Projet de loi constitutionnelle relatif à la Cour pénale internationale
BADINTER (Robert)
RAPPORT 318 (98-99) - commission des lois
Table des matières
-
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
-
I. LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE : NAISSANCE D'UNE JUSTICE
- A. LES ORIGINES DE LA COUR PÉNALE
- B. LE STATUT DE LA COUR PÉNALE
-
II. UNE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE NÉCESSAIRE
- A. LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX
-
B. LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LE STATUT DE LA COUR PÉNALE
INTERNATIONALE
- 1. Le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que la France puisse conclure des engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde
- 2. Trois motifs d'inconstitutionnalité
- 3. Un traité respectant les principes de droit pénal et de procédure pénale ayant valeur constitutionnelle
- 4. Le traité ne porte pas atteinte au droit de grâce présidentiel
- III. LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE SOUMIS AU SÉNAT
-
I. LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE : NAISSANCE D'UNE JUSTICE
N°
318
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 28 avril 1999
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi constitutionnelle, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 et relatif à la Cour pénale internationale ,
Par M.
Robert BADINTER,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM.
Jacques
Larché,
président
; René-Georges Laurin, Mme Dinah
Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour,
vice-présidents
; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck,
Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest,
secrétaires
;
Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José
Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret, Guy-Pierre Cabanel,
Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière,
Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye,
Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec,
Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier,
Lucien Lanier, François Marc, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jacques
Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex
Türk, Maurice Ulrich.
Voir les numéros :
Assemblée nationale
(11
ème
législ.
)
:
1462
,
1501
et T.A.
276
.
Sénat
:
302
(1998-1999).
Droit pénal. |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
Réunie le mercredi 28 avril 1999 sous la
présidence de
M. Jacques Larché, président, la commission des Lois a
examiné, sur le rapport de M. Robert Badinter, le projet de loi
constitutionnelle n° 302, adopté par l'Assemblée nationale,
insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 et relatif
à la Cour pénale internationale.
M. Robert Badinter, rapporteur, a rappelé que la commission des Lois
avait appelé de ses voeux la création d'une juridiction
pénale internationale permanente lors de l'examen du projet de loi
portant adaptation de la législation française à la
résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies
instituant le tribunal international pour le Rwanda.
Le rapporteur s'est félicité de ce que le statut de la Cour
pénale internationale ait été adopté par
120 Etats lors de la conférence tenue à Rome en juillet
1998. Il a présenté l'organisation de la Cour, soulignant en
particulier que le procureur disposerait de pouvoirs étendus, mais que
son action, et notamment la décision d'engager des poursuites, serait
contrôlée par une chambre préliminaire.
Evoquant la compétence de la Cour, M. Robert Badinter, rapporteur, a
souligné qu'elle serait limitée aux crimes les plus graves que
sont le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de
guerre et l'agression. Il a observé que la Cour ne deviendrait
compétente à l'égard du crime d'agression que si les Etats
parties parvenaient à élaborer une définition de cette
infraction.
Le rapporteur a indiqué que la Cour pourrait être saisie par un
Etat partie, par le procureur ou par le Conseil de sécurité des
Nations Unies. A propos des relations entre la Cour pénale et les Etats,
il a fait valoir que le principe retenu était celui de la
compétence des Etats et que la Cour, conformément au principe de
complémentarité, n'interviendrait que si un Etat n'avait pas la
volonté ou était dans l'incapacité de mener à bien
des poursuites.
Abordant la révision constitutionnelle, M. Robert Badinter a
rappelé que le Conseil constitutionnel avait relevé trois
incompatibilités entre le traité portant statut de la Cour
pénale internationale et la Constitution française.
En premier lieu, la possibilité pour la Cour pénale de poursuivre
toute personne, quelle que soit sa qualité, est incompatible avec les
immunités dont bénéficient, en vertu de la Constitution,
le président de la République, les membres du Gouvernement et les
parlementaires.
En second lieu, la possibilité qu'une personne puisse être remise
à la Cour pénale en raison de faits couverts par l'amnistie ou la
prescription est susceptible de porter atteinte aux conditions essentielles
d'exercice de la souveraineté nationale.
Enfin, le droit pour le procureur d'intervenir sur le territoire d'un Etat
partie en l'absence des autorités de cet Etat, notamment pour entendre
un témoin ou visiter un site public a également été
considéré par le Conseil constitutionnel comme susceptible de
porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la
souveraineté nationale.
M. Robert Badinter, rapporteur, a souligné que le président de la
République et le Premier ministre avaient choisi de présenter un
projet de loi constitutionnelle prévoyant la possibilité pour la
France d'accepter l'ensemble des dispositions du statut de la Cour
pénale internationale et ne mentionnant pas explicitement les motifs
d'inconstitutionnalité relevés par le Conseil constitutionnel. Il
a fait valoir que ce choix était le seul possible pour éviter un
texte trop complexe. Enfin, le rapporteur a indiqué que le projet de loi
constitutionnelle ne couvrait que les stipulations du statut de la Cour
pénale dans son état actuel et qu'une révision de ce
statut appellerait, le cas échéant, une nouvelle révision
de la Constitution.
La commission a adopté le projet de loi constitutionnelle sans
modification.
Mesdames, Messieurs,
Le siècle qui s'achève aura été marqué par
la multiplication d'atrocités "
qui défient l'imagination
et heurtent profondément la conscience humaine
"
1(
*
)
. Face à celles-ci, l'impunité -
outrageante pour les victimes et offensante pour l'humanité tout
entière - a été la règle commune, malgré les
nombreux projets élaborés pour donner corps à une justice
internationale indépendante permettant de sanctionner les auteurs de
crimes contre l'humanité. Les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo,
première expression de cette exigence de justice, symbolisaient la
justice des vainqueurs et avaient été mis en place après
les crimes dont ils devaient connaître. Par la suite, la guerre froide et
les réticences de nombre d'Etats, plus soucieux de parvenir à un
règlement diplomatique des conflits que de favoriser la poursuite des
criminels contre l'humanité, ont pendant longtemps constitué des
obstacles insurmontables à la création d'une juridiction
internationale permanente et indépendante des Etats.
La création des tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda a
incontestablement permis de faire progresser la conscience de la
nécessité d'une telle juridiction. La Conférence de Rome,
qui s'est tenue du 15 juin au 17 juillet 1998, a enfin
donné naissance à la Cour pénale internationale.
Le statut de la Cour pénale peut inspirer des sentiments mitigés,
nombre des dispositions qu'il contient - fruits de compromis difficiles -
peuvent appeler des réserves, mais l'essentiel n'est pas là.
Cinquante ans après l'adoption de la Convention de 1948 sur le
génocide, qui posait le principe d'une telle juridiction, la
"
communauté internationale
" a donné une preuve
de son existence en parvenant enfin à créer cette juridiction
indépendante, dotée de pouvoirs importants, qui permet
d'espérer que les bourreaux de demain ne bénéficieront pas
de la scandaleuse immunité qui fut celle des criminels d'hier. La France
s'honorerait en étant l'un des premiers Etats à ratifier un
traité qui, malgré ses insuffisances, est un progrès
considérable pour la justice.
Le Conseil constitutionnel a estimé que certaines stipulations du statut
de la Cour appelaient une révision de la Constitution. Afin de permettre
la ratification du traité, le Président de la République,
sur proposition du Premier ministre, a pris l'initiative d'une révision
constitutionnelle que le Sénat est aujourd'hui invité à
examiner.
I. LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE : NAISSANCE D'UNE JUSTICE
A. LES ORIGINES DE LA COUR PÉNALE
L'idée d'une juridiction internationale, qui serait
compétente pour juger les crimes les plus graves portant atteinte
à l'ensemble de la communauté internationale n'est pas neuve. Il
aura fallu presque un siècle pour l'imposer.
Dès la fin de la première guerre mondiale, le traité de
Versailles avait prévu, dans son article 227, la traduction de
l'ex-empereur Guillaume II devant une cour internationale pour
"
offense suprême contre la morale internationale et
l'autorité sacrée des traités
". Le Kaiser ne fut
pourtant jamais jugé parce qu'il se réfugia aux Pays-Bas et que
les autorités de ce pays refusèrent de l'extrader en invoquant le
fait que le crime dont il était accusé constituait un
" délit politique " exclu de l'extradition.
De nombreuses réflexions furent conduites pendant l'entre-deux guerres
afin de mettre en place une juridiction pénale internationale. Ainsi,
à la suite de l'attentat du 9 octobre 1934, qui coûta la vie au
roi Alexandre de Yougoslavie et à Louis Barthou, ministre des affaires
étrangères, le gouvernement français adressa au
secrétariat général de la Société des
nations une proposition de création d'une cour pénale
internationale, qui aurait eu à juger les individus accusés
d'actes de terrorisme. Deux conventions furent conclues le 16 janvier 1937,
dont l'une prévoyait la mise en place de cette juridiction, mais elles
n'entrèrent jamais en vigueur.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, furent mis en place les
tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, qui constituèrent une étape
essentielle dans la prise de conscience de la nécessité d'un
tribunal pénal international pour juger les crimes contre
l'humanité
. Cependant, créés après la guerre
pour juger des faits qui n'étaient pas définis légalement
au moment où ils furent commis, ces tribunaux, dont la
légitimité morale était incontestable, ont pu donner le
sentiment d'être les instruments d'une " justice des
vainqueurs ".
Des initiatives furent alors prises afin de favoriser l'émergence d'une
véritable juridiction pénale internationale. En 1947,
l'Assemblée générale des Nations-Unies chargea sa
commission du droit international de préparer un projet de code des
crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité.
En
1948, fut adoptée la convention pour la répression du crime de
génocide, premier acte de droit international faisant directement
référence à une juridiction pénale
internationale
. L'article 6 de cette convention prévoit en
effet que "
les personnes accusées de génocide (...)
seront traduites devant les tribunaux compétents de l'Etat sur le
territoire duquel l'acte a été commis, ou devant la cour
criminelle internationale qui sera compétente à l'égard de
celles des parties contractantes qui en auront reconnu la
juridiction
".
En 1950, l'Assemblée générale des Nations-Unies chargea un
comité d'experts de rédiger un projet de statut d'une cour
criminelle internationale. Mais en 1957, l'Assemblée
générale décida, par une résolution 1187 du
11 décembre 1957, "
d'ajourner l'examen de la question
d'une juridiction criminelle internationale permanente jusqu'au moment
où reprendra la question de la définition de l'agression et celle
du projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de
l'humanité
".
En fait, la guerre froide et les réticences de nombreux Etats face
à l'idée de mettre en place une juridiction pénale
internationale réellement indépendante, bloquèrent tout
progrès pendant plusieurs décennies.
La création en 1993 du tribunal pénal international appelé
à juger les personnes présumées responsables de violations
graves du droit international humanitaire commis sur le territoire de
l'ex-Yougoslavie, puis la mise en place du tribunal international pour le
Rwanda ont manifestement contribué à accélérer
réflexions et négociations sur la mise en oeuvre d'une
juridiction permanente. Ces tribunaux, compte tenu de l'urgence de leur mise en
place, furent créés par des résolutions du conseil de
sécurité des Nations-Unies.
En effet, le chapitre VII de la Charte des Nations-Unies a constitué le
fondement juridique de la création des tribunaux pour l'ex-Yougoslavie
et le Rwanda. Ce chapitre confère des pouvoirs au Conseil de
sécurité "
en cas de menace contre la paix, de rupture de
la paix et d'acte d'agression
". Dans ces hypothèses, l'article
39 de la Charte lui permet de décider "
quelles mesures seront
prises (...) pour maintenir ou rétablir la paix et la
sécurité internationales
".
Le choix de ce fondement juridique a pu être contesté, mais il est
clair que ces tribunaux n'auraient pu avoir aucune efficacité s'il avait
fallu négocier pendant des mois ou des années une convention pour
les créer. Malgré les nombreuses difficultés - notamment
matérielles - qu'ils ont rencontrées, ces tribunaux sont parvenus
à asseoir leur autorité, qui n'est plus contestée
aujourd'hui.
La compétence limitée de ces tribunaux n'a toutefois rendu que
plus évidente la nécessité d'une juridiction permanente.
En effet, rien ne permet d'assurer que tous les génocides et crimes
contre l'humanité donneront lieu à l'institution d'une
juridiction ad hoc. Les intérêts de certaines puissances membres
du conseil de sécurité des Nations unies pourraient même
interdire la création de telles juridictions. Surtout, seule une
juridiction permanente et dotée de compétences nécessaires
peut constituer un facteur de dissuasion à l'encontre de ceux qui
seraient enclins à commettre des crimes contre l'humanité ou des
crimes de guerre.
