N°
169
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 27 janvier 1999
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'adhésion de la République française à la convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées approuvée par l'assemblée générale des Nations unies le 21 novembre 1947 (ensemble dix-sept annexes approuvées par les institutions spécialisées),
Par M.
André DULAIT,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Xavier de Villepin,
président
; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait,
Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle
Bidard-Reydet,
vice-présidents
; MM. Michel Caldaguès,
Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès,
secrétaires
; Bertrand Auban, Michel Barnier, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy
Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Hubert
Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean
Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel,
Roger Husson, Christian de La Malène, Philippe Madrelle,
René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Jean-Luc
Mélenchon, René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano,
Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte, Xavier Pintat, Bernard
Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas,
André Rouvière.
Voir le numéro
:
Sénat
:
62
(1998-1999).
Traités et conventions.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le présent projet de loi a pour objet d'autoriser l'adhésion de
la République française à la convention sur les
privilèges et immunités des institutions
spécialisées approuvée par l'assemblée
générale des Nations unies le 21 novembre 1947.
Cette convention, très largement inspirée de la convention sur
les privilèges et immunités des Nations unies du 13
février 1946 qui en constitue en quelque sorte le modèle,
transpose les règles définies par cette dernière pour
l'Organisation des Nations unies à l'ensemble des institutions
spécialisées des Nations unies, telles que l'Organisation
internationale du travail (OIT), l'Organisation mondiale de la Santé
(OMS), l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture
(FAO), l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et
la culture (UNESCO), la Banque mondiale ou encore le Fonds monétaire
international.
Alors qu'elle a ratifié dès 1947 la convention sur les
privilèges et immunités des Nations unies, la France n'a jamais
adhéré à la convention sur les privilèges et
immunités des institutions spécialisées.
Un projet de loi autorisant la ratification déposé quelques mois
avant la fin de la IVe République ne vint jamais en discussion et aucun
texte similaire ne fut représenté après
l'établissement de la Ve République.
L'absence de ratification ne signifiait pas pour autant que la France entendait
se soustraire aux règles définies par la convention.
En premier lieu, ces règles ont été très largement
reprises pour l'UNESCO, établie à Paris, dans le cadre d'un texte
spécifique : l'accord de siège conclu avec le gouvernement
français le 2 juillet 1954.
D'autre part, bon nombre de ces règles ont été
appliquées de facto dans les relations entretenues par la France et
plusieurs institutions spécialisées, en particulier celles ayant
leur siège à Genève. Ces pratiques étaient
toutefois dépourvues de base juridique solide, comme l'a montré
l'important contentieux fiscal apparu en 1992 entre l'administration
française et des fonctionnaires internationaux résidant en France.
C'est en effet ce contentieux fiscal qui a mis en lumière les graves
inconvénients de la situation créée par l'absence
d'adhésion de la France à la convention sur les privilèges
et immunités des institutions spécialisées des Nations
unies.
Après plusieurs mois d'examen interministériel, le gouvernement
français arrêtait en avril 1995 la décision de soumettre
l'autorisation d'adhésion au Parlement et ce n'est finalement que le 12
novembre 1998, après plusieurs consultations du Conseil d'Etat, que le
présent projet de loi était déposé.
L'approbation de ce texte doit permettre de mettre un terme à une
distorsion difficilement justifiable dans son principe, entre la situation
juridique et fiscale des institutions spécialisées
concernées et de leur personnel et celles d'autres organisations
internationales. Elle est en outre particulièrement opportune compte
tenu de l'intérêt que représente pour notre pays la
présence sur le territoire français de nombreux fonctionnaires
internationaux en poste à Genève.
Votre rapporteur analysera tout d'abord le contexte dans lequel intervient ce
projet de loi, en rappelant les particularités de la situation juridique
des institutions spécialisées des Nations unies par rapport au
traitement appliqué par la France aux autres organisations
internationales, avant de présenter le dispositif de la convention sur
les privilèges et immunités des Nations unies du 21 novembre 1947
aujourd'hui soumise à l'examen du Parlement.
