B. LES CONSÉQUENCES DU DÉMANTÈLEMENT DES CENTRES D'EXPÉRIMENTATIONS NUCLÉAIRES : UN RENONCEMENT IRRÉVERSIBLE AUX ESSAIS NUCLÉAIRES QUI IMPOSE A LA FRANCE DES EXIGENCES PARTICULIÈRES
On ne peut évoquer les obligations juridiques découlant, pour la France, du traité sans les examiner au regard des décisions unilatérales déjà prises par notre pays, et en premier lieu le démantèlement des installations d'expérimentations. Cette décision irréversible prive la France de toute possibilité matérielle de reprendre les expérimentations et lui impose des exigences particulières, notamment pour mettre en oeuvre le programme de simulation.
1. Le renoncement irréversible aux essais nucléaires
Au regard du traité, la décision la plus
importante n'est peut-être pas l'arrêt définitif des essais,
après l'ultime campagne de 1995-1996, mais plus certainement le
démantèlement des sites d'expérimentations du
Pacifique
.
En effet, les opérations de démantèlement qui avaient
commencé en 1996 sur les sites de Mururoa et de Fangataufa seront
achevées d'ici la fin de l'année 1998, année au cours de
laquelle la Direction des centres d'expérimentations nucléaires
du ministère de la défense sera dissoute. Parallèlement,
la France a adhéré aux protocoles du traité de Rarotonga
sur la zone exempte d'armes nucléaires du Pacifique Sud, et elle a
notamment ratifié le 20 septembre 1996 le protocole 3 qui interdit tous
les essais nucléaires dans la zone.
Ainsi, tout en prenant l'engagement juridique, par le traité
d'interdiction complète des essais et par le traité de Rarotonga,
de ne plus réaliser d'essais, la France a également
renoncé aux capacités matérielles et techniques de
réaliser ces expérimentations
.
La France se trouve ainsi dans une
situation singulière
au regard
des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine, qui malgré leur
adhésion au traité ont conservé leurs centres
d'expérimentations. Les Etats-Unis continuent d'ailleurs à
effectuer des essais "sous critiques" dans leur site du Nevada.
2. L'enjeu de la simulation : une exigence majeure
En prônant une décision définitive et
irréversible qui lui interdit matériellement de reprendre des
expérimentations, la France s'impose une
double exigence
si elle
souhaite préserver sa capacité de dissuasion :
- tout d'abord,
oeuvrer fermement pour l'application effective du
traité
d'interdiction complète des essais et des mesures de
vérification, car si ce traité devait ne jamais être
appliqué, elle pourrait se retrouver dans une situation
d'infériorité pour avoir anticipé de manière
irréversible un hypothétique arrêt universel des essais,
-
mener à son terme le programme de simulation
qui, en l'absence
d'essais en vraie grandeur, doit permettre de garantir la fiabilité et
la sûreté de son armement nucléaire.
Votre rapporteur souhaite particulièrement insister sur ce dernier point.
Il faut en effet rappeler que le programme de simulation répond à
la nécessité de
garantir à la fois la
sûreté et la fiabilité des armes actuelles et de celles qui
les remplaceront,
mais aussi d'assurer à plus long terme la
fiabilité de la dissuasion :
- les armes subissent des phénomènes de vieillissement des
charges qu'il importe de surveiller et dont il faut mesurer les incidences pour
y remédier. En l'absence d'essais, la simulation permettra
d'évaluer les conséquences du vieillissement des charges et
contribuera au maintien de la durée de vie des armes actuelles, telle
qu'elle est prévue jusqu'à leur remplacement.
- les têtes nucléaires appelées à remplacer les
charges actuelles seront définies à partir des concepts
" robustes " testés lors de la dernière campagne
d'essais, avec des modifications limitées par rapport aux engins
testés. Mais seule la simulation permettra de garantir la
fiabilité et la sûreté de ces charges nouvelles, garantie
sans laquelle la dissuasion perdrait une grande part de sa
crédibilité.
