lieu d'être redoutés.

La complexité technique des problèmes abordés appelle approfondissements et prolongements mais elle ne doit pas occulter la dimension politique du sujet : des précisions s'imposent donc pour que la volonté du législateur s'exerce en pleine clarté.

De ce dernier point de vue, l'un des enseignements forts de l'étude doit être médité. La concurrence fiscale entre Etats européens appelle naturellement un meilleur dialogue international. Mais elle réclame aussi d'entreprendre sans tarder des réformes internes. Notre pays a beaucoup à faire. Il serait vain et dangereux pour lui d'espérer imposer son exception fiscale à ses partenaires.

De ce fait, votre commission des finances s'emploiera à faire progresser la réflexion en la matière en s'appuyant sur le constat sans appel fait par cette étude : la situation de la France au regard de la concurrence fiscale apparaît globalement mauvaise.

En effet, notre pays apparaît comme l'un de ceux où la pression fiscale est la plus élevée en Europe en occupant, impôt par impôt, une position souvent moyenne au regard de cet indicateur. Cette situation n'est d'ailleurs pas vraiment surprenante, car elle ne fait que traduire l'absence de choix stratégiques en politique fiscale des gouvernements successifs, qui ont cumulativement fait usage de toutes les assiettes fiscales concevables, en application de raisonnements en général plus politiques ou budgétaires qu'économiques.

Le niveau des prélèvements obligatoires est, de fait, en France, particulièrement préoccupant au regard de la compétitivité fiscale et place notre pays en mauvaise situation pour affronter une recrudescence éventuelle de la concurrence fiscale.

Cette situation se vérifie dans le domaine des impôts indirects où, avec le Danemark, la Suède, la Finlande, la Belgique, l'Autriche et l'Italie, la France est parmi les pays qui taxent le plus la consommation. Mais on le vérifie surtout dans le domaine des impôts directs et des prélèvements sociaux.

1. Mettre fin à une fiscalité élevée pour les entreprises françaises

L'accroissement de la fiscalité pesant sur les entreprises grandes et moyennes depuis deux ans et demi est préoccupant à plusieurs titres. En premier lieu, la concentration de toutes les hausses ou créations d'impôts sur une seule catégorie d'entreprises, voire sur une fraction de celle-ci conduit à fragiliser le principe de l'égalité des contribuables devant les charges publiques. En outre, elle a pour effet de creuser le fossé fiscal entre les petites entreprises et les autres. Enfin, on ne saurait constater sans inquiétude la divergence de plus en plus grande entre la fiscalité française des entreprises et la fiscalité des autres Etats membres de l'Union européenne.

a) Un contexte fiscal national de moins en moins favorable aux moyennes et grandes entreprises

La création d'un nouvel impôt sur les grandes entreprises

L'analyse du projet de loi de finances pour 2000 ne peut s'exonérer cette année de celle du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, tant les deux textes sont liés. Car le second ajoute aux alourdissements fiscaux prévus pour les entreprises par le présent projet de loi de finances une nouvelle taxe sur les entreprises de plus de 50 millions de francs sur laquelle il convient de rester très vigilant.

En effet, la contribution sociale sur les bénéfices (CSB) des entreprises créée par l'article 3 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, dont le rendement attendu est de 4,3 milliards de francs pour 2000, est un impôt pérenne, susceptible d'augmenter fortement à l'avenir et extrêmement concentré.

Ce nouvel " impôt sur l'impôt ", acquitté par les entreprises dont le chiffre d'affaires excède 50 millions de francs, a d'abord pour conséquence de pérenniser la hausse du taux facial de l'impôt sur les sociétés résultant des dispositions de la loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier du 10 novembre 1997, pour les grandes sociétés .

Or, si l'objectif de diminution du déficit public dans la perspective du passage à la monnaie unique pouvait justifier, à l'automne 1997, la création d'une contribution temporaire sur l'impôt sur les sociétés, celle d'un impôt pérenne sur la fraction des sociétés qui subit le plus violemment la concurrence des entreprises étrangères est d'autant plus contestable que la France se situe déjà parmi les pays taxant le plus lourdement leurs entreprises .

Cette nouvelle taxe a également pour particularité d'être extrêmement concentrée puisque moins de 2 % des entreprises qui payent l'impôt sur les sociétés fourniront plus des trois-quarts de son rendement, ce qui n'était pas le cas de la contribution temporaire sur l'impôt sur les sociétés, plus équitablement répartie entre les entreprises.

