COMPTE RENDU DE LA RÉUNION D'EXAMEN DU RAPPORT
DU MERCREDI 20
JANVIER 1999
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La
commission a procédé à l'examen du rapport de
M. Guy Cabanel
sur le projet de loi constitutionnelle n° 130
(1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à
l'égalité entre les femmes et les hommes.
M. Guy Cabanel, rapporteur,
a exposé que les auditions
de la commission sur le projet de loi constitutionnelle avaient
démontré, d'une part, la complexité des problèmes
soulevés par ce texte et, d'autre part, la difficulté de trouver
une solution acceptable pour tous. Il a souligné que les professeurs de
droit constitutionnel eux-mêmes n'étaient pas unanimes sur le
choix de l'article de la Constitution à modifier et il s'est
déclaré perplexe sur les solutions à proposer.
M. Guy Cabanel, rapporteur
, a rappelé ensuite les
difficultés rencontrées pour reconnaître le droit de vote
et d'éligibilité des femmes, rappelant que ceux-ci avaient
été établis non à l'issue d'une procédure
parlementaire, mais par une ordonnance du 21 avril 1944, sur
l'initiative du Général de Gaulle.
M. Guy Cabanel, rapporteur
, a indiqué qu'il
s'était porté candidat au rapport, d'une part, parce que ses
fonctions de vice-président de la mission d'information chargée
d'étudier la place et le rôle des femmes dans la vie publique lui
avaient permis d'appréhender la réalité du problème
et, d'autre part, afin de porter remède à l'insuffisante
présence des femmes dans la vie publique.
Il a estimé que les progrès constatés au cours des
dernières années résultait plus de raisons conjoncturelles
que structurelles et que les chiffres ne laissaient pas espérer,
à ses yeux, une évolution suffisamment rapide.
M. Guy Cabanel, rapporteur
, a précisé que les
femmes représentaient 14 % des conseillers municipaux en 1983,
chiffre porté à 17,7 % en 1989 et à 21,7 % en
1995 et que 7,6 % des femmes exerçaient aujourd'hui les fonctions
de maire, contre 5,4 % en 1989.
Il a souligné qu'il n'existait en Europe aucun pays ayant adopté
une législation électorale comportant des quotas, à
l'exception de la Belgique, précisant que les résultats belges
s'étaient au demeurant avérés décevants.
M. Guy Cabanel, rapporteur
, a fait valoir que la
présence significative de femmes au Parlement suédois
résultait essentiellement de l'action des partis politiques et des
associations, mais nullement d'une législation particulière.
Après avoir confirmé que ses engagements internationaux ne
prévoyaient ni n'empêchaient la France d'adopter une
législation électorale comportant des quotas,
M. Guy Cabanel, rapporteur
, a présenté les
réponses possibles au problème posé.
Il a considéré que l'évolution naturelle conduirait
à attendre 50 ans pour atteindre l'équilibre souhaitable. Il
a ajouté qu'une législation en la matière pouvait
être soit incitative, à la condition de ne pas se limiter au
principe selon lequel les partis favoriseraient l'égal accès des
femmes et des hommes aux mandats et fonctions, soit contraignante,
précisant que le projet de loi constitutionnelle donnait au
législateur la faculté de choisir l'une ou l'autre solution.
M. Guy Cabanel, rapporteur
, a ensuite rappelé les
risques que comporterait l'adoption du projet de loi constitutionnelle au
regard des principes de l'universalité du suffrage, du mandat
représentatif, de l'égalité des citoyens et de la
liberté de l'électeur. Il a considéré que le risque
de communautarisme ne devait pas être sous-estimé, mais que son
ampleur ne devait pas non plus être surestimée.
Exposant ensuite le contenu du projet de loi constitutionnelle,
M. Guy Cabanel, rapporteur
, a fait valoir que celui-ci
reviendrait à donner une signification spécifique au principe
général d'égalité, pour ce qui concerne le
suffrage. Il a ajouté que le choix de l'article 3 de la
Constitution répondait à la décision du Conseil
constitutionnel du 18 novembre 1982, fondée sur cet article 3
et sur l'article VI de la Déclaration de 1789.
Il a fait observer que cette déclaration n'avait été
suivie immédiatement ni du droit de vote pour tous, ni de l'abolition de
l'esclavage.
