II. L'URGENTE NÉCESSITÉ DE COMPTES PUBLICS CONSOLIDÉS
Votre
commission des finances a une conviction profonde :
il convient de
prendre en compte l'ensemble des finances publiques dans une vision statique
(les comptes consolidés de la collectivité) mais également
dynamique (les évolutions respectives de chaque poste de dépenses
et recettes) afin d'en examiner la cohérence.
Une tentative d'analyse globale montre de toute évidence que la France
ne mène pas une politique financière cohérente, puisque
tandis que des efforts, au moins d'affichage, sont réalisés pour
les finances de l'Etat, dépenses et recettes de la protection sociale
qui représentent plus de 30 % du PIB contre moins de 19 % pour le
budget de l'Etat (pour les dépenses), connaissent une dynamique
apparemment irrésistible.
Le caractère indispensable des comptes consolidés de la
sphère publique apparaît avec d'autant plus de force au regard des
liens très étroits qu'entretiennent les projets de loi de
finances et de financement de la sécurité sociale mais aussi de
l'évolution comparée des dépenses et
prélèvements. Cependant leur établissement se heurte
à de lourdes difficultés méthodologiques. Votre commission
des finances vous fera néanmoins des propositions en ce sens.
A. LA DYNAMIQUE DES FINANCES SOCIALES À L'ENCONTRE DE CELLE DES FINANCES DE L'ÉTAT
1. Stabilisation de la part de l'Etat, hausse de la part des administrations de sécurité sociale
Présentant le projet de loi de finances pour 2000, le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, Monsieur
Dominique Strauss-Kahn, indiquait que ce budget reposait, notamment, sur un
choix :
" la maîtrise des dépenses va permettre de
procéder à la plus forte baisse d'impôts depuis dix
ans ".
Le budget de l'Etat augmente ainsi de 0,9 % en dépenses
à périmètre constant, soit le niveau attendu des prix pour
2000.
Parallèlement, le champ de la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2000 montre des prévisions de
recettes en hausse de 3,45 % et des objectifs de dépenses qui
augmentent de 2,65 %.
Plus encore, la dynamique des finances sociales est
déconnectée de celle de l'Etat. En l'absence de mesures fortement
correctrices des dépenses, la politique menée en matière
de finances sociales aboutit à ce paradoxe qui veut que la France
prélève toujours plus, pour toujours plus de dépenses,
mais toujours moins de satisfaction des attentes des Français envers
leur système de protection sociale.
Qu'il s'agisse des dépenses et des recettes, la part de la protection
sociale croît sans cesse en France à un rythme supérieur
à celui de l'inflation comme de l'activité (sauf pour les
dépenses de 1998). Cette tendance est plus particulièrement
à l'oeuvre dans le champ du régime général
Variation des recettes et des dépenses (consolidées) du régime général et du PIB (en %)
|
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000** |
2001** |
2002** |
Recettes |
4,6 |
4,7 |
4,4 |
4,9 |
3,3 |
3,4 |
3,7 |
Dépenses |
3,1 |
2,9 |
2,8* |
3,8* |
2,9 |
3,1 |
3,1 |
Inflation hors tabac |
1,7 |
1,1 |
0,6 |
0,5 |
0,9 |
|
|
Consommation des ménages |
3,2 |
1,6 |
3,2 |
2,4 |
2,7 |
|
|
Croissance du PIB |
1,1 |
2 |
3,2 |
2,3 |
2,6 / 3 |
|
|
* La
mise sous condition de ressources des allocations familiales entre le
1
er
avril et le 31 décembre 1998 a pour effet
de réduire le taux de croissance des dépenses de 0,3 point
en 1998 et de l'augmenter d'autant en 1999.
** Prévisions
Sources : Commission des comptes de la sécurité sociale,
projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000,
rapport économique, social et financier annexé au projet de loi
de finances
Il pourrait paraître paradoxal de critiquer l'évolution à
la hausse des dépenses et des recettes publiques affectées
à la protection sociale dans un contexte où les administrations
de sécurité sociale redressent leur solde qui passerait d'un
déficit de 0,6 % du PIB en 1997 à un excédent de 0,25 % du
PIB en 2000.
Besoin/capacité de financement des administrations publiques
(en points de PIB)
|
|
|
|
|
Hypothèse prudente (4) |
Hypothèse favorable (5) |
||
|
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2001 |
2002 |
Etat |
- 3,3 |
- 3,0 |
- 2,7 |
- 2,4 |
- 2,2 |
- 2,0 |
- |
- |
ODAC (1) |
+ 0,7 |
+ 0,15 |
+ 0,1 |
+ 0,15 |
+ 0,2 |
+ 0,2 |
- |
|
APUL (2) |
+ 0,2 |
+ 0,15 |
+ 0,15 |
+ 0,2 |
+ 0,2 |
+ 0,3 |
- |
- |
ASSO (3) |
- 0,6 |
- 0,2 |
+ 0,15 |
+ 0,25 |
+ 0,2 |
+ 0,3 |
- |
- |
Total |
- 3,0 |
- 2,9 |
- 2,3 |
- 1,8 |
- 1,6 |
- 1,2 |
- 1,2 |
- 0,8 |
(1)
Organismes divers d'administration centrale.
