2. L'adoption et l'entrée en vigueur de la convention du 13 janvier 1993
Un long processus de quelque douze années de négociations a conduit à l'adoption de la convention de Paris, dont la relative universalité -acquise dans les dernières semaines de 1997- pourrait justifier un certain optimisme quant à l'efficacité de ce nouvel instrument international, en dépit des limites sur lesquelles votre rapporteur reviendra ci-après (voir infra, E).
a) Un long processus de négociations
- Dès la fin des années 1960, l'utilisation des
armes chimiques par des pays du Sud avait clairement illustré les
dangers liés à la multiplication du nombre de détenteurs
d'armes chimiques, due pour l'essentiel au faible coût de celles-ci.
Ainsi la convention du 10 avril 1972 relative à l'interdiction du
développement, de la production et du stockage des armes biologiques ou
à toxines et à leur destruction, comporte-t-elle une
clause
engageant les parties à chercher un accord similaire dans le domaine des
armes chimiques.
- Des négociations multilatérales s'ouvrirent donc à
Genève, en 1980, dans le cadre de la
Conférence sur le
désarmement
, dont les quarante membres sont alors convenus de tenter
de parvenir à un accord interdisant la fabrication, le stockage,
l'acquisition et l'emploi d'armes chimiques. Parmi les motivations des pays
participant à la Conférence de Genève figure la crainte
suscitée, en Occident, par la révélation de
l'écrasante supériorité chimique soviétique.
- En marge de la Conférence du désarmement, les initiatives mises
en oeuvre, sur le
plan bilatéral
, par
l'URSS et les
Etats-Unis
, doivent être rappelées. En vertu de
l'accord du
1er juin 1990
, Américains et Soviétiques s'engagèrent
à cesser la production d'armes chimiques, à prévoir un
programme échelonné de destuction de leurs moyens chimiques, et
à mettre en oeuvre une coopération bilatérale en vue de la
destruction des stocks existants, ainsi que des procédures d'inspection
mutuelle.
- Les négociations de Genève connurent une impulsion
décisive sous l'impulsion des Etats-Unis et de l'URSS, à la
faveur de la détente gorbatchévienne, et en conséquence de
la prise de conscience liée au recours aux gaz de combat dans le cadre
de la guerre Iran-Irak.
- Au cours de la Conférence de Paris, du 7 au 11 janvier 1989, les 149
parties aux négociations convinrent de la nécessité
d'accélérer l'élaboration de la convention sur
l'interdiction des armes chimiques. La déclaration alors adoptée
par les Etats participant à la Conférence réaffirme le
soutien de ceux-ci au processus diplomatique en cours, et renouvelle
l'engagement des signataires à ne pas faire usage de gaz de combat.
C'est en 1989-1990 que fut poursuivie l'élaboration du "texte
évolutif" (ou "rolling text"), qui devait aboutir à la
rédaction du projet complet de convention. L'adoption définitive
du texte fut acquise en
novembre 1992
, dans le cadre de
l'Assemblée générale des Nations unies.
Parmi les difficultés qui expliquent la durée relativement longue
des négociations, mentionnons le
souci de concilier impératifs
de sécurité et de secret commercial
avec la
nécessité de mettre en place des
procédures de
vérification et d'inspection suffisamment intrusives pour assurer la
supression de la menace chimique
. Enfin, la volonté légitime
des pays en développement de ne pas mettre un terme à tout
transfert de technologie
dans le domaine des industries chimiques a
également contribué à ralentir le processus de
négociations, de même que le souci des pays industrialisés
de faire prévaloir une protection efficace en matière de
confidentialité.
b) Vers une certaine universalité de la convention du 13 janvier 1993
L'article XXI de la convention du 13 janvier 1993
prévoit l'entrée en vigueur de celle-ci à partir d'un
délai minimal de deux ans, et
six mois après le
dépôt du soixante-cinquième instrument de ratification.
La convention n'est ainsi entrée en vigueur qu'en
avril 1997
,
plus de quatre ans après sa signature.
En
septembre 1996
, on ne comptait que
64 ratifications
sur 145
signataires. Alors que la convention était sur le point d'entrer en
vigueur, puisque ne manquait, à cette date, qu'un instrument de
ratification, les Etats dont la participation à la convention devait
être la plus significative s'étaient abstenus de ratifier la
convention :
Etats-Unis et Russie
(les plus gros détenteurs de
stocks d'armes chimiques), d'une part,
Chine, Pakistan et
Indonésie
(pays supposés dotés d'une bonne
capacité technologique), d'autre part.
