B. UNE LISIBILITÉ ALTÉRÉE PAR DES TRANSFERTS MASSIFS
1. Vers un démantèlement du budget de l'Etat ?
a) Le budget de l'Etat : la " partie d'un tout "
Les
transferts budgétaires massifs affectant le budget de l'Etat sont
à l'origine d'interrogations profondes quant à la
sincérité du projet de loi de finances pour 2000.
En effet, ces transferts nuisent considérablement à la
lisibilité et à l'intelligibilité du projet de budget,
dont l' " ingéniosité " consiste à afficher
des baisses d'impôts dans le projet de loi de finances, alors que
l'alourdissement des prélèvements, et même la
création d'impositions nouvelles, sont prévus par le projet de
loi de financement de la sécurité sociale.
Désormais, une vue exhaustive des comptes publics nécessitera de
prendre en considération le budget de l'Etat, mais également la
loi de financement de la sécurité sociale.
Votre commission s'interroge par ailleurs sur la compatibilité de
cette situation avec le principe d'universalité budgétaire, qui
est pourtant un des principes de base du droit budgétaire
français.
b) Un motif difficilement acceptable : le financement des " 35 heures "
L'atteinte qui est ainsi portée par le présent
projet
de loi de finances au principe de l'universalité budgétaire
résulte, en grande partie, du dispositif arrêté par le
gouvernement, afin de financer la réduction autoritaire du temps de
travail.
Or, votre commission juge difficilement acceptable tant cette
décision arbitraire du gouvernement qui nuit par ailleurs gravement au
bon fonctionnement du paritarisme, que ses modalités de financement, qui
l'assimilent à une véritable " usine à gaz ",
difficilement compréhensible même par les spécialistes...
Il fait en effet intervenir pas moins de six sources de financement
, pour
un coût total évalué à environ 65 milliards de
francs en 2000
26(
*
)
, et
110 milliards de francs à partir de 2002 :
- l'affectation d'une partie du produit du droit de consommation sur les tabacs
manufacturés ;
- le produit de la nouvelle contribution sociale sur les entreprises
27(
*
)
;
- le produit de l'extension de l'assiette de la taxe générale sur
les activités polluantes (TGAP) ;
- une contribution du budget de l'emploi ;
- le produit de la taxation des heures supplémentaires prévue par
la " seconde loi sur les 35 heures ", et initialement destinée
à constituer une réserve de trésorerie ;
- et enfin l'affectation d'une partie du produit des droits sur les alcools.
Par ailleurs, il convient de rappeler que le gouvernement avait initialement
prévu de faire supporter aux organismes sociaux une contribution
financière, dont le montant n'était pas déterminé,
et qui a provoqué l'hostilité générale et
légitime des partenaires sociaux.
Le financement des 35 heures, qui n'était pas assuré à
terme, ne semble pas l'être davantage aujourd'hui.
Le gouvernement a
en effet dû présenter un dispositif complémentaire qui,
désormais, propose d'affecter au fonds de financement des
allégements de charges sociales une partie du produit des droits sur les
alcools, aujourd'hui affectés au fonds de solidarité vieillesse
et à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs
salariés (CNAMTS), ainsi que le produit de la taxation des heures
supplémentaires.
Cette solution retenue par le gouvernement consiste donc, aux prix d'une
étonnante alchimie à ne plus mettre les organismes sociaux
à contribution, mais à les priver d'une partie de leurs
ressources !
2. Le " trouble " de l'Assemblée nationale
Le rapporteur général de l'Assemblée nationale a tenu à saluer " l'ingéniosité du dispositif " proposé par le gouvernement pour financer les " 35 heures ", à moins qu'il ne s'agisse plutôt d'une manière d'exprimer l'ironie que ne manque pas de susciter une telle " usine à gaz " au sein même de la majorité gouvernementale.
" Un certain trouble au sein de la commission "
Le 30
septembre 1999, à l'occasion de l'audition de M. Christian Sautter, le
rapporteur général, M. Didier Migaud, estimait ainsi que
" les modifications structurelles proposées tant pour le budget
de l'Etat que pour les comptes sociaux
avaient éveillé un
certain trouble au sein de la commission
".
Votre commission partage ce trouble, renforcé par la
difficulté d'arriver à déterminer le ministre
compétent, sur le fond, pour expliquer ce dispositif.
Ainsi, à propos d'une question sur la TGAP posée au
secrétaire d'Etat au budget, ce dernier a répondu que
" c'est la ministre de l'emploi et de la solidarité, qui, au nom
du gouvernement tout entier, soutiendra la discussion de ces dispositions
[par conséquent, celle de la TGAP]
devant le
Parlement ".
Pourtant, le même compte-rendu indique que
" Mme Nicole Bricq a
rappelé que Mme Martine Aubry, entendue le matin même par la
commission, s'était, à sa grande surprise, déclarée
incompétente s'agissant des dispositions fiscales de la loi de
financement ".
Et Mme Nicole Bricq de conclure par un
euphémisme :
" il y a un indéniable défaut
d'articulation entre les deux ministères concernés et entre les
deux textes ".
Enfin, le rapporteur général de l'Assemblée nationale,
avait relevé la différence d'appellation dans le projet de loi de
finances et dans le projet de loi de financement du fonds destiné
à financer les allégements de charges sociales.
D'ailleurs, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a
lui-même reconnu le problème en déclarant à
l'Assemblée nationale lors de la discussion
générale :
" Le rapporteur général a
souligné également le problème de lisibilité que
pose l'existence d'un projet de loi de finances et d'un projet de loi de
financement de la sécurité sociale. Il a raison. Nous pouvons
nous efforcer de rendre les choses plus lisibles. M. Migaud a d'ailleurs
fait des propositions en ce sens dans son rapport ".