M. Robert Badinter
a rappelé que la jurisprudence du
Conseil constitutionnel s'appuyant sur la Déclaration de 1789, ne
reposait pas sur le contexte historique de l'époque, mais sur les
principes qu'elle énonce.
M. Guy Cabanel, rapporteur
, a proposé de
réaffirmer expressément, dans le texte de l'article premier de la
Constitution, que le principe d'égalité devant la loi devait
être appliqué sans distinction de sexe.
Il a proposé, pour l'article 3 de la Constitution, de reprendre la
rédaction du projet initial et de compléter également
l'article 4 de la Constitution afin de permettre l'adoption de mesures
incitatives dans le domaine du financement public des partis politiques dans
des conditions juridiques incontestables, cet article ayant trait au statut
constitutionnel des formations politiques.
M. Guy Cabanel, rapporteur
, a regretté l'insuffisante
lisibilité de la démarche du Gouvernement relevant d'une part que
celui-ci n'avait pas annoncé de manière suffisamment
précise ses intentions quant aux modalités législatives de
mise en oeuvre de la révision constitutionnelle et, d'autre part, que
les fonctions exécutives, au sens du texte, n'avaient pas
été définies de manière incontestable.
M. Jacques Larché, président
, après avoir
souligné que les auditions auxquelles la commission avait
procédé avaient révélé un risque de
communautarisation, a indiqué que la commission devait, si elle
envisageait de modifier le projet de loi, s'interroger successivement sur la
place, le contenu et la portée de la révision, afin, le cas
échéant, de prévenir les incertitudes sur l'avenir.
M. Patrice Gélard
, convenant de la
sous-représentation des femmes dans la vie politique, a
considéré que celle-ci n'était pas clairement ressentie
par l'opinion et que les comparaisons avec l'étranger manquaient de
pertinence, notamment à l'égard des États-Unis dont les
mesures de discrimination positive n'avaient jamais concerné les
élections.
Il a indiqué que, en dehors du continent européen, seuls quelques
pays qu'il ne pouvait ériger en modèles de démocratie, le
Pakistan, le Bungla Desh et le Népal avaient inscrit une obligation de
quotas dans leur législation électorale.
Il a ajouté que dans les anciens pays communistes, la
représentation des différentes catégories de la population
fixée selon des quotas avait permis la présence de 37 % de
femmes dans les assemblées, chiffre tombé à 6 %
après le retour de ces pays à la vie démocratique et en a
déduit que les quotas ne correspondaient pas à la volonté
d'électeurs libres.
M. Patrice Gélard
a estimé que la faible
présence des femmes dans la vie politique résultait
essentiellement de l'attitude des partis politiques, relevant néanmoins
une évolution positive depuis quelques années.
Faisant valoir que les femmes étaient de plus en plus nombreuses dans la
magistrature et dans l'enseignement, il a souhaité que
l'équilibre entre les sexes soit considéré plus
globalement et s'est demandé si le texte proposé ne pourrait pas,
dans 20 ans, être utilisé en faveur des hommes.
Favorable à l'examen d'une réforme,
M. Patrice Gélard
a considéré que les
quotas annoncés par Mme le garde des sceaux pour le scrutin de liste
seraient contraires aux principes fondamentaux de la démocratie et qu'en
remettant en cause le caractère universel du suffrage, ils pourraient
conduire à une forme d'apartheid.
Il a ensuite évoqué les solutions qui lui paraissaient
envisageables, à savoir soit l'adjonction à la rédaction
proposée d'une réserve interdisant les quotas, soit une
modification de l'article 4 de la Constitution relatif aux partis,
principaux responsables en la matière, ou encore conférer aux
lois électorales le caractère de lois organiques devant
être adoptées en termes identiques par les deux assemblées.
Après avoir approuvé la modification de l'article premier de la
Constitution proposée par le rapporteur,
M. Patrice Gélard
a marqué sa
préférence pour une responsabilisation, le cas
échéant financière, des partis par une modification de
l'article 4 de la Constitution.
M. Nicolas About
a considéré que dès lors
que l'article premier de la Constitution établissait
l'égalité devant la loi de tous les citoyens, il n'y avait pas
lieu que cet article précise l'interdiction de distinction selon les
sexes, l'origine, la race et la religion.
