INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
La maladie d'Alzheimer est aujourd'hui considérée comme la
première cause de démence et de perte d'autonomie
sévère de la personne âgée.
Elle touche environ 350.000 personnes dans notre pays tandis que 60 à
70.000 nouveaux cas se manifestent chaque année. Elle concernerait deux
millions de personnes aux Etats-Unis, un million au Japon et trois millions en
Europe. Compte tenu du vieillissement prévisible de la population des
pays industrialisés, ces chiffres sont en outre amenés à
croître fortement dans les prochaines années.
Affection frappant essentiellement les personnes âgées, la maladie
d'Alzheimer voit sa fréquence augmenter avec l'âge : elle
atteint ainsi 3 % des personnes âgées de 70 ans, 7 % des
75 ans, 17 % des 80 ans et 29 % des 85 ans et plus
1(
*
)
. Elle frappe en outre parfois des
personnes plus jeunes.
Problème majeur de santé publique, la maladie d'Alzheimer
constitue également un véritable fléau social.
Cette affection place en effet les personnes qu'elle frappe en situation de
grande dépendance, impose une prise en charge lourde et rend difficile,
sinon impossible, le maintien à domicile à moyen terme. 70 %
des personnes âgées entrent ainsi en institution pour des troubles
démentiels mettant en cause gravement leur sécurité dans
leur propre logement.
Dramatique pour le malade, cette maladie affecte également tout
l'environnement familial, le plongeant dans la détresse morale,
l'épuisement et une solitude extrême, surtout dans les phases
tardives où le malade nécessite une surveillance constante.
Le maintien à domicile trouve vite ses limites : la charge
-croissante et permanente- qui pèse sur les familles conduit souvent
à l'épuisement. En établissement, la prise en charge
n'apparaît pas toujours adaptée : la cohabitation avec les
autres personnes âgées se révèle impossible,
l'architecture des structures intègre rarement les contraintes propres
à l'hébergement de ces malades.
La prise en charge des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de
troubles apparentés se traduit de surcroît par un coût
financier très important, largement supérieur à celui
qu'engendrent les autres formes de dépendance.
Au moment où commence l'année 1999, année internationale
des personnes âgées, votre rapporteur a considéré
que les pouvoirs publics ne pouvaient se désintéresser des
problèmes posés par la prise en charge des personnes atteintes de
maladies dégénératives de type Alzheimer.
Partageant la conviction exprimée par M. Bernard Kouchner,
Secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale,
que
" notre pays ne fait pas face à cette affection, qui
engendre bien des malheurs dans les familles et suscite un désarroi
très profond "
2(
*
)
,
votre rapporteur a
été amené à déposer la proposition de loi
n° 210 relative à l'amélioration de la prise en charge
des personnes atteintes de démence sénile et, en particulier, de
la maladie d'Alzheimer.
La présente proposition de loi a donc pour objet d'élaborer un
dispositif d'ensemble cohérent, bien que modeste, afin d'apporter une
première réponse aux besoins croissants qu'engendre le nombre,
toujours plus important, des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et
de troubles apparentés.
Soucieux de couvrir l'ensemble des maladies
neurodégénératives, votre rapporteur a choisi
d'élargir le champ d'application de cette proposition de loi aux
troubles apparentés à la maladie d'Alzheimer.
Cette proposition de loi ne vise nullement à morceler la politique en
faveur des personnes âgées ou à introduire un traitement
privilégié de certaines pathologies et de certains malades ;
elle s'efforce simplement de mieux répondre aux difficultés
particulières que soulèvent la maladie d'Alzheimer et les
troubles apparentés.
Elle se caractérise par une triple approche : une meilleure
connaissance de l'enjeu de santé publique et de politique sociale que
représentent ces maladies, l'amélioration de la formation des
médecins et des intervenants à domicile, et des dispositions
financières visant à assurer une meilleure prise en charge des
malades et de leurs familles.
