ARTICLE 43
Modalités de recensement des
bénéficiaires de l'accord du 27 mai 1997 entre le Gouvernement de
la République française et
le Gouvernement de la
Fédération de Russie
sur le règlement définitif
des créances réciproques financières
et réelles
apparues antérieurement au 9 mai 1945
Commentaire : le présent article tend à
ouvrir les opérations de recensement des personnes titulaires de
créances sur la Russie non honorées à la suite de la
révolution d'octobre 1917, afin qu'elles puissent être
indemnisées en application de l'accord conclu le 27 mai 1997 entre la
France et la Fédération de Russie.
I - L'INDEMNISATION PRÉVUE PAR L'ACCORD FRANCO-RUSSE DU 27 MAI 1997
Le présent article constitue une modalité d'application en droit
interne de l'accord international signé le 27 mai 1997 entre la
République française et la Fédération de Russie.
Une présentation détaillée du contexte historique et
diplomatique de cet accord se trouve dans le rapport (n°150, 1997-1998)
fait par notre excellent collègue Claude Estier au nom de la commission
des affaires étrangères.
La question des investisseurs français spoliés par la
révolution bolchevique est plus large que la seule répudiation
par Lénine, en janvier 1918, des dettes du Gouvernement impérial.
Elle concerne également les biens possédés en Russie par
des Français, qui ont été collectivisés. Certains
de nos compatriotes se sont ainsi trouvé dépossédés
plus tardivement, à l'occasion des annexions réalisées par
l'URSS en Europe centrale et orientale entre 1939 et 1945. Ceci explique
d'ailleurs que le champ de l'accord couvre les créances
antérieures au 9 mai 1945.
Les Français dépossédés par la nationalisation des
biens des étrangers ont bénéficié d'une
indemnisation partielle dès 1928. Mais rien de tel n'avait
été conclu au profit des porteurs de titres d'emprunt ou
d'obligation.
D'autres Etats ont obtenu de la Russie des accords d'indemnisation plus
tôt que la France, qui était pourtant le principal
créancier de la Russie avant 1917 : la Suède en 1941, le Canada
en 1944, la Norvège en 1959, le Danemark en 1964, les Pays-Bas en 1967.
Mais c'est l'accord soviéto-britannique de juillet 1986, relatif au
dédommagement des porteurs d'emprunts russes, qui a
réveillé les revendications des porteurs français.
Cet accord n'était toutefois pas directement transposable à la
France, car l'indemnisation des porteurs britanniques a pu être
financée par 45 millions de livres d'avoirs impériaux russes
bloqués sur les comptes de la banque Barings. Le règlement du
contentieux soviéto-britannique a donc été effectué
à coût nul pour l'URSS.
Il n'en va pas de même pour l'accord du 27 mai 1997 entre la France et la
Russie. S'agissant de ses modalités juridiques, la Russie s'engage
à verser au Gouvernement français une somme forfaitaire, pour
"solde de tout compte", à charge pour ce dernier de procéder
à l'indemnisation de ses ressortissants. Chacun des deux Etats
contractants renonce aux créances détenues par ses pouvoirs
publics, ainsi qu'à soutenir les recours de ses ressortissants.
Formellement, l'abandon de créances est mutuel, puisque la Russie
renonce à ses propres revendications au titre des dommages imputables
à l'intervention française de 1918-1922 contre la Russie
soviétique, de l'or remis à l'Allemagne par la Russie en vertu de
l'accord complémentaire au traité de Brest-Litovsk et ensuite
attribué à la France en vertu du traité de Versailles, et
de l'or prétendument remis à la France par l'amiral Koltchak.
Toutefois, la France n'a jamais reconnu la validité de ces
créances présentées par la Russie.
S'agissant des modalités financières de l'accord, la Russie s'est
engagée à verser 400 millions de dollars en huit versements
semestriels, entre le 1er août 1997 et le 1er août 2000, soit
2,4 milliards de francs au cours actuel du dollar. L'indemnisation sera
donc extrêmement partielle, la valeur actualisée des
créances françaises étant estimée à
235 milliards de francs.
Un compte d'affectation spéciale n° 902-31, intitulé
"Indemnisation au titre des créances françaises sur la Russie", a
été créé par l'article 61 de la loi de finances
pour 1998 afin d'accueillir les sommes versées. La Russie a
déjà effectué trois versements, et les recettes du compte
à la fin de février 1998 s'élèvent à 910,9
millions de francs.
A l'occasion de la discussion du présent article devant
l'Assemblée nationale, le secrétaire d'Etat au budget a
confirmé que les intérêts produits par ces sommes en
attente de répartition viendront abonder le principal. Une disposition
ad hoc
devrait être votée dans la prochaine loi de finances.
II - LE RECENSEMENT DES DÉTENTEURS FRANÇAIS DE CRÉANCES
RUSSES PRÉVU PAR LE PRESSENT ARTICLE
L'objet du présent article est d'ouvrir les opérations de
recensement des personnes titulaires des créances mentionnées
à l'article I de l'accord franco-russe du 27 mai 1997. Seules les
personnes physiques et morales françaises peuvent
bénéficier de l'accord. Les opérations de recensement,
dont les modalités seront précisées par décret,
dureront six mois.