Il a considéré que l'article unique du projet de loi, dans sa
rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, pouvait
être accepté à la condition de prévoir
également l'adoption des lois électorales en termes identiques
par l'Assemblée nationale et par le Sénat.
M. Yves Fréville
a considéré que les
blocages en termes de présence équilibrée des sexes au
sein des assemblées provenaient essentiellement des partis.
Constatant que les quotas ne pourraient s'appliquer qu'au scrutin de liste, il
a souligné le risque de voir apparaître de " bons " et
de " mauvais " modes de scrutin au regard de l'objectif
affirmé et s'est prononcé contre les quotas et pour des mesures
incitatives à l'égard des partis.
M. Charles Jolibois
a exprimé son opposition à
toute possibilité d'instituer des quotas, soulignant que le verbe
" favorise " permettrait l'institution d'une législation
comportant des quotas.
Rappelant les difficultés rencontrées par les États-Unis
pour sortir de la doctrine " séparés, mais
égaux ", il a évoqué l'hypothèse d'interdire
expressément dans le texte de la Constitution la possibilité de
quotas et s'est interrogé sur l'opportunité d'instituer un
bicaméralisme intégral en matière électorale pour
éviter des scrutins à deux vitesses.
M. Charles Jolibois
a observé qu'un complément
éventuel de l'article 4 de la Constitution ne concernerait pas les
candidats se présentant indépendamment des partis politiques et a
souhaité une amélioration du statut de l'élu.
M. Luc Dejoie
a indiqué son accord avec
l'article premier tel que proposé par le rapporteur et s'est
déclaré favorable à l'obligation d'un vote identique des
deux assemblées du Parlement sur les lois électorales.
M. Robert Badinter
a souligné que le Conseil
constitutionnel, sur la base de la révision proposée, pourrait
juger non conforme à la Constitution un texte électoral qui ne
comporterait pas de disposition favorisant ou déterminant les conditions
d'organisation de l'égal accès aux mandats et fonctions, s'il
estimait que le législateur n'avait pas épuisé sa
compétence.
Il a indiqué que le texte initial du projet de loi constitutionnelle
permettrait l'établissement de quotas tandis que la rédaction
adoptée à l'Assemblée nationale autoriserait la
parité là où elle est applicable.
M. Robert Badinter
a estimé qu'avec ou sans
révision de la Constitution, l'équilibre entre les femmes et les
hommes s'inscrirait nécessairement dans la réalité.
M. Daniel Hoeffel
a estimé que l'établissement
de mesures contraignantes relevait de l'idée fausse selon laquelle
l'évolution des moeurs pouvait être organisée par la loi,
considérant à cet égard que des mesures incitatives
seraient préférables.
Il a jugé qu'une législation électorale sur les quotas
contreviendrait à la liberté de choix de l'électeur,
impliquerait un compartimentage de la vie publique et enclencherait le
début d'un processus redoutable, contraire à
l'universalité.
Après avoir estimé qu'une adoption par le Sénat du projet
de loi constitutionnelle sans modification n'aurait pas été
souhaitable,
M. Guy Allouche
a affirmé sa conviction sur le
principe de l'égal accès, s'interrogeant sur la
compatibilité entre une logique philosophique universaliste et une
logique d'action politique.
Considérant qu'une évolution était inéluctable, il
a estimé, s'agissant de la liberté de l'électeur, que
celle-ci se trouvait en fait déjà limitée par le choix des
candidats opéré par les partis politiques.
M. Guy Allouche
, estimant que la loi devait encourager
l'évolution amorcée, a fait valoir cependant qu'un délai
de réflexion supplémentaire serait souhaitable avant de prendre
une position définitive.
M. Michel Duffour
, considérant nécessaire de
modifier la loi et approuvant le texte dans la rédaction adoptée
par l'Assemblée nationale, a indiqué qu'il avait
été sensible aux réserves exprimées par Mme
Elisabeth Badinter, même s'il ne partageait pas son analyse du risque
d'extension que comporterait le projet de loi constitutionnelle.
A
M. Jacques Larché, président
, s'interrogeant
sur l'appréciation que pourrait porter le Conseil constitutionnel saisi
d'une loi électorale ne comportant pas de dispositions favorisant
l'égal accès ou déterminant les conditions de son
organisation,
M. Robert Badinter
a répondu que le
législateur serait tenu de prendre en compte le principe constitutionnel
d'égal accès sans être pour autant tenu d'adopter des
mesures contraignantes.
