N° 318

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 28 avril 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi constitutionnelle, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 et relatif à la Cour pénale internationale ,

Par M. Robert BADINTER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret, Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, François Marc, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (11
ème législ. ) : 1462 , 1501 et T.A. 276 .

Sénat : 302 (1998-1999).


Droit pénal.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 28 avril 1999 sous la présidence de M. Jacques Larché, président, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Robert Badinter, le projet de loi constitutionnelle n° 302, adopté par l'Assemblée nationale, insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 et relatif à la Cour pénale internationale.

M. Robert Badinter, rapporteur, a rappelé que la commission des Lois avait appelé de ses voeux la création d'une juridiction pénale internationale permanente lors de l'examen du projet de loi portant adaptation de la législation française à la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant le tribunal international pour le Rwanda.

Le rapporteur s'est félicité de ce que le statut de la Cour pénale internationale ait été adopté par 120 Etats lors de la conférence tenue à Rome en juillet 1998. Il a présenté l'organisation de la Cour, soulignant en particulier que le procureur disposerait de pouvoirs étendus, mais que son action, et notamment la décision d'engager des poursuites, serait contrôlée par une chambre préliminaire.

Evoquant la compétence de la Cour, M. Robert Badinter, rapporteur, a souligné qu'elle serait limitée aux crimes les plus graves que sont le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et l'agression. Il a observé que la Cour ne deviendrait compétente à l'égard du crime d'agression que si les Etats parties parvenaient à élaborer une définition de cette infraction.

Le rapporteur a indiqué que la Cour pourrait être saisie par un Etat partie, par le procureur ou par le Conseil de sécurité des Nations Unies. A propos des relations entre la Cour pénale et les Etats, il a fait valoir que le principe retenu était celui de la compétence des Etats et que la Cour, conformément au principe de complémentarité, n'interviendrait que si un Etat n'avait pas la volonté ou était dans l'incapacité de mener à bien des poursuites.

Abordant la révision constitutionnelle, M. Robert Badinter a rappelé que le Conseil constitutionnel avait relevé trois incompatibilités entre le traité portant statut de la Cour pénale internationale et la Constitution française.

En premier lieu, la possibilité pour la Cour pénale de poursuivre toute personne, quelle que soit sa qualité, est incompatible avec les immunités dont bénéficient, en vertu de la Constitution, le président de la République, les membres du Gouvernement et les parlementaires.

En second lieu, la possibilité qu'une personne puisse être remise à la Cour pénale en raison de faits couverts par l'amnistie ou la prescription est susceptible de porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

Enfin, le droit pour le procureur d'intervenir sur le territoire d'un Etat partie en l'absence des autorités de cet Etat, notamment pour entendre un témoin ou visiter un site public a également été considéré par le Conseil constitutionnel comme susceptible de porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

M. Robert Badinter, rapporteur, a souligné que le président de la République et le Premier ministre avaient choisi de présenter un projet de loi constitutionnelle prévoyant la possibilité pour la France d'accepter l'ensemble des dispositions du statut de la Cour pénale internationale et ne mentionnant pas explicitement les motifs d'inconstitutionnalité relevés par le Conseil constitutionnel. Il a fait valoir que ce choix était le seul possible pour éviter un texte trop complexe. Enfin, le rapporteur a indiqué que le projet de loi constitutionnelle ne couvrait que les stipulations du statut de la Cour pénale dans son état actuel et qu'une révision de ce statut appellerait, le cas échéant, une nouvelle révision de la Constitution.

La commission a adopté le projet de loi constitutionnelle sans modification.

Mesdames, Messieurs,

Le siècle qui s'achève aura été marqué par la multiplication d'atrocités " qui défient l'imagination et heurtent profondément la conscience humaine " 1( * ) . Face à celles-ci, l'impunité - outrageante pour les victimes et offensante pour l'humanité tout entière - a été la règle commune, malgré les nombreux projets élaborés pour donner corps à une justice internationale indépendante permettant de sanctionner les auteurs de crimes contre l'humanité. Les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, première expression de cette exigence de justice, symbolisaient la justice des vainqueurs et avaient été mis en place après les crimes dont ils devaient connaître. Par la suite, la guerre froide et les réticences de nombre d'Etats, plus soucieux de parvenir à un règlement diplomatique des conflits que de favoriser la poursuite des criminels contre l'humanité, ont pendant longtemps constitué des obstacles insurmontables à la création d'une juridiction internationale permanente et indépendante des Etats.

