N°
284
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 24 mars 1999
RAPPORT
FAIT
au nom
de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la Nation (1) sur la proposition de
résolution présentée en application de l'article 73
bis
du Règlement par M. Marcel DENEUX sur les propositions de
directives du Parlement européen et du Conseil :
- concernant l'accès à l'
activité
des
institutions
de
monnaie électronique
et son
exercice, ainsi que la
surveillance prudentielle
de ces
institutions ;
- modifiant la directive 77/780/CEE visant à la coordination des
dispositions législatives, réglementaires et administratives
concernant l'accès à l'
activité
des
établissements
de
crédits
et son
exercice (n° E-1158),
Par M.
Jean-Philippe LACHENAUD,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Alain Lambert,
président
; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude
Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet,
vice-présidents
; Jacques-Richard Delong, Marc Massion,
Michel Sergent, François Trucy,
secrétaires
; Philippe
Marini,
rapporteur général
; Philippe Adnot, Denis
Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse
Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin,
Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean
Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard,
Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude
Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne,
Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri
Torre, René Trégouët
Voir le numéro :
Sénat : 197
(1998-1999).
Union européenne. |
AVANT-PROPOS
Le
3 février dernier, notre collègue Marcel Deneux
présentait, au nom de la délégation du Sénat pour
l'Union européenne, une proposition de résolution
n° 197 sur deux propositions de directive, la première
concernant l'accès à l'activité des institutions de
monnaie électronique et son exercice, ainsi que la surveillance
prudentielle de ces institutions, la seconde modifiant la directive 77/780/CEE
visant à la coordination des dispositions législatives,
réglementaires et administratives concernant l'accès à
l'activité des établissements de crédits et son exercice.
La monnaie électronique devrait prendre une importance croissante parmi
les systèmes de paiement, grâce à la technologie de la
carte à microcircuit (" carte à puce "), et du fait de
son utilisation dans des projets de cartes prépayées
multiprestataires. Les potentialités de développement de la
monnaie électronique se trouvent aujourd'hui accrues par les
perspectives ouvertes par le commerce électronique sur Internet.
Dans ces conditions, la Commission européenne a établi deux
propositions de directive, dont l'objectif est de doter les institutions de
monnaie électronique d'une réglementation spécifique, en
matière de surveillance prudentielle notamment.
Cependant, ces textes soulèvent des problèmes importants sur
certains points, mis en exergue avec pertinence par la proposition de
résolution de notre collègue Marcel Deneux, au nom de la
délégation du Sénat pour l'Union européenne, qui a
souhaité en saisir votre commission des finances.
I. LA MONNAIE ÉLECTRONIQUE, FORME MODERNE DE LA MONNAIE SCRIPTURALE
A. QU'EST-CE QUE LA MONNAIE ÉLECTRONIQUE ?
L'histoire de la monnaie se confond avec celle du processus
continu
de sa
dématérialisation
, avec le
passage d'une
conception matérialiste de la monnaie à une approche
nominaliste.
Aujourd'hui,
la monnaie peut prendre deux formes :
-
la monnaie fiduciaire
, qui regroupe les pièces, émises
par la banque centrale ou l'Etat, et les billets émis par la banque
centrale ;
- et,
la monnaie scripturale
, qui est constituée de l'ensemble
des dépôts auprès des intermédiaires
financiers ; plusieurs instruments permettent la circulation de ces
dépôts : chèques, virements, cartes bancaires.
La monnaie est aujourd'hui affectée par les progrès très
rapides des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Certes, la dématérialisation de la monnaie est un processus
désormais ancien mais le réseau Internet présente des
spécificités résidant notamment dans son étendue et
dans son degré d'ouverture. Tandis que la
dématérialisation " classique " se déroulait
dans un cadre bien délimité et entre des partenaires en
général connus, une multitude d'acteurs intervient sur Internet
sans qu'aucun ne puisse contrôler ou réguler le réseau dans
son ensemble.
