B. FAVORISER L'ÉPARGNE RETRAITE : UN DISCOURS SANS PROJET
1. Le Gouvernement et la loi Thomas : ni abrogation, ni application
M.
Lionel Jospin avait indiqué, dans sa déclaration de politique
générale du 19 juin 1997, que
" les dispositions
récemment adoptées en faveur des fonds de pension qui peuvent
porter atteinte aux régimes par répartition seront remises en
cause "
.
La loi Thomas est donc restée inappliquée, faute de
décrets d'application. Le Gouvernement ne s'est pas résolu pour
autant à l'abroger. Comme l'a souligné, non sans un certain
cynisme institutionnel, M. Dominique Strauss-Kahn,
" l'abrogation
de cette loi serait même à la limite inutile car les
décrets d'application n'ont jamais été pris par ce
Gouvernement, en sorte qu'elle ne peut avoir d'application
concrète "
.
Votre rapporteur ne partage pas cette analyse : certes, la nouvelle
majorité n'est pas liée par le vote de la loi du 25 mars 1997 ;
elle a tout à fait le droit de l'abroger. Mais se contenter de ne pas
promulguer les décrets d'application n'est pas respectueux de la norme
législative.
De manière assez ironique, la conversion soudaine du Gouvernement -et de
sa majorité- à la capitalisation a été
annoncée à l'occasion de la discussion à
l'Assemblée nationale, lors de l'examen du projet de loi de financement
de la sécurité sociale pour 1999 : un amendement
présenté par le groupe communiste tendait à abroger la loi
du 25 mars 1997 créant les plans d'épargne-retraite.
Craignant -à juste titre- une annulation de cette disposition par le
Conseil constitutionnel
16(
*
)
, le
Gouvernement n'a pas pu soutenir cet amendement.
En " compensation ", le rapport annexé à la loi de
financement de la sécurité sociale pour 1999 comporte ainsi cet
engagement péremptoire :
" La loi n° 97-277 du 25 mars 1997
créant les plans d'épargne retraite ne constitue pas une bonne
solution pour l'avenir de notre système de retraite. (...) En
conséquence, le Gouvernement proposera au Parlement en 1999, dès
qu'un support législatif le permettra, l'abrogation de cette
loi. "
Votre rapporteur rappelle que le rapport annexé n'a aucune portée
normative
17(
*
)
.
De nouveau, M. Bernard Kouchner, alors secrétaire d'Etat à
la santé, a " promis " devant la Haute assemblée, le
6 mai dernier, une telle abrogation :
" Quant à la loi
Thomas, qui privilégie l'apport personnel et la retraite par
capitalisation, qui suppose une démarche individuelle, le Gouvernement
s'est engagé à la supprimer. Nous le ferons, en fonction du
calendrier parlementaire, qui, vous le savez, est très chargé,
dans un avenir extrêmement proche. Cela déjà
été dit, et je le répète. "
Il n'en a rien été.
Cette volonté d'abroger la loi Thomas, sans passage à l'acte, ne
constitue pas pour autant une véritable conviction
idéologique.
2. La redécouverte des vertus de l'épargne retraite : une conversion sans conséquences concrètes
La
majorité " plurielle " semble divisée sur la question
de l'épargne retraite. Néanmoins, une conversion semble se
dessiner.
M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, est
intervenu dès février 1998 en faveur de fonds partenariaux de
retraite. Sa prise de position de septembre 1999 s'inscrit dans cette logique.
M. Jérôme Cahuzac, dans le cadre du groupe d'étude sur
la fiscalité du patrimoine, a remis en juillet 1998 une note à
MM. Augustin Bonrepaux et Didier Migaud, respectivement président
et rapporteur général de la commission des Finances de
l'Assemblée nationale. Cette note analyse les conditions
nécessaires au succès d'un produit d'épargne entreprise
à long terme (PEELT), plan de dix ans renouvelable
18(
*
)
.
Lors du débat sur le projet de loi de financement de la
sécurité sociale, le 28 octobre 1998, Mme Martine Aubry a
déclaré que le Gouvernement n'était pas opposé
" à la constitution d'une épargne à long terme,
complétant, et non concurrençant, la retraite par
répartition, contrairement à ce que faisait le dispositif
prévu par la loi Thomas
19(
*
)
"
. La ministre a
précisé qu'elle travaillait en collaboration avec le ministre de
l'économie et des finances, dans le cadre de la mission confiée
à MM. Didier Migaud et Jérôme Cahuzac, sur
l'architecture de ce troisième étage qui constituait
" un
complément de la retraite par répartition "
.
Elle a ensuite décrit les trois caractéristiques du
système que le Gouvernement entendait mettre en place dès avant
la fin du premier semestre 1999 :
- " il sera conçu dans un cadre collectif et sera
accessible réellement à l'ensemble des salariés, notamment
grâce à des dispositifs de solidarité " ;
- " les avantages qu'il offrira devront profiter à l'ensemble
des salariés et ne pas fragiliser les comptes de la
sécurité sociale, aussi bien en ce qui concerne l'assurance
maladie que les retraites " ;
- " les partenaires sociaux devront être associés
à sa mise en oeuvre et à son contrôle " ;
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et
de l'industrie
20(
*
)
, a
indiqué qu'il était
" nécessaire de mettre en
place un instrument d'épargne à long terme "
.
" Non seulement cela répondra aux besoins des épargnants,
mais des masses de capitaux considérables pourront ainsi se constituer
et assurer à notre pays la maîtrise de son appareil
productif. ",
a-t-il ajouté. Le ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie a conclu son intervention en indiquant que le
Gouvernement présenterait très rapidement, en 1999, un texte
spécifique ou, à l'occasion d'un autre texte, un certain nombre
d'articles,
" définissant les caractéristiques de ce
produit d'épargne collectif, destiné au plus grand nombre,
contrôlé par les salariés, engageant la solidarité,
ne mettant pas en cause le système de répartition tout en
répondant à un besoin d'épargne individuel et à un
besoin d'accumulation du capital sur le sol national "
.
Au cours d'un débat diffusé le 11 janvier dernier par la
chaîne de télévision LCI, le secrétaire d'Etat au
budget, M. Christian Sautter a assuré que le complément de
retraite sur lequel le Gouvernement réfléchit ferait l'objet de
"
décisions dans le budget de l'Etat pour 2000, discuté
à l'automne 1999 et dans le budget de la sécurité sociale
pour l'année 2000
".
Après avoir répété que le Gouvernement allait
abroger la loi Thomas -sans toutefois préciser de quelle façon il
entendait le faire- le Premier ministre a souligné pour sa part, dans
l'entretien accordé au journal Le Parisien le 29 avril 1999 :
" Toutes les options peuvent être discutées y compris une
forme d'épargne collective consacrée au financement des
retraites. Mais à deux conditions, d'abord que l'avenir des
régimes des retraites par répartition soit au préalable
garanti (...). Ensuite que syndicats et organisations professionnelles soient
associés à la direction de ces fonds d'épargne ".
L'engagement d'entamer la réforme des retraites en 1999 et l'engagement
de déposer un projet de loi sur l'épargne retraite n'ont pas
été tenus.
Votre commission des Affaires sociales vous propose l'adoption de
conclusions permettant au Gouvernement de tenir ce deuxième
engagement.