La création des tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda a incontestablement permis de faire progresser la conscience de la nécessité d'une telle juridiction. La Conférence de Rome, qui s'est tenue du 15 juin au 17 juillet 1998, a enfin donné naissance à la Cour pénale internationale.

Le statut de la Cour pénale peut inspirer des sentiments mitigés, nombre des dispositions qu'il contient - fruits de compromis difficiles - peuvent appeler des réserves, mais l'essentiel n'est pas là. Cinquante ans après l'adoption de la Convention de 1948 sur le génocide, qui posait le principe d'une telle juridiction, la " communauté internationale " a donné une preuve de son existence en parvenant enfin à créer cette juridiction indépendante, dotée de pouvoirs importants, qui permet d'espérer que les bourreaux de demain ne bénéficieront pas de la scandaleuse immunité qui fut celle des criminels d'hier. La France s'honorerait en étant l'un des premiers Etats à ratifier un traité qui, malgré ses insuffisances, est un progrès considérable pour la justice.

Le Conseil constitutionnel a estimé que certaines stipulations du statut de la Cour appelaient une révision de la Constitution. Afin de permettre la ratification du traité, le Président de la République, sur proposition du Premier ministre, a pris l'initiative d'une révision constitutionnelle que le Sénat est aujourd'hui invité à examiner.

I. LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE : NAISSANCE D'UNE JUSTICE

A. LES ORIGINES DE LA COUR PÉNALE

L'idée d'une juridiction internationale, qui serait compétente pour juger les crimes les plus graves portant atteinte à l'ensemble de la communauté internationale n'est pas neuve. Il aura fallu presque un siècle pour l'imposer.

Dès la fin de la première guerre mondiale, le traité de Versailles avait prévu, dans son article 227, la traduction de l'ex-empereur Guillaume II devant une cour internationale pour " offense suprême contre la morale internationale et l'autorité sacrée des traités ". Le Kaiser ne fut pourtant jamais jugé parce qu'il se réfugia aux Pays-Bas et que les autorités de ce pays refusèrent de l'extrader en invoquant le fait que le crime dont il était accusé constituait un " délit politique " exclu de l'extradition.

De nombreuses réflexions furent conduites pendant l'entre-deux guerres afin de mettre en place une juridiction pénale internationale. Ainsi, à la suite de l'attentat du 9 octobre 1934, qui coûta la vie au roi Alexandre de Yougoslavie et à Louis Barthou, ministre des affaires étrangères, le gouvernement français adressa au secrétariat général de la Société des nations une proposition de création d'une cour pénale internationale, qui aurait eu à juger les individus accusés d'actes de terrorisme. Deux conventions furent conclues le 16 janvier 1937, dont l'une prévoyait la mise en place de cette juridiction, mais elles n'entrèrent jamais en vigueur.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, furent mis en place les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, qui constituèrent une étape essentielle dans la prise de conscience de la nécessité d'un tribunal pénal international pour juger les crimes contre l'humanité . Cependant, créés après la guerre pour juger des faits qui n'étaient pas définis légalement au moment où ils furent commis, ces tribunaux, dont la légitimité morale était incontestable, ont pu donner le sentiment d'être les instruments d'une " justice des vainqueurs ".

Des initiatives furent alors prises afin de favoriser l'émergence d'une véritable juridiction pénale internationale. En 1947, l'Assemblée générale des Nations-Unies chargea sa commission du droit international de préparer un projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité. En 1948, fut adoptée la convention pour la répression du crime de génocide, premier acte de droit international faisant directement référence à une juridiction pénale internationale . L'article 6 de cette convention prévoit en effet que " les personnes accusées de génocide (...) seront traduites devant les tribunaux compétents de l'Etat sur le territoire duquel l'acte a été commis, ou devant la cour criminelle internationale qui sera compétente à l'égard de celles des parties contractantes qui en auront reconnu la juridiction ".