Le développement du commerce électronique pose la question du
paiement des prestations réalisées sur les réseaux. Le
Conseil national du crédit et du titre (CNCT), dans un rapport de mai
1997 consacré aux
Problèmes juridiques liés à la
dématérialisation des moyens de paiement et des titres
, note
que les transactions réalisées sur des services
télématiques " en ligne " présentent
" une spécificité technique - les transactions
relèvent de l'immatériel pur - économique - les montants
unitaires peuvent être très faibles,
ce qui peut rendre
nécessaire des modes de paiement adaptés
- et juridique - en
effet qu'il s'agisse de fiscalité ou de maintien de l'ordre public,
l'information électronique se prête mal aux contrôles, aussi
bien a priori qu'a posteriori ".
Le commerce électronique donne lieu à des modes de paiement
très variés, ce qui ne signifie pas qu'ils soient
nécessairement d'un type nouveau, la carte bancaire en particulier
étant très utilisée.
Toutefois, le CNCT, dans son rapport précité, précise que
" si les moyens de paiement classiques peuvent convenir au commerce
électronique, le développement de l'Internet entraîne une
modification en profondeur des pratiques avec l'apparition de nouveaux
intervenants financiers, aux côtés des établissements de
crédit jouant un rôle dans le domaine des cartes bancaires ".
Il existe par exemple des mécanismes qui reposent sur le stockage
d'unités de valeur, dans un instrument indépendant d'un compte
bancaire. C'est ce que l'on appelle
la monnaie électronique
. Le
CNCT en parle en ces termes :
" On parle ainsi de porte-monnaie
électronique (PME), de porte-monnaie virtuel (PMV) avec
préconstitution (préchargement) d'une réserve
financière. La réserve financière est inscrite dans un
microprocesseur figurant soit sur un support carte (dans le cas du PME) soit
dans la mémoire d'un micro-ordinateur détenu par l'utilisateur
(dans le cas du PMV). Les pièces de monnaie ou coupons virtuels sont
alors constitués par des fichiers informatiques ".
Il convient de bien distinguer les deux produits souvent réunis sous
le même concept de monnaie électronique. Le porte-monnaie
électronique
se présente comme une valeur monétaire
stockée sur un support électronique tel qu'une carte à
puce : il s'agit donc d'une carte prépayée qui peut
être monoprestataire, comme les cartes téléphoniques, ou
multiprestataire. D'autre part,
la monnaie de réseau
donne lieu
à une facturation a posteriori pour les achats réalisés
sur Internet.
Seule la première catégorie entre dans le champ
d'application des propositions de directive.
Une interrogation apparaît alors sur la nature de la monnaie
électronique. S'agit-il de monnaie fiduciaire, de monnaie scripturale ou
d'une catégorie nouvelle de monnaie ?
La Commission européenne la considère comme
" une
variante numérique des espèces ".
Il est vrai qu'elle
est susceptible de présenter des fonctionnalités similaires
à celles de la monnaie fiduciaire : liquidité,
fongibilité, anonymat pour l'utilisateur... Pourtant, la monnaie
électronique n'est pas émise par la banque centrale : elle
n'a donc pas cours légal. Il est dès lors possible d'affirmer que
la monnaie électronique est un nouvel instrument de mobilisation de
la monnaie scripturale.
B. L'ÉTAT ACTUEL DE SON DÉVELOPPEMENT
La
monnaie électronique est actuellement dans une phase de
développement, faible encore mais qui pourrait devenir très
rapidement considérable.
Elle est en effet liée à l'essor du commerce électronique
rendu possible par les progrès réalisés dans le domaine
des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
D'une manière générale,
la France connaît un
retard dans le domaine des instruments prépayés
à
support carte à puce - les porte-monnaie électroniques - ou
à support logiciel - les porte-monnaie virtuels (ou monnaie de
réseau). Le tableau ci-dessous illustre ce retard, replacé dans
le contexte plus large de l'utilisation des cartes bancaires :
Pourtant, notre pays a appliqué dès 1992 la
technologie des cartes à puce dans le domaine des cartes de
crédit ou de débit classiques. On retrouve ainsi le même
type de paradoxe que dans le secteur des technologies de l'information, avec
notre avance en matière de Minitel et notre retard dans le domaine
ordinateurs/Internet.
