ARTICLE 62 (nouveau)
Validation des opérations de
recapitalisation de la Compagnie du BTP
Commentaire : cet article tend à valider les
opérations de recapitalisation concernant la Compagnie du BTP
financées par la Caisse des Dépôts et Consignations pour le
compte de l'Etat suite au refus des grands groupes du bâtiment-travaux
publics de participer à cette recapitalisation.
I - LA VALIDATION PROPOSÉE PAR LE PRÉSENT ARTICLE
A. LA LONGUE AGONIE DE LA COMPAGNIE DU BTP
BTP-Banque est une filiale de la Compagnie BTP, elle même détenue
par trois catégories d'actionnaires :
- des grandes entreprises du BTP (Bouygues, Société
générale d'Entreprise, la Lyonnaise des eaux, Spie-Batignolles) ;
- des fédérations professionnelles
(Fédération nationale du bâtiment, Société
mutuelle d'Assurance, Caisse nationale de surcompensation) ;
- et des établissements financiers (Crédit Foncier,
Crédit lyonnais, Crédit national, CDC-Participations et Comptoir
des entrepreneurs).
La BTP-Banque est spécialisée dans le financement des PME du
bâtiment et également active auprès des professionnels de
l'immobilier.
Avec la crise de ce secteur depuis le début des années 1990, la
banque a connu une forte dégradation de son résultat
d'exploitation et de la qualité de ses actifs.
Malgré une opération de défaisance portant sur
3,8 milliards de francs de créances immobilières
réalisée en 1993 par les principaux actionnaires, la Compagnie du
BTP et sa filiale la BTP-Banque ne sont pas parvenues en 1994 à
rétablir leur situation financière, celle-ci est apparue comme
irrémédiablement compromise dans les premiers mois de
l'année 1995.
Sous l'égide de la Commission Bancaire et des Pouvoirs publics, il a
alors été décidé de chercher à adosser la
banque auprès d'un groupe extérieur et d'organiser
simultanément une cessation progressive des autres activités.
Pour mener à bien ce programme, le gouverneur de la Banque de France a,
en application de l'article 52-alinéa 1 de la loi, loi du 24 janvier
1984 relative à l'activité et au contrôle des
établissements de crédit dite "loi bancaire", invité les
trois principaux groupes d'actionnaires à apporter à la Compagnie
du BTP leur soutien financier pour que cet établissement respecte
l'obligation de solvabilité à laquelle il est tenu.
L'ensemble des actionnaires, à l'exception des grandes entreprises du
BTP, a accepté l'effort demandé, qui s'est traduit par
l'émission de 800 millions de francs de titres subordonnés
à durée indéterminée (TSDI). En outre, la Caisse
des dépôts et consignations a dû intervenir à la
demande des pouvoirs publics pour se substituer, temporairement, aux grandes
entreprises n'assurant pas leur part de financement, à hauteur de
250 millions de francs.
Simultanément, la Compagnie du BTP a assigné les grandes
entreprises devant le tribunal de commerce
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)
pour les contraindre à
participer à ce plan. Elle a obtenu satisfaction en première
instance mais les entreprises ont fait appel.
En raison de ce soutien financier, la Compagnie du BTP n'a pas fait faillite.
Elle a mené un programme important de cession d'actif dès
l'automne 1995 et a notamment signé un protocole de cession de la
BTP-Banque au groupe du Crédit coopératif.
Toutefois, pour permettre cette cession et assurer l'extinction des
dernières activités de la Compagnie, les actionnaires ont de
nouveau été sollicités dans le cadre de l'article 52 de la
"loi bancaire" précitée pour garantir à la Compagnie du
BTP les ressources nécessaires à l'apurement de tout son passif.
L'enveloppe de cette garantie s'est de nouveau élevée à
800 millions de francs Devant le refus des grandes entreprises du BTP de
participer à cette recapitalisation, la Caisse des dépôts
et consignations s'est une nouvelle fois et, à la demande de l'Etat
substituée aux actionnaires défaillants pour un montant de
250 millions de francs. En outre, elle a dû financer la part du
Crédit foncier, soit 90 millions de francs, celui-ci se trouvant
dans l'incapacité d'avancer une telle somme.
Pour chacune de ces opérations de recapitalisation imposées par
l'Etat à la Caisse des dépôts, l'Etat s'est engagé
à ce que cette dernière ne subisse aucune perte. Il anticipait en
effet sur le jugement de la Cour d'appel, espérant ainsi contraindre les
grandes entreprises du BTP à souscrire la part leur incombant et ainsi
permettre l'émission de titres souscrits à durée
indéterminée permettant la recapitalisation à hauteur de
800 millions de francs de la Compagnie du BTP.
Or, la Cour d'appel
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*
)
a
infirmé le jugement du tribunal de commerce. La Compagnie du BTP s'est
pourvue en cassation mais les chances d'obtenir une participation
financière de la part des grandes entreprises du BTP semblent
aujourd'hui très faibles.