Il convient de souligner que le second alinéa du présent article
prévoit que, à défaut d'avoir déclaré leurs
créances dans un délai de six mois à compter de
l'entrée en vigueur du décret, les créanciers ne seront
plus admis au bénéfice des opérations de recensement et ne
pourront prétendre à une indemnisation au titre de l'accord
précité.
Cette clause couperet, qui peut sembler rigoureuse, permet de prévenir
toute complication ultérieure et de clore définitivement un
contentieux qui dure depuis maintenant plus de quatre-vingts ans. Toutefois,
pour être équitable, elle implique de la part des pouvoirs publics
une campagne d'information efficace.
Deux circuits seront mis en place pour le recensement des créances
visées par l'accord du 27 mai 1997, sous la responsabilité de la
Direction de la comptabilité publique :
- le recensement des titres d'emprunt et d'obligation se fera auprès du
réseau du Trésor public, le réseau des banques et de la
poste pouvant servir d'intermédiaire pour les porteurs qui le souhaitent
;
- le recensement et l'évaluation des biens nationalisés sera
confié à l'Agence française pour l'indemnisation des
Français d'outre-mer (ANIFOM). Cette agence, créée en 1970
pour instruire les dossiers d'indemnisation des biens des rapatriés,
semble en effet particulièrement qualifiée pour ce genre de
mission. Elle est disponible pour cette tâche nouvelle, car le processus
prévu par la dernière loi d'indemnisation des rapatriés de
1987 est parvenu à son terme l'an dernier.
Il convient de signaler que la frontière n'est pas parfaitement
étanche entre les deux circuits de recensement. En effet, certaines des
sociétés situées en Russie et nationalisées
après la révolution détenaient des titres d'emprunt ou
d'obligation. Les personnes spoliées, ou leurs ayant droits, pourront
soit présenter leurs titres aux guichets du trésor, soit les
joindre au dossier qu'ils confieront à l'ANIFOM.
La procédure de recensement retenue vise à minimiser les
coûts et les délais. Elle ne préjuge en rien des
modalités d'évaluation ni des taux d'indemnisation des
créances, selon leur nature, qui seront arrêtés
ultérieurement.
Le gouvernement déterminera ces modalités d'indemnisation sur la
base des propositions de la commission de suivi du mémorandum d'accord
signé le 26 novembre 1996, instituée par un décret du 12
février 1997 et présidée par M. Jean-Claude Paye,
conseiller d'Etat en service extraordinaire. Un nouveau dispositif
législatif sera vraisemblablement nécessaire.
III - LA QUESTION DU TRAITEMENT PRIVILÉGIÉ DES TITRES
DÉTENUS PAR VOIE D'HÉRITAGE
L'une des demandes constantes de certaines associations de porteurs d'emprunts
russes est que seules les personnes qui détiennent leurs titres par voie
d'héritage soient indemnisées, ou du moins, que celles-ci
bénéficient d'un taux d'indemnisation préférentiel.
A l'appui de cette revendication, les associations font valoir que les
personnes qui ont acquis, pour une somme symbolique, leurs titres sur le
marché ou chez les brocanteurs et numismates après 1917 n'ont pas
été réellement spoliées et que, par ailleurs, la
spéculation s'est développée à partir du moment
où l'hypothèse d'une indemnisation est devenue vraisemblable.
Toutefois, cette demande pose des problèmes au regard du droit des
valeurs mobilières, pour lequel "possession vaut titre". Elle
introduirait en outre une discrimination entre des titres identiques, selon
leur origine de propriété. Enfin, elle serait contradictoire avec
la logique qui a été suivie par les pouvoirs publics depuis 1917,
qui n'ont jamais suspendu la cotation des emprunts russes, jusqu'à la
veille de l'accord du 27 mai 1997. D'une certaine manière, la
spéculation sur les chances d'un remboursement des emprunts russes a
toujours été autorisée, sinon encouragée, et elle
était certainement plus forte dans les années 1920 qu'à la
fin des années 1990.
Par ailleurs, la demande des associations pose également des
problèmes au regard du droit des successions. En effet, s'agissant de
titres qui ont été pendant longtemps communément
considérés comme dépourvus de valeur, il est douteux que
toutes les règles et procédures aient été
respectées. Dès lors, des problèmes de preuve se
poseraient pour leur possesseur actuel, même de bonne foi.
L'enchaînement des successions et des indivisions risque d'avoir pour
effet que le porteur du titre, qui en est pleinement propriétaire au
regard du droit financier, n'en soit pas régulièrement
propriétaire au regard du droit civil.
Enfin, la complication pratique d'une procédure de contrôle et de
vérification minutieuse des droits des "porteurs par héritage"
aurait pour effet d'entraîner des coûts de gestion
disproportionnés avec l'enjeu, et de retarder au-delà du
raisonnable la dernière phase de l'indemnisation proprement dite.
Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter
cet article sans modification.