Les travaux que votre rapporteur a consacré à cette proposition
de loi l'ont amené à formuler de surcroît un certain nombre
de propositions qui dépassent le cadre de ce texte et qui pourraient
constituer les axes d'une véritable politique publique de prise en
charge des personnes atteintes de ces affections.
I. LA MALADIE D'ALZHEIMER : UN ENJEU MAJEUR DE SANTÉ PUBLIQUE ET UN FLÉAU SOCIAL
A. UN ENJEU MAJEUR DE SANTÉ PUBLIQUE
La
maladie d'Alzheimer a été désignée jusqu'à
des années récentes sous différentes appellations :
démence sénile, présénile ou précoce,
maladie d'Alzheimer ou démence de type Alzheimer.
Cette profusion terminologique découlait d'une conception erronée
du vieillissement cérébral. Les cliniciens considéraient
que la dégradation progressive des fonctions cognitives et la
sénilité étaient un mode de vieillissement
" naturel " lié à l'âge. Les recherches
entreprises ont montré que cette approche était
erronée : la maladie d'Alzheimer n'est pas le résultat du
vieillissement, elle constitue une véritable maladie dont la
fréquence d'apparition augmente avec l'âge.
Plusieurs conférences internationales de consensus ont aujourd'hui
entériné le terme unique de maladie d'Alzheimer.
Désormais, le terme de maladie d'Alzheimer réunifie les
différentes appellations et celui de démence sénile est
progressivement abandonné
3(
*
)
.
Si le terme de " maladie d'Alzheimer " est aujourd'hui largement
utilisé par l'opinion publique et les médias, il existe cependant
d'autres maladies dégénératives moins connues, telles que
les dégénérescences frontotemporales (DFT) et la
démence à corps de Lewy, qui ont longtemps été
confondues avec la maladie d'Alzheimer et dont les manifestations sont aussi
dramatiques.
Soucieux de couvrir l'ensemble de ces affections, votre rapporteur a
souhaité inclure ces troubles apparentés dans le champ
d'application de la proposition de loi, laquelle porte par conséquent
sur la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de
troubles apparentés.
Par coordination, la commission a adopté l'utilisation de cette
terminologie dans l'ensemble des articles et dans le titre de la
présente proposition de loi.
1. Une démence dégénérative et irréversible
La
maladie d'Alzheimer porte le nom du Dr Alois Alzheimer qui décrivit pour
la première fois, le 4 novembre 1906, lors de la
37
ème
Conférence des psychiatres allemands
à Tübingen, ce type de démence
4(
*
)
.
Au cours de cette conférence, le Dr Alzheimer évoque une patiente
nommée Auguste D., âgée de 51 ans et habitant Francfort,
qui souffrait d'une dégradation progressive de ses facultés
cognitives, d'hallucinations, de confusion mentale et d'une inaptitude
psychosociale. L'autopsie du cerveau avait révélé des
plaques, des enchevêtrements neurofibrillaires et des lésions
d'athérosclérose. L'éponyme Alzheimer, utilisé
à l'origine pour qualifier la démence présénile,
fut employé ensuite pour décrire plus généralement
les démences primaires : la démence sénile de type
Alzheimer
5(
*
)
.
La maladie d'Alzheimer associe un syndrome démentiel et des
lésions cérébrales caractéristiques. La maladie
débute par des troubles de la mémoire épisodique
6(
*
)
, qui résultent d'une
incapacité à enregistrer, à fixer des informations
nouvelles de nature autobiographique. Ces troubles peuvent être
méconnus ou sous-estimés en raison de la tolérance de
l'entourage et d'une compensation des déficits par le patient qui,
encore conscient de ses difficultés, s'aide en notant ses rendez-vous ou
les courses à faire. Apparaît ensuite un manque du mot, ainsi que
des difficultés d'attention et de mémoire de travail
7(
*
)
, attestant de l'extension des
lésions vers le cortex associatif, ces dernières entraînant
une diminution des capacités conceptuelles et de jugement. Le patient
devient alors plus indifférent à ses troubles et incapable de les
compenser. C'est à ce stade qu'il commence à être plus
dépendant d'un entourage qui prend alors conscience de ses
difficultés
8(
*
)
.
