ARTICLE 44
Gestion administrative et financière
de
l'institut d'études politiques de Paris
Commentaire : le présent article tend à
rehausser au niveau législatif la délégation
confiée à la fondation nationale des sciences politiques pour
assurer la gestion administrative et financière de l'institut
d'études politiques. En outre, il propose de valider la
délibération de son conseil d'administration ayant fixé
les droits de scolarité pour 1992-1993.
I - LA SPÉCIFICITÉ DE L'INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES DE PARIS
SUSCEPTIBLE D'ÊTRE REMISE EN CAUSE
A. LA SPECIFICITE HISTORIQUE DE L'INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES DE
PARIS
L'institut d'études politiques de Paris (IEP) est l'héritier,
même lointain, de l'école libre des sciences politiques
fondée en 1872 par Emile Boutmy sous l'inspiration de Taine et de Renan
afin d'offrir une formation spécifique essentiellement axée sur
les sciences politiques dans une optique comparatiste, que l'université
n'était pas en mesure d'offrir.
En 1945, le gouvernement du général de Gaulle voulut maintenir
la spécificité de cette institution qui avait rencontré un
succès considérable, tout en procédant à sa
nationalisation. L'ordonnance n° 45-2284 du 9 octobre 1945 portant
création d'une fondation nationale des sciences politiques (FNSP) et le
décret n °45-2288 du 9 octobre 1945 portant création de
l'institut d'études politiques à Paris ont tout à la fois
intégré l'IEP au sein de l'enseignement supérieur et
assuré son autonomie à l'égard de l'Etat en créant
la FNSP à laquelle furent dévolus les bâtiments et la
bibliothèque de l'ancienne école libre des sciences politiques.
Depuis cette date, la spécificité de l'IEP de Paris est
rappelée après chaque grande loi relative à l'enseignement
supérieur, par décret, notamment pour ce qui concerne la
délégation de sa gestion administrative et financière
à la FNSP.
Aujourd'hui, le fonctionnement et l'organisation de l'IEP de Paris sont
régis par le décret n °85-497 du 10 mai 1985 relatif
à l'institut d'études politiques de Paris.
L'article premier de ce décret dispose que "
L'IEP de Paris
constitue un grand établissement soumis aux dispositions de la loi
n °84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement
supérieur
. "
Pourtant, d'autres articles de ce décret consacrent la
spécificité de l'IEP de Paris et son étroite union avec la
fondation nationale des sciences politiques.
Ainsi, le deuxième alinéa de l'article 2 dispose que
"
l'institut d'études politiques de Paris exerce ses
activités en liaison avec les services de documentation et les centres
de recherche de la fondation nationale des sciences politiques
. "
En outre, selon l'article 11, "
la gestion administrative et
financière de l'institut d'études politiques de Paris est
assurée par la fondation nationale des sciences politiques
".
Or, cette spécificité est remise en cause.
B. LA REMISE EN CAUSE DE LA SPÉCIFITÉ DE L'INSTITUT
D'ÉTUDES POLITIQUES DE PARIS
Chaque année, le conseil d'administration de la fondation nationale des
sciences politiques fixe le budget de l'ensemble "FNSP-IEP" et le montant des
droits de scolarité. Or, deux requêtes déposées le
22 août 1992 ont demandé l'annulation pour excès de pouvoir
de la délibération du 23 juin 1992 relative à
l'année universitaire 1992/1993.
Le tribunal administratif de Paris les a rejetées dans un jugement du
9 mars 1994 mais l'association générale des étudiants
de Sciences-Po s'est pourvue en appel devant le Conseil d'Etat qui ne s'est pas
encore, à ce jour, prononcé.
Les requérants poursuivent deux objectifs.
D'une part, ils contestent la légalité des droits de
scolarité fixés par le conseil d'administration parce qu'ils sont
plus élevés que ceux pratiqués par les universités.
Selon les instances dirigeantes de Sciences-Po, cette difficulté a
été résolue. En effet, l'ambiguïté
résultait de ce que cet institut délivre deux sortes de
diplômes, à savoir des diplômes qui lui sont propres et des
diplômes nationaux de troisième cycle (DESS, DEA et doctorats).
En ce qui concerne les droits de scolarité afin d'obtenir le
diplôme propre à l'IEP de Paris, ceux-ci peuvent être
librement fixés puisque l'arrêté du ministre de
l'éducation nationale et du ministre délégué au
budget, du 5 août 1991, pris en application de l'article 48 de la
loi de finances pour 1951, délègue la fixation des montants des
droits de scolarité afférents aux diplômes propres au
conseil d'administration des établissements, en précisant que
cette redevance ne peut être inférieure à celle
imposée pour un diplôme national.
