2. Une période de réflexion
Le début des années 90 a aussi été un temps de réflexion. Deux rapports élaborés, à la demande du gouvernement, par des parlementaires en mission, notre collègue, M. Hubert Haenel en 1993, et M. Guy Teissier, député, en 1996, ont représenté, en particulier, des contributions majeures à la définition de nouvelles orientations pour la politique des réserves. Dans la mesure où le projet de loi sur les réserves leur est redevable pour une part significative, votre rapporteur résumera l'analyse de ces deux personnalités et leurs principales propositions. On trouvera par ailleurs le compte rendu de leurs auditions devant la commission en annexe de ce rapport.
a) Le rapport Haenel (1994)
Désigné en octobre 1993 parlementaire en
mission, par
M. Edouard Balladur, alors Premier ministre, afin de procéder à
une " évaluation générale " de la situation des
réserves, M. Hubert Haenel concluait dans son rapport que la politique
de revalorisation des réserves se trouvait " au milieu du
gué " faute, notamment, de l'élaboration au profit des
réservistes d'un statut adapté.
Or, notre collègue estimait indispensable le recours aux réserves
pour donner un " nouveau souffle " aux armées et leur
permettre, malgré la réduction de leurs effectifs et la
multiplication des sollicitations, de continuer de participer aux
opérations liées aux engagements de la France et à la
volonté de notre pays de s'impliquer dans les opérations de
maintien de la paix dans le monde.
Les propositions du rapport s'articulaient autour de
7 orientations
principales
.
1. Assurer la
cohérence entre la doctrine d'emploi
des forces et
l'utilisation des réserves
2. Améliorer les
conditions de gestion
des réservistes par
la systématisation des moyens modernes de traitement de l'information et
par la création, s'agissant des réserves de la gendarmerie, d'une
structure autonome de gestion des réserves
3. Définir une politique globale de gestion des ressources humaines
soucieuse de faire prévaloir la
proximité et les relations
personnalisées
; à cet effet pourraient être
déterminés des organismes chargés de rapprocher, sur le
terrain, les besoins et la ressource.
4. Développer une
stratégie de communication
vis-à-vis des entreprises afin de souligner les avantages en termes de
compétence et d'expérience de la présence de
réservistes en leur sein.
5. Assurer la cohérence et l'interopérabilité de
l'équipement
des réserves avec celui des unités
d'active et réduire les stocks " dormants " de
matériels lourds tout en prenant mieux en compte la distinction entre
besoins immédiats et besoins différés.
6. Mettre au niveau nécessaire les
moyens budgétaires
consacrés aux réserves.
7. Adopter un
statut du réserviste
qui permette à
l'intéressé de ne pas pâtir dans son travail des
activités exercées dans le cadre de la réserve.
Ce point, essentiel, a d'ailleurs fait l'objet d'une proposition de loi
déposée par M. Hubert Haenel devant le Sénat.
Ce texte visait un double objectif :
- définir le statut du réserviste militaire
- conférer aux entreprises engagées en faveur de la politique des
réserves, la reconnaissance souhaitable.
L'auteur de la proposition de loi cherchait à prendre en compte la
crainte manifestée par les réservistes que leur volonté de
souscrire un engagement spécial dans la réserve -dans le cadre de
la loi de 1993- ne fragilise leur situation au sein de leur entreprise.
Les principales dispositions de la proposition de loi
1. La
protection de l'emploi des réservistes militaires
- l'interdiction pour l'employeur de résilier le contrat de travail d'un
salarié pendant la durée d'une période de
réserve ;
- la garantie, à l'issue d'une période de réserve, pour le
salarié de retrouver son précédent emploi ou un emploi
similaire ;
- la prise en compte des périodes comme temps de travail effectif pour
le calcul de tous les avantages liés à l'ancienneté et
à la présence.
2. Les mesures en faveur des entreprises
- la création d'une agence nationale de coopération pour les
réserves, chargée notamment de gérer les conventions
armées-entreprises
- l'octroi du label d'entreprises de défense pour les entreprises
privées qui concluent une convention pour l'emploi des
réservistes militaires.