(2) Administrations publiques locales.
(3) Administrations de sécurité sociale.
(4) Croissance du PIB = 2,5 % par an.
(5) Croissance du PIB = 3,0
%
par an. Le gouvernement ne décompose
pas par secteur car il y aurait, dans cette hypothèse, des baisses de
prélèvements obligatoires différenciées.
Source : débat d'orientation budgétaire pour 2000 et projet
de loi de finances pour 2000
Cependant, cette amélioration est essentiellement le fait des
régimes privés d'assurances et retraites complémentaires
et de la branche vieillesse. Elle résulte par ailleurs d'une plus forte
progression des recettes par rapport aux dépenses, grâce à
la croissance économique.
Ces facteurs ont un caractère
conjoncturel et il serait faux d'y voir les signes d'un redressement structurel
des finances sociales.
De plus, il ne faut pas seulement raisonner en terme de solde s'agissant des
finances publiques. Les niveaux absolus atteints dans notre pays par la
sphère publique dans l'économie, le poids des
prélèvements obligatoires et celui des dépenses publiques
handicapent sérieusement notre économie pour affronter l'avenir.
Il paraît plus que jamais indispensable de procéder à une
réduction du bilan de la sphère publique, de son passif comme de
son actif, des dépenses, prestations et transferts qui le composent,
comme des impôts, taxes et cotisations qui le financent.
2. Une dynamique renforcée par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000
Dans une
vision pluriannuelle des finances publiques, le projet de loi de financement de
la sécurité sociale pour 2000 révèle une tendance
à la hausse des dépenses comme des prélèvements qui
paraît peu conforme au programme pluriannuel adopté par la France
pour l'horizon 2002 de diminution des dépenses publiques et de
maîtrise des prélèvements obligatoires.
Le rapport économique, social et financier annexé au
présent projet de loi de finances le reconnaît
lui-même :
" Pour l'année 1999, les prestations
sociales des administrations de sécurité sociale sont plus
dynamiques que celles prévues dans le programme pluriannuel de finances
publiques.
Cette progression traduit pour partie les effets de la
revalorisation des pensions (1,2 %) qui avaient été
calibrés au 1
er
janvier sur les prévisions d'inflation
de l'automne dernier et d'autre part le dépassement de l'objectif
national de dépenses d'assurance maladie. Dans le même temps, les
allocations chômage servies par les régimes sociaux ne
bénéficient pas pleinement de l'amélioration sur le
marché du travail, en raison de la hausse du montant de l'indemnisation
moyenne et de la montée en charge de l'allocation de remplacement. L'an
prochain, les prestations sociales devraient progresser à un rythme
équivalent à celui proposé dans la programmation
(2,2 %). L'objectif de dépense maladie est légèrement
revu à la hausse pour 2000 (+ 1,6 % contre + 1,3 %)".
Hausse
des dépenses des administrations publiques
et programme pluriannuel
de finances publiques
|
1999 |
2000 |
||
|
Programme pluriannuel |
PLF et PLFSS |
Programme pluriannuel |
PLF et PLFSS |
Dépenses de l'Etat |
+ 1 % |
+ 1 % |
+ 0,3 % |
0 |
ONDAM |
+1,4 % |
+ 2,6 % |
+ 1,3 % |
+ 1,6 % |
Prestations sociales des ASSO |
+ 1,3 % |
+ 2,7 % |
+ 2,3 % |
+ 2,2 % |
Source : Rapport économique, social et financier
annexé au projet de loi de finances pour 2000
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale
présente ainsi une hausse de périmètre de 3,45 % pour
les recettes et de 2,75 % pour les dépenses.
Tableau du périmètre du PLFSS 1999 / 2000
(en milliards de francs)
|
LFSS 1999 |
PLFSS 2000 |
Ecart |
Variation |
Objectif de dépenses |
1 806,6 |
1 856,3 |
49,7 |
+ 2,75 % |
Prévision de recettes |
1 810,9 |
1 873,2 |
62,3 |
+ 3,45 % |
Source : projet de loi de financement pour 2000
Les dépenses augmentent ainsi en partie sous le coup des
évolutions spontanées, en partie par les mesures nouvelles qui
viennent dégrader le solde du régime général (plus
de 4 milliards de francs de mesures nouvelles annoncées par le
Gouvernement).
De même, le projet de loi de financement crée ou reçoit le
bénéfice de 60 milliards de francs : 15,4 milliards de
francs de nouveaux prélèvements obligatoires qui viennent
s'ajouter aux 44,6 milliards de francs transférés par la loi de
finances.