Pour l'Etat, cela signifie qu'il aura à rembourser à la Caisse
des dépôts et consignations les sommes pour lesquelles il avait
accordé sa garantie.
Or, aucune de ces garanties n'a fait l'objet d'une information du Parlement,
et a fortiori, d'une demande d'autorisation. Cependant, elles risquent
aujourd'hui d'avoir à jouer. C'est pourquoi le gouvernement a besoin de
faire valider ces deux garanties pour leur donner une existence juridique et
pouvoir les provisionner dans l'article 90 "garanties diverses" du
chapitre 14-01 du budget des charges communes
.
B. LA VALIDATION PROPOSÉE PAR LE GOUVERNEMENT ET CELLE
ACCEPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Le présent article propose donc que,
"sous réserve des
décisions ayant force de chose jugée, sont validés dans la
limite de 590 millions de francs en principal, dans la mesure où
ils seraient contestés sur le fondement de l'absence d'autorisation
législative, les actes accomplis et les garanties accordées par
l'Etat dans le cadre de l'opération de recapitalisation de 1995, et de
l'opération de couverture d'insuffisance d'actif en 1996, de la
société dénommée Compagnie-BTP".
Votre rapporteur tient à faire remarquer que le gouvernement avait
d'abord proposé à la commission des finances de
l'Assemblée nationale une validation plus large qui ne mentionnait ni le
montant de la garantie ni les opérations concernées. Devant le
refus de cette dernière de voter cet article en l'état, le
Gouvernement l'a rectifié pour le compléter.
Le montant de la garantie faisant l'objet de la validation
s'élève à 590 millions de francs en principal. Cette
somme correspond aux deux contributions de 250 millions de francs que
n'ont pas payées les grandes entreprises du BTP et à la
contribution du Crédit foncier de 90 millions de francs que ce
dernier n'a pas pu verser. Cette somme ne comprend cependant pas les
intérêts que l'Etat aura également à verser à
la Caisse des dépôts et consignations pour compenser le manque
à gagner que constitue l'immobilisation de cet argent.
II - UNE VALIDATION CRITIQUABLE SUR LA FORME ET SUR LE FOND
A. UN ENGAGEMENT DES DENIERS PUBLICS SANS AUTORISATION PREALABLE
L'article 47 de la constitution du 4 octobre 1958 dispose que
" le
Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions
prévues par une loi organique".
Par ailleurs, l'article premier de l'ordonnance n °59-2 du 2 janvier
1959 portant loi organique relative aux lois de finances dispose que :
" Les lois de finances déterminent la nature, le montant et
l'affectation des ressources et des charges de l'Etat, compte tenu d'un
équilibre économique et financier qu'elles
définissent.
Les dispositions législatives destinées à organiser
l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances
publiques ou à imposer aux agents des services publics des
responsabilités pécuniaires sont contenues dans les lois de
finances ".
Il résulte de ces dispositions que la
décision d'octroi d'une
garantie est bien une décision dont non seulement le Parlement doit
être informé, mais également qu'il doit autoriser
puisqu'une disposition de loi de finances est nécessaire pour toute
souscription d'engagement financier par l'Etat.
La pratique suivie est différente dans la mesure où le Parlement
est toujours mis devant le fait accompli. Certes, les principes de
l'information du Parlement et de l'autorisation préalable doivent
être conciliés avec la nécessité de préserver
la souplesse du régime d'octroi de la garantie de l'Etat,
conformément aux exigences de la vie économique. Mais ils doivent
être défendus avec force au nom de la démocratie. En effet,
les décisions d'octroi de garanties sont des charges publiques
potentielles qui, si elles se réalisent, seront financées par les
contribuables. Elles doivent donc être autorisées par les
représentants de la nation.
La crise du secteur bancaire a fortement accru l'ampleur des garanties
implicites accordées par l'Etat, au détriment du droit à
l'information du Parlement. Or, cette tendance est d'autant plus critiquable
qu'elle oblige le Parlement à entériner des décisions que,
dans un autre contexte, il n'aurait pas nécessairement votées.
B. UNE VALIDATION QUI CONTRAINT LE PARLEMENT À ENTÉRINER
DES DÉCISIONS QU'IL N'AURAIT PAS ACCEPTÉES
NÉCESSAIREMENT.
La présente validation en constitue un exemple.
En effet, et bien que la Compagnie du BTP constitue un groupe bancaire
privé et de petite taille, l'Etat a souhaité lui éviter de
faire faillite.
En outre, il n'a pas jugé nécessaire d'avertir le Parlement,
certain que l'obligation pour les grandes entreprises du BTP de participer
à la recapitalisation de la Compagnie du BTP serait reconnue par la
Cour d'appel et que la garantie accordée à la Caisse des
dépôts et consignations n'aurait donc pas à jouer.