Les dispositifs de paiement par carte bancaire sont installés en France
depuis plus de temps, relativement, que dans beaucoup d'autres pays. Les
banques françaises disposent donc d'une meilleure connaissance du
marché que celles des pays étrangers et savent que
les projets
de porte-monnaie électroniques ne trouveront leur rentabilité que
sur le long terme (8 à 10 ans).
Il est vrai que
les expériences étrangères n'ont
guère été concluantes.
Il convient en effet de
rappeler que les réalisations dans les autres pays connaissent
actuellement des difficultés financières liées à
des volumes de transactions très faibles : 80.000 paiements par
jour d'une valeur de 1,5 million de francs en Belgique, le pays qui, selon la
Banque des règlements internationaux (BRI), est le plus avancé
dans ce domaine. L'Allemagne connaît une situation similaire, avec 40.000
paiements par jour pour un montant environ identique. Or, ces volumes sont
dérisoires au regard du nombre de porte-monnaie émis : 3,5
millions en Belgique, et 35 millions en Allemagne où la carte bancaire
sert de support au porte-monnaie électronique. Les porteurs comme les
commerçants se sont montrés réticents face à ces
nouveaux moyens de paiement, pour des raisons techniques mais également
psychologiques.
En outre, le marché français des transactions de petit montant
est relativement étroit en raison de la part déjà prise
par les instruments de paiement scripturaux classiques.
Les banques françaises ne se sont donc guère investies sur ce
secteur, préférant se consacrer aux infrastructures de gestion,
de retrait et de paiement existantes.
Enfin, l'absence de consensus des banques sur une approche technologique et
stratégique explique que les premiers porte-monnaie électroniques
aient été réalisés dans la plus grande dispersion.
Toutefois,
trois expériences de porte-monnaie électroniques
sont aujourd'hui en cours de développement en France.
Le premier projet apparu dans notre pays est
Modeus
, qui constitue le
porte-monnaie électronique d'un groupe d'établissements
financiers et de transporteurs réunissant les Caisses d'Épargne,
La Poste, la Société Générale, la RATP et la SNCF,
et ayant constitué, à la fin 1997, la société
Billettique Monétique Services (BMS), rebaptisée Modeus en
octobre 1998, afin de mettre en place un porte-monnaie électronique
associant des fonctions billettiques et monétiques. Le groupe des
Banques Populaires et France Télécom ont rejoint cette
société. Plusieurs expérimentations ont déjà
eu lieu, le début de la généralisation devant intervenir
au dernier trimestre 1999. Du reste, Modeus pourrait constituer le point
d'entrée de la technologie du porte-monnaie électronique belge
Proton.
Le deuxième projet est celui de la
SEME
, la société
européenne de monnaie électronique, dont l'initiative revient
à la BNP et au Crédit Agricole. Ce projet, lancé en
septembre 1998, poursuit une vocation européenne et recourt à la
technologie du porte-monnaie électronique allemand Geldkarte, de
l'organisme interbancaire ZKA. La fonction porte-monnaie électronique
sera intégrée à la carte bancaire traditionnelle. La ville
de Tours devrait constituer le site pilote à partir de mai 1999, le
déploiement du projet devant intervenir à l'automne.
Enfin, la société d'origine britannique
Mondex
,
aujourd'hui détenue à 51 % par MasterCard International, est
à l'origine du troisième projet. Le Crédit Mutuel a acquis
51 % de Mondex France, propriétaire de la licence pour la France. La
banque mutualiste dispose ainsi des droits exclusifs pour l'exploitation en
France du porte-monnaie électronique Mondex, qui devrait être
introduit sur un site pilote à Strasbourg dans le courant de
l'année.
La BRI note que des villes françaises de taille moyenne, de 10 à
50.000 habitants, ainsi que certaines stations de ski, dans les Alpes par
exemple, ont mis en place des systèmes de porte-monnaie
électroniques qui permettent aux porteurs de payer les services publics
offerts par la municipalité, comme les repas de cantine, les transports
publics ou l'entrée de la piscine, et, dans certains cas, de
réaliser des achats chez les commerçants de la ville qui
acceptent ce moyen de paiement.
Ces expériences permettent de relativiser le retard français
en matière de monnaie électronique, d'autant plus que notre pays
n'est pas exempt d'atouts dans ce domaine.
