2. La seconde " opération CADES "
Le Gouvernement vient de décider de
réitérer l'opération d'apurement menée en 1996 afin
de tenter de remettre " les compteurs à zéro " et de
prolonger la perception de la CRDS jusqu'en 2014.
Le bilan financier satisfaisant de la CADES ne doit cependant pas masquer
les difficultés qui ne vont pas manquer de surgir du fait de la
transformation d'une mesure exceptionnelle et initialement temporaire en un
dispositif banalisé et quasi-pérenne.
a) Une mesure justifiée par un solde cumulé encore excessif...
Le dernier rapport de la Commission des comptes de la
sécurité sociale a révélé que le
déficit du régime général pour 1996
s'établissait à 53,2 milliards de francs.
C'est toujours la branche maladie qui enregistre le plus lourd déficit
avec 35,9 milliards de francs alors que la branche des accidents du
travail, avec un excédent de 0,2 milliard de francs, apparaît
tout juste équilibrée. Quant aux branches famille et vieillesse,
elles restent fortement déficitaires à hauteur respectivement de
9,6 milliards de francs et 7,9 milliards de francs.
Sur les 53,2 milliards de francs de déficit pour 1996, actuellement
seuls 17 milliards de francs ont été financés dans le
cadre de la reprise de la dette par la CADES, les 17 milliards de francs
correspondent au déficit initialement prévu pour cet exercice.
Le déficit résiduel de 36,2 milliards de francs vient donc
s'ajouter aux 37,6 milliards de francs de déficit annoncés
lors de la Commission des comptes de la sécurité sociale pour
l'exercice 1997, soit une somme globale de 73,8 milliards de francs.
Or, le Gouvernement a annoncé que l'apurement de la dette sociale
porterait sur un montant de 87 milliards de francs. Ceci signifie que cette
opération inclura également le déficit prévisionnel
pour 1998 que le Gouvernement souhaite ramener à 12 milliards de francs.
Si on totalise les déficits cumulés -et non financés-
des exercices 96, 97 et 98, on obtient un montant global de 85,8 milliards
de francs, soit un léger écart de 1,2 milliard par rapport
à la somme mise à la charge de la CADES, sur lequel le
Gouvernement ne s'est guère expliqué.
b) ...mais exclusivement réservée au régime général
Alors qu'en 1996, avait été pris en compte le
déficit cumulé de la CANAM, en 1998, seul le régime
général sera bénéficiaire du dispositif d'apurement.
En effet, la CANAM a été bénéficiaire du dispositif
d'apurement en 1996 à hauteur de 3 milliards de francs. Alors que
la reprise de la dette à hauteur de 87 milliards de francs va permettre,
en outre, d'alléger les frais financiers du régime
général de 3 milliards de francs en 1998, rien n'est
prévu pour les autres régimes et notamment celui des travailleurs
indépendants.
Or,
l'incidence sur les professions indépendantes
de la
prorogation de la CRDS de cinq ans est estimée par la
CANAM à
7 milliards, sans aucune contrepartie
.
Votre commission constate donc que la nouvelle opération d'apurement
prévue par le présent projet de loi se traduit au seul
bénéfice du régime général par une
aggravation des charges pesant sur l'ensemble des contribuables qui sont
également les cotisants de l'ensemble des régimes de
sécurité sociale.
c) ... et induisant des prélèvements considérables
Compte tenu du rendement actuel de la CRDS, soit
25,5 milliards de francs, et de l'allongement de cinq ans de la
durée de prélèvement de celui-ci, la ponction
opérée sur les ménages avoisinera ainsi 130 milliards
de francs, pour la couverture de 87 milliards de francs de déficits
!
Il s'agit de sommes considérables, prélevées sur les
générations futures.
En prenant des hypothèses plutôt optimistes (taux
d'intérêt faible et taux de croissance supérieur à
3,5 %), certains observateurs
3(
*
)
estiment même que
l'opération de reprise de dette de 87 milliards se traduira par un
prélèvement de 200 milliards de francs sur les
ménages français d'ici janvier 2014. Ce montant prend en compte
le rendement attendu de la CRDS à compter de 2008 (37 milliards de
francs par an) et les intérêts versés par la CADES.
Même s'il convient d'être prudent dans les estimations, il est
indéniable que ces charges sont préoccupantes pour nos
concitoyens, d'autant plus que
les années 2005-2010
seront
marquées par le
choc démographique des retraites et que les
générations à venir devront donc également faire
face à la montée en charge brutale des pensions de vieillesse.
d) Les risques liés à la pérennisation du système
Par ailleurs, la décision du Gouvernement peut avoir de
lourdes conséquences sur l'évolution des comptes sociaux au cours
des prochaines années.
La CADES a été instituée pour une durée de treize
ans afin d'apurer les déficits sociaux constatés fin 1995. En
allongeant de cinq ans la durée d'existence de la CADES, et ce faisant
de la période de perception du remboursement de la dette sociale,
le
Gouvernement tend à pérenniser, de fait, un dispositif
déjà particulièrement long. Il accrédite ainsi
l'idée que, de temporaire, la CRDS pourrait devenir définitive.
Le fait que la CADES, conçue initialement comme un dispositif
" fermé ", ne devant être utilisé que pour la
seule opération d'apurement des déficits antérieurs
à 1996, devienne un système " ouvert ", susceptible
d'assurer périodiquement le financement des déficits sociaux,
modifie la crédibilité de cette institution.
Désormais, rien ne garantit que ce type d'opération ne sera pas
renouvelé. Même si, pour l'instant, les opérateurs
réagissent, selon la CADES, de façon favorable,
l'appréciation portée sur les emprunts successivement
lancés risque d'en être affectée. Le risque le plus grave
est d'inciter les acteurs de la protection sociale à relâcher leur
effort de maîtrise des dépenses.
*
En conclusion, votre commission des Affaires sociales
émet donc une triple réserve sur le dispositif prévu dans
le présent projet de loi :
- il génère des prélèvements sur les
générations futures
d'une ampleur sans
précédent
;
- la nouvelle reprise de dette sociale ne
contribue pas à
introduire des comportements plus responsables
afin de parvenir à
une réelle maîtrise des dépenses ;
- enfin, les modalités retenues sont
susceptibles de conduire
à des réactions croissantes du corps social
. En effet, le
mécanisme de reprise de dette ne bénéficie, à
l'heure actuelle, qu'au régime général alors que
l'ensemble de la population est appelée à financer la CADES par
le biais de la CRDS.
Ainsi, rien ne justifie que le financement du " train de vie
sociale " d'aujourd'hui soit reporté sur les
générations de demain qui auront à faire face à des
échéances démographiques particulièrement
préoccupantes.
Le mécanisme mis en place n'est acceptable que si une maîtrise
exigeante des dépenses conduit à un retour définitif
à l'équilibre des comptes sociaux.
Or, de ce point de vue le projet de loi de financement de la
sécurité sociale est très insuffisant et comporte un
paradoxe de taille : si l'on excepte la mise sous condition de ressources des
allocations familiales, qui est une autre façon de compromettre
l'avenir, la seule économie affichée sur les dépenses est
précisément " l'économie " sur la charge de la
dette (3 milliards de francs) qui est en fait le report de cette charge
sur les générations qui acquitteront la CRDS à compter de
2009.