Elle s'inscrit enfin dans un contexte global de durcissement du régime fiscal des moyennes et grandes entreprises qui peut s'avérer extrêmement préjudiciable pour celles-ci.

Les hausses d'impôt visant les entreprises de plus de 50 millions de francs de chiffre d'affaires.

Depuis 1997, le gouvernement a souhaité taxer les entreprises, et notamment les plus grosses d'entre elles, pour se donner des marges de manoeuvre budgétaires. Pour cela, il a retenu un seuil de 50 millions de francs de chiffre d'affaires (7 millions d'euros) censé sélectionner les seules grandes entreprises.

Or, le critère de 7 millions d'euros de chiffre d'affaires trace la frontière non pas entre les grandes entreprises et les PME comme il a été plusieurs fois affirmé, mais entre les petites entreprises et les entreprises moyennes et grandes, au sens de la recommandation de la Commission européenne du 3 avril 1996. La Commission européenne ne considère comme " grandes " - par opposition aux PME - que les entreprises dont le chiffre d'affaires excède 40 millions d'euros, soit 280 millions de francs.

Ce sont donc les entreprises moyennes et grandes qui, en acquittant une contribution temporaire sur l'impôt sur les sociétés de 15 % puis de 10 %, ont permis à la France de se conformer aux critères fixés par le traité de Maastricht pour le passage à la monnaie unique.

Ces mêmes entreprises ont de nouveau été sollicitées, via la très forte augmentation du taux de la cotisation minimale de taxe professionnelle en 1998, pour atténuer le coût pour les finances publiques de la suppression de la part salariale de l'assiette de la taxe professionnelle.

Les lois de finances pour 1998 et 1999 ont accru de plus de 100 % les tarifs de l'imposition forfaitaire annuelle pour les entreprises de plus de 50 millions de francs de chiffre d'affaires, procurant un surcroît d'impôt de plus de 700 millions de francs.

On le constate donc, la contribution sociale sur les bénéfices (CSB) créée par l'article 3 du projet de loi de financement de la sécurité sociale s'ajoute à une série de " cadeaux " fiscaux aux entreprises de plus de 50 millions de francs de chiffre d'affaires, qui porte le poids des impôts sur les moyennes et grandes entreprises à un niveau que votre rapporteur général juge préoccupant , d'autant que d'autres mesures plus générales sur les entreprises doivent être prises en considération.

Les autres hausses d'impôt sur les entreprises

Les entreprises qui ont bénéficié de la réforme de l'assiette de la taxe professionnelle dès la première année ont subi en contrepartie une hausse de leur impôt sur les sociétés évaluée à 2,6 milliards de francs pour 2000, en raison de la moindre imputation de taxe professionnelle sur leur résultat imposable à l'IS.

Par ailleurs, en 1999, les entreprises participatives ont vu leur cotisation d'impôt sur les sociétés augmenter suite à la soumission à l'impôt sur les sociétés d'une quote-part des dividendes issus de leurs filiales, et, pour les autres, à la diminution de l'avoir fiscal attaché aux produits de participation. Ces deux mesures de pur rendement devaient, selon les estimations fournies en 1998 par le gouvernement, procurer respectivement 1,2 milliard et 1,5 milliard de francs à l'Etat. Selon le fascicule " voies et moyens " joint au projet de loi de finances pour 2000, leur rendement a finalement été de 4,5 milliards et un milliard de francs.

Enfin, le projet de loi de finances pour 2000 tel qu'adopté par l'Assemblée nationale prévoit trois nouvelles mesures d'alourdissement des prélèvements pesant sur les entreprises :

- la première consiste à diminuer de 45 à 40 % le taux de l'avoir fiscal pour les personnes morales, ce qui devrait rapporter 1,5 milliard de francs dans les caisses de l'Etat ;

- la deuxième prévoit de relever de 2,5 à 5 % la quote-part des dividendes bruts soumise depuis 1999 à l'impôt sur les sociétés, ce qui procurerait un gain fiscal de 4,2 milliards de francs en 2000 ;

- la troisième consiste à accroître de près de 9 % le barème de la taxe sur les voitures particulières des sociétés.

Récapitulation des mesures prises depuis 1997 au détriment
des moyennes et grandes entreprises.