Votre rapporteur tient à ce titre à rappeler que la forte
augmentation des droits de scolarité constatée entre 1987/1988
et 1991/1992 ne doit pas conduire, de fait, à une sélection des
étudiants par l'argent. Une telle situation serait, en effet, en
complète contradiction avec l'exposé des motifs de l'ordonnance
n °45-2284 du 9 octobre 1945 portant création d'une fondation
nationale des sciences politiques et qui reconnaissait que l'une des
"
ombres
" de l'école libre des sciences politiques
avait été d'avoir "
un champ d'action limité
aux jeunes gens à qui leur situation sociale permettait des
études longues et coûteuses
".
Sur ce point, les informations recueillies par votre rapporteur ont permis
d'établir que Sciences-Po a mis en place une véritable politique
d'aide sociale, au-delà des diverses bourses accordées par
l'Etat.
En ce qui concerne les droits forfaitaires prélevés par la FNSP
en sus des droits nationaux, on peut légitimement s'interroger sur leur
légalité, dans la mesure où depuis la rentrée 1997,
ces droits de scolarité sont fixés conformément à
l'arrêté ministériel.
D'autre part, en exigeant que l'IEP de Paris vote son budget, les auteurs de
la requête visent à dissocier ce dernier de la FNSP pour l'aligner
sur le régime des autres établissements d'enseignement
supérieur. Or, si la dénonciation du lien entre l'IEP de Paris et
la FNSP contraste avec la volonté politique permanente de maintenir ce
lien, l'argument juridique utilisé s'avère, lui, pertinent.
En effet, la délégation de la gestion administrative et
financière de l'IEP de Paris à la FNSP, symbole du lien organique
entre les deux institutions, a toujours été consacrée par
voie réglementaire.
Or, l'article 20 de la loi n °84-52 du 26 janvier 1984 sur
l'enseignement supérieur, auquel est soumise l'IEP de Paris en tant que
grand établissement, dispose que "
les établissements
publics à caractère scientifique, culturel et professionnel sont
des établissements nationaux d'enseignement supérieur et de
recherche jouissant de la personnalité morale et de l'autonomie
pédagogique et scientifique, administrative et
financière.
"
L'article 42 ajoute que "
chaque établissement public à
caractère scientifique, culturel et professionnel vote son budget, qui
doit être en équilibre réel ,et faire l'objet d'une
publicité appropriée
. "
Le Conseil d'Etat pourrait exciper de l'illégalité du
décret de 1985 sur la base duquel la délibération a
été prise au regard de la loi de 1984 pour annuler ladite
délibération. Le présent article propose de
prévenir cette annulation et d'éviter ainsi une remise en cause
du statut de Sciences-Po.
II - LA PRÉSERVATION DU STATUT SPÉCIFIQUE DE L'IEP DE PARIS
A. LE PARTICULARISME DE SCIENCES-PO REHAUSSÉ AU NIVEAU
LÉGISLATIF
Dans son paragraphe I, le présent article propose d'insérer deux
alinéas dans l'article 2 de l'ordonnance n°45-2284 du 9 octobre
1945 portant création d'une fondation des sciences politiques et ayant
valeur législative.
Le premier alinéa dispose que cette dernière "
assure la
gestion administrative et financière de l'institut d'études
politiques de Paris. Elle fixe notamment les moyens de fonctionnement de
l'institut et les droits de scolarité pour les diplômes propres
à l'institut.
"
Cette disposition, jusqu'à présent fixée au niveau
réglementaire sera donc portée au niveau législatif afin
de consacrer la volonté du législateur de maintenir le lien
organique existant entre l'IEP et la FNSP.
Par ailleurs, certains députés ont tenu à dénoncer
l'absence de représentants des étudiants au conseil
d'administration de la fondation, instance qui fixe le budget de la "FNSP-IEP"
et le montant des droits de scolarité.
Cette absence doit cependant être relativisée. En effet, les
informations recueillies par votre rapporteur révèlent que le
conseil de direction de l'IEP, qui comporte des représentants
élus des étudiants, délibère toujours et
préalablement sur le projet soumis au conseil d'administration de la
FNSP et que son avis a toujours été suivi. En outre, les
délibérations du conseil d'administration et du conseil de
direction sont préparées par une commission mixte à
laquelle s'inscrivent, en ce qui concerne le conseil de direction, ceux des ses
membres qui le désirent : tous les représentants étudiants
peuvent donc y siéger sans limitation de nombre.
Toutefois, dans un souci de transparence et de compromis, le présent
article propose d'insérer un autre alinéa à l'article 2 de
l'ordonnance de 1945 pour permettre à cinq étudiants élus
au conseil de direction de l'IEP de participer au conseil d'administration de
la FNSP, avec voix délibérative, lorsque ce dernier examine le
budget de l'IEP et fixe les droits de scolarité pour les formations
menant à des diplômes propres de l'établissement.