I. LA FRANCE ET LES INSTITUTIONS SPÉCIALISÉES DES NATIONS UNIES : UNE SINGULARITÉ JURIDIQUE DIFFICILEMENT JUSTIFIABLE
Le
principe des privilèges et immunités accordés aux
organisations internationales et à leurs personnels a été
très largement reconnu par la France, qui a adhéré aux
principales conventions établies à cet effet.
La situation des
institutions spécialisées des Nations
unies
, pour lesquelles la convention sur les privilèges et
immunités n'a jamais été ratifiée, constitue donc
une
exception notable, bien que peu justifiée dans son principe
.
Si certains privilèges et immunités ont pu leur être
reconnus dans la pratique, l'absence de base juridique solide a favorisé
l'apparition d'un contentieux, focalisé sur la question du statut fiscal
des fonctionnaires internationaux.
Cette situation, insatisfaisante à plus d'un titre, a
entraîné un nouvel examen du dossier qui a conclu à la
nécessité pour notre pays d'adhérer à la convention
sur les privilèges et immunités des institutions
spécialisées des Nations unies du 21 novembre 1947.
A. LES PRIVILÈGES ET IMMUNITÉS DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES : UN PRINCIPE LARGEMENT RECONNU PAR LA FRANCE
La
notion de privilèges et immunités est pratiquement
inhérente aux organisations internationales, dans la mesure où
elle vise à sauvegarder l'indépendance et le bon fonctionnement
de ces dernières.
La France est ainsi partie à de nombreuses conventions internationales
ou européennes, reconnaissant les privilèges et immunités
des organisations dont elle est membre.
1. Le contenu et la justification des privilèges et immunités des organisations internationales
On
regroupe sous l'appellation de privilèges et immunités un
ensemble de dispositions concernant les organisations internationales
elles-mêmes, leurs personnels et les représentations des Etats
auprès de ces organisations.
Les instruments internationaux relatifs aux privilèges et
immunités ont tout d'abord pour objet de faire reconnaître la
personnalité juridique des organisations internationales.
Ils comportent généralement deux grands types de dispositions :
les immunités de juridiction et les immunités fiscales.
Le
principe de l'immunité de juridiction
s'applique aux
organisations elles-mêmes ainsi qu'à leurs biens et leurs avoirs,
à leurs locaux et à leurs documents. Les représentants des
Etats membres auprès de ces organisations bénéficient le
plus souvent, pour leur participation aux sessions ou réunions,
d'immunités comparables à celles des envoyés diplomatiques
: immunité d'arrestation, de détention et de juridiction,
inviolabilité des documents. L'immunité de juridiction concerne
également les personnels de ces organisations pour les actes qu'ils
accomplissent dans le cadre de leurs fonctions.
En
matière fiscale,
les organisations internationales
bénéficient en règle générale d'une
exemption de toutes les catégories d'impôts, directs ou indirects
ainsi que des droits de douane pour les biens nécessaires à leur
fonctionnement. S'agissant des particuliers, personnels de l'organisation ou
représentants permanents des Etats membres, le régime fiscal est
variable selon les organisations et les fonctions exercées. D'une
manière générale, les titulaires de postes de rangs
élevés (par exemple directeur général ou directeur
général adjoint) bénéficient d'un régime
proche de celui des diplomates. Pour les autres catégories de
personnels, il est rare que les textes prévoient une imposition dans les
conditions de droit commun. Plus fréquemment, le principe de
l'exonération de tout impôt national est retenu, sous certaines
conditions et avec des réserves propres à chaque organisation. Il
est ainsi fréquent que le pays qui abrite le siège de
l'organisation n'accorde l'exonération qu'aux personnels de
nationalité étrangère.