MUFF 1997 :

Imposition de certaines plus-values à long terme au taux normal de l'IS et instauration d'une contribution temporaire sur l'impôt sur les sociétés (fixée à 15 % pour 1997 et 1998 et à 10 % pour 1999) pour les entreprises de plus de 50 millions de francs de chiffre d'affaires ;

 

=> surcroît de recettes : 23,1 MdsF en 1997, 1 7,4 MdsF en 1998 et 12,4 MdsF en 1999

LFI 1998 :

- Augmentation des tarifs de l'imposition forfaitaire annuelle pour les entreprises de plus de 50 millions de francs de chiffre d'affaires ;

 

=> surcroît de recettes : 200 MF

 

- Limitation de la déductibilité des provisions pour renouvellement ;

 

=> surcroît de recettes en 1998 : 4 MdsF

 

- Suppression de l'avantage fiscal lié à la provision pour fluctuation des cours.

 

=> surcroît de recettes en 1998 : 1 MdF

LFI 1999 :

- Quadruplement en trois ans du taux de la cotisation minimale de taxe professionnelle  (0,35 % en 1998, 1 % en 1999, 1,5 % en 2001) ;

 

=> surcroît de recettes en 1999 : 700 MF

 

- Rétablissement (au taux de 2,5 %) de la quote-part de frais et charges afférente aux dividendes versés par une filiale à sa mère ;

 

=> surcroît de recettes en 1999 : 4,5 MdsF

 

- Diminution du taux de l'avoir fiscal de 50 à 45 % pour les personnes morales ne bénéficiant pas du régime fiscal des mères et filiales ;

 

=> surcroît de recettes en 1999 : 1 MdF

 

- Augmentation des tarifs de l'imposition forfaitaire annuelle pour les entreprises de plus de 50 millions de francs de chiffre d'affaires ;

 

=> surcroît de recettes en 1999 : 500 MF

PLF 2000 :

- Doublement de la fraction imposable des dividendes versés par une société fille à sa mère (quote-part de frais et charges de 5 %) ;

 

=> surcroît de recettes prévu pour 2000 : 4,2 MdsF

 

- Diminution du taux de l'avoir fiscal de 45 à 40 % pour les personnes morales ne bénéficiant pas du régime fiscal des mères et filiales ;

 

=> surcroît de recettes prévu pour 2000 : 1,5 MdF

PLFSS 2000 :

Institution d'une contribution sociale de 3,3 % sur les bénéfices des sociétés (CSB) affectée au " fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale " ;

 

=> surcroît de recettes attendu pour 2000 : 4,2 MdsF

 

- Création d'un taxe générale sur les activités polluantes (TGAP)

 

=> surcroît de recettes attendu pour 2000 : 3,6 MdsF

b) L'accroissement du " fossé fiscal " entre grandes et petites entreprises

Au moment de la création par la loi de finances pour 1997 d'un taux d'impôt sur les sociétés réduit en faveur des entreprises de moins de 50 millions de francs de chiffre d'affaires qui renforcent leurs fonds propres, M. Alain Lambert, alors rapporteur général du budget, avait accueilli la mesure avec scepticisme. Considérant en effet qu'une telle mesure était peu lisible et contraire à l'objectif de neutralité de la législation fiscale, il avait exprimé sa préférence pour la suppression de la surtaxe de 10 % instituée par la loi de finances rectificative du 4 août 1995 sur l'impôt acquitté par toutes les entreprises.

Or, depuis deux ans, le gouvernement a constamment élargi cette faille ouverte entre les petites entreprises (moins de 50 millions de francs de chiffre d'affaires) et les autres, non pas en se contentant d'alléger l'imposition des premières, mais, comme on a vu plus haut, en accroissant la charge fiscale des secondes, c'est-à-dire en substituant à la discrimination positive initiée par le gouvernement Juppé une discrimination négative, au détriment des moyennes et grandes entreprises.

Cette politique est critiquable pour plusieurs raisons.

D'abord, la multiplication des seuils et des régimes spéciaux d'imposition dans notre droit fiscal a trois défauts majeurs :

- elle met à mal les principes de neutralité fiscale et d'égalité devant l'impôt et créé des effets de seuil ;

- elle a pour effet de complexifier à l'excès notre dispositif législatif, le rendant opaque aux yeux des fiscalistes les plus avertis ;

- elle encourage les entreprises à agir en fonction de considérations fiscales plutôt qu'économiques, c'est-à-dire à adopter des comportements d'optimisation fiscale.

Ensuite, la concentration des hausses de charges sur les seules entreprises moyennes et grandes, qui sont, a priori , non seulement les plus exposées à la concurrence internationale, mais surtout les plus mobiles, va finir par les encourager à " voter avec leurs pieds ", c'est-à-dire à s'installer sous des cieux plus cléments. On le constate de plus en plus avec les restructurations actuelles dont certains groupes profitent pour changer de nationalité fiscale.