Les cartes à puce sont bien acceptées et largement
utilisées
, contrairement à l'Allemagne par exemple, les
porte-monnaie électroniques français, s'ils sont apparus
relativement tardivement, devant ainsi se développer plus rapidement.
En outre, si les trois projets de porte-monnaie électronique
présentés ci-dessus sont en concurrence,
des convergences sont
possibles
à l'avenir grâce, notamment, à la
création de la société financière du porte-monnaie
électronique interbancaire (SFPMEI) et à l'appui
méthodologique du Groupement des cartes bancaires, la
sécurité des porte-monnaie électroniques constituant un
des principaux thèmes de travail en commun.
Enfin, la France possède une certaine avance dans le domaine des
porte-monnaie virtuels, notamment avec le portefeuille virtuel Klebox de
Kleline, dont l'expérience pourrait être transposée dans le
domaine des porte-monnaie électroniques.
Kleline, filiale de Paribas
et de LVMH, est une société financière
spécialisée dans la gestion des transactions commerciales
sécurisées sur Internet.
II. LES TRAVAUX COMMUNAUTAIRES SUR LA MONNAIE ÉLECTRONIQUE
A. LA RÉFLEXION SUR LE SUJET
En
raison des perspectives de développement de la monnaie
électronique, les institutions communautaires se sont saisies de ce
sujet.
En mai 1994, l'Institut monétaire européen, organisme en charge,
au cours de la phase II de l'Union économique et monétaire, de la
préparation à l'introduction de la monnaie unique, a
publié un rapport sur la monnaie électronique.
La Commission, dans une communication d'avril 1997 relative à
Une
initiative européenne pour le commerce électronique
, avait
pris l'engagement de constituer un cadre de surveillance approprié pour
la monnaie électronique. Au mois de juin de la même année,
elle a établi une communication intitulée
Services
financiers : renforcer la confiance des consommateurs
, tandis que le
Conseil européen de Cardiff lui donnait mandat pour présenter un
cadre d'action visant à améliorer la réglementation
communautaire sur les services financiers.
La Banque centrale européenne (BCE) a rendu son propre rapport sur la
monnaie électronique en août 1998. Elle y précise les
conditions minimales que doivent remplir les institutions de monnaie
électronique :
- les émetteurs de monnaie électronique doivent être soumis
à un contrôle prudentiel ;
- les droits et obligations s'imposant aux participants respectifs d'un
système de monnaie électronique doivent être clairement
définis et transparents ;
- les systèmes de monnaie électronique doivent établir
des garanties adéquates sur le plan technique, organisationnel et
procédural afin d'empêcher, de réduire et d'identifier les
menaces à la sécurité du système, en particulier la
menace de contrefaçon ;- la protection contre l'usage illicite, tel
le blanchiment d'argent, doit être prise en considération au
moment de la définition et de la mise en place des systèmes de
monnaie électronique ;
- les systèmes de monnaie électronique doivent fournir à
la banque centrale de chacun des pays concernés toute information
susceptible d'intéresser les objectifs de la politique
monétaire ;
- les émetteurs de monnaie électronique doivent être
légalement contraints de rembourser à sa valeur nominale la
monnaie électronique en monnaie banque centrale à la demande du
porteur ;
- la BCE doit avoir la possibilité d'imposer à tous les
émetteurs de monnaie électronique la constitution de
réserves obligatoires.
La Banque centrale européenne estime que l'émission de monnaie
électronique doit être réservée aux
établissements de crédit, définis à l'article
1
er
de la directive 77/780/CEE du Conseil du 12 décembre 1977
visant à la coordination des dispositions législatives,
réglementaires et administratives concernant l'accès à
l'activité des établissements de crédit et son exercice,
dite première directive bancaire, comme
" une entreprise dont
l'activité consiste à recevoir du public des dépôts
ou d'autres fonds remboursables et à octroyer des crédits pour
son propre compte ".
La BCE propose ainsi d'amender la
première directive bancaire afin d'étendre son application aux
institutions de monnaie électronique qui, actuellement, ne
répondent pas à la définition d'un établissement de
crédit.
Il convient, enfin, de préciser que tous les États membres
étaient initialement divisés sur le principe même d'une
réglementation sur le sujet.