C'est dans ce contexte que se sont accélérées les
négociations sur la création d'une Cour pénale
internationale. En 1989, lors de la 44
ème
session de
l'Assemblée générale des Nations-Unies Les
représentants de Trinidad et Tobago suggérèrent de
reprendre les travaux sur le projet de statut d'une juridiction pénale
internationale, gelés depuis 1957. En 1992, l'Assemblée
générale chargea la commission du droit international d'achever
en priorité le projet de statut.
En 1994, la commission du droit international a présenté un
projet de statut d'une cour criminelle internationale, tenant compte de
l'expérience acquise dans le cadre du tribunal pénal
international mis en place pour l'ex-Yougoslavie.
Les négociations se sont ensuite poursuivies sur cette base, dans le
cadre d'un comité ad hoc puis d'un comité préparatoire mis
en place par l'Assemblée générale des Nations-Unies,
jusqu'à la Conférence de Rome, réunie du 15 juin au
17 juillet 1998, qui a abouti à la signature d'un traité
portant statut de la Cour pénale internationale.
Le traité a été adopté par 120 Etats sur 160. Sept
Etats (Etats-Unis, Chine, Inde, Israël, Bahrein, Qatar et Vietnam) ont
voté contre, vingt-et-un se sont abstenus tandis que douze autres ne
prenaient pas part au vote.
Le traité n'entrera en vigueur que lorsque 60 Etats l'auront
ratifié.
L'autorité future de cette juridiction est largement
conditionnée par le nombre d'Etats qui s'engageront au plus tôt
dans la reconnaissance de sa compétence.
B. LE STATUT DE LA COUR PÉNALE
Le statut adopté à Rome comporte 128 articles, décrivant en particulier avec précision la procédure applicable devant la Cour.
1. La compétence de la Cour
a) Ratione materiae
La Cour
n'est compétente qu'à l'égard des "
crimes les
plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté
internationale
", à savoir :
- le génocide ;
- les crimes contre l'humanité ;
- les crimes de guerre ;
- le crime d'agression.
Ces crimes sont d'ores et déjà consacrés en droit
international, ont été inclus dans le statut du tribunal de
Nuremberg et repris dans les statuts des tribunaux internationaux pour
l'ex-Yougoslavie et le Rwanda.
Le projet de statut d'une Cour criminelle internationale élaboré
en 1994 par la commission du droit international de l'Organisation des
Nations-Unies prévoyait la compétence de la Cour pour un grand
nombre d'autres infractions de nature diverse, comprenant en particulier
l'apartheid, le trafic illicite de stupéfiants, la piraterie maritime ou
aérienne, la prise d'otages... Cette option n'a finalement pas
été retenue par la Conférence de Rome.
Le
génocide
est défini par l'article 2 de la
Convention de 1948 et cette définition a été reprise dans
le statut de la Cour pénale. Ainsi, constitue un crime de
génocide l'un des actes suivants "
commis dans l'intention de
détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou
religieux, comme tel : meurtre de membres de groupe, atteinte grave
à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe,
soumission intentionnelle de membres du groupe à des conditions
d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle,
mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, transfert
forcé d'enfants du groupe
à un autre groupe
".
Il convient de noter que cette définition comporte une différence
par rapport la solution retenue dans les statuts des tribunaux pour
l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Ceux-ci mentionnent également l'entente
en vue de commettre un génocide, l'incitation, la tentative et la
complicité.
L'explication de cette différence se trouve dans l'article 25 du statut
de la Cour pénale internationale, qui incrimine, pour l'ensemble des
crimes pour lesquels la Cour pénale a compétence, la tentative,
l'aide , la contribution, l'incitation.
La définition des
crimes contre l'humanité
posait en
revanche des difficultés plus complexes, dans la mesure où il
était difficile de reprendre la définition inscrite dans le
statut du tribunal de Nuremberg, définition trop marquée par le
contexte de sa rédaction. L'article 7 du statut de la Cour
pénale mentionne donc un grand nombre d'actes (le meurtre,
l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation ou le
transfert forcé de population, la torture, le viol et les grossesses
forcées...), qui sont susceptibles de constituer un crime contre
l'humanité, dès lors qu'ils sont commis "
dans le cadre
d'une attaque généralisée ou systématique
lancée contre une population civile et en connaissance de cette
attaque
".
La définition des
crimes de guerre
a été plus
difficile encore à élaborer. L'article 8 du statut ne
mentionne pas moins d'une cinquantaine d'infractions au sein desquelles sont
distinguées les infractions portant sur la violation du droit des
conflits armés internationaux et celles portant sur la violation du
droit des conflits internes. A l'intérieur de chacune de ces
catégories sont en outre distinguées les infractions graves aux
conventions de Genève de 1949 et les autres violations graves des lois
et coutumes applicables aux conflits armés.
Il est heureux que la Cour ait reçu compétence pour
connaître des crimes commis non seulement dans le cas de conflits
internationaux, mais aussi au cours de conflits internes. Les crimes les plus
graves sont en effet souvent commis au sein d'Etats déchirés par
la guerre civile ou lors d'affrontements entre communautés.
La compétence de la Cour s'exerce à l'encontre de l'ensemble des
crimes de guerre, même s'il est précisé qu'elle a vocation
à s'appliquer "
en particulier lorsque ces crimes s'inscrivent
dans un plan ou une politique ou lorsqu'ils font partie d'une série de
crimes analogues commis sur une grande échelle
".
L'article 124 du statut permet toutefois aux Etats parties de
déclarer que, pour une période de sept ans à partir de
l'entrée en vigueur du statut, ils n'acceptent pas la compétence
de la Cour à l'égard des crimes de guerre, lorsqu'il est
allégué qu'un tel crime a été commis sur leur
territoire ou par leurs ressortissants.
Enfin, en ce qui concerne le
crime d'agression
, le statut précise
que la cour exercera sa compétence lorsqu'une définition de ce
crime aura été adoptée, par exemple dans le cadre de la
Conférence de révision qui devra être convoquée sept
ans après l'entrée en vigueur du statut.
Le débat sur la définition du crime d'agression dure en fait
depuis plusieurs dizaines d'années. La société des Nations
puis l'Organisation des Nations-Unies se sont attachées sans
succès à définir l'agression jusqu'à l'adoption de
la résolution 3314 de l'Assemblée générale des
Nations-Unies en date du 14 décembre 1974, qui
énumère une longue liste d'actes susceptibles de constituer une
agression. Malgré certaines propositions, formulées notamment par
l'Allemagne, les négociateurs du statut de la Cour pénale
internationale n'ont pu parvenir à un accord sur une définition
qui aurait pu être inscrite dans le statut.
b) Ratione personae et ratione loci
L'article premier du statut prévoit que la Cour
"
peut exercer sa compétence à l'égard des
personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée
internationale
".
L'article 12 du statut prévoit que la Cour peut exercer sa
compétence si l'un des deux Etats suivants ou les deux sont parties au
statut :
- l'Etat sur le territoire duquel le comportement en cause s'est produit ou, si
le crime a été commis à bord d'un navire ou d'un
aéronef, l'Etat du pavillon ou l'Etat d'immatriculation ;
- l'Etat dont la personne accusée du crime est un national.
Cet article prévoit en outre la possibilité pour un Etat
n'étant pas partie au statut de reconnaître la compétence
de la Cour à l'égard d'un crime.
Il convient de noter que ces règles de compétence ne
mentionnent pas l'Etat dont la victime est ressortissante ni l'Etat sur le
territoire duquel se trouve l'accusé.
Toutefois, en cas de saisine par le Conseil de sécurité des
Nations-Unies, la Cour sera compétente quel que soit l'Etat de
nationalité de l'auteur du crime ou l'Etat sur le territoire duquel le
crime aura été commis.
c) Ratione temporis
La Cour n'a compétence qu'à l'égard des crimes relevant de sa compétence commis après l'entrée en vigueur du statut, c'est-à-dire lorsque soixante Etats auront ratifié le traité.
2. L'organisation de la Cour pénale
La Cour pénale internationale aura son siège à La Haye, aux Pays-Bas. Les organes de la Cour sont la présidence, les chambres, le bureau du procureur et le greffe.
a) La présidence
Le
Président et les deux vice-présidents sont élus à
la majorité absolue des juges pour trois ans ou jusqu'à
l'expiration de leur mandat de juge si celui-ci prend fin avant trois ans.
La présidence est en particulier chargée de la bonne
administration de la Cour.
b) Les sections
La Cour
se compose de 18 juges. Ce nombre peut être augmenté par la
Conférence des Etats parties à la demande de la
présidence. Les juges sont élus pour neuf ans par
l'assemblée des Etats parties et leur mandat n'est pas renouvelable.
L'élection des juges est organisée de manière à
permettre une représentation équilibrée des
personnalités ayant une compétence reconnue dans les domaines du
droit pénal et de la procédure pénale et des
personnalités ayant une compétence reconnue en droit
international. En outre, les Etats parties doivent tenir compte de la
nécessité d'assurer la représentation des principaux
systèmes juridiques du monde, une représentation
géographique équitable, enfin une représentation
équitable des hommes et des femmes.
Les juges sont répartis dans trois sections : la section des
appels, la section de première instance et la section
préliminaire. La section des appels est composée du
Président et de quatre autres juges ; la section de première
instance et la section préliminaire sont composées chacune de six
juges au moins.
La chambre d'appel est composée de tous les juges de la section des
appels ; les fonctions de la chambre de première instance sont
exercées par trois juges de la section de première
instance ; enfin, les fonctions de la chambre préliminaire sont
exercées soit par trois juges de la section préliminaire soit par
un seul juge de cette section.
c) Le bureau du procureur
Le
bureau du procureur agit indépendamment en tant qu'organe distinct au
sein de la Cour. Il est chargé de recevoir les communications et tout
renseignement dûment étayé concernant les crimes relevant
de la compétence de la Cour, de les examiner, de conduire les
enquêtes et de soutenir l'accusation devant la Cour. Ses membres ne
sollicitent ni n'acceptent d'instructions d'aucune source extérieure.
Le procureur est élu au scrutin secret par l'Assemblée des Etats
parties à la majorité absolue des membres de celle-ci. Il est
secondé par un ou plusieurs procureurs adjoints, habilités
à accomplir tous les actes que le statut requiert du procureur.
d) Le greffe
Le
greffe est responsable des aspects non judiciaires de l'administration et du
service de la Cour. Le greffier est élu par les juges pour cinq ans et
est rééligible une fois.
Il convient enfin de préciser que le greffier est chargé, aux
termes du statut, de créer une division d'aide aux victimes et aux
témoins. Cette division est chargée de conseiller et d'aider les
témoins, les victimes qui comparaissent devant la Cour et les autres
personnes auxquelles les dépositions de ces témoins peuvent faire
courir un risque, ainsi que de prévoir les mesures et les dispositions
à prendre pour assurer leur protection et leur sécurité.
3. Le cadre général de l'action de la Cour : le respect des principes fondamentaux du droit pénal et de la procédure pénale
Le statut de la Cour pénale prévoit le respect des principes fondamentaux du droit pénal et de la procédure pénale.
a) Le respect des principes généraux du droit pénal
Dans son
article 20, le statut prévoit, en application du principe
non
bis in idem
, que nul ne peut être jugé pour des actes
constitutifs de crimes pour lesquels il a déjà été
condamné ou acquitté. La seule exception à ce principe
concerne le cas dans lequel une procédure devant une juridiction aurait
eu pour objet de soustraire une personne à sa responsabilité
pénale.
L'article 22 du statut stipule qu'une personne n'est responsable
pénalement que si son comportement constitue, au moment où il se
produit, un crime relevant de la compétence de la Cour (
nullum crimen
sine lege
). Par ailleurs, une personne condamnée par la Cour ne peut
être punie que conformément aux dispositions du statut (
nulla
poena sine lege
).