La fiscalité des entreprises de nos partenaires européens est en effet de plus en plus compétitive par rapport à la fiscalité française.

c) Une fiscalité sur les entreprises divergente par rapport au reste de l'Union européenne

La divergence la plus apparente entre la France et ses partenaires, mais non la plus pertinente, porte sur les taux de l'impôt sur les bénéfices des sociétés. En effet, bien que le taux facial de cet impôt, après imputation de la nouvelle CSB, soit inférieur à ce qu'il était ces deux dernières années, il reste supérieur au taux moyen de l'impôt sur les sociétés dans l'Union européenne, qui a tendance à baisser 45( * ) .

Une hausse des taux de l'impôt sur les sociétés accroît la propension qu'ont les entreprises, et notamment les plus grosses d'entre elles, à optimiser leur résultat (via les restructurations de groupe, les provisions ou la politique d'amortissement pratiquée), voire à se délocaliser, ce qui peut avoir un effet inverse à l'effet recherché en termes de rendement 46( * ) .

A ce titre l'étude du cabinet Baker Mc Kenzie réalisée pour le compte du gouvernement hollandais et rendue publique le 15 janvier 1999, est intéressante. En effet, cette étude repose sur la comparaison des taux effectifs d'imposition des entreprises pour des investissements dont le rendement avant impôt est identique. Or, il ressort de cette étude que la France est le pays de l'Union européenne dont le taux effectif d'imposition des entreprises est le plus élevé , pour un rendement avant impôt de 10 %. Le tableau ci-après récapitule les résultats de l'étude.



Ces résultats doivent être rapprochés de l'étude précitée, commandée par votre commission des finances à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) au printemps dernier, qui avait pour objet d'appréhender la compétitivité fiscale des différents Etats membres de l'Union européenne au vu de la notion de " coût du capital " 47( * ) . Les résultats obtenus dépendent en effet du mode de financement choisi par l'entreprise (endettement, augmentation de capital ou autofinancement).

Or, l'étude réalisée pour le compte du gouvernement hollandais montre que pour obtenir un rendement net de 5 %, une société française doit obtenir un taux de rendement avant impôt de 4,54 %, lorsque l'investissement est financé par endettement (la moyenne européenne étant de 4,26 %) et de 6,65 % lorsqu'il est financé par autofinancement (contre 5,38 % en Belgique ou 6,13 % en Finlande). En revanche, la France se situe dans une position comparativement favorable lorsque l'investissement est financé par augmentation du capital (4,39 % contre 4,39 % en moyenne européenne).

Au vu de ces résultats et surtout de la difficulté à évaluer la compétitivité fiscale des pays de l'Union européenne compte tenu de la très grande hétérogénéité des bases imposables et des taux, votre commission ne peut que se prononcer pour une plus grande harmonisation des fiscalités européennes.

2. Stabiliser l'impôt sur le patrimoine

a) Les limites de l'alourdissement des cotisations d'impôt de solidarité sur la fortune

En effet, les règles applicables à l'impôt de solidarité sur la fortune ont été très significativement durcies ces dernières années.

Ainsi, la loi de finances pour 1999 avait particulièrement alourdi le poids des cotisations de l'impôt de solidarité sur la fortune. Trois mesures avaient contribué au durcissement du dispositif :

- l'absence d'actualisation du barème pour la deuxième année consécutive ;

- l'intégration de la majoration spéciale de 10 % introduite par la loi de finances rectificative de 1985 dans la cotisation de l'impôt de solidarité sur la fortune ;

- la création d'une nouvelle tranche marginale (taux de 1,8 % concernant la fraction de la valeur nette taxable du patrimoine supérieure à 100 millions de francs).

Le ministre de l'économie et des finances avait alors annoncé que ces seules mesures permettraient déjà de rapporter 2 milliards de francs supplémentaires. Ainsi, après avoir rapporté 11,11 milliards de francs en 1998, l'impôt de solidarité sur la fortune aurait dû rapporter 14,9 milliards de francs en 1999, soit 34 % de plus par rapport à 1998.

A l'époque, votre commission avait émis plusieurs réserves.

D'une part, elle s'était montrée sceptique devant les chiffres annoncés, d'autre part, elle avait critiqué le fait que la création de cette dernière tranche risquait de renforcer la caractère déjà très concentré de l'impôt de solidarité sur la fortune.

Enfin, elle avait regretté l'utilisation idéologique de cet impôt et souligné les dangers d'un rejet de ce dernier par les contribuables concernés ainsi que les risques d'évasion fiscale ou de délocalisation.