Le Royaume-Uni, le Luxembourg et la
Suède sont opposés à toute réglementation, niant le
risque systémique et préconisant le libre développement de
l'émission de monnaie électronique. A l'inverse, d'autres pays,
comme la Belgique, l'Italie, l'Espagne ou le Portugal, ont une position
rigoriste et considèrent que seuls les établissements de
crédit peuvent émettre de la monnaie électronique et sont
favorables à un renforcement des règles prudentielles. Enfin,
d'autres États membres ont une position médiane et soutiennent
globalement le texte tout en essayant d'en améliorer certains
points : c'est le cas de l'Allemagne, des Pays-Bas, de l'Autriche, du
Danemark, mais aussi de la France.
B. LES PROPOSITIONS DE DIRECTIVE
La
Commission a présenté le 21 septembre 1998
deux propositions
de
directives relatives à la monnaie électronique.
La première proposition de directive fixe pour la première
fois un cadre juridique à l'activité des émetteurs de
monnaie électronique et précise les activités
commerciales qu'ils peuvent exercer. La seconde étend aux institutions
de monnaie électronique la définition de l'établissement
de crédit que donne l'article 1
er
de la directive 77/780/CEE
précitée.
S'inscrivant dans la mise en place du marché unique des services
financiers, la Commission constate un vide juridique en matière
d'émission de monnaie électronique, et, par ses deux propositions
de directive, entend le combler. Il convient de préciser que
seule la
monnaie électronique multiprestataire, prenant la forme d'une carte
prépayée, est concernée
par les propositions de
directive, ce qui exclut de leur champ d'application les cartes
monoprestataires et les cartes de crédit.
Dans son exposé des motifs, la Commission explique qu'elle ambitionne
" de créer un marché unique harmonisé pour la
fourniture de monnaie électronique dans l'Union
européenne "
, précisant qu'elle entend éliminer
" la plupart des risques de nature prudentielle "
et
promouvoir
" la sécurité juridique des candidats
potentiels à l'entrée sur le marché ".
Elle a, en effet, dans ses propositions de directive, a été
motivée par la recherche, d'une part, de
la stabilité et
de
la solidité du système
, et, d'autre part, de
règles permettant d'assurer les conditions d'une concurrence optimale.
Ainsi, elle n'aborde que les questions prudentielles et réglementaires
concernant les émetteurs de monnaie électronique, et
définit les obligations à leur imposer
, notamment en
matière de capital initial, de fonds propres et de limitation des
placements. En revanche, l'exposé des motifs dispose que
" la
Commission abordera les aspects relevant de la protection des consommateurs
dans une communication séparée qui sera suivie, si
nécessaire, par l'adoption d'une législation
spécifique ".
Les règles posées par la première proposition de
directive sont volontairement minimalistes
, la Commission estimant que le
développement de la monnaie électronique ne doit pas être
" bridé par un carcan de règles techniques qui
gênent l'innovation et restreignent la concurrence ".
C'est
pourquoi, elle soumet les émetteurs autres que les banques à des
règles spécifiques qui, d'un point de vue prudentiel, sont
allégées.
La deuxième proposition de directive vise à inclure la
création de monnaie électronique dans la champ d'application
général des directives de coordination bancaire.
Les entreprises émettant de la monnaie électronique mais qui ne
souhaitent pas proposer l'éventail complet des services bancaires
pourront néanmoins bénéficier de la possibilité
d'opérer dans l'ensemble du marché unique sur la base d'un
agrément délivré par un seul État membre, le
passeport européen. Ces émetteurs seront exonérés
des règles de surveillance prudentielle valables pour les banques, et
soumises simplement aux règles spécifiques pour l'émission
de monnaie électronique, précisées dans la deuxième
directive bancaire. Mais l'imposition éventuelle, par la Banque centrale
européenne, de réserves obligatoires, serait applicable à
tous les émetteurs de monnaie électronique.