Nul n'est pénalement responsable pour un comportement antérieur
à l'entrée en vigueur du statut. Lorsque le droit applicable
à une affaire est modifié avant le jugement définitif, le
droit le plus favorable à la personne faisant l'objet d'une
enquête, de poursuites ou d'une condamnation s'applique.
b) Le respect des droits de la défense et de la présomption d'innocence
- Au
cours d'une enquête, une personne n'est pas obligée de
témoigner contre elle-même, ni de s'avouer coupable. Elle n'est
soumise à aucune forme de coercition, de contrainte ou de menace,
bénéficie gratuitement de l'aide d'un interprète
compétent, ne peut être arrêtée arbitrairement. Avant
un interrogatoire, toute personne doit notamment être informée de
son droit de garder le silence et de son droit d'être assistée par
le défenseur de son choix ou, si elle n'en a pas, par un
défenseur commis d'office ;
- tout accusé a le droit d'être informé dans le plus court
délai et de façon détaillée des motifs et de la
teneur des charges dans une langue qu'il comprend et parle bien ; il doit
pouvoir disposer du temps et des facilités nécessaires à
la préparation de sa défense et communiquer librement et
confidentiellement avec le conseil de son choix. Un accusé a
également le droit d'interroger ou de faire interroger les
témoins à charge et d'obtenir la comparution et l'interrogation
des témoins à décharge.
c) Le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable
L'article 64 du statut prévoit que la chambre de première instance de la Cour veille à ce que le procès soit conduit de façon équitable et avec diligence. L'accusé doit être jugé sans retard excessif et a droit à ce que sa cause soit entendue publiquement.
d) L'individualisation des peines
La Cour
peut prononcer une peine d'emprisonnement à temps de 30 ans au plus
ou une peine d'emprisonnement à perpétuité "
si
l'extrême gravité du crime et la situation personnelle du
condamné le justifient
".
Ainsi, s'agissant des crimes les plus graves, la peine de mort est proscrite
de la plus haute instance criminelle que le monde aura connue. Il faut saluer
pareil progrès de la conscience humaine.
La Cour peut, en plus de la peine d'emprisonnement, prononcer une peine
d'amende et décider la confiscation des profits, biens et avoirs
tirés directement ou indirectement du crime.
L'article 78 du statut impose à la Cour, lorsqu'elle fixe la peine,
de tenir compte de considérations telles que la gravité du crime
et la situation personnelle du condamné. Lorsqu'une personne est
reconnue coupable de plusieurs crimes, la Cour prononce une peine pour chaque
crime et une peine unique indiquant la durée totale
d'emprisonnement.
e) Les voies de recours
L'article 14 du Pacte international relatif aux droits
civils
et politiques, adopté en 1966 dans le cadre de l'organisation des
Nations Unies, prévoit que "
toute personne
déclarée coupable d'une infraction a le droit de faire examiner
par une juridiction supérieure la déclaration de
culpabilité et la condamnation, conformément à la
loi
".
Le statut de la Cour pénale internationale respecte ces prescriptions.
Les décisions de la chambre de première instance, sur la
culpabilité comme sur la peine, peuvent en effet donner lieu à
appel devant une chambre d'appel. Si celle-ci conclut que la procédure
faisant l'objet de l'appel est viciée au point de porter atteinte
à la régularité de la condamnation, ou que la condamnation
faisant l'objet de l'appel est sérieusement entachée d'une erreur
de fait ou de droit, elle peut annuler ou modifier la condamnation ou ordonner
un nouveau procès devant une chambre de première instance
différente.
Par ailleurs, les décisions définitives sur la culpabilité
ou la peine peuvent donner lieu à requête en révision de la
part de la personne déclarée coupable ou, en cas de
décès, de son conjoint, de ses enfants, de ses parents ou de
toute personne mandatée par écrit expressément à
cette fin.
4. La saisine de la Cour
Trois
modes de saisine de la Cour pénale internationale sont prévus par
le statut :
- tout Etat partie peut déférer au Procureur une situation dans
laquelle un ou plusieurs crimes relevant de la compétence de la Cour
paraissent avoir été commis ;
- le procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu de
renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la
Cour ; dans ce cas, il doit obtenir une autorisation de la chambre
préliminaire pour ouvrir une enquête.
- enfin, le Conseil de sécurité des Nations-Unies peut
également déférer au procureur une situation dans laquelle
un ou plusieurs crimes paraissent avoir été commis.
Le Conseil
de sécurité peut non seulement saisir la Cour, mais
également - ce qui paraît beaucoup plus contestable -
empêcher toute poursuite ou enquête pendant douze mois, cette
demande pouvant être renouvelée
2(
*
)
.
5. La procédure
Trois phases peuvent être distinguées dans la procédure devant la Cour : l'enquête, la confirmation des charges, le procès.
a) L'enquête
La
décision d'ouvrir une enquête est prise, sous le contrôle de
la chambre préliminaire, par le procureur, qui peut également
conclure qu'il n'y a pas de motifs suffisants pour engager des poursuites. Le
procureur "
enquête tant à charge qu'à
décharge
". Il peut notamment recueillir et examiner des
éléments de preuve, convoquer et interroger des personnes faisant
l'objet d'une enquête, ainsi que des victimes et des témoins,
demander la coopération de tout Etat ou organisation ou dispositif
gouvernemental.
L'un des éléments
remarquables du statut est que
l'activité du procureur de la Cour pénale internationale est
contrôlée par une " chambre préliminaire ",
composée d'un ou plusieurs juges
. Il est possible de voir dans cette
disposition une influence des systèmes juridiques latins. Ce
contrôle interne des poursuites paraît légitime. Compte tenu
de la gravité des infractions à l'égard desquelles la Cour
aura compétence, l'ouverture des poursuites peut difficilement
être laissée à la discrétion d'une seule
autorité.
La chambre préliminaire est appelée à prendre les
principales décisions pendant l'enquête. Ainsi, lorsqu'il souhaite
ouvrir une enquête de sa propre initiative, le procureur doit obtenir
l'autorisation de la chambre préliminaire.
De même, lorsqu'il considère qu'une enquête offre
l'occasion, qui ne se représentera plus par la suite, de recueillir un
témoignage ou une déposition, ou d'examiner , recueillir ou
vérifier des éléments de preuve aux fins d'un
procès, le procureur en avise la chambre préliminaire, qui peut
alors prendre toutes mesures propres à assurer l'efficacité et
l'intégrité de la procédure, en particulier nommer un
expert ou prendre toute mesure nécessaire pour recueillir ou
préserver les éléments de preuves.
La chambre préliminaire peut délivrer les mandats
nécessaires aux fins d'une enquête, autoriser le procureur
à prendre certaines mesures d'enquête sur le territoire d'un Etat
partie sans s'être assuré la coopération de cet Etat
lorsque celui-ci est incapable de donner suite à une demande de
coopération. A tout moment, après l'ouverture d'une
enquête, la chambre préliminaire peut délivrer sur
requête du procureur, un mandat d'arrêt contre une
personne.
b) La confirmation des charges
L'article 61 du statut prévoit que "
dans
un
délai raisonnable après la remise de la personne à la Cour
ou sa comparution volontaire, la chambre préliminaire tient une audience
pour confirmer les charges sur lesquelles le Procureur entend se fonder pour
requérir le renvoi en jugement
". Cette audience peut se tenir
en l'absence de l'intéressé, notamment lorsqu'il a pris la fuite.
Au cours de cette audience, le Procureur étaye chacune des charges avec
des éléments de preuve suffisants pour établir l'existence
de raisons sérieuses de croire que la personne a commis le crime qui lui
est imputé.
A l'issue de l'audience, la chambre préliminaire peut confirmer les
charges et renvoyer la personne devant une chambre de première instance
pour y être jugée, ne pas confirmer les charges, enfin ajourner
l'audience en demandant au Procureur d'apporter des éléments de
preuve supplémentaires ou de modifier une charge.
c) Le procès
Le
procès se déroule publiquement devant une chambre de
première instance en présence de l'accusé. La chambre de
première instance peut prononcer le huis clos, notamment pour
protéger la sécurité des victimes et des témoins ou
pour protéger des renseignements confidentiels ou sensibles
donnés dans des dépositions.
L'accusé a la possibilité de plaider coupable. Dans ce cas, si la
Cour est convaincue que l'accusé comprend la nature et les
conséquences de l'aveu, qu'il a fait cet aveu volontairement, qu'enfin
cet aveu est étayé par les faits de la cause, elle peut
reconnaître l'accusé coupable du crime. Dans le cas contraire,
elle ordonne que le procès se poursuive selon les procédures
normales.
Le statut contient des règles relatives à l'administration des
personnes, à la protection et à la participation au procès
des victimes et des témoins, à la protection de renseignements
touchant à la sécurité nationale.
L'article 74 prévoit que les juges s'efforcent de prendre leur
décision à l'unanimité, faute de quoi ils la prennent
à la majorité. La décision est présentée par
écrit et contient l'exposé complet et motivé des
constatations de la chambre de première instance sur les preuves et les
conclusions. S'il n'y a pas unanimité, la décision contient les
vues de la majorité et de la minorité.
6. Les relations entre la Cour pénale et les Etats parties
a) le principe de complémentarité
En ce
qui concerne la recevabilité des affaires, le principe est qu'une
affaire est jugée irrecevable par la Cour pénale lorsqu'elle fait
ou a fait l'objet d'une enquête ou de poursuites de la part d'un Etat
ayant compétence en
l'espèce
. La solution retenue est
donc différente de celle qui avait prévalu lors de la
création des tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Le statut de
ces tribunaux pose en effet le principe de leur primauté sur les
juridictions nationales et leur permet de demander le dessaisissement de ces
juridictions à tout stade de la procédure.
Aux termes de l'article 18 du statut, le procureur doit informer les Etats
dès le début de l'enquête. L'Etat dont le suspect a la
nationalité dispose d'un délai d'un mois pour faire
connaître l'état des poursuites concernant cette personne.
L'existence de telles poursuites oblige le procureur à suspendre
l'instruction.
La Cour doit s'assurer, aux termes de l'article 19 du statut, qu'elle est
compétente pour connaître d'une affaire portée devant elle.
Elle peut d'office se prononcer sur la recevabilité de l'affaire.
Le principe de la compétence des Etats est tempéré par le
fait que cette règle ne s'applique pas lorsqu'il apparaît que
l'Etat en cause n'a pas la volonté ou est dans l'incapacité de
mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites. Le
statut précise les circonstances qui permettent de déterminer
qu'il y a un manque de volonté de l'Etat. Il en va notamment ainsi
lorsque la procédure a été engagée dans le dessein
de soustraire la personne concernée à sa responsabilité
pénale.
Naturellement, conformément à la règle
non bis
idem
, nul ne peut être jugé par la Cour s'il été
jugé par une autre juridiction pour les mêmes faits, sauf si la
procédure devant cette juridiction avait pour but de soustraire la
personne concernée à sa responsabilité pénale ou si
elle a été menée d'une manière qui démentait
l'intention de traduire l'intéressé en justice.
b) Une obligation de coopération
L'article 86 du statut prévoit une
obligation
générale pour les Etats de coopérer pleinement avec la
Cour dans les enquêtes et poursuites qu'elle mène pour les crimes
relevant de sa compétence.
La Cour peut adresser des demandes de coopération aux Etats parties,
notamment afin d'obtenir qu'une personne soit arrêtée pour lui
être remise. Elle peut également formuler des demandes
d'assistance concernant l'identification d'une personne, le rassemblement
d'éléments de preuve, la signification de document, l'examen de
localités ou de sites...
Lorsque l'exécution d'une mesure d'assistance demandée par la
Cour est interdite dans l'Etat requis en vertu d'un principe juridique
fondamental d'application générale, ledit Etat doit engager des
consultations avec la Cour pour tenter de régler la question. Si la
question n'est pas réglée à l'issue des consultations, la
Cour modifie la demande.
Un Etat partie ne peut rejeter, totalement ou partiellement, une demande
d'assistance de la Cour que si cette demande a pour objet la production de
documents ou la divulgation d'éléments de preuve qui touchent
à sa sécurité nationale. L'article 98 du statut
prévoit que la Cour ne peut présenter une demande d'assistance
qui contraindrait l'Etat requis à agir de façon incompatible avec
les obligations qui lui incombent en droit international en matière
d'immunité des Etats ou d'immunité diplomatique d'une personne ou
de biens d'un Etat tiers, à moins d'obtenir au préalable la
coopération de cet Etat tiers en vue de la levée de
l'immunité.
Enfin, l'article 99 prévoit notamment que le
procureur peut
procéder à certains actes d'enquête sur le territoire d'un
Etat partie, y compris en l'absence des autorités de cet Etat. Les
mesures qu'il peut prendre dans ce cadre, notamment recueillir une
déposition ou inspecter un site public ou un autre lieu public, sont
exclusives de toute contrainte.
*
Le statut de la Cour est ainsi marqué par la volonté de créer un système international efficace de répression des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre les plus graves. Il sauvegarde cependant la compétence juridictionnelle des Etats adhérents au statut. C'est aux Etats en effet qu'il revient au premier chef de poursuivre et de condamner les auteurs de ces crimes dans toute la mesure où ils relèvent de leur juridiction. C'est seulement faute pour ces Etats d'agir, soit par intérêt politique soit par défaut de moyens juridiques, que la Cour assurera la répression selon une procédure respectueuse des principes du procès équitable.