Enfin, le tableau clinique s'aggrave, car apparaissent progressivement les
perturbations de fonctions spécifiques, dites instrumentales (langage,
activités gestuelles, identification des objets). Le discours
spontané est de moins en moins informatif et souvent incohérent,
la compréhension s'altère, l'expression écrite devient
inintelligible, le patient a de plus en plus de difficultés à
réaliser les gestes de la vie courante et se renferme socialement. Une
agitation et des préoccupations délirantes peuvent
apparaître, compliquant les relations avec l'entourage.
Avec l'accentuation de la dépendance, le maintien à domicile peut
alors poser de grandes difficultés. Le décès survient
généralement après sept ans d'évolution de la
maladie.
2. Un diagnostic difficile
Paradoxalement, alors que la maladie d'Alzheimer a
été
bien décrite dès 1907, il a fallu attendre la fin des
années 1980 pour disposer de chiffres permettant de cerner, encore
imparfaitement, l'ampleur du phénomène. Pour comprendre les
difficultés de ce qui pourrait sembler une simple opération de
comptabilité, il faut savoir qu'il est difficile de bien repérer
les cas de démences dans une population et de différencier ceux
liés à une maladie d'Alzheimer
9(
*
)
.
Le diagnostic de la maladie d'Alzheimer est en effet difficile à
établir. A son début, la maladie peut être confondue avec
la plainte mnésique, très fréquente au-delà de 50
ans, et qui résulte de la prise de conscience par le sujet d'une
diminution de ses capacités de mémorisation dans la vie
quotidienne.
Etre dément c'est, selon une des classifications les plus
utilisées, le DSMIII-R
10(
*
)
, présenter une
altération importante des fonctions cognitives, entraînant une
perte d'autonomie dans les activités de la vie quotidienne.
Il est cependant parfois difficile de situer la limite entre un trouble de la
mémoire isolé et un véritable début de
démence. Les outils permettant le diagnostic sont complexes et, sans
mettre en place une enquête spécifique, on ne peut facilement
savoir si un sujet est victime d'une démence. Une fois le diagnostic
posé, il faudra procéder à des examens plus poussés
pour déterminer si la démence est due à une maladie
d'Alzheimer ou à une autre étiologie
11(
*
)
, notamment à une démence
d'origine vasculaire.
Dans un centre de neurologie spécialisé, des tests
psychométriques et des analyses complémentaires permettront de
dire s'il s'agit d'une maladie d'Alzheimer possible ou d'une autre maladie.
Mais il n'y a aucun test, ni aucun examen simple et sûr pour
diagnostiquer la maladie d'Alzheimer. Le diagnostic de maladie d'Alzheimer
probable sera prononcé lorsque l'on aura éliminé toutes
les autres pathologies possibles (vasculaire ou dépressive par exemple)
et que le patient aura au moins une perte du langage (aphasie), de la
stratégie des mouvements (apraxie) ou de la reconnaissance visuelle
(agnosie) en plus des pertes de mémoire.
Il n'existe pas encore de marqueur biologique spécifique qui permette un
diagnostic positif de la maladie d'Alzheimer. Seule une autopsie mettant en
évidence les lésions cérébrales spécifiques
permet de diagnostiquer avec certitude la maladie. En effet, le
neuropathologiste donnera ce diagnostic s'il observe les deux types de
lésions caractéristiques de la maladie : les plaques
séniles et la dégénérescence neurofibrillaire. Ces
lésions sont observées dans la plupart des régions
cérébrales.
Cette difficulté de diagnostic rend indispensable une formation
adaptée du corps médical.
3. L'absence de traitement curatif
L'origine de la maladie d'Alzheimer est encore inconnue et il
n'existe actuellement aucun médicament permettant de guérir cette
maladie.
