III - La réquisition comme mode de gestion de la pénurie de logements sociaux
Le
nouveau dispositif a vocation à répondre, dans certaines zones,
en particulier les grandes agglomérations, à une pénurie
de logements accessibles à des personnes faiblement solvables, ne
disposant pas de ressources suffisantes pour acquitter un loyer du
marché.
Il s'agit de permettre la réquisition d'ensembles immobiliers, et non
plus seulement de logements isolés, parfois même d'immeubles
entiers, demeurés vacants pendant une durée d'au moins dix-huit
mois et sur lesquels une personne morale est titulaire d'un droit réel
conférant l'usage des locaux.
Partant du constat que ces immeubles nécessitent
généralement la réalisation d'importants travaux de mise
en état d'habitabilité portant à la fois sur les parties
privatives et sur les parties communes, la procédure prévoit la
désignation par le préfet d'un intermédiaire maître
d'ouvrage, l'attributaire, et une durée de réquisition
suffisamment longue pour permettre l'amortissement des travaux (six ans,
pouvant être portés à douze en fonction du volume des
travaux réalisés).
Le champ des logements susceptibles d'être réquisitionnés
est circonscrit aux seuls logements possédés par des personnes
morales.
Si le dispositif proposé tente de gommer les difficultés
juridiques et pratiques rencontrées lors de la mise en oeuvre des deux
programmes de réquisitions de 1995 et 1996, il n'est pas sans soulever
quelques interrogations.
La durée de la réquisition, tout d'abord, par sa longueur, est
susceptible de conduire à une véritable confiscation du bien
immobilier pour le titulaire du droit d'usage, d'autant plus que celui-ci ne
peut exercer son droit de reprise qu'au terme d'un délai de
neuf ans. Il est en outre simplement tenu informé par
l'attributaire des travaux de mise aux normes d'habitabilité, sans
pouvoir prétendre à une remise en état des lieux au terme
de la réquisition. L'imputation des échéances
d'amortissement des travaux de mise aux normes sur l'indemnité mensuelle
qui lui est versée par l'attributaire lui fait supporter, en
définitive, la charge financière correspondant aux travaux
réalisés.
De telles conditions peuvent paraître bien peu respectueuses du droit de
propriété : non seulement le propriétaire est
privé de l'usage de son bien mais il peut être porté
atteinte à sa substance, les travaux réalisés pouvant en
modifier la destination. En effet, rien n'exclut que les locaux
réquisitionnés pour être affectés au logement soient
à l'origine des locaux à usage de bureaux, des locaux
professionnels ou commerciaux.
Or, si le Conseil constitutionnel, dans sa décision
n° 94-359 DC du 19 janvier 1995 concernant la loi relative
à la diversité de l'habitat, a considéré qu'il
résultait du préambule de la Constitution de 1946 que
"
la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement
décent est un objectif de valeur constitutionnelle
", les
conditions de mise en oeuvre du droit au logement ainsi reconnu doivent se
concilier avec l'exercice du droit de propriété dont la valeur
constitutionnelle résulte de l'article 17 de la Déclaration des
droits de l'homme et du Citoyen du 26 août 1789
3(
*
)
.
Conçue jusqu'à présent comme un moyen permettant de
remédier, à titre exceptionnel et de façon temporaire,
à une situation d'urgence, la réquisition devient un mode de
gestion de la pénurie de logements sociaux dans une zone
déterminée.
En réalité, le régime applicable est de nature à
inciter le propriétaire de l'immeuble réquisitionné
à le céder à l'attributaire. L'idée sous-jacente
est clairement celle d'une "
consolidation sociale
" du parc
immobilier réquisitionné, par le biais de son rachat, en
particulier par les organismes HLM.
On peut ainsi se demander si la réquisition ne devient pas "
une
expropriation à durée déterminée sans indemnisation
préalable
".
En outre, le dispositif proposé instaure un mécanisme complexe
faisant intervenir un enchaînement d'acteurs successifs -préfet,
titulaire du droit d'usage, attributaire, bénéficiaire-,
l'attributaire constituant une sorte d'écran entre le
propriétaire des locaux et le bénéficiaire de la
réquisition. Si le nouveau régime défini distingue d'une
part les relations entre le titulaire du droit d'usage et l'attributaire, et
d'autre part celles entre l'attributaire et le bénéficiaire, tous
les problèmes susceptibles de se poser ne semblent pas pour autant
résolus : de quel recours dispose le propriétaire si,
à l'expiration de la réquisition, le bénéficiaire
déchu de son titre d'occupation refuse de quitter les lieux ? A
quel dédommagement pourra-t-il prétendre si les locaux ne sont
pas remis en l'état à l'issue de la réquisition alors que
les transformations réalisées en ont modifié la
destination initiale -bureaux transformés en logements- ?