II. UNE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE NÉCESSAIRE
Le 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel a décidé que la ratification du traité portant statut de la Cour pénale internationale devrait être précédée d'une révision de la Constitution 3( * ) . Cette décision était attendue et avait été précédée d'un avis du Conseil d'Etat, rendu en 1996 à propos d'un avant projet de statut, qui parvenait à la même conclusion.
A. LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LES ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX
1. La procédure
Deux
procédures permettent au Conseil constitutionnel de se prononcer sur des
engagements internationaux.
L'article 61
de la Constitution permet
de
saisir le Conseil d'une loi autorisant la ratification ou l'approbation
d'un engagement international
. Cette procédure a été
utilisée à sept reprises jusqu'à présent et n'a
conduit à aucune déclaration d'inconstitutionnalité.
L'article 54 de la Constitution permet pour sa part au Président de
la République, au Premier ministre, au Président de l'une ou
l'autre assemblée et, depuis 1992, à soixante
députés ou soixante sénateurs de
saisir le Conseil
constitutionnel d'un engagement international
afin qu'il vérifie sa
conformité à la Constitution.
Si le Conseil déclare
qu'un engagement international comporte une clause contraire à la
Constitution, l'autorisation de le ratifier ou de l'approuver ne peut
intervenir qu'après révision de la Constitution
.
Le traité instituant la Cour pénale internationale a
été soumis au Conseil constitutionnel conjointement par le
Président de la République et le Premier ministre -comme cela
avait déjà été le cas pour le traité
d'Amsterdam- sur le fondement de cet article 54.
2. Les précédents
Avant la
décision du Conseil constitutionnel relative au traité de Rome
portant statut de la Cour pénale internationale, l'article 54 de la
Constitution n'a donné lieu qu'à six saisines :
- en 1970, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur le
traité du 22 avril 1970 portant modification de certaines
dispositions budgétaires des traités instituant les
Communautés européennes et du traité instituant un Conseil
unique et une Commission unique des Communautés européennes,
ainsi que sur la décision du Conseil des Communautés
européennes du 21 avril 1970 relative au remplacement des
contributions des Etats membres par des ressources propres aux
communautés ;
- en 1976, le Conseil s'est prononcé sur la décision du Conseil
des Communautés européennes relative à l'élection
de l'Assemblée européenne ;
- en 1985, le Conseil constitutionnel a été saisi du
protocole n° 6 additionnel à la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort ;
- en 1992, le Conseil constitutionnel s'est prononcé à deux
reprises dans le cadre de l'article 54 de la Constitution sur le
traité sur l'Union européenne signé à
Maastricht ;
- enfin, en 1997, le Conseil constitutionnel a été
interrogé sur la conformité à la Constitution du
traité d'Amsterdam.
Si l'on prend en considération la décision relative à la
Cour pénale internationale, il est intéressant de constater que
quatre des sept saisines du Conseil constitutionnel sont intervenues au cours
des sept dernières années, tandis que les trente années
précédentes n'avaient été marquées que par
trois saisines. De plus, trois des quatre dernières saisines ont eu pour
résultat une déclaration de non conformité à la
Constitution, le Conseil constatant un risque d'atteinte aux conditions
essentielles d'exercice de la souveraineté. Le Conseil constitutionnel a
ainsi décidé que la ratification des traités de Maastricht
et d'Amsterdam devait être précédée d'une
modification de la Constitution. Il est parvenu à la même
conclusion après avoir examiné le statut de la Cour pénale
internationale.
L'approfondissement des liens entre les Etats, singulièrement dans le
cadre de la construction européenne, la signature de traités ou
de conventions dans des matières régaliennes par essence, impose
donc à la France des adaptations de sa Constitution plus
fréquentes que par le passé.
B. LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LE STATUT DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE
Dans sa
décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999,
le Conseil constitutionnel a déclaré que la ratification du
traité portant statut de la Cour pénale internationale devait
être précédée d'une révision de la
Constitution.
Cette décision constate une contrariété d'une disposition
du traité avec des articles de la Constitution ainsi qu'un risque
d'atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté
nationale.
1. Le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que la France puisse conclure des engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde
Il
convient tout d'abord de noter que le Conseil constitutionnel a admis le
principe de la création d'une Cour pénale internationale.
Comme il le fait de manière habituelle, le Conseil constitutionnel a
tout d'abord résumé le contenu de l'engagement international qui
lui était soumis et rappelé les normes de référence
applicables, en particulier le préambule de la Constitution de 1958 et
celui de la Constitution de 1946, l'article 3 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen ("
le principe de toute
souveraineté réside essentiellement dans la nation
") et
l'article 3 de la Constitution ("
la souveraineté nationale
appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie
du référendum
"). Le Conseil a cité
également les quatorzième et quinzième alinéas du
préambule de la Constitution de 1946 prévoyant respectivement que
la République française se conforme aux règles du droit
public international et que, sous réserve de réciprocité,
la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires
à l'organisation et à la défense de la paix.
Le Conseil a alors indiqué, dans un considérant de principe qui
mérite d'être intégralement cité que "
le
respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce
que, sur le fondement des dispositions précitées du
préambule de la Constitution de 1946, la France puisse conclure des
engagements internationaux en vue de favoriser la paix et la
sécurité du monde et d'assurer le respect des principes
généraux du droit public international ; que les engagements
souscrits à cette fin peuvent en particulier prévoir la
création d'une juridiction internationale permanente destinée
à protéger les droits fondamentaux appartenant à toute
personne humaine, en sanctionnant les atteintes les plus graves qui leur
seraient portées, et compétente pour juger les responsable de
crimes d'une gravité telle qu'ils touchent l'ensemble de la
communauté internationale ; qu'eu égard à cet objet,
les obligations nées de tels engagements s'imposent à chacun des
Etats parties indépendamment des conditions de leur exécution par
les autres Etats parties ; qu'ainsi la réserve de
réciprocité mentionnée à l'article 55 de la
Constitution n'a pas lieu de s'appliquer ".
De la même manière, le Conseil avait affirmé en 1992 et
1997, à propos des traités de Maastricht et d'Amsterdam, que le
respect de la souveraineté nationale ne faisait pas obstacle à ce
que la France puisse participer à la création et au
développement d'une organisation internationale permanente, dotée
de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision
par l'effet de transferts de compétences consentis par les Etats membres.
Ainsi, le principe d'une compétence juridictionnelle non nationale pour
les crimes mentionnés dans le statut ne porte atteinte à aucune
exigence constitutionnelle. Le Conseil d'Etat, dans son avis de 1996,
était parvenu à la même conclusion, estimant que
"
le fait d'attribuer compétence aux organes de la Cour pour
poursuivre et juger ces crimes lorsqu'ils sont commis en France n'est pas dans
son principe de nature à compromettre les conditions essentielles
d'exercice de la souveraineté nationale
".
Contrairement à la solution explicitement retenue pour les
traités de Maastricht et d'Amsterdam, le Conseil constitutionnel affirme
que la réserve de réciprocité inscrite dans
l'article 55 de la Constitution n'a pas lieu de s'appliquer en ce qui
concerne le statut de la Cour pénale internationale.
Compte tenu de
l'objet du traité - protéger les droits fondamentaux appartenant
à toute personne humaine, en sanctionnant les atteintes les plus graves
qui lui seraient portée, et compétente pour juger les
responsables des crimes d'une gravité telle qu'ils touchent l'ensemble
de la communauté internationale - la réserve de
réciprocité ne saurait être invoquée.
La solution retenue est intéressante, dans la mesure où dans des
décisions précédentes, le Conseil constitutionnel avait
suivi un raisonnement différent. Ainsi, à propos de la loi
organique déterminant les conditions d'application de l'article 88-3 de
la Constitution relatif à l'exercice par les citoyens de l'Union
européenne résidant en France, autres que les ressortissants
français, du droit de vote et d'éligibilité aux
élections municipales, le Conseil constitutionnel avait
considéré que la condition de réciprocité
prévue par l'article 88-3 de la Constitution était
satisfaite dès lors que le traité sur l'Union européenne
avait été ratifié par l'ensemble des signataires. Il avait
alors ajouté "
qu'un cas de manquement d'un Etat membre aux
obligations qui découlent du paragraphe I de
l'article 8 B (du traité sur l'Union européenne)
précité, il appartiendrait à la France de saisir la Cour
de justice, sur le fondement de l'article 170 du traité instituant
la Communauté européenne
"
4(
*
)
.
Une solution semblable aurait pu être retenue dans le cas de la Cour
pénale, mais le Conseil a souhaité exclure toute
possibilité d'invocation de la réserve de
réciprocité.
Après avoir admis le principe de la création de la Cour
pénale internationale, le Conseil rappelle que lorsque des engagements
internationaux contiennent une clause contraire à la Constitution,
mettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis
ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la
souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier appelle une
révision constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel a examiné
le statut de la Cour pénale internationale au regard de ces trois
critères.
2. Trois motifs d'inconstitutionnalité
a) Une atteinte au régime des immunités
Le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l'article 27 du statut de la cour pénale internationale, dont le contenu est le suivant :
Article 27
Défaut de pertinence de la
qualité
officielle
1. Le présent statut s'applique à tous de
manière égale, sans aucune distinction fondée sur la
qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef
d'Etat ou de Gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de
représentant élu ou d'agent d'un Etat, n'exonère en aucun
cas de la responsabilité pénale au regard du présent
statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de
réduction de la peine.
2. Les immunités ou règles de procédure
spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle
d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international,
n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à
l'égard de cette personne.
L'article 68 de la Constitution française prévoit notamment
que
" le Président de la République n'est responsable des
actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute
trahison "
.
L'article 68-1 prévoit pour sa part que les ministres, qui sont
" pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de
leurs fonctions et qualifiés crimes et délits au moment où
ils ont été commis "
, sont jugés par la Cour de
justice de la République.
Enfin, l'article 26 de la Constitution prévoit que les membres du
Parlement bénéficient d'une immunité à raison des
opinions ou votes émis dans l'exercice de leurs fonctions et qu'ils ne
peuvent faire l'objet, en matière criminelle ou correctionnelle, hors
les cas de flagrance ou de condamnation définitive, d'une arrestation ou
de toute autre mesure punitive ou restrictive de liberté qu'avec
l'autorisation du bureau de l'assemblée dont ils font partie.
Le Conseil constitutionnel a donc logiquement déclaré
l'article 27 du statut contraire aux articles 26, 68 et 68-1 de la
Constitution. Dès 1996, lorsqu'il avait rendu un avis sur l'avant-projet
de statut de la cour criminelle internationale, le Conseil d'Etat était
parvenu à la même conclusion
5(
*
)
.
L'article 27 du statut est la seule disposition déclarée
contraire à des articles précis de notre Constitution.
b) Une mise en cause des régimes de l'amnistie et de la prescription
Si le
Conseil a relevé, à propos du régime des immunités,
une contradiction entre une disposition du statut et des articles de la
Constitution, deux autres dispositions ont été jugées
contraires à la Constitution parce qu'elles porteraient atteinte aux
"
conditions essentielles d'exercice de la souveraineté
nationale
".
Il convient tout d'abord de noter que les stipulations qui permettent à
la Cour de se déclarer compétente lorsqu'un Etat n'a pas la
volonté réelle de mener à bien les poursuites n'ont pas
été considérées comme contraires à la
Constitution, au motif qu'elles découlent de la règle
Pacta
sunt servanda
en vertu de laquelle un traité en vigueur lie les
parties et doit être exécuté par elles de bonne foi. En
1992, dans sa première décision relative au traité de
Maastricht, le Conseil constitutionnel avait souligné qu'au nombre des
règles de droit public international auxquelles se réfère
le préambule de la Constitution de 1946 figurait la règle
Pacta sunt servanda
.
De même, le Conseil constitutionnel n'a pas déclaré
contraire à la Constitution l'article 17-3 du statut qui permet
à la Cour pénale de juger une affaire recevable lorsque l'Etat
compétent est incapable de mener véritablement à bien des
poursuites, en particulier en cas d'effondrement de la totalité ou d'une
partie substantielle de son appareil judiciaire.
Il est vraisemblable, en l'absence de précision sur ce point, que le
Conseil constitutionnel a considéré que, dans de tels cas, il ne
saurait y avoir violation de la Constitution, puisque la garantie des droits ne
serait plus assurée par la France et qu'en vertu de l'article 16 de
la déclaration des droits de l'homme et du citoyen :
"
Toute société dans laquelle la garantie des droits
n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs
déterminée, n'a point de Constitution
".