Les dispositions relatives aux privilèges et immunités visent
à
permettre aux organisations de fonctionner en toute
indépendance
, sans entrave résultant de l'application de la
législation du pays hôte. Quant aux
privilèges
fiscaux
, ils sont moins accordés dans l'intérêt des
personnels que dans celui de l'organisation. Il s'agit en effet d'éviter
que l'Etat dans lequel l'organisme a installé son siège ne soit
avantagé par rapport aux autres Etats membres, ou encore que le
mécanisme de contribution au financement de l'organisation ne soit
faussé par le fait que le pays hôte récupère sous
forme de rentrées fiscales une part de sa contribution. Enfin, il faut
indiquer que les organisations internationales prélèvent le plus
souvent sur les émoluments de leurs personnels, ou sur les pensions de
leurs retraités, une cotisation qui constitue une forme d'impôt
interne.
2. Les principales organisations bénéficiant, en France, de privilèges et immunités
La
France a reconnu les privilèges et immunités de nombreuses
organisations internationales.
Elle a ratifié dès 1947 la
convention sur les
privilèges et immunités des Nations unies
du 13
février 1946, qui a par la suite servi de modèle à
beaucoup d'autres accords internationaux. Bien que n'ayant pas
adhéré à la convention sur les privilèges et
immunités des institutions spécialisées des Nations unies
du 21 novembre 1947, qui couvre notamment l'OMS ou le BIT, elle a reconnu les
privilèges et immunités de
l'UNESCO
dans le cadre de
l'accord de siège
conclu le 2 juillet 1954 avec cette
dernière en raison de son installation à Paris. Un accord de
siège a également été passé le 14 mars 1967
avec l'Organisation mondiale de la Santé pour définir les
privilèges et immunités du Centre international de recherche sur
le cancer dont le siège a été fixé à Lyon.
La France est également partie à
l'accord
général sur les privilèges et immunités du Conseil
de l'Europe
du 2 septembre 1949 et à la convention du 14
décembre 1960 relative à
l'Organisation de coopération
et de développement économique (OCDE).
En ce qui concerne
les communautés européennes
, c'est un
protocole du 8 avril 1965
qui a défini leurs privilèges et
immunités.
Parmi les autres organismes dont les privilèges et immunités ont
été reconnus par la France, on peut citer :
- l'Agence internationale de l'énergie atomique (accord du 26 octobre
1956),
- l'Agence spatiale européenne (accord du 30 mai 1975),
- la Banque européenne pour la reconstruction et le développement
(accord du 29 mai 1990),
- l'Organisation de l'aviation civile internationale (accord du 3 juin 1983),
- l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire -CERN-
(accord du 16 juin 1972).
B. LES INSTITUTIONS SPÉCIALISÉES DES NATIONS UNIES : UNE SITUATION JURIDIQUE NON CLARIFIÉE EN DROIT FRANÇAIS
A l'inverse de ce qu'elle a fait pour la quasi-totalité des organisations internationales auxquelles elle adhère, la France n'a jamais ratifié la convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées des Nations unies, pour des raisons mal définies. Seule l'UNESCO, en vertu de l'accord de siège de 1954, bénéficie d'une reconnaissance juridique alors que le défaut de ratification a entraîné un contentieux avec un certain nombre d'autres organisations installées à Genève.
1. L'absence d'adhésion de la France à la convention de 1947 sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées des Nations unies
Alors
que la France a ratifié de nombreux accords ou conventions sur les
privilèges et immunités des organisations internationales,
à commencer par la convention de 1946 relative à l'ONU, sa
non-adhésion à la convention du 21 novembre 1947 relative aux
privilèges et immunités des institutions
spécialisées des Nations unies constitue une
exception dont la
justification n'apparaît pas clairement.
Cette convention, simple dans son principe puisqu'elle s'inspire des
dispositions applicables à l'ONU, pouvait certes se
révéler plus complexe dans ses conséquences pratiques,
puisqu'elle concerne non pas une seule organisation, mais plusieurs
institutions de natures diverses et réparties sur de nombreux sites
géographiques. Il semble donc que dans un premier temps, les
autorités françaises aient souhaité prendre le temps
d'évaluer toutes les implications de ce texte avant de définir
leur position.