Or, dans l'hypothèse d'un examen par le Sénat du projet d'accord
de garantie, il n'aurait pas été évident que ce dernier
eût adopté la position du gouvernement. Celle-ci aurait
été en tous les cas soumise à l'appréciation
critique de la commission des finances. Elle va, en effet, à l'encontre
de certaines remarques contenues dans le rapport d'information " Banques :
votre santé nous intéresse " qui condamne et le dogme de
l'immortalité et le principe de la solidarité illimitée
des actionnaires.
1. Le dogme de l'immortalité des banques
Comme le rappelle le rapport "Banques
"
94(
*
)
, "chaque fois que des
établissements de crédit public ont connu des difficultés,
l'Etat, actionnaire pendant les années 84-93 d'une grande partie (sinon
la majeure) du secteur bancaire, a recapitalisé ces
établissements (ce qui était normal) sans exiger de façon
systématique une réduction des activités des
établissements en mauvaise posture (ce qui non seulement constituait un
encouragement à la mauvaise gestion, mais a entraîné des
surcapacités).
[...]"
"Indépendamment de la question de savoir si l'Etat a
été un bon gestionnaire, qui sera évoquée plus
loin, on remarquera qu'il n'a pas su traiter avec efficacité les
difficultés de ses propres banques.
Schématiquement, l'Etat dispose de quatre moyens pour venir à la
rescousse d'une banque défaillante. La liquidation
[...].
La
fermeture par fusion
[...].
Les dotations budgétaires, ou les
garanties gouvernementales
[...].
La nationalisation
[...].
En écartant systématiquement l'option de la liquidation et
celle de la vente, les gouvernements successifs n'ont fait que rendre ces
options plus coûteuses, une fois l'inefficacité du renflouement
avérée
."
Ces remarques s'appliquent parfaitement à la Compagnie du BTP. Non
seulement ce groupe bancaire avait été privatisé, mais sa
petite taille empêchait que son éventuelle faillite provoque un
risque systémique.
2. Le principe de la solidarité illimitée des actionnaires
Lors de l'examen de cet article à l'Assemblée nationale, le
rapporteur général de la commission des finances s'est
déclaré défavorable à cette mesure. Elle
reviendrait en effet à accepter que l'Etat prenne en charge les
conséquences du refus des grands groupes du BTP de participer à
la recapitalisation de BTP-Banque, refus qui serait, selon lui, contraire
à la loi bancaire et aux engagements pris.
Votre rapporteur ne partage pas ce sentiment.
D'une part, la " loi bancaire " ne contraint pas les actionnaires
à fournir de soutien financier à un établissement de
crédit en difficulté. L'alinéa premier de l'article 52 de
la loi bancaire du 24 janvier 1984 prévoit seulement que le gouverneur
de la Banque de France "
invite
" les actionnaires ou sociétaires
d'un établissement de crédit à fournir à celui-ci
le soutien qui lui est nécessaire. Cette invitation n'est pas
coercitive, aucune sanction n'est prévue en cas de refus des
actionnaires. Il serait en effet économiquement très dommageable
de pouvoir obliger des actionnaires à
"recapitaliser un
établissement dont ils savent par avance qu'il va faire l'objet d'un
retrait d'agrément ou d'une liquidation."
95(
*
)
D'autre part, dans le cas de la Compagnie du BTP, la Cour d'appel de Paris a
estimé que les termes du document souscrit par les grandes entreprises
du BTP, dans lequel elles s'engagent à prendre
"d'une part les
mesures permettant de couvrir les risques latents de pertes, d'autre part les
dispositions de caractère structurel permettant de régler
durablement les difficultés de la Compagnie du BTP"
n'étaient
pas assez précis pour pouvoir en conclure que ces dernières
avaient accepté l'émission de 800 millions de francs de
titres subordonnés à durée indéterminée.
Cette validation est donc critiquable non seulement dans son principe, mais
également dans son objet.
Pour autant, votre rapporteur peut
difficilement proposer de la refuser. En effet, une telle attitude conduirait
à faire peser sur la Caisse des dépôts et des consignations
les conséquences financières des décisions de l'Etat.
Votre commission est donc en quelque sorte tenue par les conséquences
des actes qu'il s'agit aujourd'hui de valider.
Votre rapporteur souhaite cependant que le ministre précise en
séance publique les modalités d'information des commissions des
finances en temps réel sur les garanties que le gouvernement pourrait
accorder à l'avenir.
Certes, votre rapporteur est conscient de la
difficulté d'arriver à concilier l'information du Parlement avec
l'urgence et la discrétion dans lesquelles une telle décision est
prise. Plusieurs solutions sont envisageables, comme, par exemple, la tenue
d'une réunion à huis clos au sein de la commission des finances.
Votre rapporteur compte sur le débat en séance publique pour que
cette question fondamentale du respect des droits des contribuables soit
abordée et pour que le ministre y apporte une réponse
constructive.
Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter
cet article sans modification.