N° 219
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 14 janvier 1998
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères,
de la défense et des forces armées (1) sur :
- le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant
la
ratification
de l'
accord
interne
entre les représentants des gouvernements des Etats membres,
réunis au sein du Conseil relatif au
financement
et
à la
gestion
des
aides
de la
Communauté dans le cadre du
second
protocole
financier
de la
quatrième
convention
ACP-CE
,
- le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant
la
ratification
du
protocole
à la
quatrième
convention
entre la
Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et le
groupe des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d'autre part
(dite
convention ACP-CE de Lomé
), à la suite de
l'adhésion de la République d'Autriche, de la République
de Finlande et du Royaume de Suède à l'Union européenne,
- le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant
la
ratification
de l'
accord
portant modification de
la quatrième convention entre la Communauté européenne et
ses Etats membres, d'une part, et le groupe des Etats d'Afrique, des
Caraïbes et du Pacifique, d'autre part (dite
convention ACP-CE de
Lomé
),
Par Mme Paulette BRISEPIERRE,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM. Xavier
de Villepin,
président
; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet,
François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton,
vice-présidents
; Michel Alloncle, Jean-Luc
Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë,
secrétaires
; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre
Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette
Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre
Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André
Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure,
Philippe de Gaulle, Daniel Goulet
,
Jacques Habert, Marcel Henry,
Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune,
Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Mme Lucette
Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard
Plasait, Régis Ploton, André Rouvière, André Vallet.
Voir les numéros
:
Assemblée nationale
(
11
ème législ.) :
4
,
5
,
6
,
484
et T.A.
58
,
57
,
56.
Sénat
:
197, 198 et 199
(1997-1998).
Traités et conventions.
Mesdames, Messieurs,
La relation privilégiée nouée entre les membres de l'Union
européenne et le groupe des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du
Pacifique (71 pays aujourd'hui compte tenu de l'adhésion, en 1997, de
l'Afrique du Sud) n'a cessé d'évoluer au fil des années
à la faveur de la renégociation périodique de la
première convention de Lomé signée en février 1975.
Les trois textes soumis à notre Haute Assemblée constituent la
dernière adaptation majeure du dispositif avant le deuxième
millénaire. Ils n'ont toutefois pas la même portée : si le
premier se borne à prendre en compte les conséquences de
l'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède à
l'Union européenne, le second procède à la révision
à "mi parcours" de la quatrième convention de Lomé
(1990-2000) ; le troisième, enfin, fixe dans le cadre d'un accord
interne entre les membres de l'Union européenne, le protocole financier
destiné à couvrir la période 1995-2000.
Deux ans après la signature de ces accords, l'examen de ceux-ci par le
Sénat se présente de façon quelque peu paradoxale. D'une
part, la France se distingue comme l'un des derniers Etats membres de l'Union
européenne
1(
*
)
à
n'avoir pas encore ratifié des accords auxquels elle a pourtant
apporté une contribution décisive. En particulier, faute de
ratification, le protocole financier n'a pu entrer en vigueur et l'action de
l'Union européenne en faveur de ses partenaires du Sud pourrait ainsi se
trouver privée de moyens au début de l'année 1998. A
l'inverse, l'accord portant modification de la quatrième convention de
Lomé est entré en vigueur dès janvier 1996, ce qui
naturellement limite l'impact de la procédure de ratification. Enfin, et
surtout, ces accords seront remis en cause en l'an 2000, à
l'échéance de l'actuelle convention de Lomé IV : à
cette date, la relation entre l'Union européenne et les pays d'Afrique,
des Caraïbes et du Pacifique sera entièrement redéfinie ;
les discussions portent aujourd'hui précisément sur les principes
fondateurs d'un nouveau partenariat.
Cependant, les questions soulevées au moment de la renégociation,
en 1995, de la convention de Lomé IV préfigurent en partie le
débat sur les orientations des relations entre l'Union et les pays ACP.
