B. DES PROPOSITIONS DIVERGENTES
La
volonté commune d'apporter une réponse à l'insuffisance de
la présence des femmes dans la vie publique ne se traduit pas par
l'unanimité sur la méthode à suivre.
Faut-il prendre des dispositions juridiques -contraignantes et/ou incitatives-
ou convient-il plutôt de laisser les différents acteurs
concernés prendre leurs responsabilités ?
1. Réglementer ou laisser se poursuivre une évolution amorcée ?
La
motivation des femmes ainsi que la manière dont les partis politiques
remplissent leur rôle entrent pour une grande part dans le nombre des
candidatures féminines aux élections.
Il reste à savoir si une évolution naturelle des comportements de
ces acteurs, amorcée depuis quelques années, pourrait apporter
une réponse satisfaisante à la question posée.
a) Le rôle des partis politiques
Dans les
choix qu'ils font pour désigner leurs candidats aux élections,
les partis politiques -quels que soient les critères qu'ils retiennent-
jouent un rôle déterminant dans le niveau de participation des
femmes à la vie politique.
Ce rôle leur est confié par l'article 4 de la Constitution,
selon lequel
" les partis et groupements politiques concourent à
l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité
librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté
nationale et de la démocratie ".
Mme Gisèle Halimi a observé devant votre commission des
Lois que tous les responsables politiques entendus par l'Observatoire de la
parité avaient exprimé leurs regrets de la faible participation
des femmes et elle a estimé que si les partis avaient effectivement mis
en oeuvre les responsabilités qu'ils détenaient de
l'article 4 de la Constitution, la révision constitutionnelle
n'aurait pas été nécessaire.
Depuis quelques années cependant, certains comportements ont
évolué et des règles internes ont été
établies au sein de la plupart des formations politiques.
Cette évolution peut provenir du souhait d'une partie de l'opinion
publique ainsi que de la progression du nombre des adhérentes,
évalué suivant les formations politiques, entre 30 % et
50 % du total des membres
6(
*
)
. Elle peut aussi être
renforcée par un processus de désignation des candidats associant
les adhérents, que certains partis ont adopté.
Des responsables de formations politiques ont exposé, en 1997, devant la
mission commune d'information du Sénat chargée d'étudier
la place et le rôle des femmes dans la vie publique, les règles de
conduite adoptées par leurs partis
7(
*
)
.
Ainsi, le RPR a-t-il opté pour un quota d'un tiers de femmes en position
d'être élues pour les élections au scrutin de liste et pour
la mixité dans l'équipe des candidats, titulaire et
suppléant, aux élections législatives.
Le parti socialiste a fixé un objectif de parité dans ses
statuts, devant se traduire par un équilibre des candidatures dans les
scrutins de liste et par un quota de 30 % de femmes pour les scrutins
uninominaux, en tenant compte des circonscriptions susceptibles d'être
remportées.
Devant l'Observatoire de la parité, en 1996, le parti communiste a
indiqué qu'il entendait réserver aux femmes, dans les scrutins de
liste, un pourcentage de sièges tendant fortement vers la parité
et, pour les élections législatives, 30 % de candidates dans
des circonscriptions susceptibles d'être remportées.
L'UDF a, pour sa part, rappelé ses propositions de loi tendant à
limiter à deux tiers le maximum de candidats d'un même sexe
figurant sur une liste.
Certaines formations écologistes ont adopté le principe de
parité et ont présenté, dès les élections
européennes de 1989, des listes sur lesquelles alternent des femmes et
des hommes.
Lors des élections européennes de 1994, six listes ont
été paritaires ou quasiment paritaires
8(
*
)
.
A en juger par la progression manifeste du nombre des candidates et de celui
des élues, lors des dernières consultations électorales,
déjà analysée par votre rapporteur, les mesures prises par
les partis eux-mêmes commencent à produire des effets.
On rappellera que les dispositions plus volontaristes adoptées par les
formations politiques dans les pays nordiques -dont les
spécificités de la société et les régimes
électoraux ne sont pas comparables- ont permis un taux de
présence plus important des femmes dans les assemblées
parlementaires (37,6%).
b) Des opinions féminines partagées
A la
différence des promoteurs du projet de loi, certains auteurs ont
douté de l'opportunité de mesures juridiques contraignantes en la
matière.
Ainsi, Mme Elisabeth Badinter a-t-elle écrit son
" désaccord de citoyenne "
qui
" se double de
l'indignation de la féministe "
et son "
profond
sentiment d'humiliation "
, s'il fallait "
nous imposer par la
contrainte constitutionnelle. Et si cela devait arriver, comment jamais
être sûres que nous serions à tel ou tel poste par l'effet
de notre compétence ? "
9(
*
)
Devant votre commission des Lois, Mme Evelyne Pisier a partagé ce
malaise, marquant sa préférence pour une modification de
l'article 4 de la Constitution consacré aux partis et
s'étonnant que le Gouvernement n'agisse pas davantage pour
féminiser la haute fonction publique au travers des nominations
discrétionnaires.