La tacrine, médicament à visée symptomatique, demeure le
seul traitement disponible. Ce médicament agit en s'opposant à la
dégradation d'un neurotransmetteur, l'acétylcholine, dans le
cerveau et vise à accroître les performances cognitives des
malades. Il ne guérit pas mais améliore les performances de
certains patients. Il n'est pas efficace chez tous les malades et sa
prescription exige, en raison de certains effets toxiques sur le foie, une
surveillance étroite du patient.
La recherche actuelle s'oriente vers le diagnostic précoce et les moyens
d'affiner celui-ci. L'idée est, dans son principe, simple :
chercher des moyens de diagnostic précoce de la maladie à ses
débuts afin de ralentir voire d'empêcher par des
médicaments la formation des plaques séniles.
Afin de lutter le plus efficacement contre la maladie d'Alzheimer et les
troubles apparentés, il importe en effet de repérer et de
reconnaître suffisamment tôt ces affections et de les prendre en
charge quand leur stabilisation est encore susceptible d'intervenir. Certaines
pistes sont aujourd'hui explorées afin de prévenir l'apparition
de ces pathologies, telles que le traitement hormonal substitutif de la
ménopause et la lutte contre l'hypertension artérielle. Il
apparaît en outre qu'il sera sans doute possible à terme de
repérer très précocement les sujets à risques et de
mettre en oeuvre à leur bénéfice une prévention
appropriée.
Dans un contexte de vieillissement des populations des pays
développés, on conçoit l'importance de la recherche qui,
seule, peut faire progresser le diagnostic et découvrir des traitements
préventifs et curatifs. Un neurologue américain a calculé
que le simple fait de reculer de cinq années l'apparition des signes
cliniques permettrait de réduire de près de 50 % le nombre
de cas.
Le développement récent des consultations de la mémoire a
grandement facilité la mise en place de stratégies de
dépistage. En effet, un nombre croissant de personnes en bonne
santé s'inquiètent de troubles de la mémoire et viennent
en consultation dans ces structures spécialisées alors qu'elles
ne se seraient pas rendues dans des services de gériatrie ou de
neurologie.
Ces consultations permettent de détecter à un stade très
en amont des personnes présentant des troubles encore mineurs mais qui
risquent de développer une démence quelques années plus
tard.
4. Une croissance prévisible du nombre des malades
Les
difficultés de diagnostic expliquent en partie qu'on ne puisse pas
donner directement le nombre de sujets touchés par la maladie
d'Alzheimer en France. Il faut estimer ce chiffre à partir
d'enquêtes où l'on a recherché pour un groupe de sujets
s'il existait ou non une démence et quelle en était la
cause.
12(
*
)
Pour être exhaustive, cette recherche doit s'effectuer auprès des
personnes vivant à domicile et dans les institutions médicales
pour personnes âgées ou dans les services de long séjour.
En France, depuis 1988, une vaste étude longitudinale
13(
*
)
sur le vieillissement, baptisée
PAQUID, a été mise en place en Aquitaine par le
Pr. Jean-François Dartigues (Inserm, U330, Bordeaux). Ce travail
porte sur un échantillon représentatif des sujets vivant dans
cette région, suivis maintenant depuis plus de huit ans. Il permet de
disposer de données de prévalence
14(
*
)
(nombre de cas présents) et
d'incidence
15(
*
)
(nombre de
nouveaux cas par an) pour les démences et la maladie d'Alzheimer.
Au niveau européen un groupe de recherche, intitulé EURODEM, a
rassemblé les données obtenues entre 1980 et 1990 dans douze
lieux d'enquêtes, incluant les résultats recueillis auprès
de la population française. Les chiffres de prévalence des
démences issus de l'étude européenne montrent que leur
fréquence augmente avec l'âge : elles atteignent moins de 2 %
d'Européens entre 65 et 69 ans, plus de 30 % après
90 ans. Selon les études, 50 à 70 % de ces
démences sont à mettre au compte de la maladie d'Alzheimer.