L'ISF, un impôt à " rendement décroissant " ?

Les derniers chiffres publiés par le gouvernement concernant le rendement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) semblent très largement confirmer ces craintes.

Ainsi, son produit ne serait pas de 14,9 milliards de francs comme il l'avait été annoncé initialement, mais seulement de 12,5 milliards de francs, soit seulement 1,4 milliard de francs de plus qu'en 1998. Pourtant, le marché de l'immobilier a repris et les valeurs mobilières ont connu une progression très dynamique en 1998 48( * ) .

On peut donc logiquement se demander si les mesures d'alourdissement de l'impôt de solidarité sur la fortune n'ont pas atteint leurs limites et si ce dernier n'est pas devenu un impôt à rendement décroissant.

Les craintes de votre rapporteur général semblent partagées par notre collègue Jean-Pierre Brard, qui estime dans son rapport sur la fraude et l'évasion fiscale 49( * ) , qu'il est nécessaire d' " étudier la consolidation de la légitimité de l'ISF, grâce à l'élargissement de son assiette, la réduction des taux, le relèvement du seuil d'exonération et la suppression de la limitation du plafonnement ".

Ce discours inédit de la part d'un membre de la majorité plurielle s'explique par une prise de conscience de la réalité des délocalisations liées à l'alourdissement de l'ISF.

Ainsi, dans le même rapport, notre collègue fait remarquer qu' " en l'absence d'étude officielle, il est difficile de se prononcer tant sur le nombre des délocalisations que sur le montant des bases d'impositions concernées. Néanmoins, ce mouvement de délocalisation est suffisamment important pour que de nombreux professionnels du droit ou du patrimoine aient eu à s'y intéresser, en France comme à l'étranger.

Il convient ainsi de ne pas méconnaître la portée de ce phénomène, votre Rapporteur soulignant qu'il n'est pas de l'intérêt de l'Etat et de la collectivité de voir s'échapper des bases d'impositions sur lesquelles une part significative de l'impôt ne pourra plus être assise
".

b) L'attitude contradictoire de l'Assemblée nationale

Face aux résultats assez décevants du rendement de l'ISF pour 1999, certaines voix, notamment au sein même de la majorité plurielle, s'étaient élevées pour s'interroger sur les limites de la pression fiscale et sur la nécessité de stabiliser l'impôt de solidarité sur la fortune.

Or, aucune mesure n'a été adoptée dans ce sens. Au contraire, l'Assemblée nationale a adopté toute une série de mesures visant à alourdir davantage les cotisations de l'ISF, en contradiction avec objectifs affichés par le gouvernement.

Les mesures d'alourdissement de l'ISF votées par l'Assemblée nationale

L'actualisation du barème proposée par le gouvernement mais rejetée par l'Assemblée nationale.

En effet, même si ce dernier n'a donné aucune explication officielle pour expliquer l'erreur de prévision quant au produit effectivement perçu de l'impôt de solidarité sur la fortune, il semble avoir pris conscience de l'impact négatif des mesures adoptées en matière d'impôt de solidarité sur la fortune lors de la loi de finances pour 1999.

Ainsi, non seulement le projet de loi de finances pour 2000 ne prévoit aucune nouvelle mesure d'alourdissement de la cotisation supplémentaire, mais au contraire, il se propose de relever les seuils des tranches d'imposition du barème en proportion de la hausse prévisible des prix en 1999, soit 0,5 %, et cela pour la première fois depuis trois ans.

Or, l'Assemblée nationale a rejeté l'actualisation du barème de l'impôt de solidarité sur la fortune en adoptant un amendement de suppression de cet article.

L'élargissement de l'assiette de l'ISF sans contrepartie en matière de réduction des taux

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a adopté contre l'avis du gouvernement un amendement visant à élargir l'assiette de l'ISF aux oeuvres d'art qui ne répondent à aucun des critères suivants :

- constituer des biens meubles qui sont le complément artistique des immeubles classés ou inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques ;

- être une oeuvre présentée au public ;

- être une oeuvre d'un artiste contemporain encore en vie.

Paradoxalement, l'initiative de cette disposition vient de notre collègue Jean-Pierre Brard, alors même qu'il avait indiqué dans son rapport précité que toute extension de l'assiette devait s'accompagner d'une réduction des taux ou d'un relèvement du seuil d'imposition.

c) Les propositions de votre commission

Votre commission estime qu'il est urgent de stabiliser l'imposition du patrimoine et de rétablir la confiance des contribuables en leur montrant que la fiscalité sur l'impôt de solidarité sur la fortune est désormais stable, à travers deux dispositions concrètes :

- l'actualisation du barème de l'impôt de solidarité sur la fortune ;

- la suppression des effets du plafonnement de la cotisation d'ISF.