En effet, la fondation fixe non seulement les montants des droits, mais prend
également des décisions qui concernent ses activités
propres. Il s'agit donc de concilier l'autonomie de la FNSP et la
volonté légitime des étudiants de participer aux
délibérations concernant l'IEP. Le chiffre de cinq
étudiants a été retenu car il correspond au nombre de
représentants du personnel présents au conseil d'administration.
B. LA VALIDATION DE LA DÉLIBÉRATION FIXANT LES DROITS DE
SCOLARITÉ POUR L'ANNÉE 1992/1993
Même si le lien entre l'IEP et la FNSP est rehaussé au niveau
législatif, cette modification n'entrera en vigueur qu'à partir
de la promulgation de la présente loi. Le Conseil d'Etat, s'il retient
l'exception d'illégalité soulevé par les requérants
à l'encontre de l'article 11 du décret du 10 mai 1985, pourrait
être porté à annuler la délibération du
conseil d'administration de la FNSP du 23 juin 1992 qui fixe les droits de
scolarité pour l'année universitaire1992-1993.
Ce risque n'est pas à écarter : l'élévation au
niveau législatif de la délégation de la gestion
administrative et financière de l'IEP à la FNSP, conduit, de
fait, à s'interroger sur la légalité du décret du
10 mai 1985.
A cet égard, on peut légitimement s'étonner de ce que
l'IEP, qui prépare les étudiants à exercer des fonctions
de responsabilité, notamment au sein de la haute fonction publique ait
attendu un recours formé par un syndicat d'étudiants pour prendre
conscience de la fragilité de son statut juridique au regard du respect
de la hiérarchie des normes.
Pour éviter que le cas échéant, le Conseil d'Etat
n'annule la délibération du conseil d'administration du 23 juin
1992, le présent article propose de
valider de manière
préventive
ladite délibération en tant qu'elle fixe
les prévisions de recettes et de dépenses
présentées pour l'exercice 1992 et les droits de scolarité
afférents à la préparation des diplômes propres de
l'IEP pour l'année universitaire 1992-1993.
Votre rapporteur s'étonne que, quatre ans après avoir
été saisi, le Conseil d'Etat n'ait toujours pas statué sur
ce contentieux, en apparence simple et ne nécessitant aucune
enquête préliminaire.
Dans son rapport public pour 1995, le Conseil d'Etat affirmait que
"
la durée moyenne des litiges se réduit et qu'un effort
tout particulier a été entrepris pour juger les affaires les plus
anciennes ainsi que celles auxquelles il est le plus urgent d'apporter une
solution
".
De façon générale, votre rapporteur souhaite
également rappeler son opposition de principe à la multiplication
des validations proposées au Parlement depuis quelques années,
qui témoigne de la réticence de l'Etat à assumer ses
responsabilités. Ces validations n'encouragent pas à
remédier aux dysfonctionnements constatés. Votre rapporteur tient
en outre à faire remarquer que les validations préventives,
telles que celle qui est proposée par le présent article, sont
d'autant plus critiquables qu'elles visent à contourner l'interdiction
posée par le Conseil constitutionnel de censurer directement les
décisions de justice.
Par ailleurs, votre rapporteur s'interroge sur la pertinence, au regard de
l'intérêt général, de cette validation.
En effet, une éventuelle annulation contentieuse de cette
délibération ne remettrait pas en cause le lien organique
privilégié entre la FNSP et l'IEP de Paris. Le rehaussement au
niveau législatif de la délégation confiée à
la FNSP a justement pour conséquence de mettre fin à cette
incertitude juridique relative à la nature des liens entre l'IEP et la
FNSP. L'argument invoqué paraît donc contestable.
On peut également s'interroger sur la pertinence de l'argument financier
invoqué. Si la délibération fixant les droits de
scolarité pour l'année scolaire 1992-1993 était
annulée, les étudiants seraient en droit de demander le
remboursement de leurs frais de scolarité, ce qui représenterait
un coût financier pour l'IEP de 14 millions de francs, soit 6 %
de ses recettes. Il y a doute sur le point de savoir si, eu égard aux
sommes concernées, la seule considération de
l'intérêt financier soit un motif d'intérêt
général autorisant le législateur à faire obstacle
à une décision de justice à venir.
Certes, on peut imaginer que, sur le fondement d'une annulation de la
délibération pour 1992-1993, les étudiants en
scolarité les années ultérieures demandent, par la voie du
recours en responsabilité, le remboursement des droits
prélevés entre 1993 et 1998. L'enjeu financier serait alors
beaucoup plus important (84 millions de francs).
C'est donc sous les réserves énoncées ci-dessus, et compte
tenu des observations ici développées, que votre rapporteur vous
demande de ne pas vous opposer à une telle validation.
Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter
cet article sans modification.