Globalement, dans la population européenne âgée de 65 ans
et plus, la prévalence de la maladie d'Alzheimer est voisine de
3 %. Plus précisément, si moins de 1 % des
Européens sont touchés entre 65 et 70 ans, au-delà de
85 ans ils sont environ 15 %. Un des éléments les plus
marquants révélés par ces chiffres est l'allure quasi
exponentielle de l'augmentation des pourcentages avec l'âge. Les
différences entre les deux sexes sont peu marquées, même si
on note une fréquence un peu plus élevée chez les femmes,
probablement à cause de leur plus grande longévité (huit
ans de plus que les hommes). Les analyses les plus récentes
suggèrent que l'augmentation de la prévalence en fonction de
l'âge est moins rapide après 90 ans, la courbe semblant
même amorcer un plateau
16(
*
)
.
Si l'on applique les chiffres de l'analyse européenne aux données
démographiques françaises actuelles, on peut évaluer le
nombre total de démences en France, toutes causes confondues, à
580.000. Avec les estimations de l'étude PAQUID, ce nombre tombe
à environ 300.000. Une fourchette large qui montre à quel point
il est délicat d'estimer l'ampleur du drame humain que
représentent ces pathologies.
Deux facteurs pèsent sur ce chiffre de prévalence : la
durée de la maladie et le nombre de cas qui apparaissent tous les ans,
dits cas incidents. D'après les données de l'étude PAQUID
et en se basant sur notre situation démographique actuelle, on peut
évaluer ces cas incidents à environ 100.000 par an. Mais pour
2020, les projections deviennent encore plus alarmantes. Si l'on admet
-hypothèse a priori plutôt optimiste- que la baisse de la
mortalité va se poursuivre au même rythme que ces dernières
années, plus de 200.000 nouveaux cas de démence pourraient
apparaître tous les ans en 2020, dont 50.000 parmi les plus de
90 ans. Ces chiffres ne sont toutefois que des estimations.
A l'évidence, comme le souligne Mme Janine Cayet dans son rapport au
Conseil économique et social
17(
*
)
,
" l'estimation de l'ampleur
de la population concernée demeure entachée
d'incertitude ".
Un élément est toutefois certain : le nombre des personnes
malades ne peut qu'augmenter dans les prochaines années, en raison du
vieillissement de la population.
L'allongement très significatif de l'espérance de vie dans nos
sociétés industrialisés est l'un des faits marquants du
siècle qui s'achève. En un siècle, l'espérance de
vie en France s'est ainsi globalement accrue de 25 ans : elle
s'élève aujourd'hui à 73 ans pour les hommes et 82 ans
pour les femmes.
Selon l'INSEE, les plus de 70 ans représenteront en 2050 plus de
11 millions d'individus. La population âgée de plus de 90 ans
, à peine supérieure à 240.000 en 1990,
s'établirait en 2050 à 2 millions de personnes, dont 700.000 de
plus de 95 ans. Il y avait 3.000 personnes de plus de 90 ans en 1930, 70.000 en
1995 et vraisemblablement 700.000 en 2015.
Ce vieillissement de la population s'accompagne naturellement d'une
augmentation des pathologies liées à l'âge, au premier rang
desquelles figurent les démences et en particulier la maladie
d'Alzheimer. Le nombre de personnes susceptibles de développer des
pathologies mentales liées à l'âge serait multiplié
par 6 d'ici 2050.
Le vieillissement de la population ne s'accompagnera pas pour autant d'une
augmentation parallèle des pathologies liées à
l'âge. Si le nombre de personnes exposées au risque de
dépendance va croître de manière importante dans les
prochaines années, il est difficile d'évaluer aujourd'hui
l'état de santé futur de ces personnes. Il est en effet
très probable que les Français vivront de plus en plus longtemps
et en meilleure santé que les générations actuelles.
De très nombreux travaux ont montré que l'élévation
de l'espérance de vie ne s'accompagnait pas d'un accroissement
parallèle du handicap. Une étude récente
18(
*
)
montre que si l'espérance de
vie a progressé de 2,5 années entre 1980 et 1990,
l'espérance de vie sans incapacité s'est accrue
parallèlement de 3 ans pour les hommes et de 2,7 ans pour les
femmes : chaque année d'espérance de vie gagnée le
serait sans incapacité.