En revanche, le Conseil constitutionnel a constaté que la Cour
pénale internationale pouvait être valablement saisie du fait de
l'application d'une loi d'amnistie ou des règles internes en
matière de prescription et que la France, en dehors de tout manque de
volonté ou d'indisponibilité de l'Etat, pourrait être
conduite à arrêter et à remettre à la Cour une
personne en raison de faits couverts par l'amnistie ou la prescription. Le
Conseil a vu dans ces dispositions une possibilité d'atteinte aux
conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
De fait, si une loi d'amnistie intervenait avant le jugement d'une personne,
mise en cause pour des crimes de la compétence de la Cour pénale
internationale, celle-ci pourrait vraisemblablement ignorer la loi d'amnistie,
qui ne constitue pas une cause d'irrecevabilité au titre de
l'article 17 du statut. En revanche, dans le cas d'une amnistie
intervenant après le jugement, la Cour pénale serait
vraisemblablement tenue par la règle
non bis in idem
inscrite
à l'article 20 du statut, sous cette réserve que la
règle
non bis in idem
n'a pas vocation à s'appliquer
lorsque la procédure devant la juridiction autre que la Cour a pour but
de soustraire la personne concernée à sa responsabilité
pénale pour des crimes relevant de la compétence de la Cour.
La portée de cette atteinte aux conditions essentielles d'exercice de
la souveraineté doit être relativisée. En effet, les lois
d'amnistie excluent naturellement les faits les plus graves. L'amnistie de
crimes contre l'humanité, de génocides ou de crimes de guerre ne
saurait être envisagée dans un Etat de droit.
En ce qui concerne la prescription, le Conseil constitutionnel constate
"
qu'aucune règle, ni aucun principe de valeur
constitutionnelle, n'interdit l'imprescriptibilité des crimes les plus
graves qui touchent l'ensemble de la communauté
internationale
". Le droit français prévoit
l'imprescriptibilité du génocide et des crimes contre
l'humanité (article 213-5 du code pénal).
Le Conseil d'Etat s'était montré plus réservé dans
l'avis qu'il avait rendu à propos du projet de statut d'une Cour
criminelle internationale :
"
(...), le statut de la Cour ne contient aucune disposition relative
à la prescription. Certains crimes relevant de la compétence de
la Cour, comme le crime de génocide ou le crime contre
l'humanité, et sans doute aussi le crime d'agression, peuvent être
regardés comme imprescriptibles en droit international public,
même si le droit pénal national ne les a pas
déclarés comme tels dans tous les cas. Il n'en va pas
nécessairement de même des violations graves des lois et coutumes
applicables dans les conflits armés et des crimes, même d'une
exceptionnelle gravité, liés par exemple à la
sécurité de l'aviation civile et de la navigation maritime et au
trafic illicite de stupéfiants, qui sont des crimes de droit commun. Le
Conseil d'Etat considère que l'existence d'une règle de
prescription qui est un principe fondamental reconnu par les lois de la
République exige que, pour les crimes dont la nature n'est pas
d'être imprescriptibles, un délai de prescription soit fixé
dans le statut, en fonction de la gravité des crimes commis
".
En tout état de cause, il faut constater qu'en France, seuls, parmi les
crimes pour lesquels la Cour aura une compétence, les crimes de
génocide et les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles.
Dans ces conditions, la France pourrait être conduite à
arrêter et à remettre à la Cour l'auteur d'un crime
prescrit. Cette hypothèse n'est pas purement théorique dans la
mesure où la Cour détient une compétence en matière
de crimes de guerre, y compris lorsque ces crimes sont commis de manière
isolée. Les règles de la prescription prévues par le
législateur français pourraient donc se trouver privées
d'effet. Le Conseil constitutionnel en a déduit qu'il existait un risque
d'atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté
nationale
.
c) Les pouvoirs d'enquête du procureur
Le
Conseil constitutionnel a relevé une deuxième atteinte possible
aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale dans
les pouvoirs d'enquête confiés au procureur.
En principe, la Cour peut adresser des demandes de coopération et
d'assistance aux Etats membres, que ceux-ci peuvent refuser, à condition
d'engager des consultations avec la Cour, lorsque l'exécution d'une
mesure particulière d'assistance est interdite dans l'Etat requis en
vertu d'un principe juridique fondamental.
Toutefois, l'article 57 permet à la chambre préliminaire de
la cour pénale d'autoriser le procureur à prendre certaines
mesures d'enquête sur le territoire d'un Etat partie sans s'être
assuré la coopération de cet Etat si elle a
déterminé que cet Etat est incapable de donner suite à une
demande de coopération parce qu'aucune autorité ou composante
compétente de son appareil judiciaire national n'est disponible pour
donner suite à une demande de coopération. Le Conseil
constitutionnel n'a pas déclaré contraire à la
Constitution ces dispositions, vraisemblablement parce que dans
l'hypothèse envisagée, les droits ne seraient plus garantis par
la France.
En revanche, le Conseil a déclaré contraire à la
Constitution l'article 99-4 du statut, qui permet au Procureur
d'intervenir directement sur le territoire d'un Etat partie
" notamment
lorsqu'il s'agit d'entendre ou de faire déposer une personne agissant de
son plein gré, y compris hors de la présence des autorités
de l'Etat requis quand cela est déterminant pour la bonne
exécution de la demande, ou lorsqu'il s'agit d'inspecter un site public
ou un autre lieu public sans le modifier
". Le Conseil constitutionnel
a estimé que cette stipulation était de nature à porter
atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté
nationale.
En 1980, dans sa décision relative à la loi autorisant la
ratification de la convention franco-allemande additionnelle à la
convention européenne d'entraide judiciaire en matière
pénale
6(
*
)
, le Conseil constitutionnel
avait estimé que
" les autorités judiciaires
françaises, telles qu'elles sont définies par la loi
française, sont seules compétentes pour accomplir en France, dans
les formes prescrites par cette loi, les actes qui peuvent être
demandés par une autorité étrangère au titre de
l'entraide judiciaire en matière pénale "
. En 1991, dans
sa décision relative à la loi autorisant l'approbation de la
convention d'application de l'accord de Schengen
7(
*
)
, le Conseil constitutionnel avait en revanche admis la
procédure de
" poursuite transfrontalière "
prévue par l'article 41 de la convention, en observant notamment
" que les agents poursuivants ne disposent en aucun cas du droit
d'interpellation ; que l'entrée dans les domiciles et les lieux non
accessibles au public leur est interdite "
.
A propos de la Cour pénale internationale, le Conseil a donc
jugé que la possibilité pour le procureur de procéder
à certains actes d'enquête hors la présence des
autorités de l'Etat requis et sur le territoire de ce dernier, en dehors
même du cas où l'appareil judiciaire national est indisponible,
était contraire à la Constitution.
3. Un traité respectant les principes de droit pénal et de procédure pénale ayant valeur constitutionnelle
Dans sa
décision, le Conseil ne s'est pas limité à indiquer celles
des stipulations du traité qui étaient contraires à la
Constitution. Il s'est au contraire attaché à examiner de
manière détaillée la conformité du traité
aux droits et libertés constitutionnellement garantis pour conclure
qu'aucun de ces principes n'était mis en cause.
Ainsi, le Conseil a constaté que les dispositions du traité
respectaient le
principe de la présomption d'innocence
posé par l'article 9 de la déclaration des droits de l'homme
et du citoyen en constatant notamment que ce principe était
affirmé dans l'article 66 du statut et qu'il incombait au procureur
de prouver la culpabilité de l'accusé.
De même, le statut de la Cour ne porte pas atteinte au
principe de
légalité des délits et des peines
, dans la mesure
notamment où il
" fixe précisément le champ
d'application des incriminations comme des exonérations de
responsabilité pénale et définit les crimes, tant dans
leur élément matériel que dans leur élément
moral, en termes suffisamment clairs et précis pour permettre la
détermination des auteurs d'infractions et éviter
l'arbitraire ".
Le principe de la
non rétroactivité de la loi pénale
plus sévère
est également satisfait, compte tenu des
articles 11 et 24 du statut qui prévoient respectivement que la
Cour n'est compétente qu'à l'égard des crimes commis
après l'entrée en vigueur du statut et que le droit le plus
favorable doit être appliqué en cas de modification du droit
applicable avant le jugement définitif.
Aucune atteinte n'est portée aux
droits de la défense
,
ceux-ci étant respectés
" dès la procédure
initiale devant la Cour et pendant le procès lui-même "
.
Le Conseil constitutionnel a également constaté que le projet de
statut ne portait pas atteinte à
l'exigence d'impartialité et
d'indépendance des juges
, qu'il respectait les principes de
nécessité et de légalité des peines
, qu'un
droit de recours
était prévu et que la règle
" non bis in idem "
était respectée.
Il est heureux que le Conseil constitutionnel n'ait décelé, au
sein du statut de la Cour pénale internationale, aucune disposition
portant atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis.
En effet, il eut été difficile, sinon impossible, de justifier
une révision constitutionnelle, dont l'objet aurait consisté pour
la France à accepter la juridiction d'une Cour ne garantissant pas aussi
bien que le système judiciaire français des exigences aussi
fondamentales que les droits de la défense ou la présomption
d'innocence.
4. Le traité ne porte pas atteinte au droit de grâce présidentiel
Avant
l'adoption par la Conférence de Rome du statut de la cour pénale
internationale, nombreux étaient ceux qui s'interrogeaient sur la
compatibilité de ce statut avec le droit de grâce
présidentiel, tel qu'il est prévu par l'article 17 de la
Constitution. En 1996, dans son avis sur l'avant-projet du statut de la cour
criminelle internationale, le Conseil d'Etat avait estimé que ce projet
était susceptible de porter atteinte aux prérogatives
présidentielles en la matière.
Toutefois, la Conférence de Rome a adopté un texte
différent, en cette matière, de l'avant-projet soumis au Conseil
d'Etat et le Conseil constitutionnel a considéré que le
dispositif retenu ne portait pas atteinte aux conditions essentielles
d'exercice de la souveraineté nationale.
L'article 103 du statut prévoit un effet que
" lorsqu'il
déclare qu'il est disposé à recevoir des condamnés,
un Etat peut assortir son acceptation de conditions qui doivent être
agréées par la Cour (...) "
.
Le Conseil en a déduit que la France pourrait faire état de la
possibilité d'accorder aux personnes condamnées une dispense de
l'exécution des peines, totale ou partielle, découlant de
l'exercice du droit de grâce.
L'article 103 du statut prévoit que l'Etat avise la Cour de toute
circonstance, y compris la réalisation de toute condition convenue, qui
serait de nature à modifier sensiblement les conditions ou la
durée de la détention. La Cour devra être avisée au
moins 45 jours à l'avance de toute circonstance de ce type connue
ou prévisible et pourra décider de transférer un
condamné dans une prison d'un autre Etat.
III. LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE SOUMIS AU SÉNAT
Le
projet de loi constitutionnelle soumis au Sénat a été
adopté sans modification par l'Assemblée nationale le 6 avril
dernier.
Ce projet contient un article unique tendant à insérer un article
53-2 dans la Constitution, dont le contenu serait le suivant :
"
La République peut reconnaître la juridiction de la Cour
pénale internationale dans les conditions prévues par le
traité signé le 18 juillet 1998
".
Le choix d'insérer un article 53-2 dans la Constitution paraît
opportun. Le titre VI de la Constitution, dans lequel s'inscrira ce nouvel
article, concerne en effet les " traités et accords
internationaux ". L'article 53 de la Constitution énumère
les traités ou accords qui ne peuvent être ratifiés ou
approuvés qu'en vertu d'une loi, tandis que l'article 53-1, introduit
dans notre Loi fondamentale en 1993
8(
*
)
, concerne
la possibilité pour la République de passer, avec les Etats
européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens
en matière d'asile et de protection des droits de l'homme et des
libertés fondamentales, des accords déterminant leurs
compétences respectives pour l'examen des demandes d'asile qui leur sont
présentées.
Sur le fond, le gouvernement a choisi de présenter un projet
prévoyant la possibilité pour la France d'accepter l'ensemble des
dispositions du statut de la Cour pénale internationale et ne
mentionnant pas explicitement les motifs d'inconstitutionnalité
relevés par le Conseil constitutionnel. De fait, la modification des
articles 68, 68-1 et 26 de la Constitution, relatifs aux immunités dont
bénéficient respectivement le Président de la
République, les ministres et les parlementaires aurait posé des
problèmes complexes. Il aurait en outre été
nécessaire de mentionner explicitement l'acceptation par la France des
pouvoirs d'enquête du procureur de la Cour pénale ainsi que des
règles susceptibles de priver le régime de l'amnistie et le
régime de la prescription de leur effet.