Une décision était cependant prise
en 1957
par le
gouvernement de M. Bourgès-Maunoury, avec le
dépôt d'un
projet de loi
autorisant le Président de la République
à ratifier la convention. Ce projet de loi (Document Assemblée
nationale n° 5743 annexé à la séance du 17 septembre
1957) était assorti de
l'exposé des motifs
suivants :
"Mesdames, messieurs, par une résolution en date du 21 novembre 1947,
l'Assemblée des Nations unies a approuvé le texte d'une
convention relative aux privilèges et immunités des institutions
spécialisées. Cette convention a été soumise
à l'acceptation des organisations intéressées, qui en ont
légèrement modifié les annexes et à la ratification
des pays membres de l'Organisation des Nations unies. Plus de 25 pays ont
déjà fixé leur attitude relativement à cette
question.
La convention méritait un examen soigneux. En effet, le texte dont il
s'agit fait apparaître, dans le domaine toujours plus large du statut des
représentants nationaux auprès des institutions
spécialisées et de celui des fonctionnaires internationaux, un
droit commun applicable à toutes les organisations et à diverses
catégories de personnes. Il sert d'ores et déjà de base
pour la rédaction d'accords, de portée plus restreinte, relatifs
au siège ou aux privilèges des institutions qui
s'établissent sur le territoire français.
C'est dans cet esprit que la commission consultative des institutions
spécialisées, instituée au ministère des affaires
étrangères afin d'y procéder à l'étude des
problèmes posés par la participation de la France à ces
organisations, a examiné la convention. Elle a émis un avis
favorable à sa ratification moyennant un certain nombre de
réserves et à condition que les dispositions de quelques articles
soient interprétées, lors de leur application, en
conformité avec la pratique diplomatique.
Le Conseil d'Etat a toutefois estimé que la portée pratique des
articles réservés était trop mince pour justifier une
exception à la doctrine généralement soutenue par la
France en matière de ratification des conventions unilatérales.
Il a, en conséquence, conclu à une ratification pure et simple.
Comme suite à ces travaux préliminaires, le Gouvernement a
l'honneur de soumettre au Parlement un projet de loi tendant à la
ratification de la convention relative aux privilèges et
immunités des institutions spécialisées."
Ce projet de loi ne fut jamais inscrit à l'ordre du jour
de la
dernière législature de la IVe République et aucun projet
de loi de même nature ne fut déposé par la suite, les
autorités françaises semblant se satisfaire d'un règlement
au cas par cas, sur la base de simples pratiques administratives, des
problèmes rencontrés, en particulier sur les plans fiscal et
douanier, dans les relations entre la France et ces organisations.
2. L'UNESCO, seule organisation bénéficiant d'une pleine reconnaissance juridique
Parmi
l'ensemble des institutions spécialisées des Nations unies, il en
était une avec laquelle la France ne pouvait pas ne pas clarifier ses
relations juridiques, à savoir l'UNESCO dont le siège a
été fixé à Paris.
L'UNESCO
est donc
couverte par un accord international
spécifique : l'accord de siège conclu le 2 juillet 1954 avec le
gouvernement français.
Cet accord définit les privilèges et immunités dont
bénéficient, en territoire français, l'UNESCO
elle-même, ses biens, ses membres et son personnel.
En vertu de l'accord du 2 juillet 1954,
l'UNESCO, ses avoirs, ses
revenus et autres biens, sont ainsi exonérés de tous impôts
directs. Les représentants des Etats membres
de l'UNESCO aux
sessions de ses différents organes, les membres du conseil
exécutif, les délégués permanents et leurs adjoints
jouissent, pendant leur séjour en France et pour l'exercice de leurs
fonctions, des facilités, privilèges et immunités qui sont
reconnus aux diplomates de rang comparable des missions diplomatiques
étrangères accréditées auprès du
gouvernement français.