S'agissant de l'actualisation du barème de l'impôt de solidarité sur la fortune, votre commission regrette l'attitude démagogique de l'Assemblée nationale.

En effet, la non actualisation du barème de l'impôt de solidarité sur la fortune pour la quatrième année consécutive se justifie moins pour des raisons d'équité que par le souci d'augmenter la pression fiscale sur les plus fortunés. Or, le refus d'actualiser ledit barème risque d'inciter les contribuables concernés à quitter notre pays pour échapper à une pression fiscale toujours plus forte.

Il apparaît également souhaitable de procéder à la suppression des effets du plafonnement de la cotisation d'ISF.

Sans revenir en détail sur les nombreux épisodes parlementaires ayant présidé à la mise en place d'une telle mesure, on doit relever, outre l'attitude constante de votre commission en ce domaine, que désormais celle-ci semble rejointe par des membres de la " majorité plurielle " qui se sont interrogés sur l'opportunité de revenir sur la limitation du plafonnement de la cotisation d'ISF.

Ainsi, dans son récent rapport d'information précité notre collègue Jean-Pierre Brard constate que " pour les titulaires de patrimoine très élevés (...), le cumul IR et ISF peut ainsi s'avérer confiscatoire. Ce caractère confiscatoire est à l'origine de certains départs à l'étranger. Afin d'éviter cette difficulté, on peut envisager de rétablir le dispositif mis en place en 1989 et en 1991, à savoir un plafonnement sans limite du total IR-ISF à 85 % du revenu(...) ".

Votre commission des finances ne peut que souscrire à ces propos en souhaitant en ce domaine également que l'on passe des intentions aux actes.

3. Impôt sur le revenu, se méfier des effets d'annonce

La réforme de l'impôt sur le revenu est désormais dans l'air du temps. Hier, on n'en parlait dans les cercles gouvernementaux qu'en aparté comme pour calmer l'impatience de l'opinion ; aujourd'hui, les petites phrases ont laissé la place aux gros rapports, tandis que les manchettes des journaux sur les déclarations de telle ou telle personnalité témoignent d'un débat au sein même de la majorité gouvernementale .

De fait, les esprits ont évolué, même si la réforme n'est pas encore à l'ordre du jour.

Toutefois, pendant que l'on discute, les prélèvements continuent d'augmenter. Les Français le ressentent d'autant plus douloureusement qu'avec la reprise de la croissance, la pression d'un barème progressif se fait plus forte .

L'agitation qui caractérise la majorité gouvernementale sur ce sujet, fait contraste avec l'immobilisme de fait , immobilisme d'autant plus dangereux pour le pays qu'il s'inscrit dans une Europe où, à l'heure de l'Euro, le facteur travail est de plus en plus mobile .

Le système fiscal français doit donc être entièrement revu. Le gouvernement le sait, le gouvernement l'admet mais le gouvernement ne le fait pas.

Le temps de la réflexion ne saurait justifier cette inertie quand des mesures simples, conservatoires ou correctives, peuvent être prises compte tenu de l'évolution dynamique des recettes : 320 milliards de recettes en 1999, soit 4,6 milliards de plus que ce qui a été inscrit dans la loi de finances initiale pour 1999 ; 333,2 milliards de francs prévus en l'an 2000, soit 13,2 milliards de plus qu'en 1999. La croissance de l'impôt sur le revenu - + 4,125 % - est encore plus " dynamique " que celle du PIB.

Ainsi votre commission souhaite en ce domaine apporter sa contribution au débat afin d'inciter le gouvernement à agir. En matière fiscale comme en matière budgétaire, la politique doit en effet décider, non constater.

Face à un double constat, - la progressivité du barème est excessive par rapport au reste de l'Europe, la montée des prélèvements se poursuit insidieusement -, votre rapporteur général souhaite porter un coup d'arrêt à l'accroissement de la charge fiscale et réaffirmer une des priorités oubliées de notre système fiscal qu'est le renforcement des solidarités familiales .

a) Une forte progressivité aux deux extrémités du barème

La question n'est plus tabou. Le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale le reconnaît lorsqu'il affirme : " le haut niveau des prélèvements obligatoires fait qu'une réflexion sur les taux marginaux de l'impôt sur le revenu ne doit pas être exclue ".