Toutefois, si le taux de prévalence de pathologies mentales lourdes
liées à l'âge est susceptible de régresser à
l'avenir, le nombre de personnes concernées ne peut, dans une population
de personnes âgées qui augmente de façon importante, que
s'accroître sensiblement.
B. UN FLÉAU SOCIAL
1. La nécessité d'une surveillance constante de la personne malade
La prise
en charge -en institution ou à domicile- d'une personne
âgée démente soulève des problèmes tout
à fait particuliers. Ce constat a été souligné avec
force par l'ensemble des personnes que votre rapporteur a été
amené à auditionner.
La personne âgée souffrant de la maladie d'Alzheimer ou de
troubles apparentés ne constitue généralement plus un
interlocuteur fiable ; elle n'est pas en état de jouer un
rôle dans sa prise en charge et d'émettre un jugement ou une
appréciation sur celle-ci. Il revient par conséquent à la
famille de décider pour la personne âgée, ce qui constitue
souvent une épreuve difficile.
La personne âgée démente peut en revanche jouer un
rôle de " perturbateur ". La détérioration
mentale s'accompagne souvent de troubles du comportement (fugue, violence
à l'égard des proches, dangerosité...) qui peuvent prendre
des proportions importantes surtout lorsque les capacités physiques sont
conservées. Ainsi, non seulement la personne démente ne va pas
collaborer mais elle va parfois résister et s'opposer aux mesures
permettant d'assurer sa prise en charge.
Au sein des démences, la maladie d'Alzheimer présente en outre
des caractéristiques particulières de désorientation,
d'errance et d'agressivité. Elle nécessite, à un stade
avancé, une surveillance constante du malade. Elle est en cela
différente des formes de dépendance physique très lourdes
où la présence d'un tiers n'est pas indispensable de
manière permanente.
Il convient de rappeler à cet égard que la lourdeur de la prise
en charge n'est pas liée à la lourdeur du handicap.
Si un traitement précoce permet de stabiliser voire de retarder
l'évolution des détériorations du malade, un soutien suivi
des proches est indispensable tant est importante la charge, aussi bien
physique que psychique, qui pèse sur la famille et l'entourage
proche.
2. Une prise en charge très coûteuse
La
maladie d'Alzheimer et les troubles apparentés sont des affections
particulièrement lourdes et coûteuses tant pour la famille et
l'entourage proche que pour l'ensemble des structures intervenant à
chaque étape de la prise en charge. Il convient, en effet, de prendre en
compte l'ensemble des dépenses de santé relatives aux soins
à prodiguer aux patients (thérapeutique, ergothérapie,
kinésithérapie, coût engendré par l'aggravation des
pathologies associées, soins à domicile ou en institution...)
mais aussi le coût social du patient lié à la
dépendance (aide ménagère, auxiliaire de vie, prestations
spécifiques...).
A ces dépenses, il conviendrait d'ajouter les coûts connexes et
difficilement quantifiables liés, par exemple, aux arrêts de
travail de l'entourage, au soutien psychologique, voire médical, dont il
peut avoir besoin.
Un certain nombre de dispositifs permettent d'alléger le coût
financier, pour les malades et leurs familles, de cette prise en charge.
Ces affections sont reconnues comme " affections de longue
durée " (ALD) entraînant l'exonération du ticket
modérateur. Les soins en rapport avec la pathologie concernée
sont pris en charge en totalité, que ce soit pour le court ou le moyen
séjour hospitalier (hors forfait hôtelier), ou à domicile
par les intervenants libéraux.
En institution, les " forfaits soins " de section de cure
médicale ou de service de soins de longue durée ne comportent pas
de ticket modérateur, de même que les prestations des services de
soins infirmiers à domicile.
Afin de faire face aux frais entraînés, soit par le maintien
à domicile, soit par l'hébergement en institution, des
prestations peuvent être versées : l'allocation compensatrice pour
aide d'une tierce personne (ACTP) peut être attribuée par les
COTOREP et versée par les départements pour les personnes de
moins de soixante ans, quelle que soit l'origine de leur dépendance.