III. DES PROPOSITIONS QUI NÉCESSITENT UN RÉEXAMEN APPROFONDI
A. LA DÉFINITION DE LA MONNAIE ÉLECTRONIQUE N'EST PAS ACCEPTABLE EN L'ÉTAT
Le b) du
3
ème
alinéa de l'article 1
er
de la
proposition de résolution concernant l'accès à
l'activité des institutions de monnaie électronique et son
exercice, ainsi que la surveillance prudentielle de ces institutions donne la
définition
suivante
de la monnaie
électronique
:
" une valeur monétaire qui
est :
(i)
stockée électroniquement sur un support
électronique tel qu'une carte à puce ou une mémoire
d'ordinateur ;
(ii) acceptée comme moyen de paiement par des entreprises autres que
l'institution émettrice ;
(iii) produite pour être mise à la disposition des utilisateurs
comme substitut électronique des pièces et billets de
banque ;
(iv) produite pour les besoins de transferts électroniques de paiements
de faible montant ".
Or, en l'état, cette définition n'est pas acceptable.
D'une manière générale, elle laisse supposer que
la monnaie
électronique
constitue, à elle seule, un
nouveau type de monnaie, alors qu'elle
n'est que la forme
électronique de la monnaie scripturale.
Les points (iii) et (iv) de la définition concernent les
conditions d'utilisation des supports de la monnaie électronique mais ne
contribuent pas à en donner une définition.
Le point (iii) fait d'un élément d'usage de la monnaie
électronique une caractéristique propre à la
définir. Or, la monnaie électronique n'est rien d'autre que de la
valeur monétaire, préalablement provisionnée, mobilisable
au moyen d'un instrument de paiement scriptural. Cet élément de
la définition proposée par la directive n'a pas de fondement
juridique, une telle assertion étant possible pour tout autre moyen de
paiement scriptural.
Quant au point (iv), il ne précise pas ce que sont des
" paiements de faible montant ".
Il ne peut donc contribuer
à définir la monnaie électronique de manière
pertinente puisqu'il est tout à fait possible de procéder
à des paiements de faible montant - inférieurs à 100 voire
à 50 francs - au moyen d'un chèque ou d'une carte bancaire. Une
expression aussi vague serait sujette à des interprétations
divergentes et ne peut, par conséquent, figurer dans une directive dont
l'objectif est précisément de doter les institutions de monnaie
électronique d'un cadre réglementaire précis.
Comme on le verra plus loin,
cette définition est tout à
fait cohérente avec l'analyse (contestable) de la Commission sur le
caractère non remboursable des fonds reçus pour la constitution
des réserves de monnaie électronique.
La définition d'une institution de monnaie électronique
pose également problème.
Le a) du 3
ème
alinéa de l'article 1
er
de la proposition de directive
précitée en donne la définition suivante :
" une entreprise ... qui émet des moyens de paiement sous forme
de monnaie électronique ou qui place le produit de ses
activités... ".
De cette définition, il ressort que ces
institutions peuvent émettre de la monnaie électronique de
n'importe quel type. Elle ne permet pas de faire la distinction entre les
deux produits regroupés sous l'appellation de monnaie
électronique mais pourtant très différents
: la
monnaie de réseau et les cartes prépayées.
La monnaie de réseau permet d'effectuer des paiements de n'importe quel
montant, alors que les cartes prépayées servent à
régler des faibles montants et ne peuvent guère être
utilisées à d'autres fins que celles pour lesquelles elles ont
été conçues. En revanche, et le Comité
économique et social des Communautés européennes insiste
sur ce point dans son avis du 27 janvier 1999 sur les propositions de
directive, la monnaie de réseau, qui constitue un instrument de paiement
pour régler des ventes à distance, peut servir à
transférer des capitaux de façon anonyme et
incontrôlée, le risque étant presque minime pour les cartes
prépayées.
B. LA SÉCURITÉ DES TRANSACTIONS EST NÉGLIGÉE
Les
propositions de directive de la Commission sont inspirées d'une logique
d'ouverture des marchés dans un contexte concurrentiel :
l'exposé des motifs est d'ailleurs très explicite sur ce point.
Le Comité économique et social des Communautés
européennes, dans son avis précité, estime toutefois que
" l'approche de la directive se fonde davantage sur une vigilance
prudentielle plutôt douce, qui ne tient pas compte des exigences de
surveillance au sens large ".
Ainsi, l'objectif de suppression des entraves aux échanges
transfrontaliers est privilégié au détriment des
impératifs de sécurité des transactions.
