1. Retour sur les conditions d'adoption de la monnaie unique
La recommandation de la Commission est la suite logique de
l'examen présenté dans son rapport sur l'état de la
convergence du 25 mars 1998 des
"progrès faits par les Etats
membres dans l'accomplissement de leurs obligations pour la réalisation
de l'Union économique et monétaire"
.
Un autre rapport coexiste avec celui de la Commission, le rapport
élaboré par l'Institut monétaire européen -IME-.
Institutionnellement, il servira, tout comme le rapport de la Commission, de
base au Conseil pour évaluer si chaque Etat membre remplit les
conditions nécessaires pour l'adoption de la monnaie unique.
Ces dernières sont bien connues, mais il n'est pas inutile de les
rappeler.
Auparavant, il convient de souligner l'insistance mise par la Commission et
l'IME à placer sur un pied d'égalité toutes les conditions
posées par le Traité et à affirmer que chacune d'entre
elles doit être atteinte pour qu'un Etat puisse adopter l'euro.
Il est également à souligner que le Traité se
réfère à des conditions soit à une notion qui n'est
pas simplement assimilable aux fameux
critères
souvent
évoqués.
Les trois catégories de conditions
La première catégorie
de conditions est
institutionnelle
: les législations nationales doivent
être compatibles avec les articles 107 et 108 du Traité
et avec les statuts du système européen de banques centrales
-SEBC.
La deuxième catégorie
de conditions est la mieux connue,
popularisée qu'elle a été sous les vocables divers de
"critères de convergence", de "critères du traité de
Maastricht."
Il s'agit :
- de la réalisation d'un degré élevé de
stabilité des prix ;
- du caractère soutenable de la situation des
finances
publiques ;
- du respect des marges normales de fluctuation prévues par le
mécanisme de
change
du système monétaire
européen ;
- du caractère durable de la convergence atteinte par l'Etat membre et
de sa participation au mécanisme de change qui se reflète dans
les niveaux de
taux d'intérêt à long
terme
.
La troisième
et dernière catégorie de conditions,
appelées "facteurs supplémentaires" par la Commission, a
trait :
- au développement de l'écu ;
- aux résultats de l'intégration des marchés ;
- à la situation et à l'évolution des balances des
paiements courants ;
- à l'évolution des coûts salariaux unitaires et d'autres
indices de prix.
Ces conditions édictées au paragraphe 1 de
l'article 109 J ont été précisées, les
unes par la pratique d'examen de la Commission, les autres par protocole
annexé au Traité.
S'agissant des conditions institutionnelles
relatives à la
compatibilité des législations nationales avec les stipulations
du Traité, c'est à la pratique d'examen de la Commission qu'il
faut se reporter pour l'essentiel. Celle-ci a pris l'habitude de faire porter
son examen sur trois aspects :
- les objectifs assignés aux banques centrales nationales (BCN) ;
- leur indépendance ;
- leur capacité à être intégrées dans le
système européen de banques centrales (SEBC).
C'est ainsi qu'en ce qui concerne
les objectifs
des BCN, la Commission
estime qu'ils doivent être compatibles avec ceux du SEBC tels que
définis à l'article 105 paragraphe 1 du
Traité :
L'objectif principal du SEBC est de maintenir la
stabilité de prix. Sans préjudice de l'objectif de
stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques
économiques générales dans la Communauté, en vue de
contribuer à la réalisation des objectifs de la
Communauté, tels que définis à l'article 2"
.
Dans ces conditions, la Commission soumet la compatibilité des
dispositions de droit national renvoyant à la politique du gouvernement
ou à des objectifs macro-économiques spécifiques avec le
Traité, à la condition que
"soit respectée la
primauté des premier et deuxième objectifs de l'article 105
du Traité".
En ce qui concerne l'
indépendance
des BCN, la Commission
opère le classement des critères d'indépendance qui
suit :
" Critères institutionnels
Cette catégorie renvoie par exemple au fait qu'aucun organisme
extérieur à la BCN n'a le droit, en ce qui concerne les missions
relevant du SEBC :
- de donner des instructions à la BCN .
- d'approuver, de suspendre, d'annuler ou de différer une
décision de la BCN .
- de censurer les décisions de la BCN pour des raisons de
légalité ;
- de faire partie des organes de décision de la BCN en y ayant un droit
de vote ;
- d'être consulté avant que la BCN prenne une décision.
Critères liés au personnel
- Certaines règles doivent figurer dans la législation nationale
en application de l'article 14.2 des statuts du SEBC :
- la durée du mandat du Gouverneur doit être d'au moins cinq
ans ;
- un Gouverneur ne peut être relevé de ses fonctions que s'il ne
remplit plus les conditions nécessaires à l'accomplissement de
ses devoirs ou s'est rendu coupable de faute grave.