En France, l'impôt sur le revenu est très concentré . D'abord, parce que, si l'on fait abstraction des prélèvements CSG/CRDS, il n'y avait en 1997, que 15,71 millions de foyers payant l'impôt sur 31,18 millions, soit une proportion de 50,4%. Ensuite parce qu'il pèse essentiellement sur les hauts et très hauts revenus : en 1997, les 5 % de contribuables situés en haut de l'échelle des rémunérations recevaient 22 % du revenu et payaient 50 % de l'impôt ; les 50 % du bas de l'échelle recevaient 18,6 % du revenu et payaient 2,8 % de l'impôt 50( * ) .

Le phénomène symétrique d'une excessive progressivité à l'entrée du barème a été encore récemment mis en évidence par les travaux de François Bourguignon de l'École pratique des hautes études, dans un rapport remis l'an dernier au Premier ministre dans le cadre du Conseil d'analyse économique .

Ce rapport insiste sur la nécessité d'une approche globale de la question de la redistribution et préconise une alternative consistant à remplacer le système IR-transferts par un système " d'impôt négatif ", dont le principe est le suivant : tout ménage ou toute personne, quel que soit son revenu primaire, reçoit un transfert forfaitaire et est imposé à un taux constant sur la totalité des revenus qu'il ou elle en obtient.

Un système d'impôt négatif appliqué en Angleterre

La Grande-Bretagne vient de mettre en place un système procédant de ces principes. Déjà annoncé dans le budget de mars dernier , le " working families tax credit " (WFTC) et inspiré du modèle américain de crédit d'impôt, est destiné à réduire le " piège de la pauvreté " en encourageant les " foyers assistés " à retourner sur le marché du travail.

Le nouveau crédit d'impôt, qui est payable sur la feuille de paie, va se substituer au système actuel du " family credit " (complément familial) jusqu'ici versé par la sécurité sociale. La réforme s'inscrit d'ailleurs dans le cadre de " l'intégration des systèmes fiscal et de protection sociale ", voulue par le chancelier de l'Echiquier, avec la fusion des services du fisc et de la sécurité sociale. Il s'agit de rendre le travail " plus avantageux que les allocations, avec l'instauration d'un revenu minimum de 200 livres par semaine (ou 10.000 livres par an) par foyer où il y a un emploi à plein temps ".

Selon les estimations du Trésor britannique, l'introduction du WFTC, qui devrait concerner 1,5 million de foyers (contre 800.000 bénéficiaires du système actuel de " family credit "), va représenter un coût fiscal annuel de 5 milliards de livres pour le budget de l'État, soit un surcoût de 1,8 milliard de livres (18 milliards de francs) par rapport au système actuel. Pour en bénéficier, les foyers britanniques doivent comprendre au moins un adulte travaillant plus de 16 heures par semaine, avoir au moins un enfant à charge de moins de 16 ans et un volume d'épargne inférieur à 8.000 livres (80.000 francs).

Puisse la France s'inspirer de l'expérience britannique. C'est ce que votre rapporteur général avait d'ailleurs proposé en lançant l'idée d'un Revenu minimum d'activité (RMA).

b) La montée des prélèvements rampants

Le rapport de M. Didier Migaud estime à juste titre qu'une réflexion s'impose sur l'indexation du barème.

Il fait d'abord remarquer que l'indexation actuelle s'effectue sur la base de l'indice des prix hors tabac et que l'écart traditionnel de 0,1% entre cet indice et l'indice général aboutit sur une période de cinq ans à une augmentation de la charge fiscale d'environ 1 à 2,5 milliards de francs. Mais il souligne que " l'indexation du barème sur l'évolution des prix et non sur celle du revenu disponible des ménages contribue également à renforcer le poids intrinsèque de l'impôt sur le revenu par rapport aux autres prélèvements ".

Le problème de l'indexation n'avait pas échappé à votre rapporteur général qui avait ainsi fait remarquer dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 1999 que, " une simple indexation sur les prix permet à l'État, par le jeu de la progressivité de l'impôt, de toucher les dividendes de l'augmentation de pouvoir d'achat des Français ". Car telle est bien la question que pose un barème fortement progressif comme celui en vigueur dans notre pays, surtout lorsqu'il s'applique à des revenus gonflés par le retour de la croissance.

c) Des mesures nécessaires : indexer le barème sur la croissance et actualiser certains seuils

Le problème est de définir un mode d'indexation qui aille au delà d'une simple articulation sur les prix. Tandis que l'Assemblée nationale s'oriente vers un mode d'indexation tendant à proportionner le prélèvement résultant de l'impôt sur le revenu à la croissance de l'assiette, votre commission des finances recherche un système qui limite le phénomène de captation des fruits de la croissance par le budget de l'Etat.