De plus, le texte est porteur d'une dynamique qui tend à la fois
à augmenter les dépenses à " guichets ouverts ",
à augmenter les prélèvements et à augmenter la part
d'incertitude à la charge du budget de l'Etat.
En effet, les deux mesures d'âge en faveur des familles présentent
un coût de 665 millions de francs la première année mais de
1,5 milliard de francs en année pleine. Quant au fonds en faveur du
retrait anticipé d'activité des victimes de l'amiante, il devrait
représenter une charge de 800 millions de francs en année pleine.
Sans parler du non-financement des 35 heures, au total le projet de loi de
financement grève déjà de 2 milliards de francs avec ces
simples mesures le solde du régime général à partir
de 2001.
Par ailleurs, l'instauration de la couverture maladie universelle, nouveau
minimum social, comme les mécanismes de la loi 35 heures constituent des
dispositifs dont il est impossible d'évaluer avec précision la
montée en charge alors même que tout indique qu'ils susciteront
des dépenses plus importantes dans l'avenir.
Or le mécanisme de non-régulation de ces dépenses fait
reposer sur l'Etat et sur les prélèvements obligatoires la charge
de leur incertitude. En effet, l'Etat accorde une subvention d'équilibre
au fonds de financement de la couverture maladie universelle dont le reste des
ressources est assuré par une contribution-taxe versée par les
organismes de protection complémentaire. La première comme la
seconde sont donc destinées à croître. C'est d'autant plus
vrai pour le prélèvement obligatoire que celui-ci est calé
sur le coût prévisionnel de 1.500 francs par assuré
complémentaire CMU, alors que tout porte à croire que ce chiffre
est sous-estimé.
Le raisonnement vaut aussi pour le fonds de financement des 35 heures.
Celui-ci est abondé dorénavant par un prélèvement
sur le Fonds de solidarité vieillesse, des prélèvements
obligatoires et une contribution de l'Etat. Cette fois, le Gouvernement a
annoncé lui-même que chacune des parts serait amenée
à augmenter, dans des proportions très importantes, avec pour
résultat : de ponctionner le fonds de réserve pour les
retraites, la contribution du FSV aux 35 heures passant de 5,6 à
12 milliards de francs ; accroître les
prélèvements obligatoires d'au moins 10 milliards de francs
(la TGAP et la nouvelle cotisation sociale sur les bénéfices
devront rapporter 25 milliards de francs au lieu de 7,5 milliards en 2000,
mais la taxation des heures supplémentaires, destinée à
rapporter 7,5 milliards de francs, aura disparu) ; augmenter les
dépenses de l'Etat par la subvention d'équilibre passant (de
4,3 milliards de francs en 2000 à 8 milliards de francs).
Au total, le projet de loi de financement porte en germe plus de 48
milliards de francs de nouvelles dépenses et impositions qu'il faudra
bien financer après 2000.
Nouvelles
impositions et dépenses annuelles en germe dans le projet de loi
de
financement de la sécurité sociale
Mesures |
Surcoût par rapport à 2000 |
Organismes le supportant |
Extension des conditions d'âge des prestations familiales |
535
millions de francs
|
CNAF
|
Cessation anticipée d'activité des victimes de l'amiante |
800 millions de francs |
Branche accidents du travail |
Contribution de l'Etat au fonds de financement de la CMU |
? |
Etat |
Contribution des organismes complémentaires pour le financement de la CMU |
? |
Prélèvements obligatoires |
Droits sur les alcools (affectés aux 35 heures) |
6,4 milliards de francs |
FSV / fonds de réserve pour les retraites |
TGAP (affectée aux 35 heures) |
9,3 milliards de francs |
Prélèvements obligatoires |
Cotisation sociale sur les bénéfices (affectée aux 35 heures) |
8,2 milliards de francs |
Prélèvements obligatoires |
Contribution au fonds de financement des 35 heures |
3,2 milliards de francs |
Etat |
Incertitude du financement des 35 heures |
20 milliards de francs |
Prélèvements obligatoires |
Total |
au moins 48,7 milliards de francs (dont 40,7 milliards devant être affectés aux 35 heures) |
Source : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000
*
* *
La
vision pluriannuelle des finances publiques montre que des tendances lourdes
sont en oeuvre, celle de l'augmentation du champ de la sphère sociale
publique et donc de l'augmentation à venir de ses dépenses comme
de ses recettes. La présence d'un solde équilibré ne
saurait justifier une telle progression qui ne pourra que se heurter au
caractère insupportable des prélèvements
nécessaires à son maintien.
Apparaît ainsi indispensable une maîtrise des
prélèvements sociaux que seule celle des dépenses sociales
est susceptible d'assurer afin d'affirmer des choix de priorité d'avenir
aujourd'hui non réalisés.