B. UN MONTAGE FINANCIER COMPLEXE ET INUTILE
1. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 compense le retour à l'universalité des allocations familiales par la prise en charge par l'Etat de l'allocation de parent isolé (API)
Le
Gouvernement a prévu que l'abandon de la mise sous condition de
ressources des allocations familiales aurait pour contrepartie la diminution du
plafond du quotient familial
5(
*
)
.
Le Gouvernement avait accepté que la mise sous condition de ressources
des allocations familiales ne soit que provisoire. Il n'a cependant pas
renoncé à opérer un prélèvement de
4 milliards de francs sur les familles. Afin de masquer le recul que
constituait l'abandon du critère de ressource pour les allocations
familiales, le Gouvernement a décidé une autre mesure très
symbolique et à caractère fortement idéologique :
l'abaissement du plafond du quotient familial.
Du point de vue financier, cette mesure -on vient de le démontrer-
n'était pas nécessaire.
Il faut donc voir dans le choix
d'abaisser le plafond du quotient familial non pas la contrepartie
financière de la suppression de la condition de ressources pour les
allocations familiales mais le pendant idéologique de cette mesure.
La diminution du plafond du quotient familial devrait rapporter
3,9 milliards de francs
6(
*
)
au budget de l'Etat. Afin d'établir un lien financier entre le
surcroît de dépenses pour la branche famille entraîné
par le retour à l'universalité des allocations et le surplus de
recettes fiscales dont bénéficiera l'Etat, il a été
décidé que le budget de l'Etat prendrait à sa charge
l'allocation de parent isolé (API), actuellement versée par la
branche famille et qui représente un montant de dépenses annuel
de 4,285 milliards de francs en 1998.
Cette budgétisation de l'API fait l'objet de l'article 82 du projet de
loi de finances pour 1999 ; parallèlement, le budget de la
solidarité comprend au titre de l'action sociale un chapitre 46-20
nouveau intitulé
" Contribution de l'Etat au financement de
l'allocation de parent isolé "
avec une seul ligne
intitulée
" Versement à la Caisse nationale des
allocations familiales "
et dotée de 4,233 milliards de francs.
On peut d'ailleurs s'étonner que cette dépense ne figure pas
parmi les crédits évaluatifs et se demander si elle fera l'objet
des traditionnelles opérations de régulation budgétaire.
Les prévisions de la Commission des comptes de la sécurité
sociale évaluent quant à elles les dépenses de la CNAF au
titre de l'API à 4,06 milliards de francs en 1999.
L'allocation de parent isolé (API)
Instituée par la loi du 9 juillet 1976, cette
prestation a
pour but d'apporter une aide temporaire aux personnes veuves, divorcées,
séparées de droit ou de fait, abandonnées ou
célibataires qui se retrouvent seules pour assumer la charge d'au moins
un enfant.
Le parent isolé doit vivre seul ou dans sa famille et assumer la charge
d'au moins un enfant. Le droit est également ouvert pour la femme seule
enceinte qui n'a pas d'autre enfant à charge.
L'allocation est versée pendant douze mois consécutifs ou
jusqu'à ce que le plus jeune enfant ait atteint trois ans. Elle est
égale à la différence entre le montant du revenu garanti
(3.198 F + 1.066 F/enfant par mois) et l'ensemble des ressources dont
dispose le parent isolé.
En 1998, le coût de l'API était de 4,3 milliards de francs
pour environ 163.000 bénéficiaires.
Le tableau des échanges financiers entre la branche famille, l'Etat et
les familles révèle un
montage complexe
et, du point de
vue financier, parfaitement inutile.
Conséquences financières de la substitution de
la
diminution
du plafond du quotient familial à la mise sous condition
de ressources
des allocations familiales en 1999
(en milliards de francs)
Le bilan
financier de l'opération serait donc le suivant : la branche famille
perdrait 500 millions de francs, l'Etat 300 millions de francs et les
familles gagneraient globalement 800 millions de francs. Avec une
évaluation de dépense au titre de l'API de 4,06 milliards de
francs en 1999, la branche famille perdrait 640 millions de francs et l'Etat
seulement 160 millions de francs.