- enfin, à plus long terme, les concepteurs des armes qui assureront le
renouvellement appartiendront à une génération n'ayant pas
été confrontée aux essais en grandeur réelle.
Au-delà des données recueillies lors de ces essais, la simulation
leur fournira des calculateurs et des moyens expérimentaux
adaptés (la machine radiographique AIRIX et le laser Mégajoule)
leur permettant de confronter leurs calculs à l'expérience.
En résumé, le maintien de la dissuasion nucléaire suppose
non seulement un arsenal d'armes nucléaires mais aussi une
garantie
permanente de la fiabilité et de la sûreté de ces armes
qu'en l'absence d'essais, seule la simulation peut apporter.
La mise en oeuvre du programme de simulation repose sur de
puissants moyens
de simulation numérique
fournis par des ordinateurs beaucoup plus
performants que ceux actuellement en service, et sur des
installations
expérimentales
permettant de valider les modèles physiques
décrivant les phénomènes essentiels du fonctionnement des
armes nucléaires : la
machine radiographique AIRIX
pour la
visualisation détaillée du comportement dynamique de l'arme, et
le
laser Mégajoule
pour l'étude des
phénomènes physiques, notamment thermonucléaires.
La
machine radiographique AIRIX
, en phase de construction à
Moronvilliers, en Champagne, sera vouée à l'analyse de la
dynamique des matériaux et elle permettra d'étudier le
fonctionnement non nucléaire des armes, à l'aide
d'expériences au cours desquelles les matériaux nucléaires
sont remplacés par des matériaux inertes. Elle devrait être
opérationnelle dès 1999 et succéder à l'actuelle
machine GREC.
Projet de plus grande ampleur, le
laser Mégajoule
qui sera
installé au Barp, en Gironde, est pour sa part destiné à
l'étude du domaine thermonucléaire. Il permettra de
déclencher une combustion thermonucléaire sur une très
petite quantité de matière et de mesurer ainsi les processus
physiques élémentaires. Le développement du projet doit
s'effectuer en plusieurs étapes, avec tout d'abord la construction d'une
ligne d'intégration laser (LIL) qui devra valider et qualifier la
définition de la chaîne laser de base du laser Mégajoule.
Le
calendrier du programme de simulation
a été
arrêté en fonction de
plusieurs critères
: d'une
part,
la relève des équipes de concepteurs actuels
par des
équipes n'ayant pas connu les essais nucléaires, qui implique la
mise à disposition de ces dernières de moyens de simulation, et
d'autre part les
échéances de remplacement des charges
nucléaires actuelles
.
Les principales phases de ce calendrier sont :
. 1999 : premier tir de démonstration sur AIRIX et début de la
construction du bâtiment du laser Mégajoule,
. 2000 : recette finale de l'installation d'AIRIX,
. 2001 : qualification de la ligne d'intégration laser,
. 2006 : premières expériences sur le laser Mégajoule avec
un tiers des faisceaux,
. 2010 : premières expériences sur le laser Mégajoule avec
la totalité des faisceaux.
Les investissements nécessaires à la réalisation de ce
programme ont été évalués à 6,5 milliards de
francs pour le laser Mégajoule, 500 millions de francs pour la
construction d'AIRIX et 170 millions de francs pour la première
génération d'ordinateurs.
Sur l'ensemble de la période 1995-2010, l'investissement serait de
l'ordre de 10 milliards de francs, auxquels il faut ajouter des coûts de
fonctionnement évalués à 1 milliard de francs par an.
Votre rapporteur croit devoir souligner une nouvelle fois que
la
contrepartie indispensable aux engagements internationaux souscrits par la
France et à ses initiatives unilatérales, réside dans le
respect scrupuleux des enveloppes financières allouées à
la simulation
par la dernière loi de programmation militaire.