Cinq ans avant le dépôt du projet de loi sur les réserves
devant le Sénat, M. Hubert Haenel avait ainsi tracé les
contours d'un statut pour les réservistes très proches de
celui qui aura finalement été retenu
.
b) Le rapport Teissier (1996)
Le rapport confié en mai 1996 à M. Guy Teissier par M. Alain Juppé, Premier ministre, cherche quant à lui à définir les grandes orientations des réserves au lendemain de la suspension de la conscription -définition des relations entre forces d'active et de réserve, statut du réserviste- et à esquisser des réponses au besoin inédit en forces de réserves civiles .
Les principales propositions
1. La
définition d'un concept d'emploi fondé sur l'intégration
des réserves au sein des forces de sécurité avec pour
mission principale la défense du territoire et, à titre
secondaire, la participation aux opérations de projection.
2. Une organisation rénovée
- création à l'état-major des armées d'une
structure en charge du budget des réserves et de la gestion des
réservistes spécialisés
- création d'un comité de liaison regroupant les
représentants des ministères utilisateurs, employeurs et
organismes de protection civile
- rénovation du rôle des associations des réservistes
3. Les moyens humains
- instauration d'une obligation de service dans la réserve militaire
pour les anciens militaires d'active sous contrat ou de carrière pour
une durée variable avec la durée du service d'active ;
- organisation du recrutement des réservistes militaires volontaires en
tenant compte des impératifs de la localisation des affectations ;
- la distinction entre une réserve hautement disponible aux effectifs
limités et une réserve plus nombreuse dont les activités
pourraient être planifiées.
4. Les moyens matériels renforcés
- l'utilisation des équipements rendus disponibles par les
restructurations ;
- une augmentation des crédits au-delà des dotations
prévues par la loi de programmation.
5. Institution de garanties juridiques
- en faveur de l'emploi : la garantie de réembauche des
réservistes et l'introduction dans le statut des trois fonctions
publiques d'une nouvelle position statutaire correspondant aux périodes
de service dans la réserve.
- en faveur de la protection sociale : l'introduction dans le code de la
sécurité sociale de la couverture du risque maladie au profit des
ayants droit des réservistes pendant ses périodes de convocation,
l'octroi de l'indemnisation la plus favorable pour la couverture des risques
décès et invalidité, la prise en compte de la
participation à la réserve au titre des périodes
maintenant le droit à l'assurance vieillesse sans cotisation.
6. La mise en place de garanties matérielles
- la rémunération : une compensation financière
intégrale pour les réservistes dont la rémunération
militaire serait inférieure au revenu civil et le cas
échéant, le cumul de l'allocation chômage et de la solde
militaire dans la limite du montant de la dernière
rémunération civile.
- les incitations : une campagne d'information en direction des structures
civiles d'emploi qui pourraient aussi bénéficier, dans certaines
conditions, d'un crédit d'impôt ; à l'endroit des
réservistes, la mise en place d'incitations pécuniaires
(instauration d'une prime annuelle d'instruction
défiscalisée...), adoption de mesures fortes de reconnaissance
des mérites des réservistes.
Beaucoup de ces propositions ont été reprises par M. Guy Teissier
dans une proposition de loi portant organisation générale de la
réserve militaire enregistrée à l'Assemblée
nationale en septembre 1998.
*
Le projet de loi répond dans ses grandes lignes aux trois préoccupations principales manifestées par les deux parlementaires en mission. D'une part, il s'inscrit dans le cadre d'un concept d'emploi renouvelé pour les réserves et fondé désormais sur une intégration complète avec les forces d'active. D'autre part, il fixe pour la première fois les bases d'un statut du réserviste assorti en particulier de garanties relatives au maintien du contrat de travail. Il reconnaît par ailleurs, comme le souhaitaient MM. Haenel et Teissier le rôle indispensable joué par les associations de réservistes.