II. LA POLITIQUE DU GOUVERNEMENT EN MATIÈRE DE RETRAITES : UN DOUBLE ATTENTISME AUX CONSÉQUENCES DÉSASTREUSES
Le
Gouvernement, en empêchant l'application de la loi Thomas, a
retardé jusqu'à maintenant le développement de
l'épargne retraite en France. Pour s'en justifier, il oppose
idéologiquement répartition et capitalisation et explique que sa
priorité est de sauvegarder les régimes de retraite par
répartition.
Cette pétition de principe serait intellectuellement plus rigoureuse
s'il s'était réellement engagé dans une réforme des
régimes de retraite par répartition.
Or, le Gouvernement n'a mené aucune action concrète, depuis juin
1997, pour mettre en oeuvre une telle réforme.
A. SAUVEGARDER LES RÉGIMES DE RETRAITE PAR RÉPARTITION : UN DIAGNOSTIC SANS LENDEMAIN
1. La mission Charpin a montré l'échec du diagnostic partagé
Le
Gouvernement attendait un " grand débat ", un
" diagnostic partagé ". Il n'en a rien été.
Certains partenaires sociaux ont contesté les hypothèses
mêmes du rapport Charpin (taux de croissance, notamment).
Votre rapporteur vous renvoie à l'analyse de notre excellent
collègue M. Alain Vasselle dans son rapport d'information
14(
*
)
:
" Réforme des
retraites : peut-on encore attendre ? ".
L'échec du diagnostic partagé a amené le Gouvernement
à entamer une nouvelle série de rencontres avec les partenaires
sociaux, commencées fin juillet et achevées le 2 septembre 1999,
sans que l'on puisse clairement déterminer les avancées induites
par cette phase de " dialogue ".
2. Le Gouvernement parie sur la croissance pour reculer une nouvelle fois les échéances
M.
Lionel Jospin, Premier ministre, a précisé que le Gouvernement
était toujours en phase de dialogue :
" Nous avons décidé qu'à l'issue des
consultations, nous allions au début de l'année prochaine faire
nos propositions et que nous les mettrions en oeuvre avec les partenaires par
une méthode de concertation. Nous nous en tiendrons à cette
méthode. C'est la bonne pour faire passer les obstacles que les
précédents gouvernements n'avaient pas su
franchir "
15(
*
)
.
Devant les parlementaires socialistes réunis à La Rochelle, le
Premier ministre n'a pas -sur ce point- changé de discours :
" Notre calendrier est clair. La phase de diagnostic a eu lieu. Nous
sommes aujourd'hui dans la phase de concertation.
" Au début de l'année 2000, comme je l'ai annoncé, je
préciserai les orientations générales du Gouvernement. Nos
propositions sur la retraite s'inscrivent dans une vision plus large : celle de
la place et des problèmes des personnes âgées dans notre
société. Nous serons en particulier très attentifs
à leur insertion dans la vie sociale et à leur accompagnement
lorsqu'elles sont en situation de dépendance. "
Le sous-entendu de la politique gouvernementale est de considérer que la
croissance, qui devrait assurer le plein emploi dans une dizaine
d'années, permettra de résoudre une partie des besoins de
financement.
La seule initiative du Gouvernement a été de créer un
" fonds de réserve " pour le régime
général et les régimes alignés.
3. Le fonds de réserve créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 demeure virtuel
Lors du
débat sur le projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 1999, le Sénat, à l'initiative de votre commission
des Affaires sociales, n'avait pas rejeté le principe d'un fonds de
réserve.
Il avait, en revanche, estimé qu'il était quelque peu
dérisoire de prétendre y affecter 2 milliards de francs,
issus d'excédents de la C3S. Ayant pris acte de la mesure
" symbolique "
que constituait la création d'un fonds
de réserve pour les retraites par répartition, votre commission
avait jugé inutile de
" faire semblant "
, comme le
faisait le projet de loi, et d'attribuer à ce fonds un embryon de
ressources, de peaufiner la composition d'un Comité de surveillance ou
de préciser les régimes bénéficiaires... alors
même que restaient parfaitement indéterminés à la
fois la nature des " vraies " ressources l'alimentant, et qui
devraient se chiffrer en centaines de milliards de francs, l'affectation de ces
fonds, leur mode et leur horizon de placement ou enfin les modalités de
gestion qui devront être cohérentes tant avec l'origine des
ressources qu'avec l'objectif des emplois.
Votre commission considérait que la mise en place d'un tel fonds de
réserve relevait, à l'évidence, d'un texte d'ensemble,
cohérent et complet, incluant des mesures permettant de clarifier la
situation des régimes spéciaux et de définir un
véritable régime des fonctionnaires de l'Etat.
Près d'une année après, ce fonds de réserve
reste parfaitement virtuel ; la seule trace de son existence est une ligne sur
les comptes du Fonds de solidarité vieillesse (FSV).
Aucun
détail supplémentaire n'a été donné quant
aux modalités de gestion, alors que l'article 26 de la loi
n° 99-532 du 25 juin 1999 relative à l'épargne et
à la sécurité financière a prévu le
reversement,
" avant le 31 décembre de chaque année,
de 2000 à 2003 inclus "
, d'environ 18 milliards de francs issus
des caisses d'épargne.
Cette inaction du Gouvernement est d'autant plus regrettable que le fonds de
réserve a suscité un certain nombre d'espoirs.
La piste de l'affectation des " excédents sociaux " a
été évoquée en des termes inquiétants.
C'était oublier un peu vite le principe de la séparation des
branches. Les seuls excédents qui peuvent être affectés
proviennent soit du FSV, soit de la CNAVTS. Le montant prévu pour 2000
reste très limité.
La piste de l'affectation des " excédents budgétaires "
a été mentionnée lors du débat surréaliste
de l'été 1999. C'était oublier un peu vite que le budget
de l'Etat connaît un déficit toujours très important, et
que des rentrées fiscales plus importantes que prévu n'ont jamais
constitué un " excédent budgétaire ".
Le Premier ministre a récemment annoncé que ce fonds serait
doté de 15 milliards de francs en 2000.
Au-delà, le fonds de réserve ne peut en aucun cas constituer la
seule réponse aux enjeux de financement. Comme l'a souligné
M. Jean-Michel Charpin devant la commission des Affaires sociales du
Sénat (audition du 5 mai 1999), il est déjà trop tard
pour envisager la création d'un fonds permanent (qui financerait, par
les produits financiers, les besoins futurs) ; seul un fonds de
" lissage " apparaît aujourd'hui réalisable.