(1) Des réticences russes et américaines finalement surmontées
- Les réticences initiales des
Etats-Unis
s'expliquent par le caractère intrusif des processus de
vérification et d'inspection prévus par la convention,
contesté par les industriels américains, soucieux de
préserver les secrets de leur avance technologique. Par ailleurs, les
difficultés techniques et environnementales liées à la
destruction des stocks d'armes chimiques détenus par les Etats-Unis ont
joué un rôle dans les atermoiements américains (voir
ci-après, E). Ainsi la méthode par incinération retenue
à l'égard des stocks implantés sur l'atoll Johnson
est-elle considérée aujourd'hui comme présentant un risque
pour les populations riveraines du Pacifique. C'est pourquoi la construction de
sites de destruction d'armes chimiques fait l'objet d'une virulente opposition
de la part des mouvements écologistes.
Enfin, les Etats-Unis ont longtemps subordonné la ratification à
l'achèvement préalable, par la Russie et par les Etats
présentant le plus de risques (Irak, Corée du Nord, Libye...), de
leur procédure interne de ratifiation.
Le Sénat américain a finalement permis la ratification de la
Convention sur les armes chimiques par les Etats-Unis en avril 1997, à
un moment pourtant où la Russie avait repoussé sa ratification
à une date ultérieure, et où l'on n'avait
enregistré aucune ratification de la part des pays dits sensibles. Ce
revirement est probablement dû à la
volonté
américaine d'être représentés dans la nouvelle
organisation internationale et de participer aux processus de
vérification
mis en place par la convention du 13 janvier 1993,
la ratification de celle-ci par les Etats-Unis permettant le recrutement, par
l'OIAC, d'inspecteurs de nationalité américaine. La
présence américaine parmi les parties à la convention du
13 janvier 1997 a probablement permis d'
accélérer la
ratification de la Russie et de la Chine
. Elle a certainement
renforcé la crédibilité de la convention
, et a
évité que les Etats qui, comme la Libye, l'Irak ou la
Corée du Nord, maintiennent leur volonté de disposer d'armes
chimiques, tirent une sorte de blanc-seing des réticences
américaines.
- En novembre 1997, la ratification de la convention par la
Fédération de Russie
a permis de compter les deux
principaux détenteurs d'armes chimiques parmi les parties à la
convention. Le coût de la destruction des stocks d'armes chimiques joue
un rôle majeur dans les réticences russes (voir infra, E2). La
destruction des seuls stocks américains a, en effet, pu être
estimée à quelque 12 milliards de dollars, dont 260 millions
de dollars pour les opérations conduites sur l'atoll Johnson
13(
*
)
.
Les moyens qu'exige la mise en oeuvre effective des obligations de destruction
souscrites par les Etats parties à la convention du 13 janvier 1993,
peuvent, dans les conditions économiques prévalant aujourd'hui en
Russie, être considérés comme dirimants, d'autant que
ces dépenses devront s'ajouter à celles qui sont d'ores et
déjà mises en oeuvre en Russie en vue du désarmement
nucléaire.
Dans ces circonstances, il n'est pas étonnant
qu'une résolution de la Douma ait, en avril 1997, subordonné la
ratification de la convention de janvier 1998 par la Russie à une
aide financière substantielle de la communauté
internationale.
(2) L'absence de nombreux pays proliférants
Certains pays ayant initialement refusé
d'adhérer à la convention, et pouvant être
considérés comme proliférants, ont finalement
déposé leurs instruments de ratification, renforçant
l'universalité et, partant, la crédibilité de la
convention de janvier 1993
14(
*
)
.
Il s'agit notamment de l'Inde et, plus récemment, du Pakistan et de la
Jordanie (octobre 1997), et de l'Iran (novembre 1997). Israël a, à
ce jour, signé la convention sans déposer ses instruments de
ratification.
On remarque néanmoins toujours, parmi les absents, des pays dont le
rôle dans la prolifération des agents de guerre chimique, est
connu : Libye, Syrie, Corée du Nord, Irak. On peut également
noter, entre autres absences éloquentes, celles du Liban et du Soudan.