10(
*
)
En tout état de cause, la participation des femmes à la vie
publique est, à l'évidence, en partie liée à leur
capacité de choix personnel, par définition difficile à
mesurer et qui dépend d'un ensemble de facteurs sociologiques,
économiques et psychologiques. Pour les femmes, comme pour les hommes,
la capacité de se porter candidat dépend aussi du statut de
l'élu, de la profession exercée, des aides apportées
à la famille, de la gestion du temps parlementaire.
Leur intérêt pour la vie politique peut cependant être
évalué par leur participation aux scrutins
11(
*
)
, par la progression du nombre des
candidates aux élections (voir ci-dessus) et par leur engagement dans
les partis politiques (la proportion des adhérentes étant
estimée, selon les formations, entre 30 % et 50 %).
Votre commission des Lois estime que, dans ce domaine, il appartient d'abord
aux partis politiques de remplir le rôle que leur a confié la
Constitution, en suivant la ligne de conduite volontariste qu'ils se sont
donnée.
Elle considère cependant que, pour parvenir à des
résultats significatifs dans des délais raisonnables, les efforts
des partis politiques pourraient être encouragés par un dispositif
juridique les plaçant en situation égale et leur permettant
d'assumer le risque électoral de la présentation de nouveaux
candidats.
A cet effet, plusieurs solutions étaient envisageables, les unes
à caractère incitatif, les autres étant plus
contraignantes.
2. Prendre des dispositions contraignantes ou des mesures incitatives ?
Différentes mesures incitatives ont été proposées pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Celles-ci portent en particulier sur le fonctionnement des partis politiques (modulation du financement public en fonction de la proportion de candidatures féminines) ou sur d'autres mesures d'accompagnement (mode de scrutin, statut de l'élu, incompatibilités).
a) Le financement public des partis politiques
La
modulation du financement public des partis politiques en fonction de la
proportion des candidatures féminines est présentée, soit
comme une alternative à la parité (ou aux quotas), soit comme une
proposition complémentaire.
Cette incitation financière à la présentation de
candidatures féminines ne remettrait pas en cause le principe du mandat
représentatif et comporterait donc moins de risques à cet
égard que l'instauration de la parité.
Elle devrait rester suffisamment modérée pour ne pas
" compromettre l'expression démocratique des divers courants
d'idée et d'opinion "
, selon la jurisprudence établie
par la décision du Conseil constitutionnel du 11 janvier 1990
(n° 271-DC) sur la loi relative à la limitation des
dépenses électorales.
Pour ne pas accroître le montant global des aides, il pourrait être
envisagé de conditionner l'attribution d'une part (à
déterminer) des aides existantes à la présence d'un taux
minimum de candidates.
Il a été imaginé par M. Guy Carcassone de
limiter l'aide attribuée sur ce critère aux seules majorations
annuelles de ces subventions, ce qui aurait pour effet de ne pas affecter les
critères d'attribution des subventions actuellement versées et
d'accroître progressivement l'effet de la mesure.
Avec d'autres auteurs, M. Georges Vedel s'est interrogé sur la
conformité des dispositions de cette nature avec l'article 4 de la
Constitution, selon lequel les partis et groupements politiques
" se
forment et exercent leur activité librement "
.
La question pourrait en effet se poser de savoir si la modulation du
financement ne mettrait pas en cause sa neutralité, dans la mesure
où l'aide de l'Etat se trouverait conditionnée par un
comportement déterminé des partis et groupements et
compromettrait leur liberté d'action reconnue par l'article 4 de la
Constitution.
L'obstacle constitutionnel éventuel pourrait être levé
par une modification de la Constitution.
En opportunité, le lien entre financement public et présentation
de candidatures féminines est parfois perçu comme une
manière
" d'acheter "
la participation des femmes aux
scrutins.
Devant votre commission des Lois, Mme le Garde des Sceaux a indiqué sa
préférence pour un système de pénalisation des
partis les moins actifs en ce domaine plutôt que pour un système
de primes.
Mme Gisèle Halimi a observé devant votre commission des Lois
qu'une proposition de modulation du financement public n'avait
été émise par l'Observatoire de la parité que dans
l'hypothèse où l'inscription de la parité dans la
Constitution ne serait pas retenue. Elle ne s'est donc pas opposée au
principe de cette formule.
En complétant l'article 3 de la Constitution, le présent
projet donnerait mission à la loi de
" favoriser l'égal
accès "
-texte du projet initial- ou de
" déterminer les conditions dans lesquelles est organisé
l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats
électoraux et fonctions électives "
-texte adopté
par l'Assemblée nationale-, versions interprétées par le
Gouvernement comme autorisant le législateur à adopter des
mesures d'incitation financière.
Votre commission des Lois considère cependant que, indépendamment
de l'opportunité qu'il y aurait -ou non- de modifier l'article 3 de
la Constitution, cette interprétation n'est pas absolument certaine.
En effet, les conditions d'organisation de l'égal accès aux
mandats et fonctions doivent aussi être conformes au principe
constitutionnel de liberté des partis, consacré par
l'article 4 de la Constitution.
