CONCLUSION

La réussite de la professionnalisation des armées n'est pas certaine.

Le projet de budget du ministère de la défense, pour 1999, est marqué, comme le précédent, par la priorité donnée à la professionnalisation.

Cette mutation des armées et de la Gendarmerie est complexe et tous ses aspects ne pouvaient être appréhendés en détail au moment où son principe a été adopté. Cependant, les multiples rouages qui la constituent sont intimement dépendants les uns des autres et le grippage de quelques uns peut compromettre le fonctionnement de l'ensemble.

Votre Rapporteur, à partir des constatations qu'il a personnellement faites dans des unités des armées et de la Gendarmerie, se doit de vous faire part de ses principales inquiétudes.

1. Les appelés continuent à faire preuve de bonne volonté mais il n'est pas avéré que la disparition progressive de l'appel sous les drapeaux se poursuive aussi sereinement.

La possibilité d'obtenir un report d'appel pour les titulaires de contrats de travail à durée indéterminée ou déterminée et le report de 24 à 26 ans de l'âge d'appel " de droit commun " pour ceux qui poursuivent des études, peuvent entraîner une sérieuse pénurie à l'appel des contingents de la fin de l'année 1998 et du début de l'année 1999. La vigilance la plus grande doit être portée dès maintenant sur la satisfaction des besoins des armées. Celles-ci ne seraient en effet pas en mesure de faire face à un effondrement trop brutal de la ressource en appelés.

Par ailleurs, la première journée de l'appel de préparation à la défense, le 3 octobre a été largement célébrée dans les médias comme la marque joyeuse de la fin du service militaire. Une telle présentation ne peut avoir que des effets néfastes sur ceux qui sont actuellement sous les drapeaux et, a fortiori, sur les jeunes gens qui seront encore appelés jusqu'en 2002.

2. Les armées ne connaissent pas aujourd'hui, globalement, de difficultés pour recruter des militaires du rang engagés. Cependant, votre Rapporteur a constaté que cette satisfaction de principe devait être parfois nuancée. Ainsi, l'armée de l'Air n'est-elle pas en mesure de pourvoir tous ses emplois de militaires techniciens de l'air dans les spécialités de fusiliers et de pompiers. De même, convient-il d'être prudent, compte tenu de leur niveau de recrutement, sur l'aptitude de certains engagés de courte durée de la Marine, à remplir certains emplois comme ceux qui impliquent l'utilisation des armes dans les unités de protection des installations.

3. Le transfert du personnel civil de la Délégation générale pour l'armement, où il est en surnombre, vers les armées, ne se déroule pas de façon satisfaisante et il n'y a guère de chance que les choses s'améliorent.

Plus de 5 000 postes de personnel civil sont vacants dans les armées au motif qu'elles devraient accueillir du personnel de la Délégation générale pour l'armement. Cette vue est technocratique, inadaptée. Aucune mobilité obligatoire n'étant imposée au personnel civil comment serait-il possible qu'un ouvrier électronicien de l'arsenal de Brest vienne tenir un poste de cuisinier au camp de Mourmelon ? Géographiquement et professionnellement offres et demandes ne coïncident pas et rien ne pousse véritablement à un effort d'adaptation. Même dans la Marine, dont les installations sont connexes des établissements de la Direction des constructions navales, après un premier temps de transferts satisfaisants, la situation se détériore.

Ce verrou devra sauter sinon, les emplois en cause étant nécessaires à la " vie " des unités, ce sont des combattants qui seront distraits de leurs unités de combat pour les tenir. La capacité opérationnelle des forces s'en trouvera diminuée et l'effort de recentrage des armées " sur leur métier " mis en avant à l'annonce de la professionnalisation, apparaîtra comme un simple slogan.

4. Votre Rapporteur a souligné à quel point le poids des crédits de rémunérations et de charges sociales écrasait, à l'intérieur du titre III, les crédits de fonctionnement. Cette situation a des conséquences très concrètes sur les conditions de vie, de travail et d'entraînement des militaires.

Les conditions de vie dans les unités militaires sont austères car la nécessité de réaliser des économies sur les budgets de fonctionnement s'impose toute l'année. C'est ainsi que les locaux sont mal chauffés en hiver, que leur entretien est insuffisant, que leur adaptation aux besoins des militaires du rang professionnels ne se fait qu'avec lenteur.

Trop souvent, le travail ne peut s'exécuter de façon satisfaisante. Par exemple, le matériel reste longtemps indisponible car les magasiniers sont contraints de substituer des " bons à valoir ", aux pièces de rechange qui manquent sur les étagères et dont le réapprovisionnement peut n'être effectif qu'après un long délai.

Le manque de crédits de fonctionnement explique aussi l'impossibilité fréquente de mener un entraînement correct.

Des déplacements dans les camps de manoeuvre, des exercices avec des unités étrangères doivent être annulés. Dans l'armée de Terre, le " partage " des déplacements outre-mer entre les troupes de Marine et la Légion étrangère d'une part et les autres armes d'autre part, aboutit à ce que les premières perdent une partie de leur expertise sans que les secondes accroissent véritablement leur compétence. Seule une augmentation des crédits de fonctionnement de celles-ci aurait pu porter leur attractivité au niveau de celles-là.

Les militaires participent à la professionnalisation de leurs armées respectives sans état d'âme. Cependant, le risque est grand que la professionnalisation telle qu'elle est actuellement menée, conduise à une armée de métier paradoxalement moins bien entraînée, confinée plus longtemps dans ses casernements, ses ports ou ses bases où elle sera contrainte à l'inactivité ou à la tenue d'emplois qu'on ne voulait plus donner au personnel militaire. Une certaine lassitude du personnel en résulterait. Elle aurait des conséquences néfastes sur le recrutement.



Votre Rapporteur continuera, en 1999, à porter particulièrement son attention sur les conditions dans lesquelles les unités des armées poursuivent leur professionnalisation et sur les conséquences de tous ordres que la faiblesse des crédits de fonctionnement fait peser sur elles.

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