La prestation spécifique dépendance (PSD), instituée par
la loi 97-60 du 24 janvier 1997, est attribuée par les
départements aux personnes de plus de soixante ans, en fonction de leur
niveau de dépendance. Les personnes atteintes de
détérioration intellectuelle qui sont parmi les plus
dépendantes, ont vocation à bénéficier, dans le
cadre de cette prestation, des plus importants volumes d'aide.
Des exonérations d'impôt ou de charges sociales et des
déductions fiscales sont également possibles.
Au titre des frais d'hébergement, une réduction d'impôt
égale à 25 % des sommes versées dans la limite de
15.000 francs, est accordée pour les personnes de plus de
soixante-dix ans résidant dans une maison de retraite avec section de
cure médicale ou en service de soins de longue durée.
En outre, est totalement exonérée de cotisations sociales
patronales la rémunération d'une aide à domicile par des
personnes titulaires de l'ACTP ou de la majoration pour tierce personne, ou
remplissant les conditions de degré de dépendance pour
l'obtention de la PSD, ou obligées de recourir à l'aide d'une
tierce personne pour les actes ordinaires de la vie et titulaires d'une pension
d'invalidité ou d'un avantage vieillesse. La même
exonération est applicable aux rémunération des aides
à domicile employées par des associations
19(
*
)
.
Il existe de plus une déductibilité fiscale de 50 % des
sommes versées pour emploi à domicile, dans la limite de 45.000
francs par an, plafond porté à 90.000 francs pour les personnes
titulaires d'une pension d'invalidité de
3
ème
catégorie.
Enfin, si la personne ne peut s'acquitter des frais d'hébergement en
institution, elle peut demander à bénéficier de l'aide
sociale telle que prévue par le code de la famille et de l'aide sociale.
Ce dernier dispositif s'applique indépendamment de l'âge, mais
fait appel à l'obligation alimentaire et au recours sur succession.
Si ces dispositifs légaux permettent certes d'alléger la charge
financière pesant sur les malades et leurs famille, ils n'apparaissent
cependant pas suffisants pour faire face aux dépenses qu'entraîne
la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de
troubles apparentés.
La prise en charge des personnes victimes de ces affections se traduit en effet
par un coût financier très important, largement supérieur
à celui qu'engendrent les autres formes de dépendance. La maladie
d'Alzheimer et les troubles apparentés génèrent ainsi des
coûts faibles en matière de soins et des coûts très
élevés en matière de garde du malade.
L'hébergement en maison de retraite médicalisée a un
coût généralement compris entre 10.000 et 20.000 francs
mensuels. A domicile, la nécessité d'assurer une surveillance
constante des personnes malades oblige les personnes en charge de la garde
à se relayer et engendre également des coûts très
importants.
Cette charge financière considérable repose bien souvent sur les
seules familles.
3. Les limites du maintien à domicile et l'inadaptation de l'offre d'accueil en institution
Pour l'essentiel, c'est actuellement sur la famille et
l'entourage que repose la prise en charge du malade dont l'état se
dégrade progressivement et inexorablement. Cette prise en charge
permanente constitue un fardeau particulièrement lourd pour les
familles, qui ne peuvent que trop rarement recourir à des formules
d'accueil ou d'hébergement temporaires.
A partir d'un certain stade de la maladie, le maintien à domicile
devient impossible. La seule solution qui s'offre aux familles est alors
l'hébergement en établissement.
L'accueil en institution des personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer ou
de troubles apparentés présente des spécificités
qui sont rarement prises en compte dans les projets de vie des
établissements.
La configuration architecturale de la plupart des établissements
constitue généralement la première
difficulté : la déambulation du malade,
caractéristique de la maladie d'Alzheimer, n'est en effet guère
compatible avec le fonctionnement quotidien d'une structure
d'hébergement.
En outre, les particularités du comportement de ces malades rendent
impossible toute cohabitation directe avec d'autres personnes
âgées et imposent un hébergement dans des structures
spécialisées.