Les
fonctionnaires de l'UNESCO
sont
exonérés de tout
impôt direct
sur leurs traitements et émoluments. En outre, le
directeur général et le directeur général adjoint
jouissent, pendant leur résidence en France, du statut accordé
aux chefs de missions diplomatiques. Enfin, un certain nombre de hauts
fonctionnaires bénéficient des privilèges,
immunités et facilités accordés aux membres des missions
diplomatiques étrangères.
3. L'apparition d'un différend entre l'administration française et certaines organisations siégeant à Genève
Si
l'absence de ratification de la convention du 21 novembre 1947 est
restée sans conséquences sur les relations de la France avec
l'UNESCO, régies par l'accord de siège, il n'en allait pas de
même pour les relations avec certaines
organisations siégeant
à Genève
(Organisation Internationale du Travail,
Organisation Mondiale de la Santé, Organisation Mondiale de la
Propriété Intellectuelle, Organisation
Météorologique Mondiale, Union Internationale des
Télécommunications). En effet, pour des raisons de
proximité géographique, celles-ci et surtout leurs personnels,
peuvent être amenés à relever de la législation
française.
Dès le début des années 1960 s'est posée la
question du
statut fiscal des fonctionnaires internationaux de ces
organisations, travaillant à Genève mais souhaitant
résider en France.
Saisie de ce cas de figure, l'administration française, par simple
lettre du représentant permanent de la France auprès des
organisations internationales à Genève, avait fait savoir qu'elle
ne considérerait pas ces fonctionnaires internationaux comme
possédant leur domicile fiscal en France.
Au fil du temps, le nombre de fonctionnaires internationaux en poste à
Genève mais résidant en France dans les départements
limitrophes de l'Ain et de Haute-Savoie s'est considérablement accru.
Pour les seules institutions spécialisées des Nations unies, il
se monterait aujourd'hui à 2500 familles.
De fait,
durant plusieurs décennies, ces fonctionnaires
internationaux ont bénéficié d'une exonération
fiscale.
Mais
à partir de 1992, la pratique de l'administration fiscale a
évolué
. S'appuyant sur
l'absence de base juridique
prévoyant expressément l'exonération fiscale pour les
personnels de ces organisations, les services fiscaux ont adressé des
mises en demeure de déclaration, voire des notifications de
redressements à un certain nombre de fonctionnaires internationaux, en
activité ou retraités, résidant en France. Quant aux
premières décisions des juridictions administratives, elles
concluaient à l'absence de base légale pour l'exonération
fiscale.
La remise en cause d'une pratique de longue date entraîna une
réaction d'autant plus vigoureuse des organisations concernées
que, du fait d'accords spécifiques, la France avait reconnu
l'exonération fiscale des fonctionnaires des Nations unies ou, plus
récemment encore, de l'Organisation Mondiale du Commerce travaillant
à Genève mais résidant en France.
Saisi au mois de septembre 1993, le gouvernement français
décidait en décembre 1993 de suspendre les actions
engagées par l'administration fiscale et d'entrer en concertation avec
les organisations concernées.
C'est cette concertation qui a abouti sur la décision de soumettre au
Parlement la ratification de la convention du 21 novembre 1947.
C. LA VOLONTÉ DE METTRE UN TERME A L'INCERTITUDE JURIDIQUE EN ADHÉRANT À LA CONVENTION DU 21 NOVEMBRE 1947.
Saisi de la question à la fin 1993, le gouvernement français mit près d'une année et demie à définir sa position avant de décider de l'adhésion de la France, sans réserve d'ordre fiscal, à la convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées des Nations unies. Cette décision apparaît, à bien des points de vue, comme l'issue la plus opportune pour mettre un terme à la singularité de la situation juridique, au regard du droit français, des organisations concernées.