Il apparaît donc nécessaire de réviser l'article 4
de la Constitution si l'on souhaite moduler le financement des partis dans des
conditions juridiques incontestables.
Enfin, la modulation du financement public pourrait être entendue comme
une disposition provisoire qui, à l'issue d'un délai à
déterminer, cesserait d'être appliquée.
b) Le mode de scrutin
Selon
Mme le Garde des Sceaux, pour les scrutins de liste, des mesures
contraignantes, des quotas éventuellement, ne poseraient aucune
difficulté.
Il est parfois avancé que le passage au scrutin de liste suffirait pour
favoriser l'élection de femmes peu présentes à l'issue des
scrutins uninominaux.
Pourtant, ce phénomène n'a pas joué, par exemple, en
faveur des femmes lors des élections législatives de 1986,
organisées au scrutin proportionnel (24,7% de candidates et 5,9 %
d'élues).
Il serait donc préjudiciable de remettre en cause, pour un tel objectif,
un mode de scrutin qui garantit une majorité de gouvernement.
La généralisation du scrutin proportionnel a aussi
été présentée comme indispensable à la mise
en oeuvre de la parité.
Certes, pour cette mise en oeuvre dans les scrutins uninominaux, trois
hypothèses pourraient être envisagées :
- l'obligation pour le titulaire de choisir un suppléant de sexe
différent ;
- le doublement du nombre des circonscriptions et le partage de celles-ci entre
candidats de sexe différent, mais on imaginerait mal un effectif de
l'Assemblée nationale supérieur à celui du Parlement
européen ;
- le groupement des circonscriptions deux par deux, avec présentation de
listes paritaires composées de deux candidats titulaires et de deux
candidats suppléants élus au scrutin majoritaire, avec ou sans
possibilité de panachage.
Le nombre impair de circonscriptions dans certains départements
conduirait à un nouveau découpage de celles-ci et,
peut-être, à une légère augmentation du nombre des
sièges à pourvoir.
La première solution ne garantissant pas l'objectif fixé et les
deux autres paraissant complexes, la question s'est posée de savoir si
l'inscription de la parité dans la Constitution ne serait pas le
prélude d'un projet de modification du mode de scrutin des
élections législatives et cantonales.
L'hypothèse de l'institution du scrutin proportionnel pour faciliter
la mise en oeuvre de la parité a été démentie par
le Premier
ministre
:
" Cette révision
constitutionnelle n'est, aux yeux du Gouvernement et à mes yeux, en
aucune façon conçue comme un moyen ou comme un prétexte
à une modification des modes de scrutin, et tout particulièrement
du mode de scrutin législatif (...) Si nous devions avoir un
débat sur les modes de scrutin, il serait d'une autre nature. Le
Gouvernement, à cet égard, n'a pas de projet. "
(JO
débats AN, séance du 9 décembre 1998,
p. 10235).
La loi ordinaire pourrait limiter le champ de l'application de la parité
aux élections à scrutin de liste.
L'effet d'entraînement qui pourrait en résulter pour les
élections à scrutin uninominal, ainsi qu'une modulation du
financement public des partis politiques, liée à la
présentation de candidates dans les scrutins uninominaux, pourraient
ensuite produire les résultats escomptés.
Dans cette hypothèse, parité et modulation du financement public
apparaîtraient comme deux dispositions complémentaires.
Telle semble bien être l'intention du Gouvernement,
Mme Elisabeth Guigou, ministre de la Justice, ayant indiqué
à l'Assemblée nationale que
" pour les scrutins
uninominaux, le législateur pourra inciter à la
réalisation de la parité par la modulation du financement public
des partis politiques "
.
Devant votre commission des Lois, elle a précisé que le
Gouvernement privilégiait une formule qui pénaliserait les partis
politiques ne répondant pas à l'objectif de parité. Mme
Elisabeth Guigou, ministre de la justice, n'a cependant pas
écarté l'hypothèse selon laquelle une proposition de loi
tendant à appliquer la parité aux scrutins uninominaux pourrait
être déposée à l'Assemblée nationale et
débattue lors des journées d'initiative parlementaire.
On rappellera que la loi relative à l'élection des conseillers
régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au
fonctionnement des conseils régionaux prévoyait que, pour ces
élections au scrutin de liste à la proportionnelle avec prime
majoritaire,
" chaque liste assure la parité entre candidats
féminins et masculins "
mais cette disposition a
été annulée par le Conseil constitutionnel dans sa
décision précitée du 14 janvier 1999.
c) Les autres mesures d'accompagnement
L'amélioration du
statut de l'élu
pourrait
encourager la participation des citoyens à la vie publique, et donc
bénéficier en particulier aux femmes.
La réforme de la législation sur les
incompatibilités
, en instance de deuxième lecture à
l'Assemblée nationale, est présentée par ses auteurs comme
susceptible, notamment, de faciliter le renouvellement des candidatures et la
présence des femmes dans les assemblées.