Le choix d'insérer dans la Constitution une disposition
générale est donc compréhensible, même si ce projet
de loi constitutionnelle s'éloigne ainsi des solutions retenues pour les
traités d'Amsterdam et de Maastricht. L'article 88-2 mentionne en effet
les domaines dans lesquels la France peut consentir des transferts de
compétences au profit de l'Union européenne (établissement
de l'union économique et monétaire européenne, libre
circulation des personnes).
Il convient de mentionner que le projet de loi constitutionnelle prévoit
que la France " peut " reconnaître la juridiction de la Cour
pénale internationale.
Le choix de ce verbe vise à tenir
compte du fait que le présent projet de loi constitutionnelle tend
à rendre possible la ratification du traité et non à
autoriser cette ratification. Une loi ordinaire devra autoriser la ratification
du traité signé le 18 juillet 1998 après l'adoption
définitive par le Congrès du Parlement du présent projet
de loi constitutionnelle
. La même solution a été
retenue lors de la révision constitutionnelle préalable à
la ratification du traité d'Amsterdam. L'article 88-2 de la Constitution
prévoit en effet désormais que "
peuvent être
consentis les transferts de compétences...
".
Le projet de loi fait référence à la juridiction de la
Cour pénale internationale et non à sa compétence.
Pourtant, la version française du statut de la Cour ne fait jamais
référence à sa juridiction, mais à sa
compétence. Ainsi, l'article premier du statut stipule :
"
Il est créé une Cour pénale internationale en
tant qu'institution permanente, qui peut exercer sa compétence à
l'égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une
portée internationale, au sens du présent statut
".
La difficulté que pourrait soulever l'emploi du terme juridiction tient
à ce que ce mot recouvre un grand nombre de significations. La
juridiction est en effet à la fois la "
mission de juger ;
pouvoir et devoir de rendre la justice par application du
droit
"
9(
*
)
et l'"
organe
institué pour exercer le pouvoir de juridiction
". En
l'occurrence, le projet de loi constitutionnelle a pour objet de
reconnaître la compétence et les prérogatives
attribuées à la Cour pénale internationale par le statut.
Quoi qu'il en soit, la rédaction proposée, si elle n'est pas la
plus heureuse, permet de lever l'ensemble des obstacles constitutionnels
à la ratification du traité, ce qui est l'essentiel.
La principale question que pose la rédaction du projet de loi
constitutionnelle est celle de son champ d'application. L'article unique fait
en effet référence à la reconnaissance de la juridiction
de la Cour "
dans les conditions prévues par le traité
signé le 18 juillet 1998
". On peut en déduire qu'il
vise à rendre conformes à la Constitution les dispositions du
statut qui lui ont été déclarées contraires et ne
couvre pas les modifications futures du statut. Toutefois, le statut
lui-même prévoit la possibilité d'amendements au statut
sept ans après son entrée en vigueur. Des amendements aux
dispositions du statut de caractère exclusivement institutionnel sont
même possibles sans attendre le délai de sept ans. Il serait donc
possible de considérer que ces amendements font partie des
"
conditions prévues par le traité du 18 juillet
1998
". Le gouvernement considère néanmoins que la
rédaction du projet de loi n'a pas pour effet de rendre automatiquement
conformes à la Constitution les futurs amendements au statut quels
qu'ils soient. Il est vrai que les stipulations du statut relatives à sa
révision et aux amendements sont très générales et
qu'elles ne permettent pas d'exclure a priori des modifications qui
bouleverseraient l'équilibre du traité tel qu'il a
été soumis au Conseil constitutionnel.
En tout état de cause, il convient de garder à l'esprit que les
amendements au statut devront donner lieu à ratification par les Etats
parties conformément à l'article 121 du statut. Dans ces
conditions, rien ne saurait empêcher le Président de la
République, le Premier ministre, le président de l'une ou l'autre
assemblée ou soixante députés ou soixante sénateurs
de saisir le Conseil constitutionnel de la conformité à la
Constitution des modifications apportées au statut de la Cour
pénale internationale.
*
Le
présent projet de loi constitutionnelle mérite d'être
approuvé, dans la mesure où il permettra la ratification
prochaine par la France d'un traité qui constitue un progrès
considérable dans la lutte internationale contre l'impunité des
auteurs de crimes contre l'humanité et des crimes de guerre les plus
graves.
Les limitations à la souveraineté de la France
qu'entraînera la mise en place de la Cour pénale internationale
doivent être relativisées. Si par malheur des Français,
quelle que soit leur qualité, venaient à se livrer à des
crimes aussi graves que ceux pour lesquels la Cour pénale aura
compétence, ils seront jugés par des juridictions
françaises. Ce n'est que dans l'hypothèse d'un grave
dysfonctionnement de notre Etat de droit que la Cour pénale recevrait
compétence.
*
* *
Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous propose d'adopter sans modification le projet de loi constitutionnelle.
a) Décision n° 98-408 DC du 22 janvier
1999
b) Traité portant statut de la Cour pénale
internationale
Le
Conseil constitutionnel a été saisi, le 24 décembre 1998,
par le Président de la République et le Premier Ministre,
conformément à l'article 54 de la Constitution, de la question de
savoir si, compte tenu des engagements souscrits par la France, l'autorisation
de ratifier le traité portant statut de la Cour pénale
internationale signé à Rome le 18 juillet 1998 doit être
précédée d'une révision de la Constitution ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant
loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 18,
alinéa 2, 19 et 20 ;
Vu le décret du 2 décembre 1910 portant promulgation de la
Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre,
signée à La Haye le 18 octobre 1907 et le règlement
annexé concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre ;
Vu le décret du 22 août 1928 promulguant le Protocole concernant
la prohibition d'emploi à la guerre des gaz asphyxiants, toxiques ou
similaires et de moyens bactériologiques, signé à
Genève le 17 juin 1925 ;
Vu le décret n° 45-2267 du 6 octobre 1945 portant promulgation
de l'accord entre le Gouvernement provisoire de la République
française et les Gouvernements des Etats-Unis d'Amérique, du
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et de l'Irlande du Nord, et de l'Union des
républiques socialistes soviétiques concernant la poursuite et le
châtiment des grands criminels de guerre des puissances
européennes de l'axe, signé à Londres le 8 août
1945, ensemble le statut du tribunal militaire international ;
Vu le décret n° 46-35 du 4 janvier 1946 portant promulgation
de la Charte des Nations Unies contenant le statut de la cour internationale de
justice, signée à San-Francisco, le 26 juin 1945 ;
Vu le décret n° 50-1449 du 24 novembre 1950 portant
publication de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide approuvée par l'assemblée
générale des Nations Unies le 9 décembre 1948 ;
Vu le décret n° 52-253 du 28 février 1952 portant
publication de la Convention relative au traitement des prisonniers de guerre,
de la Convention relative à la protection des personnes civiles en temps
de guerre, de la Convention pour l'amélioration du sort des
blessés, des malades et des naufragés des forces armées
sur mer, de la Convention pour l'amélioration du sort des blessés
et des malades dans les forces armées en campagne, signées
à Genève le 12 août 1949 ;
Vu la loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964 tendant à
constater l'imprescriptibilité des crimes contre
l'humanité ;
Vu la loi n° 83-1130 du 23 décembre 1983 autorisant
l'adhésion de la République française au protocole
additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif
à la protection des victimes des conflits armés non
internationaux (protocole II), adopté à Genève le 8 juin
1977, ensemble le décret n° 84-727 du 17 juillet 1984 portant
publication de ce protocole ;
Vu la loi n° 87-1134 du 31 décembre 1987 autorisant la
ratification d'une convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi
de certaines armes classiques qui peuvent être considérées
comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans
discrimination (ensemble les protocoles I et II), conclue à
Genève le 10 octobre 1980, ensemble le décret
n° 88-1021 du 2 novembre 1988 portant publication de cette
convention ;
Vu la loi n° 90-548 du 2 juillet 1990 autorisant la ratification de
la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New-York
le 26 janvier 1990, ensemble le décret n° 90-917 du 8 octobre
1990 portant publication de cette convention ;
Vu la loi n° 95-1 du 2 janvier 1995 portant adaptation de la
législation française aux dispositions de la résolution
827 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un
tribunal international en vue de juger les personnes présumées
responsables de violations graves du droit international humanitaire commises
sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 ;
Vu la loi n° 96-432 du 22 mai 1996 portant adaptation de la
législation française aux dispositions de la résolution
955 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un
tribunal international en vue de juger les personnes présumées
responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit
international humanitaire commis en 1994 sur le territoire du Rwanda et,
s'agissant de citoyens rwandais, sur le territoire d'Etats voisins ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
-- Sur le contenu de l'engagement international soumis au conseil
constitutionnel :
Considérant que le traité, signé à Rome le 18
juillet 1998, porte création de la Cour pénale internationale et
en définit le statut ; qu'il précise que cette Cour, de
caractère permanent et dotée de la personnalité juridique
internationale, peut exercer sa compétence à l'égard des
crimes les plus graves, commis par des personnes physiques, qui touchent
l'ensemble de la communauté internationale et qui, suivant les termes du
préambule du traité, sont de nature à menacer " la
paix, la sécurité et le bien-être du monde " ;
que le traité indique que la Cour, qui peut exercer ses fonctions et ses
pouvoirs sur le territoire des Etats parties, " est complémentaire
des juridictions criminelles nationales " ; qu'il stipule que la Cour
" est liée aux Nations Unies par un accord qui doit être
approuvé par l'Assemblée des Etats parties au présent
statut, puis conclu par le Président de la Cour au nom de
celle-ci " ; qu'il incombera à l'Assemblée des Etats
parties d'adopter, à la majorité des deux tiers de ses membres,
le règlement de procédure et de preuve la concernant ;
Considérant que la Cour, qui aura son siège à La Haye, aux
Pays-Bas, " Etat hôte ", est composée en particulier
d'une section préliminaire, d'une section de première instance et
d'une section des appels ; que les juges, au nombre de dix-huit au moins,
sont élus par l'Assemblée des Etats parties, pour un mandat de
neuf ans ; que la section des appels est composée du
président et de quatre juges, la section de première instance et
la section préliminaire étant, quant à elles,
composées de six juges au moins ; que les fonctions judiciaires de
la Cour sont exercées dans chaque section par des chambres ; que
les juges exercent leurs fonctions en toute indépendance et ne sont pas
rééligibles ; qu'ils adoptent, à la majorité
absolue, le règlement nécessaire au fonctionnement quotidien de
la Cour ;
Considérant que les autres organes de la Cour sont le bureau du
procureur et le greffe ; que le bureau du procureur, composé du
procureur, qui le dirige, et des procureurs adjoints, " agit
indépendamment en tant qu'organe distinct au sein de la
Cour " ; que les procureurs sont élus par l'Assemblée
des Etats parties et exercent leurs fonctions pendant neuf ans ; qu'ils ne
sont pas rééligibles ; qu'enfin, le greffe, dirigé
par un greffier, est responsable des aspects non judiciaires de
l'administration et du service de la Cour ;
Considérant qu'un Etat partie ou le Conseil de sécurité
agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies peut
déférer au procureur une situation dans laquelle des crimes
relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été
commis ; qu'en outre, le procureur peut ouvrir une enquête au vu de
renseignements concernant les mêmes crimes si la chambre
préliminaire, après examen des éléments
justificatifs qu'il a recueillis, lui en donne l'autorisation ;
Considérant que la chambre préliminaire, après ouverture
d'une enquête, est seule compétente pour prendre, sur
requête du procureur, des mesures restrictives ou privatives de
liberté, telles que la délivrance d'un mandat d'arrêt ou
d'une citation à comparaître ; que ladite chambre dispose
d'un pouvoir général de suivi des enquêtes et poursuites
diligentées par le procureur ; que ce pouvoir s'exerce notamment en
matière de preuve, s'agissant de recueillir, d'examiner ou de
vérifier certains éléments de preuve aux fins d'un
procès à la demande du procureur ou à celle de la personne
poursuivie ; que, dans un délai raisonnable après la remise
de la personne à la Cour, il appartient à la chambre
préliminaire de confirmer éventuellement les charges sur
lesquelles le procureur entend se fonder pour requérir le renvoi en
jugement ; qu'elle tient à cette fin une audience, en
présence du procureur et de la personne concernée, au cours de
laquelle elle s'assure qu'" il existe des preuves suffisantes donnant des
raisons sérieuses de croire que la personne a commis chacun des crimes
qui lui sont imputés " ; qu'à défaut de telles
preuves, elle peut soit ne pas confirmer lesdites charges, soit demander au