Critères financiers
Il est évident qu'une BCN doit répondre de ses actes en
matière financière. Cependant, instaurer un droit de
contrôle ex ante sur son budget peut, selon le contexte, la placer dans
l'impossibilité d'accomplir de manière indépendante les
missions qui lui incombent dans le cadre du SEBC.
Enfin, s'agissant de l'intégration des banques centrales nationales dans
le SEBC et des dispositions diverses, la Commission rappelle que la BCE veille
à ce que les missions conférées au SEBC soient
exécutées par ses propres activités
2(
*
)
ou par les banques centrales
nationales, et que les BCN font partie intégrante du SEBC et agissent
conformément aux orientations et aux instructions de la BCE. Elle en
déduit que les dispositions des statuts des BCN qui les empêchent
d'assumer leur rôle doivent être adaptées
conformément à l'article 108, et donne une liste d'exemples
de dispositions incompatibles :
- dispositions en vertu desquelles la BCN est compétente pour fixer les
taux d'intérêt applicables aux opérations de crédit
ou pour imposer des réserves minimums ;
- règles liant le Gouverneur lors des votes au Conseil des gouverneurs
de la BCE ;
- dispositions empêchant l'organe de décision de la BCN de suivre
les orientations ou instructions de la BCE .
- règles ne respectant pas les dispositions financières des
statuts du SEBC .
- règles empêchant une BCN de détenir et de gérer
les réserves officielles de change."
S'agissant des "critères de convergence"
, leur définition
a été précisée par voie de protocoles
annexés au traité.
Le
protocole, n° 6
fixe les modalités des
critères. Il précise que le critère
de stabilité
de prix
signifie qu'un Etat membre a un degré de stabilité
des prix
durable
et un taux d'inflation
moyen observé au cours
d'une période d'un an
qui ne dépasse pas de plus de
1,5 % celui des trois Etats membres
au plus
présentant les
meilleurs résultats en matière de stabilité des prix.
S'agissant du critère relatif à
la situation des finances
publiques
, le protocole reprend fidèlement les termes de
l'article 109J en prévoyant que le caractère soutenable de
la situation des finances publiques sera atteint si l'Etat membre ne fait pas
l'objet au moment de l'examen d'une décision du Conseil
visée
à l'article 104C paragraphe 6 du traité
concernant
l'existence d'un
déficit excessif
dans l'Etat membre
concerné.
En ce qui concerne le
critère de participation au mécanisme de
change
, il signifie que la monnaie de l'Etat concerné a
respecté les marges normales de fluctuation prévues sans
connaître de tensions graves pendant
au moins
les deux
dernières années précédant l'examen.
Enfin, s'agissant du
critère des taux d'intérêt
, il
signifie que l'Etat membre n'a pas eu, pendant l'année
précédant l'examen, un taux d'intérêt nominal moyen
à long terme excédant de 2 % celui des trois Etats membres
au plus
présentant les meilleurs résultats en
matière de stabilité des prix.
Compte tenu du renvoi opéré à l'article 104C du
traité, le second protocole pertinent est
le protocole
n° 5
sur la procédure concernant les déficits
excessifs. Celle-ci fait l'objet de développements approfondis dans le
chapitre II de ce rapport qui rappelle, en particulier, les valeurs
retenues pour apprécier la discipline budgétaire dans les Etats
membres. Mais, une curiosité doit être remarquée.
Il est en effet souligné dans la suite de ce rapport qu'une lecture
à la lettre du texte de l'article 104 C semble exclure qu'une
décision du Conseil prise dans le cadre du paragraphe 6 du traité
"place" en situation de déficit excessif un Etat membre qui ferait
preuve de laxisme dans la maîtrise de sa dette publique.
Ce n'est donc que par le truchement d'une interprétation très
extensive mais conforme à la logique économique que le
critère de la dette publique a pu être pris en
considération pour apprécier l'aptitude d'un Etat membre à
adopter l'euro.
Il reste que l'on attend mieux de l'ordre juridique européen que le
recours à la syllepse dont on rappelle que, "figure de grammaire
réglant l'accord des mots, non d'après les règles
grammaticales, mais d'après les vues particulières de l'esprit",
elle a sans doute plus de charme et de justification dans la littérature
que dans les textes de droit.
S'agissant des "
facteurs supplémentaires
", c'est également
de la pratique de la Commission qu'on peut tirer quelques enseignements sur
leur sens.
C'est en effet une appréciation large dont dispose la Commission pour
apprécier les différents "facteurs supplémentaires"
énoncés par le traité.