Ces gains et pertes respectifs ne valent que par rapport à
l'année 1998.
Si l'on compare par rapport à l'année
1997, c'est-à-dire avant la mise sous condition de ressources des
allocations familiales et avant l'abaissement du plafond du quotient familial,
les familles perdront en 1999 3,9 milliards de francs.
L'apparent effort financier de l'Etat en 1999 est à relativiser :
- l'Etat bénéficie, d'une part, d'une recette fiscale nouvelle
qui évoluera conformément à la croissance
économique, donc très favorablement ;
- il doit supporter en contrepartie une charge nouvelle qui semble
décroître régulièrement depuis plusieurs
années : les dépenses au titre de l'API étaient de
4,411 milliards de francs en 1997, 4,285 milliards de francs en 1998
et devraient s'établir à 4,060 milliards de francs en 1999.
Entre une recette qui croît et une dépense qui
décroît, l'Etat pourrait rapidement être le
bénéficiaire de cette opération...
Il pourrait d'ailleurs l'être d'autant plus rapidement que
rien ne
garantit la pérennité de la prise en charge de l'API par
l'Etat.
L'API continuera en effet à être versée par les
caisses d'allocations familiales (CAF). L'Etat procédera chaque
année au remboursement du total des sommes dépensées. La
CNAF n'a cependant pas obtenu de garanties formelles que cette prise en charge
se prolongera au-delà de 1999.
Compte tenu des excédents prévisionnels futurs de la branche
famille, il pourrait être tentant pour l'Etat de revenir sur cet
engagement et de faire supporter à nouveau à la branche famille
le poids financier de cette prestation. L'Etat conserverait
parallèlement le bénéfice du surplus de recettes fiscales
généré par l'abaissement du plafond du quotient familial.
La prise en charge de l'API par l'Etat pose, en outre, un véritable
problème de principe
.
Votre rapporteur ne peut ainsi partager l'opinion exprimée par
Mme Dominique Gillot, rapporteur pour la famille du projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 1999 à
l'Assemblée nationale, qui considère que
" de prestation
familiale, l'API est devenue un minimum social "
et
" qu'il
serait illogique que l'Etat prenne en charge, au nom de la solidarité
nationale, les minima sociaux tels que le RMI ou l'AAH et non l'API ".
Pour votre rapporteur, rien ne justifie, sur le plan des principes, le
financement par l'Etat de l'API qui constitue précisément une
reconnaissance de la fonction parentale. L'API a pour objet de faciliter le
passage difficile que représente l'arrivée d'un enfant ou la
perte d'un soutien familial pour un parent démuni de revenus. Elle
comporte deux objectifs distincts : favoriser le rôle parental et
garantir un minimum de ressources durant le temps nécessaire pour
s'organiser dans la recherche d'un emploi. Le versement de l'allocation est
légitimé par la présence d'un ou de plusieurs enfants.
Elle permet aux parents d'assurer leur identité parentale et d'offrir
une image plus positive aux enfants.
Une étude réalisée par la CNAF en 1997
8(
*
)
a montré que l'API avait, pour
ses bénéficiaires, une valeur symbolique que n'avait pas le RMI.
Selon cette étude dont l'objectif était d'analyser ce
qu'étaient devenus les anciens bénéficiaires de l'API, le
RMI est ressenti comme humiliant et stigmatisant ; il est
considéré comme le dernier maillon avant l'entrée dans la
pauvreté. Alors que l'API représentait une reconnaissance de la
fonction parentale, le RMI génère un sentiment de honte et de
culpabilité.
Compte tenu de son caractère de prestation pour la famille,
justifié par la présence d'enfant,
il semble par
conséquent logique que l'API reste gérée et
financée par la branche famille.
Le choix de la prise en charge
de cette prestation par l'Etat apparaît purement circonstanciel -il
fallait trouver une prestation d'un montant équivalent au surplus de
recettes fiscales généré pour le budget de l'Etat par la
diminution du plafond du quotient familial- et ne répond à aucune
raison de fond.
Ce montage financier introduit en outre une confusion supplémentaire
dans les missions et les modalités de financement de la branche
famille.