procureur une modification des charges ou un supplément
d'enquête ;
Considérant que le procès ne commence devant la chambre de
première instance qu'après la confirmation des charges ;
qu'en cas de verdict de culpabilité, la chambre de première
instance fixe la peine à appliquer ; qu'il peut être fait
appel de la décision ainsi rendue devant la chambre d'appel qui a les
mêmes pouvoirs que la chambre de première instance ; que la
chambre d'appel peut annuler ou modifier la décision ou la condamnation
ou ordonner un nouveau procès devant une chambre de première
instance différente ;
Considérant que les peines d'emprisonnement prononcées par la
Cour sont exécutées dans un Etat désigné par
celle-ci sur la liste des Etats ayant fait savoir qu'ils sont disposés
à recevoir des condamnés ; que, si aucun Etat n'est
désigné, la peine est exécutée " dans un
établissement pénitentiaire fourni par l'Etat
hôte " ; que la Cour contrôle l'exécution des
peines d'emprisonnement ;
-- Sur les normes de référence applicables :
Considérant que le peuple français a, par le préambule de
la Constitution de 1958, proclamé solennellement " son attachement
aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels
qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789,
confirmée et complétée par le préambule de la
Constitution de 1946 " ; qu'il ressort, par ailleurs, du
préambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la
dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de
dégradation est un principe de valeur constitutionnelle ;
Considérant que, dans son article 3, la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen énonce que " le principe de toute
souveraineté réside essentiellement dans la nation " ;
que l'article 3 de la Constitution de 1958 dispose, dans son premier
alinéa, que " la souveraineté nationale appartient au peuple
qui l'exerce par ses représentants et par la voie du
référendum " ;
Considérant que le préambule de la Constitution de 1946 proclame,
dans son quatorzième alinéa, que la République
française se " conforme aux règles du droit public
international " et, dans son quinzième alinéa, que
" sous réserve de réciprocité, la France consent aux
limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation
et à la défense de la paix " ;
Considérant que, dans son article 53, la Constitution de 1958 consacre,
comme le faisait l'article 27 de la Constitution de 1946, l'existence de
" traités ou accords relatifs à l'organisation
internationale " ; qu'en vertu de l'article 55 de la Constitution de
1958 : " Les traités ou accords régulièrement
ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une
autorité supérieure à celle des lois, sous réserve,
pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre
partie " ;
Considérant qu'il résulte de ces textes de valeur
constitutionnelle que le respect de la souveraineté nationale ne fait
pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions
précitées du préambule de la Constitution de 1946, la
France puisse conclure des engagements internationaux en vue de favoriser la
paix et la sécurité du monde et d'assurer le respect des
principes généraux du droit public international ; que les
engagements souscrits à cette fin peuvent en particulier prévoir
la création d'une juridiction internationale permanente destinée
à protéger les droits fondamentaux appartenant à toute
personne humaine, en sanctionnant les atteintes les plus graves qui leur
seraient portées, et compétente pour juger les responsables de
crimes d'une gravité telle qu'ils touchent l'ensemble de la
communauté internationale ; qu'eu égard à cet objet,
les obligations nées de tels engagements s'imposent à chacun des
Etats parties indépendamment des conditions de leur exécution par
les autres Etats parties ; qu'ainsi, la réserve de
réciprocité mentionnée à l'article 55 de la
Constitution n'a pas lieu de s'appliquer ;
Considérant, toutefois, qu'au cas où ces engagements contiennent
une clause contraire à la Constitution, mettent en cause les droits et
libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux
conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale,
l'autorisation de les ratifier appelle une révision
constitutionnelle ;
Considérant que c'est au regard de ces principes qu'il revient au
Conseil constitutionnel de procéder à l'examen du traité
portant statut de la Cour pénale internationale signé à
Rome le 18 juillet 1998 ;
-- Sur le respect des dispositions de la constitution relatives a la
responsabilité pénale des titulaires de certaines qualités
officielles :
Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 27 du statut :
" Le présent statut s'applique à tous de manière
égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité
officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'Etat ou de
gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement... n'exonère
en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du
présent statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif
de réduction de la peine " ; qu'il est ajouté, au 2 de
l'article 27, que " les immunités ou règles de
procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la
qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit
international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence
à l'égard de cette personne " ;
Considérant qu'il résulte de l'article 68 de la Constitution que
le Président de la République, pour les actes accomplis dans
l'exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison,
bénéficie d'une immunité ; qu'au surplus, pendant la
durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut
être mise en cause que devant la Haute Cour de Justice, selon les
modalités fixées par le même article ; qu'en vertu de
l'article 68-1 de la Constitution, les membres du Gouvernement ne peuvent
être jugés pour les crimes et délits commis dans l'exercice
de leurs fonctions que par la Cour de justice de la République ;
qu'enfin, les membres du Parlement, en vertu du premier alinéa de
l'article 26 de la Constitution, bénéficient d'une
immunité à raison des opinions ou votes émis dans
l'exercice de leurs fonctions, et, en application du deuxième
alinéa du même article, ne peuvent faire l'objet, en
matière criminelle ou correctionnelle, hors les cas de flagrance ou de
condamnation définitive, d'une arrestation ou de toute autre mesure
privative ou restrictive de liberté qu'avec l'autorisation du bureau de
l'assemblée dont ils font partie ;
Considérant qu'il suit de là que l'article 27 du statut est
contraire aux régimes particuliers de responsabilité
institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution ;
-- Sur le respect des principes constitutionnels applicables au droit penal
et a la procédure pénale :
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 5, la Cour
pénale internationale a compétence à l'égard du
crime de génocide, des crimes contre l'humanité, des crimes de
guerre et du crime d'agression ; qu'elle ne pourra toutefois exercer
effectivement sa compétence à l'égard du crime d'agression
que lorsque celui-ci aura été défini par un nouveau
traité portant révision du statut, conformément aux
articles 121 et 123 ;
Considérant que l'article 6 énumère les actes qui,
" commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un
groupe national, ethnique, racial ou religieux ", peuvent être
retenus sous la qualification pénale de " crime de
génocide " ; que l'article 7 précise, quant à
lui, les actes qui, " commis dans le cadre d'une attaque
généralisée ou systématique lancée contre
une population civile et en connaissance de cette attaque ", peuvent
être qualifiés pénalement de " crimes contre
l'humanité " ; qu'enfin, l'article 8 indique que la Cour a
compétence à l'égard des " crimes de guerre " et
en dresse la liste ; que figurent en particulier dans celle-ci les crimes
qui " s'inscrivent dans un plan ou une politique ou lorsqu'ils font partie
d'une série de crimes analogues commis sur une grande
échelle " ;
Considérant qu'aux termes de l'article 29 du statut : " Les
crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent
pas " ; qu'aucune règle, ni aucun principe de valeur
constitutionnelle, n'interdit l'imprescriptibilité des crimes les plus
graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ;
Considérant que l'article 66 affirme la présomption d'innocence
dont bénéficie toute personne jusqu'à ce que sa
culpabilité ait été établie devant la Cour ;
qu'il incombe au procureur de prouver la culpabilité de
l'accusé ; qu'en application de l'article 67, celui-ci
bénéficie de la garantie de " ne pas se voir imposer le
renversement du fardeau de la preuve ni la charge de la
réfutation " ;
que sont en conséquence
respectées les exigences qui découlent de l'article 9 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
Considérant qu'il résulte de l'article 22 du statut qu'une
personne n'est pénalement responsable que si son comportement constitue,
au moment où il se produit, un crime relevant de la compétence de
la Cour ; que la définition d'un crime est d'interprétation
stricte et ne peut être étendue par analogie ; que l'article
25 définit les cas de responsabilité pénale individuelle
susceptibles de donner lieu à condamnation ; qu'en application de
l'article 30, nul n'est pénalement responsable à défaut
d'intention et de connaissance accompagnant l'élément
matériel du crime ; que, par ailleurs, les articles 31 à 33
énumèrent les motifs d'exonération de la
responsabilité pénale pouvant être retenus ; qu'ainsi,
le statut fixe précisément le champ d'application des
incriminations comme des exonérations de responsabilité
pénale et définit les crimes, tant dans leur
élément matériel que dans leur élément
moral, en termes suffisamment clairs et précis pour permettre la
détermination des auteurs d'infractions et éviter
l'arbitraire ; que sont également de nature à éviter
l'arbitraire la motivation, exigée par l'article 74 du statut, de la
décision rendue par la chambre de première instance, ainsi que la
motivation de l'arrêt de la chambre d'appel prévue par l'article
83 ;
que ces stipulations respectent le principe de
légalité des délits et des peines qui découle des
articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen ;
Considérant qu'il résulte du 1 de l'article 11 que la Cour n'est
compétente qu'à l'égard des crimes commis après
l'entrée en vigueur du statut ; que l'article 24 pose le principe
de " non-rétroactivité
ratione personae
" et
celui de l'application immédiate du droit le plus favorable ; qu'il
est ainsi satisfait au principe de non-rétroactivité de la loi
pénale plus sévère qui résulte de l'article 8 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 89 du statut, la
Cour peut présenter à l'Etat sur le territoire duquel est
susceptible de se trouver une personne, quelle que soit sa nationalité,
une demande d'arrestation et de remise, et solliciter à cette fin la
coopération de cet Etat ; que, lorsqu'elle présente une
telle demande, la Cour se trouve dans l'exercice de ses compétences
telles que définies par les articles 5 à 13 du statut, s'agissant
de situations qui ont été déférées au
procureur ou pour lesquelles le procureur a ouvert une enquête de sa
propre initiative ; que la demande d'arrestation et de remise vise soit
une personne qui a déjà été reconnue coupable par
la Cour, soit une personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt
délivré par la chambre préliminaire et dont, aux termes de
l'article 58, il y a de " bonnes raisons de croire " qu'elle " a
commis un crime relevant de la compétence de la Cour ", son
arrestation étant justifiée par l'un des motifs
énoncés au b) du 1 de l'article 58 ; qu'eu égard
à la finalité de la remise et aux garanties de procédure
mises en oeuvre par la Cour, il n'est porté atteinte à aucun
principe ni à aucune règle de valeur constitutionnelle ;
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 59, il est
procédé, conformément à la législation de
l'Etat qui reçoit la demande, à l'arrestation provisoire ou
à l'arrestation et à la remise ; que la personne
arrêtée est déférée sans délai
à l'autorité judiciaire de l'Etat qui s'assure,
conformément à sa législation, notamment de la
régularité de l'arrestation et du respect des droits de
l'intéressé ; que l'autorité judiciaire
compétente peut décider la mise en liberté de la personne
concernée ; qu'est assuré le respect des droits de la
défense dès la procédure initiale devant la Cour et
pendant le procès lui-même ; qu'en particulier, selon
l'article 55, la personne interrogée soit par le procureur, soit par les
autorités judiciaires nationales peut être assistée
à tout moment par le défenseur de son choix ou un
défenseur commis d'office ; que seule la chambre
préliminaire de la Cour peut délivrer les mandats
nécessaires, notamment les mandats d'arrêt ; que la personne
remise à la Cour peut demander sa mise en liberté provisoire en
attendant d'être jugée ; qu'il résulte des
dispositions de l'article 60 que la chambre préliminaire
réexamine périodiquement sa décision de mise en
liberté ou de maintien en détention ; qu'elle s'assure que
la détention avant le procès ne se prolonge pas de manière
excessive à cause d'un retard injustifiable qui serait imputable au
procureur ; que la chambre de première instance, en vertu de
l'article 64, " veille à ce que le procès soit conduit de
façon équitable et avec diligence, dans le plein respect des
droits de l'accusé " ; que le procès est public, sous
réserve de la faculté pour la chambre de première instance
de prononcer le huis clos en raison de circonstances
particulières ; que la sentence est prononcée en audience
publique ; que les exigences constitutionnelles relatives au respect des
droits de la défense et à l'existence d'une procédure
juste et équitable, garantissant l'équilibre des droits des