La première interrogation porte sur l'effort que les Quinze sont
prêts à consentir en faveur des pays du Sud. La part des
financements accordés aux pays ACP a décru continûment au
cours des dernières années au sein de concours extérieurs
communautaires (Asie, Amérique latine, Méditerranée, Phare
et Tacis) :
elle représentait 65 % de l'enveloppe globale en 1990
mais 33,5 % seulement en 1997
.
Quels doivent être, en second lieu, les objectifs de notre aide ? Cette
interrogation générale appelle une réflexion sur
les
moyens mis en oeuvre
, le régime des préférences
commerciales accordé, le champ géographique de l'aide et
l'éventuelle différenciation en fonction de la situation des pays
intéressés ...
La nature et le contenu de l'accord qui sera signé en 2000
détermineront de façon décisive les relations entre
l'Europe et les pays du Sud. L'enjeu est essentiel non seulement pour les ACP
mais aussi pour les Quinze et le rôle de l'Europe dans le monde.
C'est dans cette perspective que les trois accords qui sont soumis à la
Haute Assemblée doivent être examinés. C'est pourquoi votre
rapporteur évoquera d'abord les principaux enjeux de la relation
ACP-Union européenne avant d'analyser le dispositif des accords dont
certains aspects peuvent apporter des éclairages utiles sur les
orientations que prendront les négociations sur un nouveau partenariat
Nord-Sud.
I. LOMÉ : UN MODÈLE EN QUESTION
A. LE BILAN NUANCÉ DES ACCORDS DE LOMÉ
1. Une coopération aux objectifs ambitieux
La coopération mise en place dans le cadre de la
convention de Lomé demeure sans exemple dans le monde. Trois traits au
moins singularisent en effet les modalités d'aide au
développement mises en place :
- la place essentielle qui revient à la
concertation
entre les
deux groupes de pays -dans le cadre de l'Assemblée paritaire ou du
Conseil des ministres UE-ACP- pour définir les modalités de
coopération ;
- la définition
d'une coopération prévisible et
durable
à travers une
programmation pluriannuelle de l'aide
;
- l'utilisation
d'un large éventail d'instruments au service de
l'aide au développement
allant d'un régime commercial
très libéral à la stabilisation des recettes
d'exportations de certains produits de base, en passant par l'octroi d'une aide
généreuse.
Il n'est pas inutile de revenir ici sur les moyens d'une aide dont les
principales modalités font aujourd'hui l'objet d'une remise en cause.
a) Un dispositif original
.
Un régime commercial très libéral
Les pays ACP bénéficient, pour la quasi-totalité des
exportations, du libre accès au marché européen
sans
obligation de réciprocité
.
Le principe des règles d'origine qui peut conduire à limiter
sérieusement l'avantage procuré par la franchise des droits
s'entend dans le cadre de l'accord de Lomé de façon très
souple. En effet, tandis que dans le droit commun un produit composé de
plus de 10 % de produits étrangers perd les bénéfices
d'une exemption douanière, un produit ACP constitué à
hauteur de 45 % d'éléments d'origine communautaire ou provenant
d'un autre pays ACP conserve l'avantage douanier qui lui est consenti. En
outre, plusieurs protocoles annexés à la convention de
Lomé IV prévoient des dispositifs très favorables pour des
produits tels que la banane, le sucre, le rhum ou la viande bovine, dont la
part dans les échanges de certains pays ACP peut revêtir une place
essentielle.
.
Les mécanismes de stabilisation de recettes à
l'exportation
Ces mécanismes de stabilisation de recettes d'exportation des produits
de base agricoles (Stabex) ou d'aide au rétablissement de la
viabilité du secteur minier (Sysmin) constituent de réelles
innovations par rapport au seul régime des préférences
commerciales.
Le Stabex permet de compenser par des aides financières directes (depuis
1990, il s'agit exclusivement de dons) les pertes de recettes imputables aux
fluctuations de prix ou de quantités des produits agricoles
exportés vers les Etats membres de la Communauté.
Cet appui financier se concentre principalement sur une dizaine de produits :
café, cacao, coton, thé, arachide, oléagineux et banane.
De fait, ces aides bénéficient à une demi-douzaine de
grands pays exportateurs. Les fonds, dont l'affectation relève
désormais d'une décision concertée dans un " cadre
d'obligations mutuelles ", bénéficient à la
réorganisation des filières de production et d'exportation et
à la mise en place de stratégies de diversification
économique.
