EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est donc appelé à examiner cinq propositions de
loi tendant à modifier certaines conditions de présentation des
candidatures à différents scrutins.
Trois propositions de loi concernent les conditions de présentation
des candidatures au
premier tour
des élections cantonales ou des
élections municipales :
-
Celle de M. Michel Dreyfus-Schmidt et des membres du groupe
socialiste (n° 493 ; 1997-1998)
étendrait aux
élections cantonales l'interdiction des candidatures multiples.
-
La proposition de loi de M. Georges Gruillot et plusieurs de ses
collègues (n° 548 ; 1997-1998)
comporte deux articles
sur les conditions de présentation des candidatures au premier tour des
élections cantonales. Comme la précédente, elle
interdirait les candidatures multiples aux élections cantonales.
Elle renforcerait une condition d'éligibilité au conseil
général en exigeant du candidat d'être domicilié ou
inscrit au rôle des contributions directes dans le canton où il se
présente, au lieu du département, et supprimerait aussi
l'interdiction d'être membre de plusieurs conseils généraux.
-
La proposition de loi de M. Bernard Joly (n° 465 ;
1997-1998)
généraliserait l'interdiction des candidatures
multiples à tous les scrutins pour lesquels elle n'est pas applicable
(élections cantonales et élections municipales dans les communes
de moins de 3.500 habitants) et instituerait des peines d'amende en cas
d'infraction à l'interdiction des candidatures multiples.
M. Bernard Joly propose aussi de rendre inéligibles les membres non
renouvelables d'une assemblée lors d'un renouvellement partiel ou d'une
élection partielle de cette assemblée.
Trois autres propositions de loi concernent les conditions de
présentation des candidatures au
second tour
des
élections:
-
La proposition de loi de M. Michel Dreyfus-Schmidt et des membres du
groupe socialiste (n° 494 ; 1997-1998)
tend à
prévoir l'élection au premier tour du candidat arrivé en
tête lorsque le candidat en deuxième position se désiste et
que le candidat suivant ne répond pas aux conditions requises pour se
présenter au second tour.
-
La proposition de loi précitée de
M. Georges Gruillot
et plusieurs de ses collègues
comporte aussi trois articles relatifs aux conditions de recevabilité
des candidatures au second tour des élections législatives et des
élections cantonales.
Pour les élections cantonales, seuls pourraient se maintenir au second
tour les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages,
après retrait éventuel d'un candidat plus favorisé, le
seuil de 10 % des électeurs inscrits qui conditionne actuellement
ce maintien étant supprimé.
Pour les élections législatives, la même règle
serait retenue (possibilité de maintien des deux candidats de tête
après désistement éventuel d'un candidat plus
favorisé), mais avec la condition supplémentaire d'avoir atteint
le seuil actuellement fixé à 12,5 % des électeurs
inscrits.
-
La proposition de loi de M. Philippe Marini et plusieurs de ses
collègues (n° 482 ; 1997-1998)
porterait à
15 % du nombre des électeurs inscrits le seuil de
recevabilité des candidatures au second tour des élections
législatives, cantonales et municipales. Elle permettrait au candidat
arrivé en troisième position, s'il a recueilli les suffrages d'au
moins 5% des électeurs inscrits, de se maintenir au second tour
lorsqu'un des deux premiers candidats susceptibles d'y figurer se retire.
Enfin, elle porterait de 5 % des suffrages exprimés à
10 % du nombre des électeurs inscrits le seuil permettant, aux
élections municipales, à une liste, de fusionner avec d'autres
listes.
Les trois premiers textes cités (conditions de présentation des
candidatures au premier tour des élections cantonales) seraient donc
essentiellement destinés à corriger ou harmoniser des
dispositions du code électoral de caractère technique.
Les trois derniers textes cités soulèvent, en revanche, des
questions essentielles et plus sensibles, portant sur les conditions de
maintien au second tour des élections législatives, cantonales et
municipales pour la dernière, et l'élection dès le premier
tour d'un candidat n'ayant pas obtenu la majorité relative.
I. UNE LACUNE LÉGISLATIVE À COMBLER ET UNE QUESTION DE PRINCIPE
A. UNE LACUNE LÉGISLATIVE : LES CANDIDATURES MULTIPLES AUX ÉLECTIONS CANTONALES
L'éligibilité aux élections locales est
conditionnée par l'existence d'une attache avec la collectivité
concernée (commune, département, région) qui
résulte du fait, soit d'y être inscrit sur une liste
électorale, soit d'être inscrit au rôle des contributions
directes de la collectivité.
Un électeur peut donc se présenter dans plusieurs cantons d'une
même département, ou dans plusieurs départements
différents s'il y est domicilié ou contribuable, puisque
les
candidatures multiples ne sont pas interdites aux élections
cantonales
.
En effet, l'interdiction d'être membre de plusieurs conseils
généraux (article L. 208 du code électoral) ne
fait pas obstacle à des candidatures multiples, l'élu devant, le
cas échéant, opter pour l'un d'entre eux dans l'hypothèse
où il aurait été élu dans plusieurs cantons.
En France, l'interdiction des candidatures multiples constitue une tradition
bien établie depuis l'utilisation qui en a été faite par
le général Boulanger, à la fin du XIXè
siècle.
Cette tradition repose sur l'idée qu'un candidat sollicite le suffrage
des électeurs dans le but d'exercer ensuite son mandat, s'il est
élu, les candidatures multiples pouvant apparaître peu
respectueuses du corps électoral et comme un moyen de le
" manipuler ".
Toutefois, l'interdiction des candidatures multiples n'a pas
été établie pour tous les scrutins.