Ce manque d'intérêt pour la sécurité des
transactions apparaît dans au moins quatre articles de la proposition de
directive.
L'article 3
concerne les exigences imposées aux émetteurs de
monnaie électronique en matière de fonds propres et de capital
initial. Ces règles sont
dérogatoires au droit commun
, le
ratio de fonds propres devant être supérieur ou égal
à 2 % de l'encours et le capital initial d'une institution de monnaie
électronique ne pouvant être inférieur à 500.000
euros.
Ces garanties sont insuffisantes. En voulant donner l'accès aux
activités liées à la monnaie électronique au plus
grand nombre possible d'institutions,
la Commission fait des propositions
qui entraînent un affaiblissement des normes prudentielles.
L'article 4
propose de limiter les possibilités de placement. En
raison des spécificités des institutions de monnaie
électronique, les investissements auxquels elles procèdent,
à partir des fonds reçus en échange de la monnaie
électronique émise, doivent être réalisés
à " risque zéro " et présenter un degré
de liquidité élevé (dépôts à vue ou
titres de crédits par exemple).
Or, la rédaction du 1)b)(iv) de cet article paraît trop peu
restrictive, puisqu'elle permet des placements dans des instruments de
crédit - pas nécessairement sûrs et liquides - émis
par n'importe quelle entreprise qui ne soit pas liée avec l'institution
de monnaie électronique.
L'article 5
impose aux autorités compétentes de
vérifier au moins deux fois par an que les institutions de monnaie
électronique respectent les dispositions précitées des
articles 3 et 4.
Une vérification semestrielle est tout à fait insuffisante, des
entreprises présentant nécessairement par nature un degré
élevé de liquidité et de solvabilité à tout
moment devant être soumises à un contrôle permanent. En
outre, certains États membres - notamment ceux initialement hostiles
à une directive en la matière, le Royaume-Uni ou la Suède
par exemple - risquent d'adopter des règles minimalistes, ce qui
pourrait conduire à des distorsions de concurrence entre institutions de
monnaie électronique de pays différents.
Il paraît
souhaitable de contraindre les autorités nationales à soumettre
les institutions de monnaie électronique aux mêmes
contrôles, et avec la même fréquence, que ceux auxquels les
autres institutions financières sont soumises.
En vertu de
l'article 7
, les États membres peuvent exempter de
certaines dispositions des propositions de directive les institutions de
monnaie électronique exploitant des systèmes relativement petits,
c'est-à-dire qui engendrent un montant total d'engagements financiers ne
dépassant pas 10 millions d'euros, et qui émettent de la
monnaie électronique pour une capacité maximale de chargement de
150 euros par utilisateur.
De telles institutions de monnaie électronique sont alors
exemptées de plusieurs prescriptions :
- l'obligation de tenir séparées les activités
financières des autres activités ;
- la nécessité de détenir un capital initial
supérieur ou égal à 500.000 euros ;
- les conditions d'agrément ;
- le respect des règles établies par les deux directives
bancaires.
Ces exemptions, si elles visent à prendre en compte les petits
systèmes comme les porte-monnaie électroniques locaux, risquent
de rendre inopérante la lutte contre d'éventuels abus en raison
de contrôles " allégés ".
La Banque de France estime, quant à elle, que de telles exemptions
constituent autant de discriminations qui ne lui paraissent pas compatibles
avec la nature monétaire de la monnaie électronique, laquelle
n'est pas différente pour les projets de petite taille. En outre, elle
considère qu'à l'allégement des obligations doit
correspondre une plus stricte spécialisation des activités. Or,
il serait possible à certaines institutions de monnaie
électronique, tout en étant agréées en
qualité d'établissement de crédit, de réaliser des
activités n'ayant aucun lien avec les métiers bancaires ou
financiers,
ce qui méconnaîtrait le monopole des
établissements de crédit dans l'émission et la gestion de
la monnaie électronique.
C. LA PROTECTION DU CONSOMMATEUR EST INSUFFISAMMENT ASSURÉE
L'article 2 de la proposition de directive précise que
les
institutions de monnaie électronique n'entrent pas, sauf indication
contraire, dans le champ d'application de la législation bancaire
communautaire, à l'exception de la directive relative au blanchiment de
capitaux (91/308/CEE) et de celle sur la surveillance consolidée
(92/30/CEE).