1. La mise au point de la position du gouvernement français
Dès 1994, le gouvernement français avait
envisagé d'apporter une réponse juridiquement claire au
différend survenu avec les organisations internationales de
Genève et leur personnel, c'est-à-dire d'adhérer à
la convention du 21 novembre 1947.
Il restait cependant à déterminer si cette adhésion devait
ou non être assortie de réserves, particulièrement sur le
plan fiscal.
Dans un premier temps, mais sans que le gouvernement ne le reprenne
officiellement à son compte, un
projet de réserve
inspiré par le ministère de l'économie et des finances
avait été élaboré. Ce projet revenait à
retenir le principe de l'assujettissement à l'impôt sur le revenu
des fonctionnaires internationaux concernés résidant en France
tout en évitant une double imposition : la retenue à la source
pratiquée par les organisations internationales sur le traitement de
ces fonctionnaires aurait été déduite du montant de
l'impôt dû en application de la législation fiscale
française.
Ce mécanisme fut vivement critiqué par les organisations
concernées et leurs personnels tant parce qu'il dérogeait au
principe d'exonération posé par la convention que parce qu'il
entraînait une distorsion de traitement entre les fonctionnaires des
institutions spécialisées des Nations unies et ceux d'autres
organisations internationales bénéficiant pour leur part d'une
exonération pleine et entière.
Un ultime arbitrage rendu en 1995 permit alors au Premier ministre d'annoncer
officiellement au secrétaire général des Nations unies, le
6 avril 1995, que le gouvernement français avait décidé
de soumettre la convention de 1947 à la ratification du Parlement, sans
l'assortir de réserve en matière fiscale.
2. L'adhésion à la convention de 1947 : une nécessité juridique justifiée dans son principe
L'adhésion à la convention de 1947 répond
en
premier lieu à une
nécessité juridique
. Le
différend intervenu sur le plan fiscal a montré que les
privilèges et immunités accordés de facto durant des
années aux institutions spécialisées des Nations unies
étaient dépourvus de base juridique et pouvaient donc être
contestés et susciter des contentieux. Compte tenu des relations
nombreuses et diverses entretenues entre la France et ces organisations, en
particulier celles situées à Genève, il importait donc de
clarifier leur cadre juridique.
En ce qui concerne le
statut fiscal des fonctionnaires
de ces
organisations, on pourrait certes objecter que ceux d'entre eux qui ont choisi
de résider en France plutôt qu'en Suisse, où s'applique
l'accord de siège, ne sont pas fondés à se
prévaloir de privilèges attribués pour l'exercice de leurs
fonctions, dans la mesure en particulier où ces fonctions s'exercent en
Suisse et non en France. Mais il serait néanmoins peu justifié,
par le biais de règles fiscales, de contraindre ces personnels à
résider exclusivement en Suisse, à la fois pour des raisons
pratiques, compte tenu de la situation géographique de Genève
dont la zone d'influence s'étend naturellement sur le sol
français, et pour des motifs liés à l'intérêt
économique que représente pour notre pays et spécialement
pour les départements frontaliers, la présence de cette
population.
L'adhésion, sans restriction d'ordre fiscal, paraît surtout
répondre à un
souci d'équité
dans la mesure
où on ne comprendrait pas que la France n'applique pas le même
traitement à tous les fonctionnaires internationaux résidant en
territoire français et exerçant leurs fonctions à
Genève. Or la France a reconnu l'exonération fiscale, sans
distinction de résidence, pour tous les fonctionnaires de l'ONU ainsi
que pour ceux de l'Organisation Mondiale du Commerce dans le cadre de l'accord
de Marrakech de 1994. Sur quel fondement pourrait-on la refuser aux personnels
de l'OIT ou de l'OMS ?
Pour cet ensemble de raisons, il est heureux que l'adhésion à la
convention sur les privilèges et immunités des institutions
spécialisées des Nations unies soit enfin soumise à
l'autorisation du Parlement français.