Cette interdiction, qui porte sur les candidatures dans plusieurs
circonscriptions électorales et, le cas échéant, sur
plusieurs listes dans une même circonscription, n'a pas été
prévue pour les élections cantonales et pour les élections
municipales dans les communes de moins de 3.500 habitants.
Pour
les élections législatives et les élections
sénatoriales
, l'interdiction d'être candidat dans plus d'une
circonscription et, le cas échéant, sur plus d'une liste, est
fixée par les articles L. 156 et L. 302 du code
électoral. En cas de candidatures multiples, le préfet saisit
dans les 24 heures le tribunal administratif qui statue dans les trois jours.
La décision du tribunal administratif ne peut être
contestée que devant le Conseil constitutionnel saisi de
l'élection (articles L. 159 et L. 303 du code
électoral).
De plus, pour les élections législatives,
l'article L. 174 du code électoral prévoit que les voix
données au candidat qui a fait acte de candidature dans plusieurs
circonscriptions sont nulles et que le candidat ne peut être élu
dans aucune circonscription.
Les élections législatives sont les seules pour lesquelles des
sanctions sont prévues en cas de violation de cette interdiction.
Des peines d'amende peuvent être prononcées à l'encontre
des personnes qui se présentent dans plusieurs circonscriptions ou de
celles qui accomplissement des actes de propagande en faveur des candidatures
multiples, ces documents de propagande pouvant, en outre, être
enlevés ou saisis (articles L. 169 à L. 171 du code
électoral).
L'interdiction des candidatures sur plus d'une liste ou dans plus d'une commune
aux
élections municipales dans les communes d'au moins
3.500 habitants
est établie par l'article L. 263 du
même code, et celle de se présenter dans plusieurs secteurs
à Paris, Lyon et Marseille, par l'article L. 272-2 du même
code.
Dans les communes de moins de 3.500 habitants, pour lesquelles les
candidatures ne sont pas soumises à enregistrement, aucune disposition
n'interdit les candidatures multiples.
Nul ne peut être membre de plusieurs conseils municipaux
(article
L. 238 du code électoral), circonstance qui pourrait se produire si
un conseiller municipal était élu dans une autre commune que la
sienne à l'occasion d'une élection partielle.
Le conseiller municipal élu dans plusieurs communes dispose d'un
délai de 10 jours à partir de la proclamation des
résultats pour choisir la commune dont il souhaite rester conseiller. A
défaut d'option dans ce délai, il ne reste membre que du conseil
municipal de la commune la moins peuplée.
Pour les
élections régionales
et les élections
territoriales en Corse, l'interdiction de se présenter sur plusieurs
listes est formulée par les articles L. 348 et L. 372 du
code électoral, l'enregistrement d'une liste comportant le nom d'une
personne figurant sur une autre liste étant " nul et non
avenu ".
Lorsque le refus d'enregistrement d'une liste est motivé par une
candidature multiple, la liste dispose d'un délai de 48 heures
à compter du refus ou de la décision juridictionnelle confirmant
le refus pour se compléter. La candidature est enregistrée si le
tribunal administratif, saisi, n'a pas statué dans les délais
(article L. 351).
Nul ne pouvant être membre de plusieurs conseils régionaux, le
conseiller régional élu dans une autre région doit, le cas
échéant, faire connaître son option dans les trois jours de
son élection. A défaut d'option dans ce délai, il est
démissionnaire dans les régions où il a été
élu (article L. 345 du code électoral).
En ce qui concerne les
élections européennes
,
l'interdiction d'être candidat sur plusieurs listes est établie
par l'article 7 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977.
Si une déclaration de candidature ne remplit pas cette condition, le
ministre de l'Intérieur saisit dans les 24 heures le Conseil d'Etat
qui statue dans les trois jours. Le cas échéant, la liste dispose
ensuite d'un délai de 48 heures pour se compléter
(article 12 de la loi du 7 juillet 1977 précitée).
Si aucune disposition ne fait obstacle aux candidatures multiples aux
élections cantonales, il n'est pas possible d'être membre de plus
d'un conseil général (article L. 208 du code
électoral).
Le conseiller général élu dans plusieurs cantons doit
déclarer au président du conseil général le canton
de son choix dans les trois jours qui suivent la plus prochaine réunion
du conseil général ou, en cas de contentieux électoral,
dans les trois jours à partir de la date à laquelle la
décision juridictionnelle confirmant l'élection est
définitive (article L. 209 du code électoral).
A défaut d'option dans le délai imparti, le conseil
général détermine, en séance publique et par voie
de tirage au sort, à quel canton le conseiller appartiendra.
Des candidatures multiples aux élections cantonales ne peuvent donc
jamais permettre à une personne d'exercer plus d'un mandat
départemental.
Elles pourraient cependant apparaître choquantes dans la mesure où
elles n'impliqueraient pas une volonté du candidat de représenter
effectivement les électeurs dont il a sollicité les suffrages.
Selon les informations recueillies par votre rapporteur auprès du
ministère de l'Intérieur, les candidatures multiples aux
élections cantonales sont assez peu fréquentes, bien qu'en
augmentation, notamment dans les cantons de plus de 9.000 habitants
où les dispositions sur le financement des campagnes électorales
sont applicables (articles L. 52-4 et L. 52-11-1 du code électoral).
Lors du renouvellement de 1998, dans 3.856 cantons renouvelables, 29 candidats
se sont présentés dans 2 cantons, 8 candidats ont
déposé entre 3 et 5 candidatures et 6 candidats ont souscrit au
moins 12 candidatures, le " record " s'établissant à 28
candidatures pour une seule personne.
Le ministère de l'Intérieur ne dispose, en revanche, d'aucune
information concernant les élections municipales dans les communes de
moins de 3.500 habitants, puisque les candidatures n'y font pas l'objet
d'un enregistrement.