Son alinéa 4 dispose que
" aux fins de l'application de
l'article 3 de la directive 89/646/CEE, les fonds reçus en
échange de monnaie électronique ne sont pas
considérés comme des dépôts au sens dudit
article ".
L'article 3 de la directive précitée,
dite deuxième directive de coordination bancaire, prévoit en
effet que
" les États membres interdisent aux personnes ou
entreprises qui ne sont pas des établissements de crédit
d'exercer, à titre professionnel, l'activité de réception
de dépôts ou d'autres fonds remboursables du public ".
Ainsi, pour la Commission - et contrairement à la position
adoptée par la BCE dans son rapport précité -, les fonds
stockés, contreparties de la monnaie électronique émise,
ne sont pas assimilés à des dépôts bancaires et, en
conséquence, ne sont pas remboursables, la remboursabilité
éventuelle des fonds étant renvoyée à la conclusion
d'accords contractuels.
Les émetteurs de monnaie électronique ne sont donc pas soumis
aux règles émises par la Commission sur la garantie des
dépôts, fondement de la protection des consommateurs.
Par cette analyse, la Commission justifie, une fois encore,
l'élaboration d'un texte spécifique à la monnaie
électronique.
Cependant, il convient de s'interroger sur les conséquences d'une
réglementation trop minimaliste sur la protection des consommateurs.
La primauté accordée au contrat par la proposition de directive
pourrait conduire à ce qu'un contrat prévoie la non
remboursabilité des montants non utilisés de monnaie
électronique, ce qui reviendrait à organiser, par voie
conventionnelle, leur confiscation par les émetteurs.
Le
remboursement des montants non utilisés devrait au contraire être
expressément prévu par la proposition de directive
, afin de
protéger les droits des consommateurs et d'empêcher ce quasi
enrichissement illicite que constitue le non remboursement.
Enfin, il conviendrait, toujours dans un souci de protection du consommateur,
de
fixer une limite maximale obligatoire
- le Comité
économique et social des Communautés européennes propose
150 euros -
pour le chargement des supports de monnaie
électronique, notamment pour les cartes prépayées
dont
la perte ou le vol peuvent entraîner d'importants dommages.
D. LE RISQUE SYSTÉMIQUE EST SOUS-ESTIMÉ
D'une
manière générale, les règles imposées par
les propositions de directive aux institutions de monnaie électronique
sont insuffisantes eu égard aux conditions extrêmement rigides
habituellement requises pour faire partie des systèmes de paiement.
L'admission aux systèmes de paiement, qui sont sous le contrôle et
la responsabilité des autorités monétaires, est en effet
soumise à des règles à même de prévenir
l'apparition de risque pour le système.
Les propositions de directive sous-estiment un tel risque systémique,
l'esprit ayant procédé à leur élaboration
lui-même étant très éloigné de ces
préoccupations. Ainsi, par exemple, les exemptions à
l'application des directives prévues pour les petits émetteurs
comportent des risques graves pour les systèmes de paiement.
En outre, si la monnaie électronique en est encore à un stade
virtuel, elle peut rapidement prendre un essor considérable et, ainsi,
représenter des sommes gigantesques, ce que prévoit d'ailleurs
l'exposé des motifs des propositions de directive :
" les
cartes prépayées utilisées comme porte-monnaie
électronique pourraient bien remplacer à terme une proportion
importante des paiements en espèces ".
Une telle perspective
de développement constitue un argument supplémentaire pour exiger
des contrôles approfondis et permanents sur les émetteurs.
L'émission de monnaie électronique n'est, ainsi, pas sans
conséquence sur la conduite de la politique monétaire
elle-même.
A cet égard, le Comité économique et social des
Communautés européennes attire l'attention sur un point
important. Il considère, en effet, que les autorités de vigilance
pourraient ne pas disposer des moyens nécessaires pour empêcher
l'opérateur d'un pays tiers d'offrir des services financiers par voie
électronique sur le territoire de l'Union européenne, ce qui
pourrait donner lieu à des flux monétaires incontrôlables.