En 1950, l'Assemblée générale des Nations-Unies chargea un comité d'experts de rédiger un projet de statut d'une cour criminelle internationale. Mais en 1957, l'Assemblée générale décida, par une résolution 1187 du 11 décembre 1957, " d'ajourner l'examen de la question d'une juridiction criminelle internationale permanente jusqu'au moment où reprendra la question de la définition de l'agression et celle du projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité ".

En fait, la guerre froide et les réticences de nombreux Etats face à l'idée de mettre en place une juridiction pénale internationale réellement indépendante, bloquèrent tout progrès pendant plusieurs décennies.

La création en 1993 du tribunal pénal international appelé à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, puis la mise en place du tribunal international pour le Rwanda ont manifestement contribué à accélérer réflexions et négociations sur la mise en oeuvre d'une juridiction permanente. Ces tribunaux, compte tenu de l'urgence de leur mise en place, furent créés par des résolutions du conseil de sécurité des Nations-Unies.

En effet, le chapitre VII de la Charte des Nations-Unies a constitué le fondement juridique de la création des tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Ce chapitre confère des pouvoirs au Conseil de sécurité " en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression ". Dans ces hypothèses, l'article 39 de la Charte lui permet de décider " quelles mesures seront prises (...) pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ".

Le choix de ce fondement juridique a pu être contesté, mais il est clair que ces tribunaux n'auraient pu avoir aucune efficacité s'il avait fallu négocier pendant des mois ou des années une convention pour les créer. Malgré les nombreuses difficultés - notamment matérielles - qu'ils ont rencontrées, ces tribunaux sont parvenus à asseoir leur autorité, qui n'est plus contestée aujourd'hui.

La compétence limitée de ces tribunaux n'a toutefois rendu que plus évidente la nécessité d'une juridiction permanente. En effet, rien ne permet d'assurer que tous les génocides et crimes contre l'humanité donneront lieu à l'institution d'une juridiction ad hoc. Les intérêts de certaines puissances membres du conseil de sécurité des Nations unies pourraient même interdire la création de telles juridictions. Surtout, seule une juridiction permanente et dotée de compétences nécessaires peut constituer un facteur de dissuasion à l'encontre de ceux qui seraient enclins à commettre des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre.

C'est dans ce contexte que se sont accélérées les négociations sur la création d'une Cour pénale internationale. En 1989, lors de la 44 ème session de l'Assemblée générale des Nations-Unies Les représentants de Trinidad et Tobago suggérèrent de reprendre les travaux sur le projet de statut d'une juridiction pénale internationale, gelés depuis 1957. En 1992, l'Assemblée générale chargea la commission du droit international d'achever en priorité le projet de statut.

En 1994, la commission du droit international a présenté un projet de statut d'une cour criminelle internationale, tenant compte de l'expérience acquise dans le cadre du tribunal pénal international mis en place pour l'ex-Yougoslavie.

Les négociations se sont ensuite poursuivies sur cette base, dans le cadre d'un comité ad hoc puis d'un comité préparatoire mis en place par l'Assemblée générale des Nations-Unies, jusqu'à la Conférence de Rome, réunie du 15 juin au 17 juillet 1998, qui a abouti à la signature d'un traité portant statut de la Cour pénale internationale.

Le traité a été adopté par 120 Etats sur 160. Sept Etats (Etats-Unis, Chine, Inde, Israël, Bahrein, Qatar et Vietnam) ont voté contre, vingt-et-un se sont abstenus tandis que douze autres ne prenaient pas part au vote.

Le traité n'entrera en vigueur que lorsque 60 Etats l'auront ratifié. L'autorité future de cette juridiction est largement conditionnée par le nombre d'Etats qui s'engageront au plus tôt dans la reconnaissance de sa compétence.

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