Ainsi, pour votre commission des finances, il s'agit non pas de trouver un agrégat représentatif de l'assiette de l'impôt sur le revenu, mais de tenir compte dans l'évolution du barème de l'accroissement du revenu réel des Français. La solution la plus simple à cet égard serait de faire référence au taux de croissance du produit intérieur brut, agrégat à la fois simple et prévisible.

Par ailleurs votre commission estime que des aménagements neutres ponctuels sont possibles afin de réparer certains " oublis " du ministère des finances qui omet d'actualiser certains chiffres vieux parfois de plus de vingt ans.

d) Rectifier certaines erreurs manifestes en matière de fiscalité de la famille

L'année dernière le gouvernement a été amené à compenser le rétablissement de l'universalité des allocations familiales qu'il venait de supprimer par un abaissement du plafond de l'avantage fiscal consécutif au quotient familial, qui passe de 16.380 francs à 11.000 francs.

Ces mesures qui s'analysent non seulement comme un coup porté aux familles mais aussi plus généralement comme un renforcement de la fiscalité sur les hauts revenus, constituent une erreur manifeste d'appréciation. Cette erreur doit être rectifiée par exemple en faisant en sorte que la possibilité de rattachement au foyer fiscal soit offerte non seulement aux enfants étudiants mais également à ceux, trop nombreux, à la recherche d'un emploi . De même, le nécessaire développement des solidarités privées, et en tout premier lieu des collatéraux pourrait conduire à abaisser les conditions d'âge à partir duquel les personnes recueillies au foyer ouvrent droit à déduction.

Votre commission des finances souhaite que l'on corrige les effets les plus dommageables d'une politique qui doit s'analyser comme un alourdissement de la fiscalité pesant sur les cadres et donc comme un facteur supplémentaire de pénalisation des " capacités ", de ceux qui par leur compétence et leurs efforts sont à l'origine d'une bonne part du dynamisme de l'économie française.

e) Mettre fin à la fatalité du régime de l'impôt sur le revenu.

L'élimination des niches proposée l'année dernière par le gouvernement, au nom d'une justice abstraite, n'est pas une réponse au mal fiscal français. Car ce ne sont pas quelques niches ponctuelles qu'il faut éliminer, des taux de TVA qu'il faut manipuler mais la logique même de notre système fiscal lui-même qu'il faut réformer .

Toujours plus de contraintes, toujours plus d'exceptions . Telle semble être la fatalité du système fiscal français et, en particulier, du régime de l'impôt sur le revenu.

Comment ne pas constater une fois encore que, surtout lorsqu'il s'agit d'impôt sur le revenu, on ne fixe une règle que pour y apporter, parfois immédiatement, une multitude d'exceptions ? Selon la commission d'étude des prélèvements obligatoires présidée par M. Ducamin, " le niveau jugé élevé des taux d'imposition a entraîné la floraison de mécanismes en tous genres qui entachent gravement la progressivité, provoquent des ruptures d'égalité entre les contribuables car seuls les plus avertis bénéficient de ces mécanismes et peuvent avoir des effets pervers sur le fonctionnement de l'économie ".

Lorsque les revenus de transfert et de remplacement représentent plus de 35% contre 23% en 1970, on ne peut plus considérer notre système fiscal indépendamment du régime des prestations sociales.

Une vision d'ensemble est donc nécessaire. Votre commission estime que cette situation doit être examinée de près dans la mesure où le jeu combiné des règles fiscales et sociales peut aboutir à des discriminations non fondées.

" Less is more ", cet aphorisme n'est pas le fait de quelque tenant du monétarisme pur et dur mais celui d'un architecte Mies van der Rohe considéré comme un des pères du fonctionnalisme .

La justification profonde de cet appel en faveur d'un certain " minimalisme fiscal " ne réside pas seulement en ce que les Français voudraient payer moins d'impôts ; le sens réel de la formule est qu'il faut un système fiscal plus simple, plus fonctionnel, moins sophistiqué.

Trop d'impôt tue l'impôt, on le sait ; mais trop d'exceptions dissout la règle, qui perd alors efficacité et légitimité .

Une " mise à plat " est indispensable, votre commission des finances pense que c'est sur la base de principes clairs et avec une nette volonté de simplification qu'il faut aborder la refonte et même la refondation du système fiscal français, et en premier lieu de l'impôt sur le revenu.

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