M. Jacques Larché, président
, constatant
l'unanimité sur la nécessité d'améliorer la
situation présente, a proposé à la commission de prendre
position à l'égard du principe d'une rédaction qui
donnerait au législateur la faculté d'établir des quotas.
Mme Dinah Derycke
a marqué sa préférence
pour un examen des propositions du rapporteur dans l'ordre des articles de la
Constitution auxquels elles se rapportaient. Elle a considéré que
la réflexion sur le projet de loi constitutionnelle devait être
prolongée, le cas échéant par d'autres auditions, et a
indiqué que son groupe ne pourrait participer aux votes à cet
instant.
M. Jacques Larché, président
, a rappelé
que le calendrier des travaux de la commission était tributaire de
l'inscription par le Gouvernement du texte à l'ordre du jour prioritaire
de la séance du 26 janvier.
M. Pierre Fauchon
s'est considéré, pour sa part,
pleinement informé sur une question qui n'était pas nouvelle et a
estimé que, dans ces conditions, la commission pouvait désormais
se prononcer en pleine connaissance de cause sur le problème des quotas
afin de clarifier le débat sur la rédaction.
MM. Luc Dejoie
et
Christian Bonnet
se sont
également déclarés prêts à trancher cette
question.
Après une suspension de séance,
M. Guy Allouche
, observant
que les quotas ne figuraient pas expressément dans le texte, a
demandé qu'il soit d'abord procédé à un vote sur la
mise aux voix du principe d'une rédaction permettant l'instauration de
quotas.
Après que la commission eut accepté de voter sur ce principe,
elle s'est prononcée contre l'adoption d'une rédaction permettant
l'instauration de quotas.
M. Guy Cabanel, rapporteur
, a présenté un
amendement tendant à insérer
avant l'article unique un article
additionnel
mentionnant expressément dans l'article premier de la
Constitution la prohibition de toute discrimination selon le sexe, faisant
valoir que cet amendement serait complémentaire de la
préoccupation de la commission.
Après que
M. Patrice Gélard
eut fait observer
que cette disposition figurait déjà dans le préambule de
la Constitution de 1946, la commission n'a pas retenu cet amendement.
A l'
article unique
(égal accès aux mandats et fonctions),
M. Patrice Gélard
a estimé
préférable une modification de l'article 4 de la
Constitution, puisqu'il concerne le statut des partis politiques, dont la
responsabilité est essentielle en la matière.
M. Guy Cabanel, rapporteur
, prenant acte de la position de
principe adoptée par la commission, a proposé que
l'article 4 soit complété afin, d'une part, de confier aux
partis politiques le rôle de favoriser l'égal accès des
femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions
électives et, d'autre part, de permettre à la législation
sur le financement public des partis politiques de contribuer à la mise
en oeuvre des principes énoncés à l'article 4 de la
Constitution.
M. Guy Cabanel, rapporteur
, a fait valoir que cette
proposition pouvait permettre en outre de limiter le financement des partis
politiques ne respectant pas les principes de la souveraineté nationale
et de la démocratie, auxquels ils sont soumis par l'article 4 de la
Constitution.
A
MM. Nicolas About
et
Charles Jolibois
qui se
préoccupaient de l'étendue du contrôle du Conseil
constitutionnel dans l'hypothèse où le législateur
resterait en deçà de sa compétence,
M. Jacques Larché, président,
a
précisé que les dispositions que
M. Patrice Gélard et M. Guy Cabanel,
rapporteur
,
proposaient d'ajouter à l'article 4 devraient
être conciliées avec son premier alinéa qui dispose que les
partis exercent leur activité librement.
M. Pierre Fauchon
a considéré que, à
défaut de permettre au législateur de moduler ce financement en
fonction de la mise en oeuvre du principe d'égal accès, les
propositions de la commission n'auraient pas une portée suffisante.
Après un large débat, la commission a adopté un
amendement, reprenant la proposition du rapporteur, en limitant la
possibilité de modulation législative du financement public des
partis politiques à la mise en oeuvre du seul principe d'égal
accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et
fonctions électives.
La
commission
a
approuvé
l'
ensemble
du
projet de
loi constitutionnelle
ainsi amendé.