L'Ouganda, le Cameroun, la Côte-d'Ivoire, l'Ethiopie, le Kenya et la
Papouasie Nouvelle-Guinée, ont reçu l'essentiel des ressources
attribuées au titre du Stabex.
Le Sysmin destiné à l'origine à restaurer la
" viabilité économique des entreprises minières en
situation de crise temporaire ", permet aujourd'hui d'accorder sous
forme
de dons (depuis Lomé IV) une aide aux Etats demandeurs dont les
exportations minières -pour sept produits : bauxite/aluminium,
cuivre/cobalt, fer, étain, phosphates, manganèse, uranium-
représentent plus de 15 % de leurs recettes d'importation (10 % pour les
pays les moins avancés). Ces subventions peuvent être
rétrocédées sous forme de prêts à des
sociétés d'exploitation minière pour leur modernisation ou
l'amélioration de leur rentabilité.
b) Des ressources financières importantes
Le
Fonds européen de développement
(FED)
alimenté par des contributions spécifiques des Etats-membres
constitue l'outil financier majeur de la coopération UE-ACP. Les
ressources sont accordées pour une période de cinq ans. Ainsi,
depuis sa création en 1958, sept protocoles financiers se sont
succédé. Ils représentent un montant de 28,6 milliards
d'écus sur une période de 35 ans. Jusqu'en 1995, ces ressources
étaient allées croissantes. Ainsi, le 7e FED (1990-1995) -avec
10,8 milliards d'écus- enregistrait une progression de 38 % en valeur
nominale et 18 % en valeur réelle par rapport au 6e FED. Les dons
représentent près de 92 % des fonds -un niveau très proche
du premier FED après une légère érosion à la
suite du 5e FED -72 %- (Lomé II) et 75 % du 6e FED (Lomé
III).
Les concours financiers recouvrent deux volets :
- d'une part,
l'aide programmable
-les Programmes indicatifs nationaux
(PIN) ou Programmes indicatifs régionaux (PIR)- destinée à
fixer pour chaque Etat -ou région- les projets de développement
et l'enveloppe financière subséquente ;
- d'autre part
l'aide non programmable
consentie au cas par cas et en
fonction des besoins. Dans ce cadre, le Sysmin, le Stabex mais aussi les aides
humanitaires d'urgence constituent les principaux instruments financiers
sollicités.
Les financements accordés dans le cadre du FED prennent presque
toujours, désormais,
la forme de dons
. Toutefois les pays ACP
bénéficient également d'une assistance de la Banque
européenne d'investissemernt (BEI) accordée sous la forme de
prêts consentis à partir des ressources propres de la banque ou de
capitaux à risques
2(
*
)
.
Par ailleurs, l'aide repose également en partie sur le budget annuel des
Communautés européennes, qu'il s'agisse de l'aide alimentaire ou
de l'appui aux réformes institutionnelles.
L'aide communautaire représente aujourd'hui 10 % environ de l'aide
publique au développement
à l'échelle du monde et, si
l'on y ajoute les contributions accordées par chacun des Etats membres,
50 % de l'aide totale
provenant des pays industrialisés et
60
% de l'aide apportée à l'Afrique subsaharienne.
Sans cette
contribution accordée -il faut encore le souligner- principalement sous
forme de dons, de nombreux projets n'auraient sans doute jamais vu le jour.
Toutefois, au regard de l'ampleur des moyens mis en oeuvre, les
résultats peuvent paraître décevants.
2. Des résultats en-deçà des espérances
a) Une situation économique fragile
En premier lieu, la coopération européenne n'a
pu prévenir
le mouvement de marginalisation économique et
commerciale de l'Afrique.
Comme le soulignait une étude récente
3(
*
)
le revenu par habitant en Afrique
subsaharienne n'a progressé que de 0,4 % par an entre 1960 et 1992,
contre 2,3 % sur la même période pour l'ensemble des pays en
développement. En conséquence un écart de l'ordre de 1
à 4 sépare désormais le produit par tête de
l'Afrique de celui des autres pays en développement.
Si l'investissement étranger direct dans les pays en
développement a atteint un niveau record en 1996 -109 milliards de
dollars, soit quatre fois plus qu'au début de la décennie- ces
flux ont bénéficié à un nombre restreint de pays
(73 % des investissements ont profité à moins de douze pays). La
Chine a ainsi reçu à elle seule 52 milliards de dollars.
L'Afrique subsaharienne pour sa part a bénéficié d'un flux
de capitaux privés inférieurs à 11 milliards de dollars.
Encore ces investissements n'ont-ils profité qu'à une
minorité d'Etats -principalement le Nigéria et les pays d'Afrique
australe. Le désintérêt des investisseurs étrangers
apparaît d'autant plus préoccupant qu'il s'est conjugué
avec
la désaffection continue des bailleurs de fonds publics.
En effet, l'aide publique au développement s'est encore réduite
en 1996 (55,1 milliards de dollars contre 58,8 milliards de francs en 1995) et
représente moins de 0,25 % du PNB de l'ensemble des pays donateurs de
l'OCDE
4(
*
)
.
En outre, le continent africain n'a pas réellement participé au
développement des échanges internationaux. La part de l'Afrique
subsaharienne dans le commerce mondial ne dépasse pas 2 %. Par ailleurs,
les pays ACP ne sont pas vraiment encore parvenus à diversifier leurs
exportations fondées, à hauteur de 80 %, sur les produits
primaires (14 produits primaires représentent 71 % des exportations ACP).
Au-delà même de la faiblesse du bilan économique des pays
ACP,
l'évolution des échanges entre les deux zones ACP-UE
s'est révélée décevante
. Certes,
l'étroitesse des liens entre les deux ensembles a pu être
préservée :
le marché européen représente
41 % des recettes d'exportation des Etats ACP
(cette dépendance
apparaît plus élevée pour l'Afrique -46 %- que pour les
Caraïbes -18 %- et le Pacifique -23 %-).
Paradoxalement, cependant, les exportations de la zone ACP vers l'UE ont moins
progressé que les exportations des Etats en développement non ACP
(respectivement + 5,7 % contre 13 % sur la période 1986-1992). Ainsi,
les parts de marché des pays ACP en Europe se sont
dégradées continûment
au cours des dernières
décennies (de 6,7 % à 2,8 % entre 1996 et 1994).
b) L'affaiblissement progressif du principe du partenariat
L'esprit même de la coopération UE-ACP a tendu
à s'altérer au fil du temps. D'une part, si par souci
d'efficacité la Communauté s'est montrée de plus en plus
directive, le rythme de décaissement des crédits affectés
à la coopération est resté marqué par une lenteur
excessive.
En effet, le principe de contractualité qui commandait l'organisation
des relations UE-ACP a perdu sa force originelle sous l'effet d'une double
évolution. En premier lieu, comme le soulignait le livre vert, sur les
relations Union européenne/ACP, publié au début de
l'année 1997, l'" interventionnisme " des instances
communautaires les a conduits parfois à se substituer au partenaire
défaillant.
Par ailleurs, la part accrue accordée aux critères de
conditionnalité s'est accompagnée d' " un retrait de
responsabilité de la part des pays bénéficiaires, dans la
mesure où les conditions imposées, liées aux
critères appliqués par les institutions de Bretton Wood, ont pu
être trop spécifiques, trop nombreuses ou trop formalistes ".
A titre d'exemple près de 10 % de la dotation programmable de
Lomé IV se sont trouvés gelés en 1993 (soit 6 milliards de
francs) compte tenu de la situation politique dans six Etats ACP. Ces facteurs
d'ordre politique n'expliquent cependant qu'en partie les longs délais
d'exécution des opérations du FED. En 1989, au moment de la
signature de Lomé IV, seuls 29 % des crédits prévus
dans le cadre de Lomé III (1986-1990) avaient été
effectivement dépensés.
Ces délais traduisent les difficultés de fonctionnement d'un
système d'aide dont certains éléments appellent
aujourd'hui une remise en cause.