parties, sont ainsi satisfaites ;
Considérant que l'article 23 précise qu'une personne qui a
été condamnée par la Cour ne peut être punie que
conformément aux dispositions du statut ; que les peines pouvant
être prononcées contre une personne déclarée
coupable d'un crime sont fixées par l'article 77 ; qu'en cas de
verdict de culpabilité, la peine est arrêtée en tenant
compte, conformément aux dispositions des articles 76 et 78, des
conclusions et éléments de preuve pertinents
présentés au procès
,
de la gravité du
crime et de la situation personnelle du condamné ; que ces
règles n'encourent aucune critique d'inconstitutionnalité et sont
en particulier conformes aux principes de nécessité et de
légalité des peines ;
Considérant que les juges composant la Cour exercent leurs fonctions en
toute indépendance, les articles 40 et 48 du statut prévoyant
à cet effet les incompatibilités et les immunités
nécessaires ; que, par ailleurs, les juges qui sont affectés
à la section des appels ne peuvent siéger dans d'autres
sections ; que les articles 41 et 42 du statut fixent la procédure
selon laquelle peuvent intervenir la décharge et la récusation
des juges ainsi que des procureurs ; qu'enfin, l'article 46 prévoit
la procédure selon laquelle un membre de la Cour peut être
privé de ses fonctions en cas de faute lourde ou de manquements graves
à ses devoirs ; qu'est ainsi satisfaite l'exigence
d'impartialité et d'indépendance de la Cour ;
Considérant que, suivant les dispositions des articles 81 à 83 du
statut, il peut être fait appel de certaines décisions de la
chambre préliminaire et des décisions rendues par la Cour dans la
formation de chambre de première instance ; qu'une procédure
de révision d'une décision sur la culpabilité ou la peine
est par ailleurs instaurée par l'article 84 ; que l'article 85
institue en outre une procédure d'indemnisation des personnes victimes
d'une arrestation ou d'une mise en détention illégales, ainsi que
des personnes ayant subi une peine en raison d'une condamnation
ultérieurement annulée ; qu'en cas d'erreur judiciaire grave
et manifeste, une indemnité peut également être
accordée ; que l'article 68 du statut oblige la Cour à
prendre toutes les mesures de nature à assurer la sécurité
et le respect de la vie privée des victimes et des témoins,
notamment en dérogeant au principe de la publicité des
débats s'agissant de l'audition de personnes vulnérables ;
que l'article 75 précise que la Cour établit des " principes
applicables aux formes de réparation... à accorder aux
victimes " ; que, sur cette base, elle pourra déterminer, dans
ses décisions, l'ampleur des dommages et des préjudices subis par
les victimes, et rendre, contre une personne condamnée, une ordonnance
indiquant la réparation qu'il convient d'accorder ; que
l'indemnité allouée pourra être versée par un fonds
créé au profit des victimes par l'Assemblée des Etats
parties ; que l'ensemble de ces règles est conforme à la
Constitution ;
-- Sur le respect des conditions essentielles d'exercice de la
souveraineté nationale :
• En ce qui concerne la complémentarité entre la Cour
pénale internationale et les juridictions nationales :
Considérant que les dispositions du dixième alinéa du
préambule et de l'article 1er du statut disposent que la Cour " est
complémentaire des juridictions criminelles nationales " ; que
cette complémentarité implique, ainsi qu'il résulte des
dispositions des articles 17 et 20 du statut, qu'une affaire est jugée
irrecevable par la Cour soit lorsqu'elle " fait l'objet d'une
enquête ou de poursuites de la part d'un Etat ayant compétence en
l'espèce ", soit, lorsqu'après enquête, " cet
Etat a décidé de ne pas poursuivre la personne
concernée ", soit, enfin, lorsque cette dernière " a
déjà été jugée pour le comportement faisant
l'objet de la plainte soumise à la Cour " ; qu'il
résulte par ailleurs de l'article 18 que le procureur notifie à
l'Etat concerné qu'une enquête est en voie d'être ouverte ou
est ouverte et que, pour sa part, l'Etat peut informer la Cour qu'il ouvre ou a
ouvert une enquête pour des actes en rapport avec les renseignements qui
lui ont été notifiés ; qu'à sa demande, l'Etat
se voit confier le soin de l'enquête, sauf si la chambre
préliminaire autorise le procureur à la conduire ;
Considérant cependant que, nonobstant le principe de
complémentarité, le 1 de l'article 17 permet à la Cour de
connaître d'une affaire en cas de manque de volonté de l'Etat de
mener véritablement à bien les poursuites ou lorsque le
même manque de volonté de l'Etat conduit celui-ci à
décider de ne pas poursuivre ; que le 2 de l'article 17
précise les critères s'imposant à la Cour pour
déterminer s'il y a manque de volonté d'un Etat ; qu'un tel
manque de volonté ne pourra être retenu que si la procédure
a été engagée " dans le dessein de soustraire la
personne concernée à sa responsabilité
pénale ", ou si " la procédure a subi un retard
injustifié " démentant " l'intention de traduire en
justice la personne concernée ", ou enfin lorsque " la
procédure n'a pas été ou n'est pas menée de
manière indépendante ou impartiale mais d'une manière qui,
dans les circonstances, dément l'intention de traduire en justice la
personne concernée " ; que, de plus, aux termes de l'article
20 du statut, dans le cas où la personne concernée a
déjà été jugée par une autre juridiction
pour un comportement visé à l'article 5, la Cour pourra
également juger cette personne si la procédure devant la
juridiction nationale " avait pour but de soustraire la personne
concernée à sa responsabilité pénale " ou
" n'a pas été...menée de manière
indépendante ou impartiale...mais d'une manière qui, dans les
circonstances, démentait l'intention de traduire
l'intéressé en justice " ;
Considérant, en outre, que la Cour pourra juger une affaire recevable
lorsque l'Etat compétent est dans l'incapacité de mener
véritablement à bien l'enquête ou les poursuites, ou
lorsque la décision de ne pas poursuivre est l'effet de cette même
incapacité ; que, selon le 3 de l'article 17, cette
incapacité correspond à l'hypothèse où
" l'Etat n'est pas en mesure, en raison de l'effondrement de la
totalité ou d'une partie substantielle de son propre appareil judiciaire
ou de l'indisponibilité de celui-ci, de se saisir de l'accusé, de
réunir les éléments de preuve et les témoignages
nécessaires ou de mener autrement à bien la
procédure " ;
Considérant, d'une part, que les stipulations du traité qui
apportent des restrictions au principe de complémentarité de la
Cour par rapport aux juridictions criminelles nationales, dans les cas
où l'Etat partie se soustrairait délibérément aux
obligations nées de la convention, découlent de la règle
"
Pacta sunt servanda
", en application de laquelle tout
traité en vigueur lie les parties et doit être
exécuté par elles de bonne foi ; que ces dispositions fixent
limitativement et objectivement les hypothèses dans lesquelles la Cour
pénale internationale pourra se déclarer compétente ;
que, par suite, elles ne méconnaissent pas les conditions essentielles
d'exercice de la souveraineté nationale ;
Considérant, d'autre part, que les stipulations qui permettent
également à la Cour de se reconnaître compétente
dans l'hypothèse de l'effondrement ou de l'indisponibilité de
l'appareil judiciaire national ne sauraient davantage méconnaître
les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté
nationale ;
Considérant, en revanche, qu'il résulte du statut que la Cour
pénale internationale pourrait être valablement saisie du seul
fait de l'application d'une loi d'amnistie ou des règles internes en
matière de prescription ; qu'en pareil cas, la France, en dehors de
tout manque de volonté ou d'indisponibilité de l'Etat, pourrait
être conduite à arrêter et à remettre à la
Cour une personne à raison de faits couverts, selon la loi
française, par l'amnistie ou la prescription ; qu'il serait, dans
ces conditions, porté atteinte aux conditions essentielles d'exercice de
la souveraineté nationale ;
• En ce qui concerne la coopération internationale, l'assistance
judiciaire et les pouvoirs du procureur :
Considérant que l'article 54 du statut définit les devoirs et
pouvoirs du procureur en matière d'enquêtes ; qu'il doit,
pour mener celles-ci, demander la coopération des Etats ; qu'il
peut également enquêter sur le territoire d'un Etat ; que,
dans une telle hypothèse, il doit se conformer soit aux stipulations du
chapitre IX relatif à la coopération internationale et à
l'assistance judiciaire, soit à celles du d) du 3 de l'article 57 ;
Considérant qu'il résulte du chapitre IX précité
que la Cour est habilitée à adresser des demandes de
coopération et d'assistance aux Etats parties ; que les Etats font
droit à ces demandes conformément aux procédures
prévues par leur législation nationale, notamment en ce qui
concerne l'identification et l'interrogatoire des personnes, le rassemblement
d'éléments de preuve, l'exécution des perquisitions et des
saisies ; qu'ainsi qu'il ressort de l'article 93, si l'exécution
d'une mesure particulière d'assistance est interdite dans l'Etat requis
en vertu d'un principe juridique fondamental d'application
générale dans cet Etat, ce dernier n'est pas tenu d'apporter
l'assistance demandée dans la forme sollicitée par la Cour, mais
doit engager des consultations avec celle-ci ; qu'en application du
même article, un Etat peut rejeter totalement ou partiellement une
demande d'assistance de la Cour si elle a pour objet la divulgation
d'éléments de preuve ou la production de documents touchant
à la sécurité nationale, dont la protection est par
ailleurs assurée par l'article 72 ; que les articles 94 et 95 du
statut prévoient des procédures de sursis à
exécution des demandes d'assistance formulées auprès des
Etats ; que l'ensemble de ces stipulations garantissent le respect des
conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale;
Considérant que le d) du 3 de l'article 57 ne permet au procureur,
autorisé par la chambre préliminaire, de prendre certaines
mesures d'enquête sur le territoire d'un Etat, sans s'être
assuré de la coopération de celui-ci, que dans le cas où
aucune autorité ou composante compétente de l'appareil judiciaire
national n'est disponible pour donner suite à une demande de
coopération ; que, dès lors, ces stipulations ne sauraient
porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la
souveraineté nationale;
Considérant, en revanche, qu'en application du 4 de l'article 99 du
statut, le procureur peut, en dehors même du cas où l'appareil
judiciaire national est indisponible, procéder à certains actes
d'enquête hors la présence des autorités de l'Etat requis
et sur le territoire de ce dernier ; qu'il peut notamment recueillir des
dépositions de témoins et " inspecter un site public ou un
autre lieu public " ; qu'en l'absence de circonstances
particulières, et alors même que ces mesures sont exclusives de
toute contrainte, le pouvoir reconnu au procureur de réaliser ces actes
hors la présence des autorités judiciaires françaises
compétentes est de nature à porter atteinte aux conditions
essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ;
• En ce qui concerne l'exécution des peines prononcées par
la Cour pénale internationale :
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 103 du
statut, l'Etat qui se déclare disposé à recevoir des
personnes condamnées par la Cour pénale internationale peut
assortir son acceptation de conditions qui doivent être
agréées par la Cour ; que ces dernières peuvent
être " de nature à modifier sensiblement les conditions ou la
durée de la détention " ;
Considérant qu'il résulte de ces stipulations que la France, en
se déclarant disposée à recevoir des condamnés,
pourra subordonner son accord à des conditions portant notamment sur
l'application de la législation nationale relative à
l'exécution des peines privatives de liberté ; qu'elle
pourra en outre faire état de la possibilité d'accorder aux
personnes condamnées une dispense de l'exécution des peines,
totale ou partielle, découlant de l'exercice du droit de
grâce ; que, dès lors, les stipulations du chapitre X du
statut, relatives à l'exécution des peines, ne portent pas
atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté
nationale, non plus qu'à l'article 17 de la Constitution;
Considérant qu'aucune des autres stipulations du traité soumis au
Conseil constitutionnel au titre de l'article 54 de la Constitution n'est
contraire à celle-ci ;
Considérant que, pour les motifs énoncés ci-dessus,
l'autorisation de ratifier le traité portant statut de la Cour
pénale internationale exige une révision de la
Constitution ;
D E C I D E
:
Article premier
. -- L'autorisation de ratifier le
traité portant statut de la Cour pénale internationale exige une
révision de la Constitution.
Article 2
. -- La présente décision sera
notifiée au Président de la République, ainsi qu'au
Premier ministre, et publiée au
Journal officiel
de la
République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa
séance du 22 janvier 1999, où siégeaient : MM. Roland
DUMAS, Président, Georges ABADIE, Michel AMELLER, Jean-Claude COLLIARD,
Yves GUENA, Mme Noëlle LENOIR, M. Pierre MAZEAUD et Mme Simone
VEIL.
1
Préambule du statut de la Cour
pénale internationale.
2
Pour qu'une décision soit prise par le Conseil de
sécurité, il faudra qu'une majorité de neuf voix sur
quinze soit atteinte et qu'aucun des cinq membres permanents ne vote contre.
3
Décision n° 98-408 DC.
4
Décision n° 98-400 DC du
20 mai 1998.
5
Avis n° 358 597 du 29 février 1996 (Section de
l'Intérieur).
6
Décision n° 80-116 DC du 17 juillet 1980.
7
Décision n° 91-294 DC du 25 juillet 1991.
8
Loi constitutionnelle n°93-1256 du 25 novembre 1993 relative
aux accords internationaux en matière de droit d'asile.
9
Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique.